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une fi petite part des chofes qui alloient devenir la proie des Romains, & qu'ils fauroient bien s'en emparer quand ils le voudroient.

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Probus avant de retourner à Rome, vouloit achever de réduire entiérement les Barbares du nord, qui, quoique vaincus, excitoient toujours quelque nouveau mouvement, mais fentant que ce projet étoit trop difficile il fit de grandes tranfplantations de ces peuples dans les terres de l'empire: il n'y eut que les Baftarnes qu'il avoit transportés dans la Thrace, qui s'accoutumerent aux mœurs des Romains : les autres colonies, compofées de Vandales & de Francs, fe révolterent, coururent de côté & d'autre, & exercerent l'activité de ce prince. Il en tailla en pieces un grand nombre, & les autres s'en retournerent dans leur pays. Ces peuples joignoient à leur humeur guerriere un attachement incroyable pour leur liberté. On n'en peut donner une plus grande preuve que ce que fit une troupe de Francs qui avoit été transportée dans le Pont. Ennuyés de vivre loin de leur pays, & ne pouvant s'accoutumer au joug des Romains, ils s'emparerent de plufieurs. vaiffeaux, traverferent le Bofphore, coururent toute la mer Méditer. ranée, pillerent les côtes de l'Afie & de la Grece, prirent Syracuse tuerent la plupart des habitans, firent un gros butin, & continuant leur, route pafferent le détroit, entrerent dans l'Océan, cotoyerent l'Espagne. & la Gaule, arriverent à l'embouchure du Rhin, & fe rendirent dans leur patrie.

Probus étant de retour à Rome y triompha des peuples de la Germanie & fit des libéralités au peuple; mais à peine délivré des guerres étrangeres, il fe vit fur les bras une guerre domeftique. Les Egyptiens, peuple toujours inquiet, avoient proclamé empereur Saturnin, un des meilleurs généraux de l'empire, & fans fa participation. Celui-ci fit en cette occafion. ce qu'un homme fage devoit faire; il refufa cet honneur, & représenta qu'après avoir eu celui de rétablir les Gaules & de remettre le calme en Efpagne, il ne vouloit point ternir fa gloire: mais eux ayant perfévéré à le vouloir pour maître, Saturnin fe retira en Judée. Peu de temps après. fon armée s'étant jointe aux Egyptiens, l'obligea d'accepter la dignité offerte. Alors s'imaginant qu'après ce qui étoit arrivé, il ne pouvoit plus vivre en fureté comme particulier, il prit le nom d'Augufte & la pourpre, mais ce ne fut que pour différer fon malheur de quelque temps. Probus envoya contre lui une partie des troupes de l'Orient, & après quelques combats, où il eut du défavantage, il fut forcé & pris dans le château d'Apamée, & mis à mort par les vainqueurs.

Deux autres rebelles, Proculus & Bonofe, lieutenans en Gaule & en Germanie, & foutenus des légions qu'ils commandoient, prirent le titre d'Augufte. Le premier fut poursuivi par Probus, qui le contraignit à fuir aux extrémités des Gaules il y fut trahi par les Francs & livré à l'empereur qui le fit punir de mort. Bonose ne fut pas plus heureux; il fut vaincu & obligé de s'enfuir à Cologne, où il fe pendit de défefpoir. Comme c'é

toit un grand buveur, on dit que Probus fit en badinant fon épitaphe en ces mots, Ici pend une bouteille & non un homme.

Ce prince après avoir été vainqueur de tant de nations barbares & des rebelles qui avoient voulu s'élever contre lui, triompha des Germains & des Blemmyes. Dans cette cérémonie il fit marcher devant fon char un grand nombre de prifonniers; il donna des jeux & des fpectacles. Le plus remarquable fut une chaffe dans le cirque: on y avoit planté des arbres avec toutes leurs racines, en forte que tout l'emplacement avoit l'air d'un bois on y lâcha toute forte d'animaux qui fe plaifent dans les bois, à l'exception des malfaifans. On permit au peuple de leur faire la chaffe, & chacun avoit la liberté d'emporter fa proie.

