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dans tout fon jour par les raifonnemens juftes ou faux, profonds ou fuperficiels, clairs ou alambiqués, qu'il fait fur chaque objet. Au refte, nous avons déjà dit fi fouvent nos penfees fur le ftyle d'affaires, qu'il eft inutile de les représenter ici; & à l'égard des réflexions mêmes, il n'y a d'autre regle à donner que celle de n'en omettre aucune qui paroiffe effentielle, mais d'éviter avec foin toutes celles qui font vagues & fuperflues. Il faut être fur-tout en garde contre les fauffes confidences que l'on fait quelquefois à un miniftre pour lui donner le change.

Il est bon encore de diftinguer par articles les matieres dont on parle. Sans cette précaution, une dépêche reffemble à un certain cahos qu'on a mille peines à débrouiller ; & dans le grand nombre d'objets qui fe préfentent tous les jours, il n'est déjà que trop difficile d'éviter la confufion. Le négociateur fera très-bien d'avoir fur fon bureau, dans fon cabinet toujours foigneufement fermé à clef, un brouillon fur lequel, au fortir d'une conférence, ou le foir en fe retiraut, il faffe une note des principaux points qu'il a traités, ou des nouvelles intéreffantes qu'il vient d'apprendre. C'eft le moyen de foulager fa mémoire, & de ne rien oublier; & lorsque le jour de pofte arrive, on trouve fa Relation toute préparée, c'eft-à-dire, à moitié faite. Il ne faut commencer à dreffer fes Relations ni trop tôt, nî trop tard, parce que, dans l'un & l'autre cas, on court rifque de ne pas digérer les matieres avec affez de réflexion. Lorfqu'on prépare ainfi fes matériaux de loin, & que l'on confacre le jour de pofte en entier à faire les dépêches, on peut efpérer de bien remplir fa tâche; & fi, après l'avoir achevée, il furvient encore quelques matieres intéreffantes, ou qu'on apprenne des nouvelles qu'il importe de marquer foudainement, on ajoute à la Relation une ou plufieurs apoftilles, dont chacune ne doit contenir qu'un feul & même article. On les marque de la maniere suivante.

P. Sptum mum 2 dum telle date.

3tium, &c. à ma relation No. *** de telle ou

On finit la Relation par le compliment ou la courtoifie ordinaire, en témoignant fon profond refpect au fouverain. Elle eft mife au net par le fecrétaire d'ambaffade, & fignée de la propre main du miniftre. Les P. S. finiffent ordinairement fans aucun compliment.

Il est très-effentiel encore d'obferver, dans tous les Rapports, ce qu'on appelle le degré de certitude des nouvelles qu'on a marquées, & il faut tácher d'accoutumer fa cour à lire nos dépêches dans l'efprit que nous les écrivons. Je m'explique. Comme il eft impoffible de répondre de l'authenticité de toutes les nouvelles qu'on apprend, & que c'eft néanmoins fur ces mêmes nouvelles que le fouverain ou le miniftre prend fes réfolutions, it importe qu'ils puiffent diftinguer le certain d'avec l'incertain, le vrai d'avec le fufpect; & pour cet effet nos expreffions doivent être toujours mefurées fur ce degré de certitude que nous avons de chaque nou

velle. La langue françoife nous fournit toutes ces nuances. Les phrafes, Je viens d'apprendre, on dit ici, on m'a affuré, je fais de bonne part, je fais à n'en pouvoir douter, il eft indubitable, on m'a dit pofitivement, je fuis fúr, je fais de fcience certaine, &c. ne font point fynonymes, mais diftinguent parfaitement le degré de certitude & de vraisemblance. Un bon écrivain fait les employer à propos, pour ne point induire fa cour en erreur. Au refte, je confeille encore une fois à tout miniftre, & fecrétaire d'ambaffade, de faire une étude férieuse des lettres, mémoires & Relations du comte d'Eftrades, qui font le plus parfait modele qu'ils puiffent fe proposer pour leurs Relations.

