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peut acquérir les dettes, que par la ceffion expreffe que lui en fait fon prifonnier, qui eft le maître de transférer fon droit à qui il veut.

Il n'eft pas douteux que la victoire & la conquête ne donnent le droit de commander aux peuples vaincus & fubjugués: mais ce droit n'est encore que celui du plus fort fur le plus foible, il ne devient légitime, & les vaincus ne font étroitement obligés de s'y foumettre, que lorsqu'ils ont promis expreffément ou tacitement au vainqueur de le reconnoître pour leur

maître.

Il eft divers moyens de recouvrer ce que les ennemis avoient pris, même les prifonniers de guerre ; à l'égard de ceux-ci, il leur eft très-permis d'ufer de toutes fortes de voies pour échapper des mains de ceux qui les retiennent; & à moins qu'ils n'ayent formellement donné parole de ne pas s'évader, auffitôt qu'ils se font échappés, ils rentrent dans leur premier état, ainfi que dans tous leurs droits & leurs biens. Quant aux poffeffions conquifes, elles retournent à leurs premiers propriétaires, foit que ceux-ci s'en emparent par eux-mêmes, ou par les foldats de l'Etat : car, l'obligation du fouverain étant de protéger les fujets, & de défendre leurs biens, c'eft une fuite naturelle de cette obligation, que celle de leur faire recouvrer leurs poffeffions, lorfqu'elles leur ont été prifes. Un peuple subjugué par la force, & qui par fes armes ou le fecours d'un allié, fecoue le joug de l'ennemi, recouvre fon ancien état. Mais fi une puiffance non alliée, & agiffant en fon propre nom, vient délivrer ce peuple de la domination de l'ennemi qui l'avoit conquis; ce peuple délivré ne rentre point dans fon premier état; mais il tombe fous les loix de la puiffance libératrice, & il en eft de même d'une province conquife fur le fouverain, & qu'un Etat non allié vient délivrer; elle ne revient point à fon ancien maître; elle ne fait plus partie du royaume de ce dernier; mais elle eft acquife à fon libérateur. Que fi c'eft par elle-même ou par le fecours du peuple dont elle a été détachée, qu'elle fe fouftrait à la domination du conquérant, elle se réunit au corps de l'Etat, & rentre fous la domination de fon premier fouverain.

S. VII.

Des conventions que l'on fait avec un ennemi pendant le cours de la

guerre.

ON donne le nom de conventions publiques à celles qui fuppofent par

elles-mêmes l'état de guerre; les unes laiffant fubfifter cet état, n'ont d'autre objet que d'en tempérer un peu la rigueur; les autres font entièrement ceffer les actes d'hoftilité. En général, toutes les conventions que l'on fait avec les ennemis, & qui tendent à rétablir la paix, doivent être fidellement gardées mais doit-on fe fier à celles qui laiffent fubfifter la guerre : & fi l'on ne peut pas s'y fier, doivent-elles être obfervées avec la même fidé

lité, que celles qui tendent à rétablir la paix? Puifqu'il eft de principe que l'état de guerre donne le droit de pouffer les actes d'hoftilité à l'infini ; quelle foi peut-on donner à des conventions qui ne font que fufpendre la rigueur de ces actes, & qui laiffent pourtant fubfifter l'état de guerre? Si de tels engagemens étoient pris de bonne foi par les puiffances contractantes, dès-lors elles ne feroient plus ennemies; mais ce qui prouve qu'elles le font, c'eft qu'elles veulent continuer d'être en guerre; cet état exclut la confiance mutuelle, & tant qu'il fubfifte, elles font mutuellement autorifées à regarder ces fortes de conventions comme des embûches qu'elles fe tendent l'une à l'autre, ainfi que l'expérience ne l'a que trop souvent prouvé. De ces réflexions, il paroît que toutes les conventions qui ne tendant qu'à fufpendre ou modérer la rigueur des hoftilités, entretiennent la guerre, font manifeftement contraires à la nature.

Toutefois, l'utilité publique & l'usage obfervé chez la plupart des nations civilifées, l'ont emporté fur la méfiance qu'infpirent naturellement de femblables engagemens ; & l'on eft accoutumé à respecter les treves de quelques heures, de quelques jours, de quelques mois, ou enfin limitées à un temps déterminé, foit pour reprendre haleine de part & d'autre, foit pour enterrer les morts, que les armes ont moiffonnés des deux côtés &c. Par d'autres conventions, on donne à certaines perfonnes des paffe-ports ou des fauf-conduits, à la faveur defquels, ils vont & paffent en fureté sur les lieux occupés par les ennemis; ou, l'on promet d'épargner certains cantons, ou certaines chofes, ou bien certaines perfonnes: on s'oblige de part & d'autre de fufpendre pour un temps défigné, les hoftilités, ou de ne pas fe fervir de certaines armes, ou de laiffer la liberté du commerce aux marchands des deux peuples, de ne point inquiéter les fujets de l'un des deux Etats fixés & établis chez l'autre, &c. Toutes ces conventions font communément refpe&tées, par l'intérêt que ceux qui s'obligent ont à ne pas les violer dans la crainte du préjudice qu'une vengeance légitime leur cauferoit, s'ils y manquoient. Toutefois, comme on ne doit pas compter infiniment fur les promeffes d'un ennemi armé, le mieux eft de ne jamais s'engager, par de telles conventions, fi l'on n'y eft déterminé par une néceffité très-importante, & fur-tout fi l'on n'eft point en état de fe venger avec éclat d'un manquement de parole, & fi l'on n'a pas pris pour la fidélité de l'exécution, les plus grandes furetés.