Probus jouit enfuite d'une grande paix : il en profita pour occuper les troupes à des ouvrages utiles; il les employa à planter des vignes fur les collines des Gaules, de la Pannonie & de la Medie; il donna enfuite ces vignes à ceux du pays pour les cultiver il permit en même-temps aux Gaulois, aux Espagnols & aux Pannoniens de planter autant de vignes dans leur pays qu'il leur plairoit. En cela Probus leva la défense que Domitien avoit faite de planter des vignes. Ainfi il eft fort vraisemblable que la France, l'Espagne & la Hongrie font redevables à cet empereur de l'exif tence de leurs excellens vignobles.

La paix que Probus avoit faite avec les Perfes fe rompit l'année fuivante on en ignore les caufes, & on croit que les Perfes avoient fait quelque injure à la majefté du nom Romain. Probus réfolut donc de leur faire la guerre, & prépara pour cette expédition un puiffant armement. Ayant pris fa route par l'Illyrie, il arriva à Sirmium où il fit quelque féjour. Comme il ne vouloit pas laiffer fes troupes oifives, il voulut les obliger à deflécher les marais qui étoient aux environs de cette ville. Les foldats rebutés de ces travaux fe mutinerent la févérité & l'inflexibilité de Probus, que Julien lui reproche d'avoir porté trop loin en cette occafion, les aigrit jufqu'à la fureur : ils l'attaquerent dans une marche il voulut fe réfugier dans une tour qu'il avoit fait faire pour voir les travaux des foldats, mais fes aflaflins l'y forcerent & le tuerent fur la place. Sa mort couvrit de deuil le fénat & tout le peuple Romain. La douceur de fon gouvernement lui avoit gagné tous les cœurs, Les foldats même se la reprocherent & lui drefferent un monument avec une infcription qui marquoit que Probus étoit vraiment digne par fa probité du nom qu'il portoit, & qui le qualifioit de vainqueur de toutes les nations barbares & des tyrans.

Probus ne régna que fept ans, & dans ce court efpace il fis relever & rebâtir foixante & dix villes, felon le témoignage de Julien; il soutint un grand nombre de guerres, en fortit toujours victorieux, & il fembloit que fous lui l'empire fe fut élevé au comble du bonheur, & que par la fuite il ne pouvoit que defcendre.

Tome XXVII.

PROCÉDURE, f. f.

Plan du roi de Pruffe pour réformer la justice, & fur-tout pour abréger les procédures.

TOUTES fortes de procès, entre toutes fortes de personnes, fans en

excepter les communautés, peuvent être terminés par trois voies principales; l'accommodement volontaire entre les intéreffés, l'arbitrage & la Procédure judiciaire, soit qu'une partie soit attirée devant le juge, ou qu'elle veuille y attirer l'autre.

Les deux premieres voies étant rarement fuffifantes, & les procès étant plutôt affoupis pour quelque temps que décidés par leur moyen, il faut qu'il y ait dans tout Etat bien réglé des tribunaux & un ordre judiciaire. Mais comme cet ordre ne peut être deftiné qu'à faire connoître la vérité, en donnant lieu aux parties de la montrer, & d'établir leurs droits, la maniere fimple & naturelle de l'exercer, fe borneroit à faire venir les parties devant le juge, pour expliquer le fait de leurs différends, afin que les ayant entendues, il leur rendit fur le champ la juftice qu'elles méritent.