Après que la Relation & tous les P. S. ont été mis au net, & qu'on a préparé les cahiers, & autrès pieces qu'il faut quelquefois y ajouter, on attend jufqu'à une ou deux heures avant le départ de la pofte pour farmer les paquets; car il ne faut envoyer les dépêches au bureau des poftes que le plus tard qu'on peut, tant pour voir s'il furvient encore quelque nou velle intéreffante à marquer, que pour empêcher, autant qu'il eft poffible, qu'on n'ait le temps de les ouvrir & de les lire. Il y a un favoir-faire à fermer & cacheter les dépêches de maniere qu'elles ne puiffent être ouvertes, ou du moins très-difficilement. Les couverts ou enveloppes, doi vent être faits avec foin; il faut fe pourvoir d'excellente cire d'Efpagne, la faire couler toute chaude fous les replis du couvert, fermer ces couverts à doubles cachets, en coller le repli extérieur avec des oublies rondes ou pain à cacheter, aux endroits où l'on veut placér les cachets & mettre la cire d'Espagne par-deffus ces oublies. Pour être tout-à-fait für de fon fait, on peut laiffer. en blanc la derniere feuille des dépêches; & après les avoir pliées en forme de lettre, on enduit toute la furface des côtés extérieurs de colle fine fur laquelle on applique le couvert qui, fe collant ainfi fur la Relation même ne fauroit en être détaché fans déchirer le papier. Sans de pareilles précautions, il eft aifé d'ouvrir & de refermer d'une maniere prefque imperceptible toutes les lettres & dépêches, en prenant d'abord l'empreinte du cachet avec une espece d'amalgame que les chymiftes appellent Staniol, & en tenant enfuite la lettre contre un coquemard, ou l'approchant de la vapeur d'une eau bouillante qui amolit & fait fondre la cire. Mais il eft des cas où il importe fi fort à une cour de favoir le contenu des dépêches qu'un miniftre étranger reçoit ou envoie, qu'elle paffe par-deffus toutes les bienféances & tous les fcrupules, déchire l'enveloppe, & fait, ou un nouveau couvert tant bien que mal, ou jette la dépêche au feu en feignant qu'elle s'eft perdue, & en s'excufant le mieux qu'elle peut. Lorfque les cours font brouillées, on n'y fait pas même tant de façons. Pour parer cet inconvénient, il n'y a que deux reme des, l'un d'envoyer toutes les dépêches importantes par un courier, & l'autre d'écrire en chiffres. Voyez l'article CHIFFRE.

RÉMISSION, OU PARDO N.

Regles du Pardon des crimes, de l'indulgence, ou de la févérité des fouverains.

LE fouverain qui a le droit de punir, a auffi celui de pardonner, & il eft bienféant qu'il pardonne quelquefois.

La clémence des hommes eft la vertu qui les approche le plus de la divinité.

La morale de Zénon, qui contenoit des chofes excellentes, en avoit d'autres fi outrées, qu'elle déshonoroit la vertu en la rendant impraticable & ridicule. Un de ces dogmes les moins fenfés étoit celui qui établiffoit l'égalité des fautes; & comme il n'en reconnoiffoit point de légeres, il vouloit auffi qu'on n'en pardonnât aucune, & qu'on les punît toutes avec la même févérité.

Ses difciples foutenoient que les crimes puniffables devant les tribunaux humains, ne doivent jamais être pardonnés; qu'un homme fage ne pardonne jamais; que lorfqu'on pardonne, on doit fuppofer en même temps que celui qui a péché n'eft pas coupable, mais que quiconque peche le fait par malice. Le fens de ce raifonnement fe réduit à ce dilemme : celui qui a péché eft coupable, ou ne l'eft pas. S'il n'eft pas coupable, il n'a point commis de véritable péché, puifque tout péché fe commet par malice, & par conféquent il n'a pas befoin de pardon. S'il eft coupable, on ne peut lui faire grace, puifqu'on ne pardonne que les fautes involontaires. N'eft-ce pas là une manifefte pétition de principe?

Un homme de bien, difoient encore les floïciens, n'eft point doux & clément, car la clémence confifte à ne pas punir un coupable, felon qu'il le mérite; or on doit indifpenfablement rendre à chacun felon fes œuvres. Mais on peut répondre que la maxime: qu'il faut néceffairement rendre à chacun ce qu'il lui appartient, n'a lieu qu'en matiere de biens. Le mal ne peut tendre à l'avantage de celui qui le fouffre, & l'on peut le lui épargner fans commettre aucune injuftice.

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La clémence, ajoutoient-ils, fuppofe qu'on trouve trop rigoureuses les peines portées par les loix, ou qu'on accufe le législateur d'en établir contre ceux qui ne le méritent pas. Seneque penfoit que le légiflateur ne décerne les derniers fupplices que contre les plus grands crimes: de maniere que perfonne ne périffe, qu'il ne foit de l'intérêt même de celui qu'on punit qu'il periffe (a). Les loix n'ont pu faire cette diftin&tion entre les.

(a) Supplicii ultimi ponat ut nemo pereat, nifi quem perire etiam pereunti interfit.

crimes.

crimes. Elles condamnent en général à la mort tous ceux qui commettent certains crimes, elles n'ont point d'égard à la difpofition d'efprit où étoient les coupables; mais le fouverain qui a la manutention de la loi que luimême il a faite, eft obligé d'avoir égard aux circonftances particulieres ou extraordinaires des temps, des perfonnes, de la fituation des affaires de l'Etat. Rien n'empêche qu'il ne relâche quelquefois légitimement la peine portée par la loi, toute jufte qu'elle eft. Il ne fait grace que pour certaines raifons qui n'ont pas toujours lieu, & qui n'ont pas même une application néceffaire à tous ceux qui peuvent commettre le même crime. Le bien de l'Etat permet, exige même quelquefois que l'on faffe grace. Il importe, généralement parlant, que le légiflateur agiffe en conformité de fes propres loix, parce qu'elles perdent beaucoup de leur autorité lorfqu'il en fufpend l'exécution fans de très-fortes raifons. Il invite lui-même, pour ainfi dire, au crime, lorfqu'on a autant ou plus de fujer de fe promettre l'impunité, que d'appréhender la punition (a). Il y a, n'en doutons point, une fauffe indulgence; & dans les actions même de clémence, il eft fouvent convenable de laiffer quelques marques de la févérité du légiflateur. Le meurtre, même involontaire, n'a pas été exempt de quelque punition chez la plupart des peuples, afin d'ôter tout prétexte aux homicides, & d'obliger les hommes d'apporter toute leur attention pour prévenir ce malheur. Il faut refpecter les loix, & dans leur origine & dans leur durée. On ne doit ni les abolir ni les changer, ni en fufpendre l'exécution fans des raifons très-fortes; autrement, on pécheroit contre les regles du gouvernement.