La treve eft une convention par laquelle on s'engage mutuellement à fufpendre pour un temps, les actes d'hoftilité. Il en eft de deux fortes; par l'une les armées ennemies reftent toujours armées, & prêtes à toutes les expéditions militaires: ces treves ne font communément que de quelques jours, de quelques femaines ou tout au plus, mais fort rarement, de quelques mois. Par l'autre, les deux puiffances mettent bas les armes, & chacune rappelle fes troupes ces treves font ordinairement pour un terme affez long; elles reffemblent beaucoup à une paix entiere fur-tout lorfque,

comme il arrive communément, on a ftipulé dans la convention, que pendant la durée de la treve, on conférera fur les moyens de rétablir la paix. Quelquefois on fixe auffi les pays compris dans la treve; en forte què les deux puiffances conviennent de refter en état de guerre, dans les contrées éloignées où elles ont l'une & l'autre des poffeffions. Ainfi, les peuples d'Europe peuvent continuer d'exercer des actes d'hoftilité les uns contre les autres, dans les Indes orientales ou occidentales, tandis qu'en Europe, une treve fufpend la guerre qu'elles s'y faifoient.

Un traité par lequel deux peuples font la paix pour trente ou quarante ans, ne doit point être regardé comme une treve, quoique de fa nature, la paix foit éternelle. Ainfi ce traité, ne feroit véritablement une treve que dans le cas où le terme déterminé s'étant écoulé, les deux peuples reprendroient les armes l'un contre l'autre, précisément pour le même fujet qui avoit allumé la premiere guerre. Car, fi lors de cette époque, ou même pendant la longue durée de cette treve, ces mêmes puiffances viennent à entrer en guerre pour quelqu'autre fujet, la treve jurée n'en eft pas moins cenfée durer, & la paix établie entr'eux, relativement au fujet de l'ancienne guerre. C'eft une conteftation nouvelle, qui n'a nul rapport avec celle que la convention mutuelle a éteinte.

il

Comme, en général, toute treve laiffe fubfifter le fujet de la guerre, paroît de la nature même de cette convention, que lorfque le terme en eft expiré, il n'eft nullement néceffaire d'une nouvelle déclaration de guerre pour reprendre les armes; quoiqu'il foit plus généreux, lorfque la treve a été de longue durée, & fur-tour, lorfque l'on étoit convenu, en la faifant de traiter de la paix, de ne s'armer qu'après avoir déclaré qu'il n'a tenu qu'à l'ennemi de profiter du calme, & de convertir en paix durable cette fufpenfion d'hoftilités.

Au refte, la treve exige par fa nature, des conventions expreffes, & des actes formels de paix & d'amitié, affez fignificatifs, pour que l'on doive s'affurer que les hoftilités font fufpendues pour un temps limité & connu. Car, de ce que dans l'état de guerre, l'une des puiffances belligérantes fe feroit abftenue pendant quelque temps, de faire des hoftilités, l'autre ne devroit point en inférer que la guerre eft réellement fufpendue par une treve, & fi elle étoit attaquée & battue, elle ne feroit nullement fondée à accufer l'ennemi d'avoir abusé de sa fécurité, ou violé une convention tacite, qui en effet n'exiftoit pas.

Il eft certain que tous les actes d'hoftilité doivent refter fufpendus pendant la durée de la treve: mais cette fufpenfion n'empêche point que l'on ne puiffe faire très-légitimement tous les actes militaires purement défen fifs; fe retirer dans un pofte plus fûr, que celui qu'on occupoit; faire entrer de nouvelles troupes, & des munitions dans une ville affiégée, &c. en un mot, faire tous les préparatifs que l'on croit les plus avantageux.

L'infraction de la treve par l'un des deux partis, dégage l'autre de fes

engagemens; en forte qu'il peut reprendre les armes, fans obferver d'autre formalité; à moins pourtant qu'il n'ait été convenu que le premier qui romproit la treve, payeroit à l'autre une amende déterminée; alors la puiffance léfée par l'infraction, n'eft point dégagée de fa promeffe, & ne peut légitimement recommencer les hoftilités qu'à l'expiration du terme de la treve; & fi elle entre en guerre, elle n'a plus de droit d'exiger le payement de l'amende convenue contre l'infracteur.