Perfonne n'ignore cependant, combien il s'en faut que la juftice ne s'adminiftre d'une maniere aufli abrégée. La chofe eft même impraticable dans les Etats policés à l'égard d'une infinité de différens, comme nous le verrons dans la fuite. Mais le mal confifte en ce qu'au-lieu de s'en tenir à ce qu'il y a d'effentiel dans l'ordre judiciaire, on y a mêlé beaucoup de chofes vicieuses & fuperflues, qui laiffent le champ libre à la malignité, au menfonge, à toutes les efpeces d'injuftices, qu'on voit fe multiplier dans les procès. Les chofes en font venues au point que les gens fenfés ont eu les procès en horreur, & ont fouvent mieux aimé faire des pertes confidérables, que de s'engager dans un labyrinthe fans iffue. Mais avec tout cela, comme il n'y a, & ne peut y avoir que les fouverains, qui jouiffent du droit de fe rendre justice à eux-mêmes, il refte une infinité de cas, où la voie de recours au juge eft d'une néceffité indifpenfable..

Cette voie eft donc devenue odicufe, comme nous venons de l'infinuer, & cela principalement à cause de l'extrême longueur des procès. Il en ré→ fulte une foule d'inconvéniens également dommageables, & aux citoyens que les procès regardent immédiatement, & à tout l'Etat. Telles font les inquiétudes & les agitations qui bouleverfent l'ame des plaideurs; l'animofité qui naît, fe fomente & fe perpétue entre les parties; les frais ruineux, qui abforbent le plus clair des biens litigieux, les établiffemens manqués, par quantité de perfonnes, qui auroient pu fe pouffer, dans toutes fortes d'états & de profeffions, fi leur fortune n'avoit pas dépendu de la décifion

d'un procès; enfin l'extrême peine que les étrangers ont à venir s'établir dans des contrées, où les procès font fréquens & traînent en longueur.

Tant de maux réunis, & procédant d'une même fource, méritoient affurément qu'on cherchât à y apporter des remedes. Il eft même furprenant, que dans les Etats les mieux policés de l'Europe, on n'ait trouvé jufqu'à préfent aucun moyen efficace à cet égard. Ce n'eft pas dans l'abolition entiere des procès qu'il faut le chercher; la chofe, avons-nous dit, est impoffible; mais c'eft dans l'accourciffement des procédures. Il s'agit uniquement de prescrire une forme convenable, qui laiffe, d'un côté à la vérité, tous les fecours néceffaires pour fe faire connoître & pour établir fes droits; mais qui détourne de l'autre l'effet de tant de rufes & d'artifices, que les hommes ennemis de la juftice & de l'ordre ont inventés, pour obfcurcir les affaires en les embarraffant de longueurs, & pour éluder des jugemens qu'ils craignent de fubir. Ce font ces difficultés, & ces échappatoires, dont l'immenfe affemblage a formé le monftre de la chicane.

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Un roi, auquel perfonne ne contefte la gloire d'avoir accru à plufieurs égards la fplendeur de fon royaume, Louis XIV connut ces maux, & en chercha les remedes. C'eft dans ce bur qu'il fit publier l'ordonnance de 1667, qui fait partie du Code-Louis. Elle contient l'établiffement d'une procédure uniforme & abrégée dans toutes les cours & jurifdictions du royaume de France; & elle a toujours été regardée comme un des plus grands avantages que ce prince ait procurés à fes fujets.

Le roi de Pruffe, actuellement régnant, ayant remarqué que, dans chaque province de fes Etats, on avoit anciennement introduit un ftyle & une Procédure particuliere, & qu'il en réfultoit fouvent des incidens fi embarraffans, qu'on étoit obligé d'évoquer la plupart des affaires à fon confeil, conçut le plan de ramener tout à une Procédure uniforme, par laquelle tous les procès fuffent folidement inftruits & terminés par trois inftances, dans l'espace d'une année.

Après avoir communiqué ce plan à fon grand-chancelier, le roi voulut qu'il en fit l'effai. Pour cet effet, il ordonna de commencer les opérations par la Pomeranie, vafte province, qui anciennement a été nommée terra litigiofa, à caufe de la difpofition de fes habitans, qui, bien que gens pleins de candeur & de bonne foi, fe fufcitent cependant des procès affez fréquens, par animofité, ou par quelque faux point d'honneur.

