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empreinte qui défigne une valeur plus grande que celle qu'elles ont intrinféquement. C'eft-là duper fon peuple & les autres, & facrifier fa bonne foi, objet fi délicat dans un fouverain pour faire du monnoyage un article de finance & un moyen d'acquérir. Car par cette déloyauté, le Prix de tout a été rendu incertain; la nation ou plutôt le prince qui a frappé cette monnoie falfifiée, a payé au double ce qu'il avoit gagné par cette fraude, dès que les autres peuples s'en font apperçus; & dans le fonds, raccourcir l'aune, diminuer les mefures, fauffer les poids, ou altérer les monnoies c'eft la même manœuvre.

LES

PROBITÉ, f. f.

Accord de la. Probité avec la politique.

ES législateurs qui n'ont pas puifé leurs légiflations dans la loi naturelle, fimple & évidente, c'est-à-dire, dans la connoiffance & l'expérience de ce qui eft toujours bon & avantageux à l'humanité, ont couvert d'un voile épais & mystérieux la fcience de la politique, qui devroit être celle de tous les hommes.

On s'eft imaginé communément que les opinions ordinaires & les vertus mêmes devoient changer de nature, & fe plier au befoin de cette fcience factice, à l'abri de laquelle les ambitieux fe font rangés, & en ont impofé au peuple par de grands mots.

On n'a pas douté, par exemple, & c'eft une maxime très-généralement reçue, que la politique doit exclure la Probité.

Le jufte Ariftides fe trompoit, & manquoit de lumieres, lorfqu'il affuroit que le projet de Thémiftocles, qu'on foumettoit à fa cenfure, étoit très-utile à la république; mais très-injufte. En réfléchiffant davantage; il auroit trouvé ce projet auffi nuifible qu'injufte. Il n'y a de politique fûre, que celle qui eft fondée, fur la Probité & la juftice; l'infortuné roi Jean, difoit, que fi la vérité étoit bannie de la terre, elle devroit fe retrouver dans le cœur des rois. Ce noble fentiment, auffi conforme aux regles de la politique la plus habile, qu'aux principes de la vertu la plus pure, doit faire oublier les fautes de ce monarque; & les hommes qui y penfent, se fouviendront plus long-temps de ce mot que de la bataille de Poitiers. Le cardinal de Richelieu a recommandé aux rois leur réputation, comme leur bien le plus folide bel hommage, ce me femble, que le vice rend à la vertu; c'eft une chose bien frappante que d'entendre proférer cette maxime à un homme qui détruifoit par fa feule existence la gloire de fon maître.

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Mais ce miniftre étoit habile, il favoit que les choses n'ont de valeur

réelle que celle que l'opinion leur donne, & que les princes doivent par conféquent prendre le plus grand foin de leur réputation.

C'eft donc un principe auffi faux que mal-honnête, que celui qui fait prévaloir ce que l'on appelle maxime d'état, intérét d'état, fur la Probité: l'intérêt d'Etat & la Probité ne peuvent jamais être féparés; il feroit auffi abfurde de le penfer, que criminel de fe conduire d'après ce principe; & ce n'a pas été pour moi un médiocre étonnement, que de trouver dans l'ouvrage estimé & eftimable à beaucoup d'égards, d'un favant & célébre philofophe; qu'il ne faut pas confondre le droit politique, avec la politique, qui lui eft fouvent contraire. La Probité eft la premiere maxime; le premier intérêt de l'Etat, c'eft d'être conduit avec Probité, & cette qualité, connue dans le prince & fes miniftres, fera fon plus ferme foutien intérieur & extérieur.

D'ailleurs, qui s'eft jamais repenti d'être jufte & bienfaifant? Que les courtifans citent un feul exemple qui prouve que ces vertus aient nui aux princes!

PROBUS, Empereur Romain.

'An de Rome 2027, & de J. C. 276.

CE prince eft égal en mérite à tous ceux qui ont poffédé l'Empire; &

fi le crime des foldats n'eut abrégé fes jours, il auroit fait revivre le fiecle d'Augufte. On vit en lui toutes les qualités d'un homme de bien, réunies avec tous les talens militaires. Auffi guerrier que les princes qui ont le plus mérité ce titre, toujours victorieux depuis fa premiere jeuneffe jufqu'à fa mort, il n'employa les armes que par néceffité, jamais par ambition; plein de refpect pour les loix, auffi modéré que Marc-Aurele, il fut toujours attentif à rendre fes fujets heureux.

