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donné des exemples fenfibles. C'eft le témoignage d'une belle ame, & un fentiment plus épuré que celui qui infpire les bienfaits, toujours mélangés d'amour-propre & d'intérêt. C'eft enfin, de tous les devoirs, le plus facile à remplir: il n'y a qu'à laiffer aller fon cœur.

Les loix de la Reconnoiffance font de recevoir un bienfait avec un visage riant : fi vous êtes embarraffé, fi vous rougiffez, vous apprenez à celui qui vous donne, que votre orgueil eft bleffé de la fupériorité qu'il a fur vous dans ce moment.

Ne l'oubliez jamais, votre bienfaiteur, devint-il votre ennemi; & fi la mort le raye du nombre des vivans, étendez votre Reconnoiffance sur sa postérité.

Le dernier devoir eft de le publier: c'eft la façon la plus glorieufe & la plus fûre de vous acquitter. Qui eft capable de s'en faire une peine, étoit indigne de le recevoir.

Il eft de la Reconnoiffance, comme de la bonne foi des marchands: elle entretient le commerce; & nous payons, non parce qu'il eft jufte de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.

La Reconnoiffance de la plupart des hommes, n'eft qu'une fecrete envie de recevoir de plus grands bienfaits.

Les branches d'un arbre rendent à la racine la feve qui les nourrit; les fleuves rapportent à la mer les eaux qu'ils en ont empruntées. Tel eft l'homme reconnoiffant : il rappelle à fon efprit les fervices qu'il a reçus; il chérit la main qui lui fait du bien; & s'il ne peut le rendre, il en conferve précieusement le fouvenir. Mais ne reçois rien de l'orgueil ni de l'avarice; la vanité de l'un te livre à l'humiliation, & la rapacité de l'autre n'eft jamais contente du retour quel qu'il puiffe être.

La Reconnoiffance, de même que l'amour, ne s'exprime peut être jamais de fi mauvaise grace, que quand elle eft véritable.

Il n'y a point d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui ne fe laiffent pas obliger par tout le monde; ils favent les engagemens qu'ils prennent, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard de ceux qu'ils eftiment. On n'est jamais plus empreffé à payer une dette, que lorfqu'on l'a contractée avec répugnance; & l'honnête homme, qui n'emprunte que par néceffité, gémiroit d'être infolvable.

Comme les principes des bienfaits font fort différens, la Reconnoiffance ne doit pas être toujours de même nature. Quels fentimens dois-je à celui qui, par un mouvement d'une pitié paffagere, n'a pas cru devoir refuser une parcelle de fon fuperflu à un befoin très-preffant? Que dois-je à celui qui, par oftentation, ou par foibleffe, exerce fa prodigalité, fans acception de perfonne, fans diftinction de mérite ou d'infortune? A celui qui, par inquiétude, par un befoin machinal d'agir, d'intriguer, de s'entremettre offre à tout le monde indifféremment fes démarches, fes follicitations &

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fon

fon crédit? Mais une Reconnoiffance légitime, & bien fondée, emporte .beaucoup de goût & d'amitié pour les perfonnes qui nous obligent par choix, par grandeur d'ame, & par pure générofité. On s'y livre tout entier; car il n'y a guere au monde de plus bel excès, que celui de la Reconnoiffance. On y trouve une fi grande fatisfaction, qu'elle peut feule fervir de récompense.

La pratique de ce devoir n'eft point pénible, comme celle des autres vertus; elle eft, au contraire, fuivie de tant de plaifir, qu'une ame noble s'y abandonneroit toujours avec joie, quand même elle ne lui feroit pas impofée. Si donc les bienfaiteurs font fenfibles à la Reconnoiffance que leurs bienfaits cherchent le mérite, parce qu'il n'y a que le mérite qui foit véritablement reconnoiffant.

RÉGENCE, f. f

RÉGENT, f, m.

CELUI qui régit, à titre de dépôt, les Etats d'un fouverain mineur

abfent, prifonnier, ou malade, eft appellé Régent en France, & dans quelques autres pays. Il eft nommé adminiftrateur en Allemagne & ailleurs. Ces différens titres défignent la même autorité; & quoiqu'il n'y ait ni interregne, ni Régence dans les républiques, nous pouvons regarder comme une espece de Régent, cet inter-roi qu'on créoit à Rome, dans les difputes entre les patriciens & les plébéïens, & dans l'intervalle de la création des magiftrats ordinaires (a).

Le peuple ne peut manquer d'obéiffance pour les Régens, fans en manquer pour la puiffance royale, dont ils font les dépofitaires. Ce principe eft évident, mais il eft d'autant plus néceffaire de le remarquer, que les temps de minorité font des temps critiques pour les monarchies. Alors les cours font pleines de factions & de cabales; les grands écoutent davantage leurs paffions; & parce que le nom de Régent ne réveille pas les mêmes idées que celui de roi auquel on eft accoutumé, une certaine inquiétude agite naturellement les efprits; foit qu'on puiffe perfuader plus facilement au peuple, que fon prince eft trahi par les gardiens même de fon autorité, foit que dans fon ignorance, le peuple diftingue follement la perfonne du prince d'avec fa puiffance, il eft prêt à offenfer celle-ci dans le temps niême qu'il eft plein de respect pour l'autre; & les grands qui le trouvent plus fufceptible des impreffions qu'ils veulent lui donner, en peuvent faire plus aifément l'inftrument de leur ambition.

