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RENONCIATION A LA SOUVERAINE TÉ.

RENONCIATION A DES SUCCESSIONS FUTURES.

que l'on

It ne fera pas ici queftion de la Renonciation à la souveraineté poffede, qu'on nomme abdication. Nous en avons parlé amplement fous ce mot. Nous traiterons feulement de la Renonciation à l'efpérance de pofféder une couronne, & aux droits & prétentious que l'on peut y avoir pour la fuite.

I.

On peut renoncer pour foi à l'espoir de posséder une couronne.

O N peut renoncer pour foi à l'efpérance de pofféder une couronne (a); pourvu que la Renonciation foit faite librement, pour une caufe légitime, & avec le contentement de l'Etat auquel on renonce & du roi dont on regle la fucceffion. Dès que toutes ces circonftances ont concouru, un prince qui a renoncé à un Etat & qui a mis le fceau à fa Renonciation far fon ferment, ne peut entreprendre dans la fuite de l'anéantir, fans fe parjurer.

I I.

La Renonciation du pere à des biens patrimoniaux, peut être oppofée aux enfans; mais celle des biens fucceffifs eft invalide à leur égard, felon les

loix Romaines.

Il y a plus de difficulté à juger fi un prince peut renoncer pour ses def

L

cendans.

Tout se réunit, a dit quelqu'un, pour combattre ces fortes de Renonciations. La nature ne les peut fouffrir, car les royaumes ne venant point au plus proche par l'hérédité, mais par droit du fang, nul n'y peut renoncer, parce que les droits du fang font les droits de la nature inféparables de la perfonne, inaliénables & inacceffibles, par Renonciation ou par quelque autre voie que ce puiffe être. La juftice y réfiße auffi, d'autant que la fucceffion aux royaumes eft un droit tout public qui regarde particuliérement les fujets, Dieu n'ayant pas donné les couronnes aux rois pour l'amour d'eux-mêmes, mais pour le gouvernement des peuples qui ne peuvent fe paffer d'un chef: en forte que les Renonciations n'étant jamais reçues con

(a) Similis eft quæftio an abdicari poffit regnum aut jus fuccedendi in regnum ; quin pro fo quifque abdicare poffit non eft dubium. Grotius, de jure Belli & Pacis, lib. 2. cap. 7 §. 26.

tre

tre ce qui regarde le droit public, il n'eft rien de plus nul par toutes les loix, que ces Renonciations. La religion ne peut les fouffrir, puifqu'il n'en eft pas des droits du fceptre & de la couronne, comme de ces poffeffions vénales qui tombent dans le commerce, & qui font fujettes à toutes les viciffitudes que produifent l'intérêt & l'inconftance des particuliers; c'est une efpece de facerdoce, de vocation & de miffion toute facrée, qui forme un lien fpirituel, conjugal, indiffoluble, du prince avec fon Etat. Cette objection réduite à fa valeur n'eft qu'une vaine déclamation.

Pour fe déterminer d'abord fur la queftion, il faut diftinguer les biens patrimoniaux des biens fucceffifs; c'eft-à-dire, les biens que l'on poffede en toute propriété, de ceux dont on n'a proprement que la jouiffance ufufruitiere, qu'on ne poffede que pour les tranfmettre à fon fucceffeur déterminé par la loi. La Renonciation du pere aux biens patrimoniaux peut être juftement oppofée à fes defcendans, parce qu'il ne peut leur avoir tranfmis des biens qu'il n'avoit plus, depuis que, par fa Renonciation, il s'en étoit privé. Mais une Renonciation aux biens fucceffifs ne peut être oppofée aux defcendans de celui qui l'a faite, ni les priver d'un Etat qu'ils tiennent de leur naiffance. La loi fondamentale n'a difpofé que de l'ufufruit de l'Etat fucceffif en faveur du prince régnant, & dans l'intention de cette loi, la poftérité la plus reculée du prince régnant eft appellée à la fucceffion. Le pere donne la qualité d'homme à fon fils, mais c'eft le fondateur qui lui donne la qualité de fucceffeur de fon Etat. Les enfans fuccedent en ce caslà, non du chef de leur pere qui a renoncé, mais de leur propre chef & par la volonté de la loi (a). Un prince peut bien priver fon fils de ce qui lui reviendroit comme fon héritier; mais il ne peut pas lui ôter les dignités qui lui appartiennent par fon droit de primogéniture. Une Renonciation ne peut ni être oppofée, à ceux qui ne l'ont pas faite, ni détruire les loix fondamentales d'un Etat, ni rompre le nœud indiffoluble qui lie la poftérité des rois à leurs fujets, par les loix propres de la fouveraineté. L'homme ne peut ôter ce que la loi donne. Une Renonciation ne peut donc valoir, à parler en général, contre les fucceffeurs de celui qui l'a faite ; mais ils doivent rendre le prix que leur prédéceffeur peut avoir reçu, fuppofé qu'ils le poffedent. Voilà comme il faudroit raisonner, fi c'étoit ici une matiere qui pût être décidée par les loix romaines qui n'admettent point les Renonciations à fucceffions futures; mais c'eft à d'autres principes qu'il faut avoir recours, tant parce que les loix romaines faites pour des affaires. particulieres font fans force quand il s'agit des fucceffions aux couronnes, que parce que ces loix romaines ne fervent de regle que dans les pays où elles font reçues.