Les anciens Romains ne comptoient plus au nombre de leurs citoyens, ceux qui étoient prifonniers de guerre : cette opinion étoit dure, elle étoit injufte & barbare, à moins que la lâcheté de ceux qui s'étoient laiffé prendre ne fut manifefte. On pense maintenant en Europe avec plus d'humanité, & le rachat des prifonniers de guerre eft fi favorable, fur-tout à l'égard de ceux qui font captifs chez les barbares & les infidelles, qu'on fe fert même quelquefois des vafes facrés de l'églife, pour payer leur rançon. Il eft inutile de dire que, comme le droit de guerre appartient au fouverain, c'eft à lui auffi à conclure la treve; & que les généraux ne peuvent convenir à cet égard que d'une fufpenfion d'hoftilités pour un terme fort court, & jamais pour aucune treve qui faffe tout-à-fait difparoître l'appareil de la guerre.

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S. VIII.

Des conventions qui tendent à rétablir la paix.

Na eu occafion de dire que toute promeffe arrachée par la force, & faite par la crainte, étoit nulle de plein droit. Auffi eft-il des cas où l'on peut fe difpenfer de tenir un traité de paix, auquel on n'avoit confenti que par une crainte injufte par exemple, fi lorfqu'après avoir offert un pourparler amiable à un ennemi qui attaque injuftement, on eft contraint par la fupériorité des armes de cet agreffeur, de faire une paix défavantageufe; on eft très-difpenfé d'exécuter, fi on le peut, les conditions auxquelles on s'eft foumis par ce traité, & d'oppofer à fes demandes l'exception légitime, qu'offre la crainte injufte dont il s'eft fervi pour arracher les promeffes qui lui ont été faites. Mais, par la même raifon que les engagemens contractés par la crainte d'un préjudice très-confidérable, font nuls, un fouverain doit-il obferver le traité de paix qu'il a fait avec fes fujets rebelles? Si ce prince a réduit par les armes fes fujets rebelles, il eft fans contredit, le maître de les traiter ainfi qu'il le jugera à propos mais du moment qu'il eft entré avec eux en accommodement, il eft cenfé leur avoir pardonné, & rien ne peut le difpenfer de tenir fa parole.

Le fouverain a le pouvoir, de céder légitimement, dans un traité de paix, & de difpofer des biens de quelques-uns de fes fujets l'Etat eft néanmoins obligé de dédommager ces particuliers dépouillés par une né ceffité preffante, & perfonne ne doute du droit qu'ont ces propriétaires :

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mais par malheur, l'expérience ne prouve que trop, que les fujets font obligés de fouffrir ces fortes d'accidens, & même de croire ou du moins de faire comme s'ils croyoient, que perfonne n'eft responsable de la perte qu'ils éprouvent.

C'eft un principe généralement reconnu, mais trop fouvent oublié, dans la pratique, que le terme marqué pour l'exécution des articles des traités de paix, doit être entendu & interprété à la rigueur. On s'en remet quelquefois, mais trop rarement, pour la décifion des articles de la paix, au fuccès d'un combat entre deux, trois, ou un plus grand nombre de perfonnes choifies de l'un & de l'autre côté ce fut ainfi que Rome & Albe en agirent, lors du combat célébre des Horaces & des Curiaces; il vaudroit beaucoup mieux employer de tels moyens de décifion , que de recommencer, comme c'eft l'ufage, une nouvelle guerre, accablante pour les deux peuples, & qui fouvent ne termine en aucune maniere la contestation. Quant au moyen de connoître en pareil cas, quel eft le parti vainqueur, rien n'eft plus facile; s'il n'y a qu'un combattant de chaque côté celui qui a tué l'autre, ou qui l'a contraint de fuir ou de s'avouer vaincu, l'emporte incontestablement : s'il y a plufieurs combattans de l'un & de l'autre parti, ceux qui les premiers auront été mis en fuite ou hors de défenfe feront cenfès vaincus. Il n'en eft pas de même dans les batailles générales, & il n'y a qu'une déroute entiere, ou un maffacre très-confidérable qui indique avec quelque certitude de quel côté eft la victoire.

A ce que l'on a dit ailleurs des obligations des otages, nous n'ajouterons que cette obfervation, que fi l'otage devient héritier ou fucceffeur du fouverain qui l'avoit donné, cet événement le dégage, & il n'eft tenu que de mettre quelqu'un en fa place, fi l'Etat chez lequel il eft en otage, l'exige.

Les Etats, ou les fouverains qui se font rendus garants de l'obfervation d'un traité de paix conclu entre des puiffances étrangeres, ne font tenus à donner des fecours à celle des deux puiffances qui pourra être infultée par l'autre, qu'en ce qui concerne les conditions de la paix dont ils font garants, & point du tout fi la guerre s'allume entre ces mêmes puiffances, pour quelqu'autre fujet étranger à celui de la guerre précédente, & dont il n'avoit point été parlé dans le traité.

IL

§. IX.

Des alliances publiques faites fans ordre du fouverain.

Left des alliances qui concernent des chofes auxquelles on étoit tenu par le droit naturel; il en eft d'autres qui ajoutent un nouvel engagement aux devoirs de la loi naturelle. On appelle alliances de la premiere efpece celles par lesquelles deux peuples ftipulent un droit d'hospitalité, ou un

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