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cher avant fon inclination : la complaifance pour les fiens ne doit pas aller jufqu'à la foibleffe.

Le prince qui commence à récompenfer avec difcernement, fe procure les moyens de récompenfer avec juftice. Les grands emplois font la ma◄ tiere principale qui fournit aux grandes Récompenfes; s'il les remplit de ceux qui les ont mérités, il defcendra par eux à des connoiffances plus détaillées: ils font fous fes yeux; c'eft fur eux que doit porter fa vigilance.

Un courtisan d'Alexandre Severe vendoit ce qu'il avoit de faveur auprès de lui. L'empereur ordonna qu'il fût attaché & entouré de matieres combuftibles & humides; on y mit le feu, la fumée l'étouffa. On avoit écrit fur le poteau ainfi périffent les vendeurs de fumée. Exemple d'autant plus utile qu'il eft plus effrayant. Si le prince l'eût feulement banni de fa cour, d'autres en auroient couru le risque. On dit communément qu'aux grands maux il faut de grands remedes.

que

Un prince peut donner moins, & fatisfaire autant que s'il donnoit plus; les dons paffent immédiatement de fa main dans celles de celui qui les reçoit, cette feule circonftance en double le prix. Lorsque la Récompenfe fe demande & s'accorde par l'interpofition d'un tiers, la fatisfaction eft infiniment moindre, & toute la reconnoiffance fe rapporte au protecteur, s'il n'a pas vendu fa protection : elle est toujours perdue pour le monarque.

Nous lifons qu'Othon ayant reçu une fomme considérable pour une grace qu'il avoit fait obtenir de Galba, s'en fervit pour corrompre fes officiers. Les rois n'ont pas de plus véritables ennemis que ceux qui trafiquent de leurs bienfaits.

Les princes portent encore en eux-mêmes une maniere de récompenser & de punir dont l'exécution leur eft bien facile; c'est l'éloge ou le blâme qui fortent de leur bouche en public; l'un attire la confidération, l'autre la confufion, même le mépris. L'amour-propre eft flatté ou confondu ; c'est prendre les hommes par leur foible.

Par quelle bizarrerie de décence veut-on qu'un prince doive éviter de rien dire qui foit défagréable à celui auquel fon difcours s'adreffe? L'idée eft moderne. Cette fujétion appartient à l'esclave auprès de fon maître, tout au plus à l'égal, qui, par intérêt, craint de déplaire à fon égal. Cette circonfpection n'eft point faite pour celui auquel il appartient de dicter les loix; à l'organe effentiel de toute vérité; à celui d'où doit émaner toute juftice. Qu'on imagine une peine auffi efficace, & en même-temps qui s'allie auffi-bien avec l'humanité.

J'avance une propofition qui pourra trouver des contradiateurs; je crois qu'un roi pourroit infpirer les vertus morales à fes courtifans. Un accueil obligeant ou froid, une faveur ou une difgrace, une louange ou un ridicule donnés, feroient capables, dans peu de temps, de métamorphofer la cour. S'il étoit poffible que la cour für vertueufe, les places éminentes ne

feroient plus le fruit des intrigues; l'image de la vertu fe multiplieroit dans les provinces; les vices pourroient fe cacher dans le cœur, ils difparoîtroient dans les actions : c'eft ce qui importe à la fociété civile. Comme le foleil eft le premier mobile de la terre, un roi donne le mouvement à tout fon tourbillon,

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On a vu que François I, dans peu d'années de févérité, & par fon attention à remplir les charges importantes de fujets qui cherchoient le bien de la patrie, avoit payé fes dettes & enrichi fon épargne, fans diminuer fa dépenfe, & fans accroître les impôts. Son fucceffeur, en douze ans de regne, consomma le tréfor, endetta l'Etat de quarante-trois ou quarantequatre millions, fomme alors prodigieufe; il perdit le Piémont & la Savoye, & la France fa fplendeur & fa dignité. Tous ces malheurs font attribués dans l'hiftoire à la diftribution aveugle des Récompenfes, & à l'impunité des fautes contre les devoirs. Les loix & les réglemens font inutiles à cet objet dans la monarchie; c'eft l'application du fouverain qui

en décide.

L'empire Romain ne fut jamais fi obéré que fous Héliogabale. Sévere en acquitta les charges en quatorze années, & réduifit les impôts au poinɛ de ne prendre qu'un écu où Héliogabale en prenoit trente-un. Sous l'un, la profufion n'avoit point de bornes: les Récompenfes fe donnoient par caprice, les charges aux plus offrants; la richeffe tenoit lieu de naiffance & de mérite; en un mot, les anciennes regles n'étoient plus un frein ; c'étoit un ridicule de citer les vieux ufages, & plus encore de les fuivre. Sous l'autre, on obfervait les poids & les mefures, la juftice fe faifoit entendre, les malverfations de tous les genres étoient l'objet de la vigilance du prince : ce n'étoit pas le regne des courtifans. Un prince pourroit-il faire quelque cas de la fatisfaction de ceux qui l'affiegent? Il ne doit jamais compter fur leur attachement.

