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droit de commerce fur les terres l'un de l'autre, autant que les hommes fe doivent ces offices mutuels, par la loi naturelle.

Les alliances qui ajoutent un engagement nouveau aux devoirs de la loi naturelle, font égales ou inégales on entend par les premieres, celles dans lesquelles il regne une égalité entiere des deux côtés, ou bien par lefquelles on s'engage également de part & d'autre, fimplement, où à proportion des forces de chacun des alliés, fans que l'un fe reconnoiffe. en aucune maniere inférieur aux autres, foit qu'il s'agiffe d'un réglement de commerce ou qu'il foit queftion d'une guerre défenfive ou offenfive. On voit par-là, que les alliances inégales font celles par lesquelles l'un des alliés eft plus étroitement obligé que les autres, ou que fes engagemens font plus onéreux, ou enfin, qu'à raison de cette furcharge, il se rend inférieur aux autres. Ce n'eft cependant pas que l'inégalité ne puiffe être du côté de la puiffance alliée la plus confidérable, comme elle peut être auffi du côté du plus foible allié. Car l'inégalité eft toute à la charge de l'allié le plus puiffant, lorsque celui-ci promet de fecourir l'autre, sans ftipuler de lui aucun fecours, ou même lorfqu'il promet plus qu'il n'exige. De même, l'inégalité eft du côté de l'inférieur, quand celui-ci s'engage de faire pour la puiffance fupérieure, plus que ce qu'elle promet de faire pour lui. Ainfi c'eft une alliance inégale, toutes les fois qu'un feul des alliés s'engage à payer les troupes des autres, à rembourfer les frais de la guerre, à rafer quelques-unes de fes fortifications, à en abandonner d'autres, à donner des otages, à livrer fes vaiffeaux, fes armes, &c.

Plufieurs fouverains ont formé une alliance égale: ils fe font tous la guerre enfuite, à l'exception d'un feul; on demande lequel de ces alliés le fouverain qui n'eft point attaqué, doit fecourir préférablement aux au→ tres? Pour répondre à cette question, il faut commencer par pofer ce principe, que dans tous les traités par lefquels un prince s'engage à fecourir des étrangers, il y a toujours cette condition de fous-entendue, favoir, que le fouverain qui s'allie ne fournira les fecours promis, qu'autant qu'il pourra le faire commodément, & fans nuire aux intérêts de fon propre royaume. Or, d'après ce principe, fondé fur la loi naturelle, qui impofe à tout prince l'obligation indifpenfable de procurer l'avantage de fes fujets, par préférence au bien de qui que ce puiffe être, il est évident que celui de fes alliés qu'il fecourroit, expoferoit fes Etats à une guerre inévitable de la part des autres alliés, contre lefquels il fe feroit déclaré; la conduite la plus fage qu'il lui foit légitimement permis de tenir, eft d'offrir sa médiation, & fi elle n'eft point acceptée, de renoncer à l'alliance avec tous également, après les avoir néanmoins avertis de la néceffité où l'intérêt de fes Etats le met de faire cette démarche.

Les plus étroites alliances font celles qui confiftent dans une confédération de plufieurs Etats unis enfemble à perpétuité, pour régler d'un commun accord les affaires qui concernent leur intérêt commun: telle est

Tome XXVII.

lii

la confédération des Provinces-unies, & la ligue des cantons Helvétiques. Les alliances perfonnelles font celles qui faites avec un roi, considéré perfonnellement, expirent avec lui les alliances réelles font celles où l'on traite moins avec les rois, comme tels, ou avec les chefs du peuple, qu'avec tout le corps de l'Etat, & celles-là ne finiffent point à la mort du roi allié, ni à celle des chefs du peuple. Il faut obferver que toute alliance faite avec une république, eft réelle de fa nature, & qu'elle n'expire point avec les magiftrats, qui ont figné le traité, parce qu'ils n'étoient que les représentans du peuple, qui ne périt point: elles n'expirent pas même par le changement de la forme du gouvernement. Car, fi une démocratie eft érigée en monarchie, le peuple demeure le même, & le roi qu'il s'eft choifi, eft cenfé avoir accepté la couronne avec tous les engagemens contractés par le peuple. Il en eft néanmoins tout autrement, fi le but de l'afliance avoit été de maintenir la forme du gouvernement actuel. Car, il est évident que fi de deux républiques qui s'étoient liguées pour leur défense mutuelle contre tous ceux qui voudroient changer leur conftitution, l'une vient dans la fuite à changer volontairement la forme de fon gouvernement, l'alliance finit, par cela même, que la caufe fur laquelle elle étoit fondée ne fubfifte plus.

