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Le fecond objet des punitions, c'eft l'intérêt de la perfonne léfée. Le législateur a voulu empêcher qu'elle ne fût encore expofée à de pareilles injures; & l'on pourvoit à fa fureté, ou en faifant mourir le coupable, ou en infligeant quelque peine afflictive, ou en l'exilant, ou en lui imprimant la crainte de fouffrir quelqu'un de ces maux, au cas qu'il retombe dans le même crime.

Le troifieme, c'est l'utilité publique qui demande que la malice des hommes corrompus foit réprimée; qu'ils foient détournés des fentiers du crime, par l'exemple des châtimens qu'on y rencontre, & que la fureté publique qui reçoit une grande atteinte du violement des loix, foit ou maintenue ou rétablie. L'on ne corrige pas l'homme que l'on pend, mais l'on corrige les autres par lui. Le fou même devient plus fage lorfque le méchant eft puni (a). Il n'en eft pas des armes que la loi met dans les mains des juges, comme de celles que la fureur préfente. Il faut que le glaive de la juftice corrige, s'il fe peut, tous les coupables, par la crainte qu'il imprime, & qu'il en faffe périr très-peu. C'eft peur imprimer cette crainte falutaire, qu'on exécute les jugemens, non dans les prisons, mais dans les places publiques; non dans les lieux folitaires, mais dans ceux qui font le plus fréquentés; non fans formalité, mais avec un appareil propre à inspirer de la terreur.

La peine doit être proportionnée aux mœurs du peuple. Si, dans un gouvernement doux, le peuple eft auffi foumis que dans un gouvernement févere, le premier eft préférable, puisqu'il eft plus conforme à la raison, & que la févérité eft un motif étranger. Dans les pays où les châtimens font modérés, on les craint comme dans ceux où ils font tyranniques & affreux; & foit que le gouvernement foit doux, foit qu'il foit cruel, on punit toujours par degré, on inflige un châtiment plus ou moins grand à un crime plus ou moins grand; & l'imagination fe plie d'elle-même aux mœurs du pays où l'on vit.

-Elle doit auffi être proportionnée au crime qu'on veut punir. Elle ne doit être ni moindre ni plus grande, ni plus légere, ni plus forte que ne l'exigent & le crime & les inconvéniens qui en font la fuite. La peine eft trop rigoureuse, lorsqu'un moyen plus doux conduiroit également à la fin qu'on doit fe propofer en puniffant. Elle eft au contraire trop modérée, lorfqu'elle eft un frein impuiffant pour réprimer la licence des crimes. Si le législateur penche du premier côté, il paffe pour cruel; s'il incline de l'autre, il rend la punition inutile, parce que le profit ou le plaifir que les hommes esperent du crime, l'emporte fur le dommage ou fur la douleur qu'ils craignent, de la peine où ils s'expofent.

Mais il y a deux fortes de proportions; l'une eft une proportion de pa

(a) Peftilente flagellato, ftultus fapientior erit. Proverb. 19. 25.