L'exécution ayant parfaitement répondu aux efpérances, le roi ordonna à fon grand-chancelier de dreffer un ample projet d'ordonnance, & de le faire pratiquer provifionnellement dans tous fes Etats, par tous les tribunaux & cours de juftice, en leur enjoignant de faire enfuite leurs obfer. vations & leurs remontrances fur les difficultés qui pourroient fe rencontrer dans l'exécution de ce plan, afin qu'il y fût pourvu, avant de mettre la derniere main à cette ordonnance.

En la parcourant, on remarque bientôt qu'elle embraffe tout ce qui eft

effentiel à l'inftruction des affaires civiles, de quelque nature qu'elles foient. Elle differe non feulement dans le fonds & dans la forme de celle de Louis XIV, mais elle eft auffi beaucoup plus étendue & plus complette, de forte qu'elle n'a pas befoin d'être étendue & interprétée par le secours du droit romain & du droit canon.

Je vais mettre fous les yeux du lecteur le principal but de cet écrit, & donner une idée raisonnée du plan du roi de Pruffe. Mais mon deffein n'est point d'entrer dans un détail qui me meneroit trop loin, & qui ne regarde proprement que les gens de loi; je me borne à un expofe général, qui puiffe faire fentir aux hommes d'État, la beauté & la jufteffe d'un plan digne d'être adopté.

Comme l'ordre judiciaire n'eft deftiné qu'à mettre les conteftations des parties dans tout leur jour, & à donner aux juges une connoiffance fuffifante des questions & de leurs circonftances, il femble d'abord qu'on pourroit retrancher toutes les Procédures, ou du moins les réduire à la feule comparition des parties devant le juge, pour expliquer leurs différens, & recevoir d'abord leur fentence. Mais nous avons promis de montrer, que la chofe n'eft pas praticable. En effet, quand elle le feroit dans quelques affaires très-legeres, & dont l'expofition peut aifément être faite par les parties elles-mêmes, il refte toujours une infinité de cas épineux & embarraffés, qui intéreffent l'honneur & la fortune des citoyens, & dans lesquels les juges & les avocats les plus habiles, & les plus integres ont befoin de toute leur fagacité pour démêler le vrai du faux, le jufte de l'injufte. Cela ne paroîtra point furprenant, pour peu qu'on ait fait de réflexion fur la variété infinie qui fe manifefte à chaque inftant dans les actions des hommes, d'où naiffent les procès. En effet combien le jeu des paffions n'eft-il pas diverfifié? Leurs loix & leurs effets ne préfentent-ils pas une théorie plus compliquée que celle de la mécanique? Ne font-ce pas elles, qui infpirent aux hommes toutes ces voies obliques qui fe multiplient en tant de manieres? & fi l'injuftice a un art d'embrouiller les affaires, ne faut-il pas que la juftice ait un art de les débrouiller?

Il falloit donc, (& l'on s'en eft apperçu dans tous les Etats policés,) Il falloit établir des avocats, qui, par leur étude & par leur expérience, euffent acquis les lumieres & Phabileté, qui font néceffaires pour difcuter les affaires les plus compliquées, qui fuffent en état de donner confeil fur les cas qu'on leur propofe d'écrire au nom des parties qui les chargent de leur caufe. Les perfonnes fenfées, amies de l'ordre & de la juftice, one reconnu de tout temps la néceffité de cet établissement. L'abolir entiérement, ce feroit tomber véritablement dans la barbarie & dans la tyrannie, qui fautent aux yeux dans la maniere dont on adminiftre la justice en Turquie. Mais toutes chofes ont deux faces; & voici le revers de la médaille. Les avocats, au-lieu de fervir à repréfenter leurs parties dégagées de paffions, au-lieu de foutenir uniquement les intérêts de la justice & de la

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