Un roi peut faire une alliance en fon nom, & cependant cette alliance être réelle, & non perfonnelle, c'eft-à-dire, ne pas finir avec lui. Les caracteres auxquels on connoît que l'alliance eft réelle, font 19. lorfque le traité porte expreffément qu'elle fera perpétuelle, ou qu'elle eft faite pour le bien du royaume; 2°. lorfqu'il eft dit expreffément que le roi traite pour lui & pour fes fucceffeurs; 3°. lorfqu'il eft dit qu'elle durera pendant plufieurs années, ou pendant un temps limité; car, de ce qu'on n'ignore pas que le roi avec qui l'on traite, peut mourir avant la fin du terme convenu, ou même au premier jour, il s'enfuit évidemment que le roi a entendu s'engager pour lui & pour fes fucceffeurs, pendant tout le temps fixé. 4°. On connoît qu'une alliance eft réelle, & non perfonnelle, par la nature de la chofe, au fujet de laquelle on traite, ainfi que par les motifs ou les vues des contractans.

Les fucceffeurs des rois font obligés de maintenir les alliances faites par leurs prédéceffeurs, en bien des cas, & principalement lorsqu'elles font partie d'un traité de paix, car il n'eft pas douteux que ces traités doivent être gardés par les fouverains qui fuccedent à ceux qui les ont faits, furtout, lorfque les conditions de ces traités ont été exécutées de part & d'autre. La même fidélité doit être obfervée à l'égard des conventions légitimes par lesquelles le prédéceffeur d'un fouverain a transféré quelque droit à un tiers. Si de deux rois alliés l'un, après que l'autre a exécuté une partie de ce à quoi il s'étoit engagé, vient à mourir, fon fucceffeur eft obligé de remplir les engagemens que fon prédéceffeur n'a pas eu le temps de mettre à exécution: car il eft manifefte que l'Etat ayant profité de ce

que le fouverain allié a fait, en rempliffant les conditions du traité, ce fouverain n'a tenu fes engagemens, qu'à condition & dans la certitude de recevoir l'équivalent, ainsi qu'il a été flipulé dans le traité.

Il n'en eft point de même fi le traité n'a pas été encore exécuté en au cune de fes conditions de part ni d'autre, ou du moins, s'il ne l'a été qu'en partie par les deux alliés, de forte que tout ce qui a été fait, foit égal de part & d'autre alors, il faut examiner fi celui des fouverains qui eft venu à mourir, avoit traité en qualité de chef du peuple, & en vue du bien de l'Etat car en ce cas, l'alliance eft réelle & obligatoire pour le roi fucceffeur, devenu chef du peuple, avec les mêmes charges & les mêmes droits que fon prédéceffeur. Mais fi ce dernier n'a traité qu'en fon nom, ou pour fon avantage & celui de fa maison, il eft clair que l'alliance ceffe lorfqu'il meurt, & que fa famille expire. Au refte, lorfque deux ou plufieurs Etats qui ont fait ensemble plufieurs traités, viennent à les renouveller: en général, ce renouvellement ne doit s'entendre que du dernier en date, les actes poftérieurs étant toujours cenfés déroger aux précédens.