Probus né à Sirmium en Pannonie, étoit fils d'un fimple tribun. Ayant fuivi la profeffion de fon pere, il s'acquit bientôt de la réputation par la droiture de fon caractere, & par la grandeur de fon courage. L'empereur Valérien, inftruit de fon mérite, paffa en fa faveur par deffus les loix, & le fit tribun à vingt-deux ans. Le jeune Probus fe montra digne de la grace du prince: il fe diftinguoit tous les jours par des traits éclatans de bravoure; il montoit le premier fur les murs des villes affiégées, forçoit les retranchemens des ennemis, demeuroit vainqueur de tous ceux qui ofoient l'attaquer, étoit honoré fréquemment de couronnes & autres dons militaires en un mot, il fe fit en peu de temps la réputation du plus vaillant homme de l'armée. Un officier d'un tel mérite ne tarda pas à être élevé au commandement en chef. Aurelien le chargea de faire la guerre

en Egypte contre les lieutenans de Zénobie: Probus remplit cette commiffion en habile général; il vint à bout de ramener cette province à l'obéiffance des Romains. La conduite qu'il tenoit à l'égard des foldats ne lui fit pas moins d'honneur: il vifitoit chaque compagnie, & il avoit grand foin que chaque foldat fût vêtu & chauffe convenablement. Outre les foins qu'il prenoit d'eux, il fit le plus noble ufage de fon autorité : il les protégeoit contre les vexations des officiers, leur laiffoit toute la part du butin fait fur les ennemis, & ne prenoit pour lui que des armes : mais d'un autre côté il étoit rigide obfervateur de la difcipline, il ne les fouffroit jamais oififs; & de peur qu'en temps de paix ils ne perdiffent l'habitude du travail & que leurs forces ne s'engourdiffent, il les occupoit fans ceffe à des travaux publics, tels que des ponts, des temples, des portiques, à fécher des marais, à creufer des ouvertures pour la décharge des rivieres. Les princes fous lefquels il fervit, le connoiffant pour un des meilleurs officiers généraux, lui donnerent les témoignages les plus glorieux de leur eftime. Valérien en lui déférant le commandement d'une légion, lui avoit écrit en ces termes : » Vous voyez que je vous avance bien vîte; mais à >> compter vos fervices; la récompenfe ne vient pour vous qu'à pas lents. <«< Aurélien lui écrivit dans le même goût & dans une occafion femblable: » La dixieme légion eft heureuse, lui dit-il, il femble que ce corps ait la » prérogative de n'avoir pour commandans que de futurs empereurs. «<

Ce prince lui prédifoit vrai. L'empereur Tacite ayant été tué, les légions d'orient, dont Probus avoit alors le commandement, prévenues d'une eftime finguliere pour les grandes qualités de leur général, le proclamerent augufte avec le plus vif empreffement. On éleva à la hâte un tribunal de gazon; on y fit monter Probus, on le revêtit d'une cotte d'armes de pourpre, & on fit en fon honneur les acclamations accoutumées : mais Probus, témoin des dangers de cette place, ne confentit qu'avec répugnance à fon élévation. Dans le même temps, l'armée d'occident avoit élu Florien, frere utérin de Tacite; mais fon regne ne fut que de deux mois la fortune lui ayant été contraire dans un premier combat contre fon rival, il fe vit abandonné de fes légions qui fe foumirent à Probus & il périt malheureusement. Le fénat reconnut avec joie le nouvel em-. pereur. Ce prince écrivit à cet illuftre corps une lettre admirable (a), dans laquelle il expofoit que l'ufurpation de fon compétiteur l'avoit obligé d'accepter l'empire par la volonté des foldats, & qu'il étoit bien fâché que ce ne fût pas de l'autorité de ce corps augufte & de ces princes du monde. Le fénat lui donna auffitôt tous les titres de la dignité impériale, & les plus grands témoignages de joie de l'avoir pour empereur. Après avoir été reconnu de tout l'empire, il adreffa au fénat une déclaration, par laquelle

(a) Ce prince étoit alors âgé d'environ 44 ans,

il laiffoit à cette compagnie l'administration absolue dans toutes les affaires civiles; il voulut que les magiftrats dans les provinces du reffort de l'empereur, reçuffent leur pouvoir du fénat : il ne vouloit point avoir part aux délibérations de cette compagnie, comme maître, mais feulement comme chef. Cette magnanimité lui gagna tous les cœurs. D'ailleurs, ce prince avoit une grande élévation d'efprit & de courage, & il poffédoit éminemment la vertu qu'exprime en latin fon nom.

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Dès qu'il vit fon autorité affermie, il vengea la mort des empereurs Aurelien & Tacite par la punition de ceux qui avoient attenté à leur vie; car il regardoit le meurtre des princes comme un exemple dangereux. Peu de temps après il entra en campagne. Les Gaules étoient alors infeftées par des nations germaniques, Francs & Vandales ces Barbares ravageoient les campagnes, & s'emparoient même des villes. Probus, guerrier par inclination & par habitude, fe tranfporta dans ces provinces, & fit à ces peuples une guerre à toute outrance. Il fut vainqueur en un grand nombre de combats, il leur tua près de quatre cents mille hommes, les chaffa des Gaules, paffa le Rhin, s'avança dans leur pays, & prit fur eux un grand butin. On prétend qu'il payoit chaque tête de Barbare une piece d'or, à mesure qu'on les lui apportoit. Ces peuples fatigués d'être ainsi pourfuivis, demanderent la paix avec inftance: Probus la leur accorda, mais ce ne fut qu'à des conditions très-dures. Il auroit bien voulu les défarmer; mais trouvant la chofe impoffible, il les obligea à leur remettre tout le butin qu'ils avoient fait dans les Gaules: il prit leurs troupeaux, leurs chevaux, leur blé; il fe fit donner feize mille hommes de leur plus belle jeuneffe, qu'il diftribua en différentes provinces. Après avoir ainsi affoibli les nations germaniques, il établit des châteaux forts dans leur pays, & y laiffa de bonnes troupes.