Si on dit à un jeune prince qu'il doit être libéral, on dit très-bien ; mais on le perd, fi on ne lui montre pas la différence du libéral au prodigue. Si on lui dit qu'il faut donner à tous, que l'on gagne les cœurs à ne refufer perfonne; on l'inftruit contre lui-même. Le prince a trop de cœurs à gagner, pour qu'il puiffe y parvenir par des dons particuliers. La condition des rois eft, à cet égard, l'oppofé de celle des autres hommes : ils acquierent l'amour général en refusant, parce qu'en ne refufant pas, ils font contribuer le général à une libéralité mal entendue. Ce qu'un fouverain épargne aux peuples en ne prodiguant pas, eft un don qu'il fait à ce peuple; c'eft alors qu'il eft payé par celui des cœurs.

Les Récompenfes & les peines fe reglent par les proportions; c'est un des articles où l'on doit les admettre. La Récompenfe ne doit pas être la même pour le capitaine & pour le foldat. Un monarque puiffant doit récompenfer autrement qu'un petit prince. Le peuple de Rome donna à Horatius Coclès, à caufe de fa pauvreté, un arpent de terre pour le service

le plus fignalé qu'un mortel puiffe rendre à fa patrie. C'étoit beaucoup ! Rome n'avoit alors que deux lieues de territoire. Quelle eut été cette Ré compenfe de la main d'Alexandre conquérant ?

La Récompenfe eft due, mais fon étendue a fes loix. Elles veulent que l'on confidere à qui l'on donne, combien on donne, en quel temps, ea quel lieu, à quelle fin, & fur-tout les facultés de celui qui donne.

Une loi de Solon vouloit que les enfans de ceux qui mouroient pour le fervice de la patrie, fuffent nourris aux dépens du public. On ne fauroit imaginer une loi plus noble. Elle prouve autant de générofité, que peu de folidité dans le jugement qui l'a produite; on ne put l'exécuter longtemps, elle épuifoit les finances de la république.

Un prince qui prend fur fes fujets pour donner outre mefure, ne differe en rien du juge, qui ôte le bien de l'un pour le donner à un autre. Les Récompenfes militaires étoient de deux fortes chez les anciens comme chez les modernes, honorifiques ou lucratives.

Les premieres étoient celles auxquelles les peuples avoient attaché des idées de gloire, & qui étoient moins précieufes par les marques de diftinction prises en elles-mêmes, que par la réputation qu'elles procuroient. De ce genre étoient chez les Grecs, les ftatues, les infcriptions, &c. & chez les Romains, les différentes couronnes & l'honneur du triomphe.

Les Récompenfes lucratives étoient, ou des fommes d'argent, ou des terres conquifes diftribuées aux vieux foldats, ou des penfions données après. leur mort à leurs femmes & à leurs enfans. Cette diftinction fuppofée, il elt facile de l'appliquer aux différens genres de Récompenfes militaires ufitées chez les anciens.

Les Grecs, pour exciter l'émulation & l'amour de la gloire, avoient imaginé grand nombre de ces diftinctions flatteufes, dont les hommes font: toujours avides: une ftatue, une infcription honorable fur fon tombeau engageoient un citoyen à fe facrifier pour la patrie. A Athenes on expofoit pendant trois jours les offemens de ceux qui avoient été tués dans le combat, & chacun s'empreffoit à leur venir jeter des fleurs, offrir de l'encens & des parfums; on les enfeveliffoit enfuite avec pompe dans autant de cercueils qu'il y avoit de tribus dans la république, & avec un concours infini de peuple. Enfin quelques jours après un citoyen ou un orateur des plus qualifiés d'Athenes prononçoit publiquement leur oraifon funebre.

Outre cela la république nourriffoit les veuves de ces illuftres morts, lorfqu'elles étoient dans le befoin, faifoit élever leurs enfans jusqu'à ce qu'ils fuffent parvenus à l'adolefcence, & alors on les renvoyoit chez eux avec cette cérémonie finguliere. Pendant les fêtes de Bacchus, un héraut les produifoit fur le théâtre, couverts d'une armure compléte, & les renvoyoit avec cette formule qu'il prononçoit, & qu'Efchine nous a confervée. Ces jeunes orphelins, à qui une mort prématurée avoit ravi au milieu

» des

»des hafards leurs peres illuftres par des exploits guerriers, ont retrouvé » dans le peuple un pere qui a pris foin d'eux jufqu'à la fin de leur en» fance. Maintenant il les renvoie armés de pied en cap, vaquer fous » d'heureux aufpices à leurs affaires, & les convie de mériter chacun à » l'envi les premieres places dans la république. «

Ceux qui furvivoient aux dangers de la guerre, & qui avoient rendu des fervices importans à l'Etat, étoient honorés d'une couronne dans l'affemblée du peuple; elle étoit d'abord d'un olivier facré qu'on confervoit dans la citadelle, enfuite on décerna des couronnes d'or. Souvent ils étoient nourris aux dépens du public dans le pritanée, & fouvent aufli gratifiés d'une certaine quantité de terres dans les colonies.