ture, de quantité, de nombre, de calcul, que l'on appelle arithmétique, que les loix admettent dans les contrats, dans le commerce, & dans la juftice commutative. L'autre eft une proportion de raifon, une proportion civile & politique que les philofophes appellent géométrique, & qui eft la fource immédiate de la proportion harmonique en laquelle confifte le bonheur de la fociété civile. C'eft celle qui regle les récompenfes & les peines. Les actions des citoyens font dignes de récompenfe ou de punition, non pas cu égard à la bonté ou à la malice intérieure qui les accompagne, mais par rapport au bien ou au mal qu'elles apportent au public, dont l'u tilité eft la mesure des jugemens. Les légiflateurs confiderent & la facilité de la tranfgreffion & l'avantage qu'elle peut procurer au coupable, & le dommage qu'elle peut caufer. Plus une chofe eft facile & avantageufe, plus les hommes font hardis à l'entreprendre, & par conféquent plus il eft néceffaire d'augmenter la peine. De même, plus le dommage feroit grand, plus il faut prendre de précautions pour le détourner & pour prévenir en même-temps les excès auxquels la vengeance pourroit porter ceux qui souffriroient ce dommage. On punit de mort la fentinelle qui a fuccombé à la néceffité du fommeil, parce que c'eft de la vigilance du foldat posé en faction, que dépend le falut de l'armée. On pend au premier arbre le foldat qui a déferté, qui a quitté fon rang, qui a cueilli une pomme contre la défense de fon général, parce que fans cette févérité, la difcipline militaire qui fait la force des armées, feroit anéantie. Dans certains royaumes électifs, on double les peines pendant les interregnes, parce que, lorfque le trône eft vacant, la licence eft effrénée; en d'autres pays, le moindre larcin, le plus léger délit eft puni de mort, parce que la terreur du dernier fupplice eft néceffaire pour contenir un peuple trop enclin au vol & aux crimes. Si l'on envoya autrefois au fupplice quatre cents efclaves qui logeoient fous le même toit que leur maître, lequel avoit été égorgé, quoi-, qu'ils ne fuffent peut-être pas tous coupables, c'eft qu'il importoit à la fociété qu'un crime fi atroce & fi facile à commettre ne demeurât pas impuni. Si l'on fait quelquefois décimer des corps militaires, en les faifant tirer au fort, qui fauvant le criminel, fait fouvent périr l'innocent, c'est que l'utilité publique, qui doit toujours prévaloir aux intérêts des particuliers, l'exige ainfi. Science du gouvernement, par M. de Réal.

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PYRENÉES, (TRAITÉ DES)

En 1660: entre la France & l'Espagne.

DEPUIS EPUIS l'alliance de la France avec l'Angleterre, l'Espagne faifoit la guerre par néceffité. La France refufoit de lui marquer à quelles conditions elle entendroit à la paix; ou quand elle lui laiffoit entrevoir qu'elle n'y avoit point d'éloignement, elle mettoit pour premiere condition le mariage de fon roi avec l'infante. Le miniftere des deux cours voyoit également que ce mariage feroit, tôt ou tard, un titre & un droit à la couronne d'EL pagne. Tous deux regardoient les renonciations comme des formalités, qu'on cefferoit de refpecter, auffitôt qu'il s'agiroit de leur affigner leur prix. La foible fanté du jeune prince, héritier préfomptif, faifoit regarder ce temps comme peu éloigné; &, dans l'épuifement où étoit la monarchie, la nation ne vouloit point fe foumettre à une difcuffion, qu'elle ne pourroit foutenir que par des raisons.

C'eût été aux autres puiffances de l'Europe à prévenir des prétentions qui ne les intéreffoient guere moins que l'Efpagne elle-même. Mais elles étoient fi fatiguées de la guerre, accoutumées à fouhaiter l'abaiffement de la maison d'Autriche, fi peu en défiance de l'accroiffement de la France, qu'elles croyoient gagner beaucoup, en laiffant aux affaires des deux couronnes le cours qu'elles avoient pris.

Cromwel avoit des vues particulieres pour la grandeur de l'Angleterre; & l'Espagne, qui ne les pénétroit point, croyoit qu'il fermoit les yeux aux intérêts de la nouvelle république, ou qu'il ne voyoit pas affez loin dans l'avenir, pour s'appercevoir qu'il s'étoit fait illufion fur eux. L'Espagne, pendant les dernieres années de la guerre, fembla un malade à qui les médecins ont intimé la néceffité de mourir. Réfignée au coup fatal, mais certaine qu'il ne pouvoit rien lui arriver de pis, elle en prolongeoit le

moment.

Depuis la bataille des Dunes, & la prife de Dunkerque par le vicomte de Turenne, la guerre ne fe foutenoit plus en Flandre que par la réputation du prince de Condé. La bataille de Villa-viciofa avoit fait vider le Portugal aux troupes Efpagnoles. Le gouverneur du Milanez défefpéroit de défendre plus long-temps fon gouvernement. Les deux Siciles ne demeuroient unies à la monarchie, que parce que la France négligeoit de les en détacher. Enfin l'épuifement étoit fi grand, que le miniftere n'avoit pas même de quoi faire montre, & représenter pendant un armistice. Dans

l'impuiffance de foutenir l'apparence de la guerre, il confentit à recevoir la paix.