Úne fi glorieuse campagne n'enfla point le cœur de ce prince : il en rendit compte au fénat dans une lettre dont les expreffions ne refpirent que la modeftie & les fentimens religieux dont il étoit rempli. Neuf rois, difoit-il, font venus fe profterner à nos pieds, ou plutôt aux vôtres : enfuite il demandoit que les couronnes d'or que les villes lui avoient offertes fuffent confacrées à Jupiter & aux autres dieux.

L'année suivante il pacifia la Rhétie, l'Illyrie, la Thrace: les peuples de ces pays étoient inquiétés par les Sarmates. Probus écarta ces Barbares par la feule terreur de fon nom, & fut par-tout fuivi de la victoire. Enfuite il s'avança dans l'Ifaurie: ce pays renfermoit un peuple de brigands qui pilloient de tous côtés dans l'Afie mineure; & qui, trouvant un afile inacceffible dans leurs montagnes, bravoient depuis long-temps la puiffance romaine. Ce prince les poursuivit fans relâche il fit le fiege de Cremna, ville fituée au haut d'un rocher, & où Lydius leur chef, s'étoit renfermé. Celui-ci fe défendit avec beaucoup de courage; & quoique les vivres lui manquaffent, & que cette difette & fa propre cruauté fiffent périr un grand

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nombre d'habitans, il foutint ce fiege avec la plus grande opiniâtreté; mais ayant été tué d'un coup de fleche, ce qui reftoit d'affiégés fe rendit aux Romains. Probus acheva de purger l'Ifaurie de ces brigands, & distribua les terres qu'ils poffédoient à ceux de fes foldats qui avoient fini leur temps de fervice.

L'année fuivante il marcha vers l'orient du côté de la Syrie: il subjugua les Blemmyes, peuples originaires d'Ethiopie, & qui répandoient la terreur dans la Haute-Egypte; reconquit fur eux la ville de Ptolémaïde, fit un grand carnage de ces peuples, & une quantité de prifonniers : il en envoya plufieurs à Rome, où leur figure extraordinaire fut un fpectacle de curiofité pour les Romains.

Le bruit de fa victoire parvint jusques chez les Perfes on croit que ces peuples avoient fait quelques courfes fur les terres de l'empire. Probus qui voulut en affurer les frontieres du côté de l'orient, marcha contre eux à la tête d'une armée : fon approche répandit bientôt la terreur. Dès qu'il eût atteint les montagnes de l'Arménie, Varavane leur roi, lui envoya des ambaffadeurs. Ceux-ci trouverent l'armée romaine campée fur une hauteur; & ayant demandé à parler à l'empereur, ils y furent auffitôt admis. En ce moment, Probus étoit affis fur l'herbe, vêtu d'une cafaque de pourpre, mais de laine & toute unie, avec un bonnet fur la tête, parce qu'il n'avoit pas un cheveu. Ce prince prenoit alors fon repas ce repas n'étoit compofé que d'un plat de pois cuits la veille, & d'un morceau de porc falé; circonftances que l'hiftoire n'a pas dédaigné de tranfmettre, & qui prouvent que cet empereur retraçoit dans fes mœurs une image de celles de ces anciens Romains qui font l'objet de notre admiration. Ayant appris que les ambaffadeurs demandoient à lui parler, il commanda qu'on les fit approcher. Alors fans changer de pofture ni d'habit, il leur dit qu'il étoit P'empereur, & qu'ils pouvoient dire à leur maître, que fi dans le jour il ne fe mettoit en devoir de réparer les torts qu'ils avoient faits aux Romains, il alloit rendre en un mois toutes fes campagnes auffi nues d'arbres & de grains que fa tête l'étoit de cheveux, & en même temps il ôta fon bonnet pour leur mieux faire comprendre ce qu'il leur difoit; après quoi il les invita à prendre part à fon repas s'ils avoient befoin de manger, finon qu'ils n'avoient qu'à fe retirer à l'heure même. Ces ambaffadeurs accoutumés au fafte de la cour de leur prince, furent étrangement furpris d'une telle fimplicité, & fe hâterent de faire le rapport à leur roi de ce qu'ils avoient vu & entendu. Celui-ci effrayé d'avoir affaire à un prince fi ennemi des délices, & qui parloit avec la hauteur d'un ennemi qui fe fent puiffant, vint lui-même trouver Probus, & accorda tout ce qu'on lui demandoit.

Selon l'hiftorien Vopifcus, le même roi des Perfes, dans une occafion à peu près femblable, ayant envoyé des préfens à Probus, ce prince ne voulut pas les recevoir: il lui écrivit qu'il s'étonnoit que ce roi lui eut fair

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