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premiere de ces regles ne fauroit être de quelque ufage que dans une forme parfaite de gouvernement, & il n'y en a point fur la terre. La police des hommes, imparfaite comme elle eft, ne peut fe paffer de la feconde. Les fouverains ont devant Dieu, comme devant les hommes, des regles de conduite qui ne font pas les mêmes que celles des particuliers; elles font d'un ordre plus élevé. La Raifon d'Etat commande impérieufement aux fouverains eux-mêmes; & comme elle eft d'un ordre fupérieur à toutes les raifons particulieres, & qu'elle fe rapporte au bien public, ils doivent fuivre la loi qu'elle leur impofe. Son but & fon unique fin doivent être le bien public, ou le falut de la république.

La Raifon d'Etat ne doit tendre, comme la politique dont elle fait partie, qu'à établir, à conferver, ou à augmenter l'Etat, elle n'eft, à proprement parler, qu'un moyen de procurer l'avantage du peuple, ou de détourner les malheurs dont il eft menacé.

Comme les législateurs ne doivent confidérer que l'avantage que le plus grand nombre des citoyens peut tirer de leurs loix, & qu'ils ne doivent avoir aucun égard au dommage qu'en peuvent recevoir quelques particuliers, la Raifon d'Etat ne fauroit être accommodée au droit commun. Elle engage dans bien des démarches qui ne paroîtroient pas fort juftes, à les examiner fur les regles ordinaires, mais qui le font en effet & qui le paroiffent auffi, lorfqu'on les rapproche de leur objet. Le prince eft la loi vivante de fon Etat, il eft la perfonne publique qui représente toute la majefté de l'Empire, & il lui eft permis de fe détourner quelquefois de la raifon particuliere, pour conferver la générale dans laquelle résident la grandeur, la force, la fortune publique. Plus les particuliers font attachés leurs intérêts perfonnels, plus les princes doivent l'être à ceux du public. Plus les particuliers ont d'ardeur pour tout ce qui leur eft avantageux, plus les princes doivent en avoir pour le falut de l'Etat. Plus les particuliers forment des raifonnemens en leur faveur fur l'équité naturelle & fur le droit civil, plus les princes doivent confulter les principes du gouver

nement.

La Raifon d'Etat qui a fon but, a auffi fes bornes; elle doit tendre à l'un fans jamais paffer à l'autre. Comme on ne doit jamais appeller raison ce qui eft tout-à-fait oppofé à la raison, & qui loin d'en fuivre les regles, s'en éloigne abfolument; on ne doit pas non plus appeller Raifon d'Etat, ce qui loin de conferver l'Etat, le trouble, l'ébranle, le ruine. Les princes peuvent légitimement fuivre la loi que leur impose la Raifon d'Etat. pourvu que ce foit, 1°. pour la néceffité ou au moins pour l'utilité publique, & pour une utilité évidente & confidérable: 2°, pour conserver ce qu'ils poffedent juftement & non pour s'agrandir; pour se mettre à couvert de quelqu'infulte & non pour en faire: 3°. qu'ils ne donnent à la Raifon d'Etat que la jufte étendue que peut avoir la politique.

C'eft dans la morale, expliquée comme nous l'avons fait ailleurs, qu'il

faut puifer une politique fublime. Jamais un politique chrétien n'approuvera la fentence du fénat de Perfe, que la feule volonté du fouverain eft la regle de toute juftice, ni cette parole que les juges difoient toutes les fois qu'ils lui parloient : feigneur, s'il vous plaît, il eft jufte. Qu'une fece extravagante de philofophes ait entrepris de détruire toute providence & toute juftice; que des orateurs ayent fait un ufage criminel de leur éloquence, en l'employant à détruire la justice auffi bien qu'à l'établir; que des écrivains ayent confondu le jufte & l'utile; que des politiques auffi impies que mal-habiles, difent tant qu'ils voudront, que la juftice & la politique ne peuvent guere s'allier; qu'il n'y a d'autre droit que celui de la force; qu'une exacte probité jeteroit fouvent un prince dans de grands embarras, & que l'intérêt de l'Etat doit toujours être la regle & le mobile du gouvernement, abftraction faite de toute juftice; qu'ils ajoutent s'ils l'ofent, que pourvu qu'on arrive à fa fin, il importe peu par quels moyens on y parvienne, que tous les chemins qui conduifent au trône ou qui reculent la frontiere d'un Etat, font beaux, & qu'il importe peu fi l'on plante les nouvelles bornes en plein jour & les armes à la main, ou fi l'on arrache les anciennes pendant la nuit; fera-ce faire autre chofe que confondre les conquérans & les voleurs, les ufurpations & les conquêtes, les bonnes & les mauvaises actions les chofes permifes & défendues, la gloire & l'infamie?