Les deux miniftres n'eurent pas peu de peine à s'accorder fur le lieu & la forme des conférences. Ces ridicules altercations prirent autant de temps que le traité lui-même, & en furent le préliminaire le plus contefté. Une petite ifle, au milieu de la riviere de Bidaffoa, qui fépare les deux royaumes, fut toifée & partagée entre les deux plénipotentiaires. Le temps que le cérémonial leur laiffa, ils l'employerent à la négociation.

Ce traité, dont l'hiftoire du fiecle fait fi fouvent mention, eft une tache éternelle à la réputation des deux miniftres qui le pafferent, Il avoit trois objets principaux, fur lefquels chacun s'efforça de duper fon antagoniste. Le mariage du roi avec l'infante étoit le premier. Don Louis de Haro ftipula, pour la dot de la princeffe, une fomme, qu'il favoit que l'Espagne n'étoit pas en état de payer. Le cardinal Mazarin, après avoir chicané, comme le plus avare changeur, fur la qualité & la valeur des écus, engagea le roi fon maître par des fermens qu'il lui avoit déjà perfuadé de compter pour rien. Celui-ci offroit, celui-là exigeoit une renonciation, que tous deux eftimoient de nulle valeur,

Le partage des conquêtes étoit le fecond objet du traité. On eût pris les deux miniftres pour deux juifs, qui fe difputent les pieces d'un encan, L'un furfaifoit ce qu'il étoit obligé de donner l'autre mettoit au-deffous de fon prix ce qu'il ne pouvoit fe difpenfer d'acheter, Celui-là jouoit le marchand indigné, celui-ci faifoit l'acheteur indifférent. Le prince de Condé, dont il eût été de la dignité des deux rois de faire l'objet de leur générofité, devint partie effentielle de leur accommodement. Son rétabliffement fut mis à l'enchere, & au rabais, avec mille petites fineffes indécentes. Enfin, il rentra dans fon rang & fes biens, fa paix fut conclue; il n'en eut obligation ni à fon roi, qui fe la fit payer, ni au roi d'Efpagne, qui l'avoit marchandée.

Les intérêts des alliés refpectifs furent le troifieme objet du traité. L’ECpagne accorda pour ceux de la France des conditions, qu'elle étoit réfolue de ne point tenir; elle se réserva de ne rien exécuter de ce qu'elle promettoit pour les princes d'Italie. La France n'en agit pas de meilleure foi. Il étoit autant de fon honneur que de fon intérêt de comprendre le Portugal dans fon traité. Le cardinal jura de l'abandonner; & en même temps qu'il en faifoit le ferment, il lui préparoit de puiffans fecours. Il refusa d'entendre à aucune propofition fur le rétabliffement de Charles II en Angleterre; & fous main il lui faifoit offrir le mariage de fa niece, avec promeffe de l'aider à remonter fur le trône.

Le traité des Pyrénées n'eft fameux dans l'hiftoire que par fon inexécution. La renonciation aux droits de l'infante fur les Etats de la monarchie efpagnole en fut l'article effentiel; & fix ans après, Louis XIV armoit pour les droits de la reine son épouse fur un des plus beaux fleurons de la cou

ronne

ronne d'Espagne. On ne cita fi fouvent à la France le traité des Pyrénées, que pour lui reprocher le peu d'égard qu'elle y avoit. Il eft affez inutile de marquer la frontiere qu'il lui faifoit, du côté des Pays-Bas, puifque les garnifons françoises y furent à peine établies, qu'elle fut environnée d'un double & triple cordon de nouvelles conquêtes.

Le rétablissement du duc de Lorraine ftipulé dans le traité, aux conditions les plus dures, fut une infulte aux fouverains, un outrage à la fouveraineté même. Ce prince, moins maître en fes Etats qu'un fimple gentilhomme en fon village, parut encore à Louis XIV un voifin redoutable;' & il fut chaffé de fon pays avant que ses sujets euffent, pour ainsi dire eu le temps de le reconnoître. Deux ans après la conclufion du traité, on ne compta d'articles qui fubfiftaffent, que ceux des ceffions que PELpagne avoit faites. La renonciation de Philippe à fes droits de réversion fur l'Alface n'a jamais été infirmée. Le Rouffillon & l'Artois font demeurés provinces de France. On cherche en vain l'effet des nombreux articles, qui furent auffi folemnellement jurés que ceux-là. D. B. M.

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