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Dans le cas où l'un des deux fouverains alliés eft chaffé de fon royaume par fes fujets, l'autre doit-il le fecourir? Il le doit fans contredit, fi par une claufe expreffe du traité d'alliance, il a promis de fecourir la perfonne du roi & fa famille mais fi le but du traité paroît avoir été uniquement à l'avantage de l'Etat; il eft manifefte que cette expulfion n'a pas été prévue, & que le fecours n'a été ftipulé que contre les ennemis étrangers. Le fouverain n'eft donc point ftrictement obligé de défendre cet allié contre fes fujets; quoiqu'il puiffe néanmoins le fecourir légitimement contre l'ufurpateur, qui s'eft emparé de fon trône. De même on eft trèsautorifé à donner du fecours à une république alliée contre un citoyen ambitieux, qui tente d'affujettir fes concitoyens, & d'ériger la république

en monarchie.

Si dans un traité d'alliance, il eft ftipulé que les contractans n'attaqueront point les alliés les uns des autres, cette clause doit-elle être reftreinte feulement à ceux qui étoient alliés lors du traité, ou doit elle être éten due à ceux qui dans la fuite font entrés dans l'alliance? Il paroit d'abord que les Etats qui fe font unis par ce traité, n'ont entendu vouloir ftipuler que pour eux, puifqu'ils n'ont point parlé des Etats ou des fouverains qui pourroient dans la fuite intervenir dans cette alliance: toutefois, comme ce traité laiffe à chacun des contractans la liberté de former de fon côté de nouvelles alliances avec qui il jugera à propos, il eft conftant, que fi l'un d'entr'eux s'eft dans la fuire uni avec un nouvel allié, & que celui-ci foit attaqué par quelqu'une des puiffances comprifes dans l'autre traité, fon allié ne peut fe difpenfer de le fecourir. Il faut avouer cependant qu'il eft bien rare qu'un tel cas n'entraîne point, lorfqu'il arrive une rupture gé nérale entre les puiffances alliées; & le moyen le plus fage de prévenir

de femblables événemens, eft de les prévoir lorfqu'on fait des alliances; & de marquer expreffément quels Etats & quels fouverains pourront y être admis dans la fuite: ce qui eft très-difficile encore, à caufe de l'inftabilité des intérêts des princes.

Lorfque le temps qui avoit été limité pour la durée d'une alliance expire, la conformité de la conduite des princes ou des Etats aux claufes du traité fuffit-elle pour que l'alliance foit cenfée tacitement renouvellée? Deux raifons s'opposent à cette maniere de renouveller une alliance; 10. parce qu'il n'y a point de préfomption que, fans un nouveau fujet, on veuille renouveller des engagemens pris lors du traité de l'alliance expirée; 2°. que fi de tels renouvellemens tacites étoient cenfès avoir lieu, par le feul filence, jamais on ne pourroit favoir combien une alliance doit durer, Ainfi donc, lorfque la durée du traité étant écoulée, les anciens alliés paroiffent fe conformer aux engagemens qu'ils avoient pris, & qui ne fubfiftent plus, leurs actes ne font que de fimples fignes de bienveillance mutuelle, & point du tout un renouvellement tacite de leur alliance.

Quelquefois il arrive que les miniftres des fouverains ou leurs ambaffadeurs font, fans l'ordre de leur prince, quelque traité concernant les affaires publiques & le fouverain n'eft point du tout obligé de remplir les conditions d'un femblable traité. C'est ce qui arriva jadis lors du traité fait après la funefte journée des Fourches Caudines, par les confuls Lucius Véturius & Spurius Pofthumius, qui n'avoient point d'autre moyen de fauver l'armée Romaine, & de détourner l'orage qui menaçoit la république. Toutefois, le fénat refufa de ratifier le traité, & offrit aux Samnites de livrer les confuls qui l'avoient conclu. Suivant l'équité naturelle, il fembloit que le peuple Romain devoit approuver ce traité avantageux à la patrie, dans les circonftances cruelles où il avoit été fait mais enfin, il avoit été conclu fans ordre, & le fénat étoit en droit de refufer de s'y conformer. De même un fouverain a le droit de refufer la ratification des traités conclus fans fon ordre par fes miniftres, & fon filence ne fuffit pas pour prouver qu'il le ratifie; à moins qu'il ne faffe quelqu'acte qui indique évidenment qu'il approuve les conventions faites par fes miniftres & les engagemens qu'ils ont pris en fon nom & fans fon ordre.