(a) Non enim ex perfonâ patris, fed ex personá propriâ, & fublato medio fuccedere debet. Xxx

Tome XXVII.

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La Renonciation aux biens fucceffifs examinée felon les principes du droit privé des François, de leur droit public, & du droit des gens.

LA A question que je difcute, il faut l'examiner felon les principes de notre droit privé, felon ceux de notre droit public, & dans les vues du droit des gens.

La jurisprudence françoife admet les Renonciations à fucceffions futures que le droit romain rejetoit. » Il y a (dit un jurifconfulte françois) certai»nes regles en France qu'on ne peut mettre en controverfe, fans s'avouer » coupable, ou d'une ignorance totale de notre droit, ou d'être étranger » au milieu de fon pays; telles font les Renonciations des filles, qui de tout temps, ont été admifes parmi nous, qui y font foutenues du fuffrage > unanime de tous les docteurs, & qui s'y trouvent confirmées par une jurifprudence uniforme de tous les tribunaux. Il ne faut pas s'étonner » (ajoute-t-il) fi nos fénateurs fe font écartés en cela du droit romain. » Les Romains, uniquement occupés du foin d'un Etat démocratique, s'em » barraffoient peu de la confervation des familles & de la perpétuité de » certains noms, mais nos magiftrats ont dû penfer que dans une monar » chie, rien n'étoit plus propre à affermir la puiffance fouveraine, que de » foutenir la dignité des familles nobles, en leur fourniffant le moyen de » retenir fur la tête des mâles, le patrimoine qui en entretient le luftre & » la fplendeur; qu'une fille qui paffe dans une famille étrangere, ne doit » point entraîner avec elle des biens dont la diminution fait la ruine de la » fienne, & qu'ainfi c'est avec grande raison que ces Renonciations ont été » regardées comme très-légitimes, & qu'elles ont été approuvées non-feu>>lement entre les nobles; mais encore dans les familles communes & or» dinaires (a).

Entendons fur ce point un autre auteur. » Les Renonciations à fucceffions » futures ( dit-il ) ont été introduites en France par une raison politique, » laquelle doit être confervée & plutôt étendue par interprétation, que » reftreinte. Nos anciens Gaulois vivant fous une monarchie, & s'étant ran»gés au commandement d'un feul, aviferent en même temps que toute » la paix & foutenement d'icelle, dépendoit du corps de la nobleffe, & » des illuftres maifons qui font tenues de monter à cheval, auffitôt que leur » prince & leur roi le trouve néceffaire. Pour conferver ces maisons illuf» tres en leur grandeur, & pour obvier aux diminutions & démembremens » des terres feigneuriales, qui fe faifoient par le mariage des filles qui em» portent tout le bien en une autre famille faifant la fin de la leur, ils

(a) Anne Robert, liv. 2. ch. 4. rerum judicat.

» introduifirent, par une raifon politique, ces Renonciations contre la dif>> pofition du droit civil, les faifant renoncer, en les mariant, à toutes » fucceffions directes & collatérales, & ce au profit des mâles qui font les » colonnes des maisons, qui les foutiennent en leur fplendeur, confervant » le nom & les armes, & qui, par ce moyen font rendus plus puiffans en moyens & facultés, pour foutenir & entretenir la dépenfe qu'il convient » faire pour le service du roi (a).

Un troisieme écrivain auffi célébre que les deux que je viens de citer, s'explique avec moins d'étendue, mais d'une maniere tout auffi positive: » Ce qui eft obfervé en ce royaume ( dit-il ) que les filles mariées ayant » renoncé, ne reviennent à fucceffions, ne dépend pas de la force du » chapitre Quamvis (b), mais felon l'ancien établiffement & ufance de >> France, pour la confervation des maifons & familles nobles; & fuivant » ce, fi la fille a été mariée en maison honnête & digne du lieu dont elle » eft iffue & par la volonté de fon pere qui l'a mariée, elle ait renoncé à » fa légitime, elle ne peut plus y retourner (c).