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La Raifon d'Etat peut être gardée, fans qu'il en résulte la moindre injuftice; on ne peut même bien gouverner, fi l'on n'obferve la juftice; & il n'y a d'Etat heureux que celui dont les bornes font la juftice.

Fondée fur l'existence & la fociabilité des êtres raisonnables, & non fur des difpofitions ou des volontés particulieres de ces êtres, la juftice eft indépendante des loix humaines. La plupart des vertus n'ont que des rapports. particuliers; mais la juftice a un rapport général : elle regarde l'homme en lui-même, elle le regarde par rapport à tous les hommes; toutes les nations doivent l'obferver religieufement; elle eft auffi ancienne que le monde, & ne finira qu'avec lui. Quiconque la viole ne doit pas feulement être regardé comme un méchant, mais comme un monftre ennemi de la fociété & comme un perturbateur du repos de toutes les nations. Sans la justice, pour le dire en un mot, dans les termes d'un pere de l'église, les royaumes ne feroient que des retraites de brigands. Le gouvernement qui n'a pas la juftice pour regle, eft une belle épée dans la main d'un furieux. Les penfées d'un fage deviennent le crime d'un forcené, & ce que les légiflateurs & les politiques, ont imaginé comme un bien général, eft employé à la ruine des hommes.

RAMSAY, Auteur Politique.

ANDRÉ-MICHEL RAMSAY, Ecoffois, transplanté en France, éleve

du célébre Fénélon, archevêque de Cambrai, dont les entretiens le ramenerent à la religion catholique, tâchoit d'imiter fon ftyle, mettoit de l'efprit, & répandoit des graces fur tout ce qu'il écrivoit. Il avoit d'ailleurs beaucoup d'érudition; il eft mort depuis quelques années.

Outre quelques ouvrages qui ne font pas de mon fujet (a), l'auteur a publié un livre qui a pour titre : » Effai philofophique fur le gouverne»ment civil, où l'on traite de la néceffité, de l'origine des droits, des » bornes & des différentes formes de la fouveraineté, felon les principes » de M. François de Salignac de la Mothe Fénélon, archevêque duc de » Cambrai. « Ce petit ouvrage qui ne contient qu'environ 200 pages in-12 (b), parut en 1718. Il en fut fait une feconde édition en 1720, fans nom de lieu & d'imprimeur, & fans date d'année, & une troifieme revue, corrigée & augmentée à Paris, fous le faux titre de Londres en 1722.

L'édition de 1720 fut dédiée au prince que l'on connoît dans l'Europe fous le nom de chevalier de Saint-Georges. C'eft pour fes intérêts que cet ouvrage avoit été fait, & il y paroît bien quand on le lit.

L'auteur donne des idées affez juftes des devoirs des rois, & il tient pour l'obéiffance paffive. Ses principes font que le gouvernement civil n'eft pas un contrat libre; que dans tout gouvernement il faut qu'il y ait une puiffance fouveraine qui faffe des loix & qui en puniffe le violement par la mort, & que les formes de gouvernement font arbitraires; mais que quand l'autorité fuprême eft une fois fixée dans un feul ou dans plufieurs, il n'est plus permis de fe révolter contre fes décifions. Il prétend que l'ordre de fucceffion héréditaire eft inaltérable, & que de quelque maniere qu'un roi fe conduife, on ne peut ni lui réfifter, ni le dépofer.

Tout fon fyftême roule fur ce principe que le droit héréditaire des terres étant inviolable, le droit héréditaire des couronnes doit être facré : mais quelle proportion peut-il y avoir entre la poffeffion d'un domaine & une dignité d'administration? On peut répondre que l'abus des domaines particuliers n'a pas les mêmes conféquences que celui de la fouveraineté ; que les domaines particuliers font faits pour l'homme qui les poffede, & qu'au contraire la fouveraineté eft faite pour le corps du peuple fur qui

(a) La vie de Fénélon & l'hiftoire de Turenne.

(b) L'édition de 1722 est précisement de 200 pages, fans compter la préface qui en con⚫ tient fix.

elle s'exerce, & qu'enfin la diffipation même des biens particuliers est arrêtée par l'autorité fupérieure du magistrat.