Les Romains employerent à peu près les mêmes Récompenfes. Mais ils avoient, outre cela, pour les généraux, les honneurs du grand & du petit triomphe, diftinctions que les Grecs n'accorderent jamais à leurs plus grands hommes. D'ailleurs, les généraux eux-mêmes faifoient à leurs foldats des diftributions de blés, & même de terres, comme Sylla en donna aux fiens, ou des largeffes pécuniaires; ainfi Céfar donna deux cents mille fefterces au centurion Sceva, qui dans une action avoit reçu deux cents trente fleches fur fon bouclier. Le congé abfolu étoit toujours accompagné, ou d'un établiffement dans les colonies, ou fous les empereurs, d'une espece de penfion, qui étoit régulièrement payée aux vétérans fur le tréfor public pour leur fubfiftance. Outre cela les promotions à des grades fupérieurs pour les officiers fubalternes, les couronnes d'or, & le titre d'imperator déférés aux généraux, étoient de puiffans aiguillons pour les faire voler à la gloire.

RECONCILIATION, f. f.

Des mesures & plans politiques fubfequens aux Réconciliations.

COMME après un grand orage, chacun effrayé de l'idée de fa ruine,

va reconnoître l'état de fes héritages & le dommage qui leur peut être arrivé, foit pour travailler à le réparer, s'il eft poffible, ou pour favoir du moins qu'il n'eft pas réparable; de même après une guerre qui, furtout fi elle a été longue & vive, a dû caufer beaucoup de défordre, tout gouvernement fage s'occupe à compter avec lui-même & s'en donne le temps, en partant de ce principe invariable, que toute guerre a pour objet la victoire, la conquête & la confervation. Ce dernier mot renferme tous les devoirs de l'homme public, dans le moment que nous faisis

fons ici.

Les foins ne font plus auffi partagés, les paffions ou les fantaisies de
Tome XXVII.
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fyftême politique fe font calmées, les chofes ont repris par les ftipulations de paix un point de ftabilité, qui rendant l'homme public à lui-même, lui laiffe le temps de réfléchir fur le paffé, de fe réformer pour l'avenir, & de travailler à guérir les plaies que la guerre a faites, & dont on ne fent fouvent la douleur que lorfque la chaleur du combat eft paffée.

Plus les motifs de la guerre ont paru être hafardés, & les réfolutions qui y ont conduit mal entendues, plus on fe trouve avoir d'ouvrage à faire; mais même fans cela, il n'y a point de temps où l'homme public ait plus à travailler, quand ce ne feroit que pour s'occuper à réfléchir fur fes propres fautes, parce qu'on en a furement fait, y en ayant de néceffaires.dans l'ordre politique, pendant que les guerres durent.

Quelqu'heureufe que la guerre ait pu être, il en réfulte des maux extérieurs & intérieurs. Les premiers ont un rapport immédiat au genre politique, & les autres au genre adminiftratif, l'un & l'autre doivent tenir ure place à peu près égale dans les méditations de l'homme public; peutêtre même les derniers méritent-ils une forte de préférence, d'attention, s'il eft vrai, que de la bonne & fage administration intérieure, dépendent la balance de l'opinion & la confidération intérieure.

Or le mal le plutôt connu & le plutôt fenfible, eft l'épuifement des finances & l'augmentation des dettes publiques, fuites néceffaires de la néceffité de faire des avances confidérables & des dépenfes extraordinaires, d'autant plus en pure perte, qu'il n'en réfulte aucun produit, & que l'emploi n'en rend rien ou prefque rien à l'Etat.

L'embarras alors, certes, n'eft pas petit; les dettes publiques fe payent par quatre claffes de gens; les propriétaires de fonds de terre, le négoce, le laboureur & les rentiers,

Or, pendant la guerre la premiere claffe a fouvent été mal payée; le négoce a fouffert par l'interruption des branches de commerce, ou par les pertes particulieres de détail, & le laboureur, par la diminution des cultivateurs que la guerre a tirés de l'intérieur des provinces. Ce font tout autant d'objets de réparation dont il faut que l'homme public s'occupe; de façon que le choix des moyens puiffe tout à la fois procurer un foulagement réel & actuel aux peuples fatigués par les charges extraordinaires qu'on a été obligé de leur impofer, & cependant acquitter ou éteindre les dettes nouvellement contractées à l'occafion de la guerre; attention très-importante pour foutenir la confiance, fans laquelle en vain espéreroit-on de trouver une autre fois du crédit.

Il en faut un établi; & puifqu'il n'eft jamais poffible de payer à mesure toutes les dépenfes, dont plufieurs même ne fouffrent pas de retard, il faut du moins que ceux qui font les avances puiffent être fûrs de la rentrée de leurs fonds; ou bien par des marchés onéreux à l'Etat, & par un fervice mal fait, ils fe dédommagent de la longue attente qu'ils prévoyent, ce qui produit un double mal actuel & à venir.

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