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(a) Tit. Liv. I, decad. lib. 4 & 5...

Tome XXVII.

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La minorité des rois, leur abfence volontaire de leurs Etats, leur détention chez l'ennemi, les maladies qui rendent incapable de gouvernement, l'absence du fucceffeur à la couronne dans le temps de l'ouverture de la fucceffion; voilà les cinq cas où la puiffance fouveraine doit être confiée à des Régens, à titre de dépôt.

ment,

Dans le cas de la minorité du roi, la loi déclare ordinairement celui qui doit gouverner en fa place. La coutume eft auffi puiffante que la loi écrite eft connue; & lorfque la loi ou la coutume a prononcé bien claireil ne reste plus qu'à fe conformer à fa difpofition. Dans le filence de l'une & de l'autre, c'eft la difpofition du roi défunt qu'il faut suivre, Voilà les principes, à quoi il faut ajouter que, pour connoître ou déclarer le Régent, on doit obferver quelques-unes des attentions qu'on doit avoir pour reconnoître ou déclarer le fouverain.

L'empire d'Orient & celui de Perfe ont fourni un exemple d'un grand éclat. Malgré l'énorme différence qu'il y a entre la doctrine du nouveau teftament & celle du zend, Arcadius, empereur chrétien, qui vivoit fur la fin du quatrieme fiecle & au commencement du cinquieme, donna une marque fignalée de confiance au fameux Ifdegerde ou Jezdegherd qui régnoit dans le même temps en Perfe, Voici ce qu'en raconte Procope qui eft le feul hiftorien chrétien qui ait parlé de cette action avec l'éloge qu'elle méritoit.» Arcadius, empereur de Bizance, étant prêt de mourir & en peine touchant fon fucceffeur, Théodofe fon fils qui étoit encore au » berceau (a), cherchoit dans fon efprit quel tuteur il pourroit lui don>>ner, pour gouverner l'Etat pendant fa minorité, pour l'élever comme il falloir, pour repouffer fes ennemis, pour lui remettre enfuite l'empire en bon état. Comme il n'avoit aucun parent à Conftantinople, plufieurs » de ceux qui lui venoient dans l'efprit, lui paroiffoient plus difpofés à » devenir tyrans qu'à être tuteurs. Pour fon frere Honorius, il ne le jugeoit pas propre à cela, parce que les affaires étoient brouillées en Italie, outre qu'il y avoit fujet de craindre que les Perfans, méprisant l'enfance de Théodofe, n'attaquaffent l'Orient. Arcadius étant dans cet embarras, » quoique d'ailleurs d'un efprit fort médiocre, forma un deffein falutaire par lequel il fauva fon fils & l'empire. Soit que ce fût de l'avis de fes » principaux miniftres qui ne l'abandonnoient point, ou par une infpiration » divine, il fit un teftament dans lequel il fit fon fils héritier, & déclara »tuteur Isdegerde, roi de Perfe, qu'il pria de diverfes chofes, & princi» palement de conferver en fon entier, par fa prudence & par fes forces, l'empire à fon fils Théodofe. Après avoir réglé les chofes de la » forte, il mourut. Si jamais Ifdegerde fut eftimé pour fon bon naturel & » pour fa grandeur d'ame, il parut principalement digne d'admiration, dès

(a) Socrat. lib. 6. ch. 23. dit qu'il avoit huit ans.

1 (: L

» qu'il eût lu le teftament qu'on lui préfenta. Loin de méprifer la com» miffion qu'Arcadius lui avoit donnée, & la confiance qu'il avoit té » moignée d'avoir en lui pendant tout le temps qu'il régua, il fut en » paix avec les Romains, & il écrivit d'abord au fénat (de Conftantino» ple) qu'il acceptoit le foin dont Arcadius l'avoit chargé, & promit de » défendre l'empire d'Orient contre tous fes ennemis (a). « On pourra voir la confirmation de cette, hiftoire dans les deux auteurs que je cite (b), qui y ajoutent quelques circonstances, comme qu'Ifdegerde envoya un habile homme à Conftantinople nommé Antiochus, pour fervir de tuteur en fa place.

En France, on parle rarement des Régences, fans parler de la loi de l'Etat, comme fi nous en avions une qui les réglât; mais nous n'avons point, à cet égard, de loi écrite; tout fe réduit à un ufage qui forme la regle, & qui a même varié anciennement felon les conjectures.

Tant que les meres des rois mineurs fe font trouvées affez habiles pour gouverner l'Etat, elles ont eu la Régence depuis le regne des Capétiens, comme elles l'avoient eu fous les deux autres races; & c'eft fans fondement qu'après le décès de Henri II, on foutint que la Régence appartenoir au plus proche prince du fang.