S. X.

Des contrats & autres conventions ou promeffes des rois.

ES rois ont-ils quelque privilege particulier, en vertu duquel ils puiffent, de leur propre autorité, fe dégager de leur parole? Peuvent-ils fe difpenfer de tenir les engagemens où ils font entrés envers leurs fujets? Jufqu'où leurs promeffes & leurs contrats obligent-ils leurs fucceffeurs? On

fait

comme on l'a dit ailleurs, que les rois ont le pouvoir de reftituer

en entier leurs fujets, quand ceux-ci ont été lélés dans quelque contrat, comme auffi de les abfoudre de leur ferment, pour de juftes caufes mais par une fuite de ce droit, un fouverain peut-il fe relever lui-même, s'abfoudre d'un ferment qu'il a fait, & fe difpenfer de tenir des engagemens qu'il a pris, ou par crainte, ou lorfqu'il étoit en bas âge; ou enfin lorfqu'il fe trouve léfé de quelque maniere que ce foit, peut-il fe dégager de fa propre autorité du contrat qui le lie?

Les rois font cenfés vivre dans l'indépendance de l'état de nature; nul tribunal n'a droit de décider de leurs démêlés; & d'après ce principe, il eft conftant qu'ils peuvent fe dédire des engagemens d'un contrat où ils fe trouvent injuftement léfés, ou fe faire dédommager de la léfion, pourvu toutefois qu'elle fott manifefte; car autrement, ils doivent s'en rapporter au jugement d'arbitres, & c'est-là la maniere d'agir entre fouverains, c'està-dire d'annuler de leur autorité, les engagemens qu'ils ont pris, ou lorfque la léfion n'eft pas bien évidente de s'en rapporter à des arbitres. Mais il n'en eft pas exactement de même à l'égard des contrats entre les rois & leurs fujets. Pendant la minorité d'un roi, c'eft à fes tuteurs qu'appartient la régence du royaume, & lorfqu'il fe trouve léfé dans un contrat, qu'il a fait alors avec fes fujets, il eft jufte qu'il profite du même bénéfice des loix qu'il accorde aux autres. Mais quant aux conventions légitimes, faites en fon nom, par les tuteurs avec les étrangers, il eft tenu de s'y conformer; car s'il pouvoit s'en dédire, il n'y auroit pour les puiflances étrangeres, nulle fureté à traiter avec un roi mineur: ainfi, tout ce qu'un fouverain peut faire à cet égard, eft de rendre fes tuteurs refponfables de leur adminiftration pendant fa minorité, & de les obliger à le dédommager, autant qu'il eft en eux.

Il est vrai que par leur dignité, les rois font au deffus des loix civiles, & que rien ne les oblige à fuivre indifpenfablement la maniere dont elles reglent les chofes; mais c'eft par cela même, qu'ils font à eux-mêmes la loi, qu'ils doivent fe conformer à celle qu'ils fe font impofée en s'engageant; en forte que s'ils font, en pleine connoiffance, un contrat d'ailleurs invalide, par les loix civiles, ils font cenfés l'avoir déclaré valide, relativement à l'affaire dont ils traitent; car fans cela, leurs conventions ne feroient jamais qu'illufoires. Ils ne peuvent donc les annuller & fe dédire que lorfque le contrat renferme une léfion énorme, & qu'ils n'avoient pas pu prévoir. Il faut également décider que les fermens d'un roi légalement faits, & qui n'ont en eux-mêmes, rien qui les rende nuls, font facrés, & que le fouverain qui les a faits, ne fauroit fe difpenfer de les tenir, fous ce prétexte qu'il a le pouvoir de refcinder ceux de fes fujets; attendu que les fermens de ceux-ci renferment toujours cette condition tacite, qu'ils ne feront point valides dans le cas où le roi n'y consentira point.

Il n'eft donc pas douteux que, fuivant le droit naturel, un fouverain

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