L'ouvrage que j'examine a rapport uniquement au droit, comme l'on peut en juger par l'idée que je viens d'en donner; mais l'auteur ne diftinguant pas la politique d'avec le droit, en parle comme d'un traité de poli-, tique. Dans les trois dernieres lignes de fon ouvrage (édition de 1722) & dans cent autres endroits, le mot de politique eft pris dans un faux fens. Il a auffi publié les voyages de Cyrus, à Paris en 1727, ouvrage dont il a été fait à Londres une nouvelle édition qui eft très-belle, & où l'auteur a corrigé les principaux défauts qu'on avoit remarqués dans fon livre. C'eft un roman ingénieux, fait pour remplir le vide de la Cyropédie de Xénophon, & qui eft deftiné à l'inftruction d'un jeune prince. Nous en avons donné une analyse détaillée à l'article CYRUS. Sous les agrémens de l'histoire & de la fable, l'auteur y donne de très-bonnes inftructions de morale & de politique; on pourroit ajouter de religion, fi cette matiere importante y étoit approfondie. Des gens de bien peuvent craindre qu'à cet égard le livre ne faffe naître plus de doutes que le peu de raifons qu'on trouve n'en peut diffiper. L'auteur a fu ce qu'on avoit dit à ce fujet fur la premiere édition; il a réfuté cette idée par une préface qui eft à la tête de la feconde; il a tâché de faire voir qu'elle n'eft que fpécieuse. A mon avis, il a entrepris de le prouver plutôt qu'il ne l'a prouvé. L'auteur avoit pris, dans le commerce de l'archevêque de Cambrai, des idées d'une faufse fpiritualité, & d'une perfection imaginaire, dont il a répandu quelques lueurs dans fes ouvrages, & l'on croit pouvoir dire qu'il tenoit quelque chofe des petits défauts de ce grand homme, auffi bien que de fes grandes qualités & de fes grands talens. Au refte, Ramsay a peint allégoriquement dans fes voyages de Cyrus, le détrônement de Jacques II, roi d'Angleterre, par le prince d'Orange, fous le nom d'Apriès, roi d'Egypte, & d'Amafis qui ufurpa fa couronne. Cette allégorie fe trouve dans la premiere comme dans la feconde édition; mais en faisant faire celle-ci à Londres, l'auteur a gliffé quelques mots en divers endroits pour fe réconcilier avec les Anglois, & pour faire penfer que la monarchie mêlée d'ariftocratie eft le meilleur des gouvernemens opinion qu'on pourroit réfuter par fon feul Effai philofophique, dont le fyftême eft abfolument différent.

RAPT, f. m.

LE Rapt eft l'enlevement que quelqu'un fait de fon autorité privée,

d'une perfonne qu'il conduit ou fait conduire & détenir dans un lieu autre que celui où elle faifoit fa demeure ordinaire, foit dans la vue de corrompre cette perfonne, ou de l'époufer ou de lui faire contracter quelqu'autre engagement.

Ce crime fe commet en enlevant une fille, une femme ou une veuve de la maison de fon pere, de fon mari ou de la fienne propre, ou de celle de fon tuteur ou curateur, ou même de tout autre endroit, ou en enlevant une religieufe de fon couvent.

C'eft auffi un Rapt que d'enlever un mineur ou un fils de famille que l'on fouftrait à la puiffance de fes pere, mere, tuteur ou curateur, pour lui faire contracter mariage à l'infçu & fans le confentement de ceux à la prudence defquels il eft foumis.

On diftingue deux fortes de Rapt : l'un qui se fait par violence & malgré la perfonne ravie, & celui-là eft le Rapt proprement dit; l'autre qu'on appelle Rapt de féduction, eft celui qui fe fait fans aucune réfiftance de la part de la perfonne ravie, & qui a lieu lorfque par artifice, promeffes ou autrement, on féduit des fils ou filles mineurs ou qu'on les fait confentir à leur enlevement; on l'appelle auffi Raptus in parentes, parce qu'il fe commet contre le gré des parens; ce Rapt fut puni par Solon encore plus févérement que celui qui auroit été commis par violence.

L'enlevement des filles & femmes a toujours été fuivi de grands malheurs, & a même fouvent occafionné des guerres fanglantes; tel fut l'enJevement de Dina, fille de Jacob, qui porta Siméon & Lévi fes freres à maffacrer les Sichimites; tel fut encore l'enlevement de la belle Hélene qui fut caufe de la deftruction de Troye.

Il y avoit une loi à Athenes que quelques-uns attribuent à Solon, d'autres à Dracon, qui condamnoit le raviffeur à époufer celle qu'il avoit ravie, ou à fubir la mort.

Les Romains furent d'abord peu délicats fur le Rapt, témoin l'enlevement des Sabines. Dans la fuite ils établirent des peines, mais affez légeres pour un fi grand crime. La loi Julia de vi publica, au ff. ne prononçoit que l'interdiction de l'eau & du feu, à laquelle fuccéda la déportation, Ces peines furent changées & augmentées dans la fuite, à mefure que le crime de Rapt devint plus fréquent. On peut voir dans le Code théodofien les conftitutions faites fur ce fujet par les empereurs Conftantin, Conftance, Majorien & Jovien.

Juftinien a refondu toutes ces loix dans la loi unique, au code de Raptu virginum & viduarum; il ordonne par cette loi que tous les raviffeurs des

vierges

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