Mais malgré toute la faveur que la Renonciation a parmi les François, elle eft affujettie à des conditions effentielles, & fans lefquelles elle ne peut valoir. Il faut qu'elle foit faite, en contrat de mariage, qu'elle ait un prix certain, que ce prix foit fourni, dans les cas ordinaires par les pere & mere aux fucceffions defquels la fille renonce. Il faut que la dot foit réelle, qu'elle ne confifte point en efpérance: la Renonciation est une efpece de forfait par lequel la fille traite de droits incertains qui pourroient lui échoir, pour un objet actuel & préfent. Il faut donc que cet objet foit certain, & qu'il ne foit pas expofé aux révolutions qui fouvent vont à renverser les fortunes les mieux établies; & pour cela régulièrement, il eft néceffaire que la dot foit payée du vivant des pere & mere qui l'ont conftituée. Un pere peut ftipuler qu'il ne payera la dot que dans certains termes; s'il meurt avant l'échéance, la Renonciation n'eft pas moins valable, quoique le tout ou partie de la dot ne foit pas payé, pourvu uéanmoins que les termes ne fuffent pas au-delà du cours naturel de la vie du pere. Quel eft le motif de cette diftinction? Il fe présente bien naturellement à l'efprit. Si le pere, pour payer la dot, a pris un terme qui naturellement dût aller au-delà de fa vie, la conftitution dotale n'eft plus qu'une illufion. C'est un prix de fiction qu'il a mis à une Renonciation qui doit avoir un prix certain; la fille alors eft réputée avoir renoncé gratuitement, & par conféquent n'être liée d'aucun engagement. Si au contraire, le pere n'a pris que des termes raisonnables, il n'a rien fait qui ne fût dans l'or

(a) Bouguier, L. R. N. 2. p. 267.

(b) C'est la décifion de Boniface VIII, qui eft favorable aux renonciations. (c) Coquille, art. 24, ch. 23, coutume de Nivernois.

dre naturel des conventions ordinaires, & quoiqu'il meure avant l'échéance des termes, l'attention qu'il a donnée au repos & la tranquillité de sa famille ne doit pas être méprisée.

Voilà les regles du droit privé des François. Confultons celles de leur droit public.

Une Renonciation que le roi ftipule, lorfqu'il ordonne de l'établissement d'une princeffe de fon fang, ne fe regle pas par les principes ordinaires des Renonciations: la propofition eft fondée fur des regles de droit public au-deffus defquelles on ne peut jamais s'élever. Un premier principe en cette matiere eft, que les alliances qui font contractées par les princes & princeffes de la maison royale, ne dépendent ni d'eux ni de leurs proches, & qu'il n'appartient qu'au roi feul de décider de leur fort. Non-feulement, c'eft un hommage qui eft dû à la puiffance fuprême, mais c'eft encore un attribut de la qualité qui réfide dans la perfonne du fouverain, comme chef de la maison royale. Auffi, n'eft-ce pas, par un fimple confentement que le roi, dans ces mariages manifefte fa volonté, mais par des conventions qui ne font l'ouvrage que de fa feule autorité. Lorfque, dans de pareilles circonftances, le roi exige une Renonciation aux fucceffions directes & collatérales, ce n'eft pas feulement par le motif des Renonciations ordinaires, & pour foutenir l'éclat de la fplendeur d'une branche de fa maison, mais par un intérêt d'Etat, afin qu'une princeffe qui devient étrangere par fon mariage, & fes defcendans qui le font par leur naiffance, ne puiffent enlever à l'Etat des richeffes qui lui appartiennent & qui lui doivent être confervées. Une Renonciation fondée fur de pareils motifs, eft inébranlable, & n'eft fujette à aucune des conditions qui décident du fort des Renonciations ordinaires.

Les deux princeffes, filles de Gafton, duc d'Orléans, & de Marguerite de Lorraine, furent mariées, l'une avec le prince de Tofcane en 1661, l'autre avec le duc de Savoie en 1663; Louis XIV conftitua à chacune d'elles en dot la fomme de 900 mille livres, au moyen de laquelle elles renoncerent, au profit du roi, à tous les droits qui leur étoient échus par le décès de Gaston leur pere. Ces Renonciations à des droits échus & au profit du roi, ont eu tout leur effet.

Louis XIV, maria en 1679, la princeffe Marie-Louise, fille de Philippe de France, duc d'Orléans fon frere unique, & d'Henriette-Anne d'Angleterre, avec Charles II, roi d'Espagne. Le roi lui conftitua en dot la fomme de soo mille écus d'or fol, & ce pour tous droits paternels & maternels & autres qui lui pourroient appartenir ou échoir. Par-là, elle renonça nonfeulement aux droits à échoir, mais encore aux droits échus par le décès de la princeffe fa mere, & fans que le prince fon pere eût aucune part à la conftitution de la dot. Il eft vrai que dans la fuite du contrat, il lui donna pour 40 mille écus de bagues & joyaux, mais ce présent infiniment modique par lui-même, ne fut mis au rang ni de la dot, ni

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