Il paroît même moins dangereux d'abolir tout-à-fait la loi, que de la laiffer impunément violer à certaines perfonnes, parce que, dans ce dernier cas, le fouverain donne occafion à de grandes plaintes, & fait foupçonner le gouvernement d'une injufte acception de perfonne. Si la peine eft trop rigoureufe, à prendre la loi dans toute fon étendue, il vaut mieux adoucir la loi & l'anéantir totalement, que de faire grace à un petit nombre de perfonnes, pendant que les autres font fujets à une punition dure & injufte. Si dans une certaine action, il fe trouve des circonftances particulieres qui empêchent qu'elle ne foit auffi atroce que la loi la fuppofoir, l'équité feule oblige les juges non à remettre entiérement la peine, car ce droit eft réservé au fouverain, mais à l'adoucir, fans que par-là on faffe rien contre l'efprit de la loi. Il n'y a donc proprement que des raifons extérieures qui engagent à pardonner.

Comme le fouverain peut abolir entiérement une loi, il peur, à plus forte raison, en fufpendre l'exécution, à l'égard de certaines perfonnes & dans certaines circonftances. Je dis le fouverain, parce que les officiers du fouverain doivent juger felon la loi.

(a) Bonis nocet, quifquis pepercerit malis. Tome XXVII.

V v v

Les raifons extérieures qui follicitent la clémence du fouverain, font, par exemple, les fervices paffés ou du coupable ou de fa famille; quelque talent extraordinaire; une rare induftrie, ou quelque autre considération qui le rend particuliérement recommandable.

Le fouverain a un motif puiffant de pardonner, lorfque le crime a été commis par une ignorance qui, fans être totalement excufable, vient d'une pure négligence; ou lorfque le coupable a péché par l'effet d'une foibleffe d'efprit qu'il lui eft difficile de furmonter.

Comme l'utilité de l'Etat eft la vraie mesure des peines que les tribunaux humains décernent, elle demande fouvent que l'on faffe grace à cause du grand nombre de coupables. Le nombre des criminels ne peut fervir d'excufe à perfonne; mais la prudence qu'on doit apporter à gouverner des fujets, exige que la juftice qui a été établie pour la confervation de la fociété, ne foit pas exercée d'une maniere qui la détruife. Un bon prince doit réprimer les vices par la crainte des peines, & ne punir pourtant que le moins qu'il eft poffible. C'eft quelquefois un effet de miféricorde que de punir, c'eft auffi quelquefois une cruauté que de pardonner.

C'est une des premieres regles du droit civil d'aller toujours à la décharge de l'accufé, quand les preuves ne font pas évidentes (a). Il faut, dit une loi, qu'elles foient plus claires que le jour en plein midi (b). On ne doit, dit une autre loi, condamner perfonne fur des préfomptions, & il vaut mieux que le coupable demeure impuni, que fi l'innocent étoit condamné (c).

L'équité naturelle qui a dicté cette derniere loi à Trajan, qui étoit un empereur payen, doit faire encore plus d'impreffion fur l'efprit & fur le cœur des princes & des juges chrétiens, puifque la religion chrétienne confifte principalement dans l'adoration d'un Dieu fait homme & injuftement condamné par les hommes. On tient communément qu'il vaut mieux que cent coupables échappent au châtiment que fi un feul innocent périffoit. Antonin-le-Pieux avoit toujours dans la bouche ces belles paroles qu'un empereur devoit mieux aimer fauver un citoyen, que de perdre mille ennemis (d).

C'est dans ce même efprit qu'il eft établi dans les tribunaux de juftice, qu'en matiere criminelle le parti le plus doux doit être préféré au plus rigoureux. On fait remonter cet ufage aux fiecles les plus reculés. Orefte, après avoir tué sa mere, eft obfédé par les furies qui ne le quittent point. Apollon, pour l'en délivrer, lui confeille d'aller à Athenes implorer le fe

(a) Semper in obfcuris quod minimum eft fequimur. Leg. 9. ff. de diverfis regulis juris. (b) Luce meridianá clariores.

(c) Satius rectè eft impunitum relinqui facinus nocentis, quàm innocentem damnare, 1, 5.ff. 'de panis.

(d) Satius eft imperatori, unum civem fervari, quam mille hoftes perdere,

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