Notre Henri I préféra Baudouin, comte de Flandres (qui n'étoit point prince de fon fang, mais qui avoit époufé fa fœur) pour être tuteur de fon fils (Philippe I, (c) & Régent de fes Etats, à Anne fa femme, parce qu'elle étoit étrangere, peu habile, & peu confidérée; & au duc de Bourgogne, parce que ce prince François avoit trop de crédit en France, & qu'il avoit prétendu autrefois à la couronne.

Louis IX ( faint Louis) parvenant à la couronne (d), âgé d'environ douze ans, la reine Blanche fa mere, réunit, pour la premiere fois, la qualité de tutrice & de régente,

Charles IV, dit le-Bel, ayant laiffé en mourant fa femme groffe (e); Philippe, comte de Valois & Edouard III, roi d'Angleterre, prétendirent chacun à la Régence du royaume pendant la groffeffe de la reine. Les Etatsgénéraux déciderent en faveur de Philippe de Valois, & cette décifion fur un préjugé du droit que ce prince avoit à la couronne, & qui fut reconnu dans la fuite.

Après la mort de Louis-le-Hutin, & pendant la groffeffe de la reine, les grands & les barons du royaume nommerent Philippe, frere du roi défunt, pour avoir la garde & le gouvernement de l'Etat.

(a) Procop. de Bello Perfico, lib. I.

:. (b) Théophane & dans l'auteur de l'histoire mêlée qui l'a traduit. (c) En 1060.

(d) Le 8 de novembre 1226.

(e) En 1327.

Louis XI laiffa la Régence du royaume à fa fille aînée (a) pour le temps de la minorité de Charles VIII. Sa difpofition fut refpectée, & elle devoit l'être. Qui a plus d'intérêt au gouvernement des peuples & à la confervation de l'héritier préfomptif de la couronne, que le roi fon pere, & comme pere & comme roi? Et qui eft plus intéreflé à y pourvoir? Le duc d'Orléans (qui fur depuis Louis XII & un bon fouverain) avoit été un mauvais fujet. Il avoit époufé Jeanne de France, fille cadette de Louis XI, & il étoit le premier prince du fang. La difpofition de Louis XI, qui avoit -déféré la Régence à fa fille aînée, étoit d'autant plus fage que le fire de Beaujeu, qui étoit de la branche de Bourbon, cadette de celles d'Orléans, d'Angoulême, d'Anjou, de Bourgogne & d'Alençon, étoit trop éloigné de la couronne pour y prétendre; mais intéreffé par fa naiffance à la foutenir, il ne pouvoit rien gagner, & pouvoit tout perdre à la mort de Charles VIII. » Après la mort de Louis XI (dit un judicieux écrivain ) il y eut un grand » débat entre monfieur & madame de Beaujeu, que le roi avoit nommés » pour gouverner Charles VIII, & Louis, duc d'Orléans, premier prince » du fang. Les Etats furent affemblés à Tours l'an 1483, où il fut quef>>tion, non pas de déférer la couronne parce que le roi y avoit pourvu, » mais d'établir un confeil pour manier & traiter les affaires de l'Etat. Le » jeune roi & ceux qui débattoient pour la Régence, envoyerent un rôle » de douze confeillers pour fervir à ce confeil, qui étoient des princi»paux feigneurs du royaume. Les Etats approuverent ce rôle, mais ils en » ajouterent d'autres tirés du corps des Etats, ce qui néanmoins fervit de » peu, tout le maniement étant demeuré à madame de Beaujeu (b) «.

L'ufage moderne défere inconteftablement la Régence du royaume aux meres pendant la minorité de leurs enfans (c). Catherine de Médicis fut toujours Régente pendant la minorité & pendant l'absence des rois fes fils: Marie de Médicis pendant la minorité de Louis XIII; & Anne d'Autriche pendant celle de Louis XIV. Ces trois Régentes méritent quelque détail. Charles IX n'avoit que dix ans, lorfque le roi François II fon frere mourut. Un chancelier de France nous apprend ce qui se passa au sujet de la Régence. » Le roi de Navarre, dit-il, induit par fauffe opinion, tiroit » à foi toute la puiffance de commander, s'ufurpant le nom de tuteur du jeune roi, felon les loix des François. Au contraire, la reine mere se » défendoit par mêmes loix & coutumes, ajoutant à ce les exemples aux» quels on avoit donné lieu & autorité en femblables & pareilles matieres. » Ĉe débat étant rapporté aux Etats du royaume, & iceux induits par

(a) Elle étoit femme de Pierre II, fire de Beaujeu & enfuite duc de Bourbon, après la mort de Jean II, fon frere aîné, arrivée le premier d'avril 1488. Jufqu'alors elle avoit été appellée madame de Beaujeu.

(b) Dupuy, Traité de la majorité de nos rois.

(c) Voyez-en plufieurs exemples dans Dupuy, ubi fuprà.

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