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tution de l'Etat qu'on a à gouverner, des qualités bonnes ou mauvaises, des vices, des vertus, en un mot du caractère national des sujets auxquels on a à commander.

Il est vrai que c'eft au fouverain qu'il appartient exclufivement de faire des loix, mais il est également vrai qu'il ne doit en faire qu'autant qu'il les croit effentiellement utiles à l'Etat, conformément à cette maxime que les bons rois ont toujours révérée; falus populi fuprema lex efto: d'où il résulte qu'il eft du devoir du fouverain non-feulement de prescrire à fes fujets des loix qui leur enfeignent à régler leur conduite conformément au bien public, mais encore de veiller avec tant de foin à l'inftruction publique, que les citoyens aiment à fe conduire d'après les loix, moins par la crainte des peines infligées aux infracteurs que par raison & par habitude. Le moyen le plus fûr & le plus heureux de parvenir à cette fin, eft de protéger l'établiffement des écoles publiques, d'empêcher qu'on n'y enfei gne aucune de ces fciences vaines, & fi fauffement placées par la pédanterie, au nombre des connoiffances humaines, & de fubftituer à cette étude abfurde, les connoiffances les plus folides, les plus utiles à la vie.

L'une des plus étroites obligations du prince eft de ne faire que des loix juftes, équitables, claires, fans ambiguité, fans contradiction, accommodées à la fituation & au génie des peuples pour lefquels elles font faites, capables en un mot, de régler & de terminer les conteftations qui s'élevent le plus communément entre les citoyens mais fur-tout de ne pas multiplier ces réglemens, au point que la liberté des fujets en foit gênée: car, c'eft un des plus grands fléaux du repos des particuliers qu'une légiflation trop étendue ou trop minutieufe, & ce font inévitablement des loix pernicieuses que celles qui défendent des chofes que la raison ne condamne point comme mauvaises.

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Le pouvoir de faire des loix deviendroit inutile, fi le prince qui a le droit d'en établir, n'avoit auffi celui de les faire exécuter auffi la puiffance coactive eft-elle prefque toujours unie à la puiffance légiflative, & les rois font effentiellement obligés de veiller inceffamment à l'exécution des loix, & même de punir ceux qui les violent, fuivant la gravité du fait, l'intention ou le degré de malice des coupables.

Au refte, comme il eft du devoir du fouverain d'attacher des peines à ce qu'il eft néceffaire de défendre pour le bien de l'Etat ; ces peines doivent être toujours proportionnées à cette même fin; car il feroit injufte de faire fouffrir à ceux qui violent les loix plus de mal que ne le demande le bien public. Il eft prefque inutile de dire que l'an des plus inviolables devoirs des princes eft d'empêcher que leurs fujets ne fe faffent du tort les uns aux autres, attendu que placé au-deffus d'eux pour les protéger tous, c'eft manquer à la plus augufte fonction de la royauté, que de fouffrir que ceux dont on eft le protecteur fe nuifent les uns aux autres; d'où il fuit -qu'aux yeux du monarque, il ne doit y avoir ni rang, ni dignité qui au

torife les grands à infulter impunément les petits, & que plus l'offenseur eft élevé, plus il doit être févérement réprimé, lorfqu'il abuse de son élévation pour opprimer des citoyens obfcurs, auxquels néanmoins il ne doit jamais être permis, puifqu'il y a des magiftrats établis pour défendre & venger leurs droits, de fe faire juftice eux-mêmes, & d'ufer de voies de fait.

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Le choix de miniftres intelligens, laborieux, integres eft pour les rois un devoir d'autant plus important, que c'est communément des bonnes ou mauvaises qualités des miniftres que dépendent & le falut de l'Etat, & la tranquillité publique, & la gloire du monarque & la stabilité de fon trône; puifqu'une infinité d'exemples prouvent qu'il y a eu plus de royaumes; & d'empires ruinés & détruits par l'incapacité la foibleffe & la corruption des miniftres, que par les fautes même des peuples & les vices

des rois.

Les impôts & les fubfides n'étant, établis que pour fournir aux dépenses de l'Etat en temps de guerre, comme en temps de paix; il eft indifpenfablement du devoir des fouverains de ne rien exiger au-delà de ce que demandent les befoins publics, ou bien quelque avantage confidérable de l'Etat; en forte que ce n'eft point fur leur luxe, à leurs défirs, ou fur les défirs bien plus infatiables de leurs courtisans, mais uniquement fur les befoins publics, que ces charges doivent être réglées, avec l'attention particuliere de garder une jufte proportion dans la taxe de chaque citoyen; de forte que par le plus abufif des privileges, des corps ou des fociétés riches, nombreuses, inutiles, onéreuses, ne rejettent point la partie du far deau qu'ils devroient fupporter, fur les claffes les plus effentielles, & les moins riches de l'Etat. C'eft un grand mal fans doute que la multiplicité de ces fociétés inutiles & abforbantes; mais le plus grand des maux, eft celui qui résulte des privileges abufifs dont on leur permet de jouir. - Ne rien négliger pour procurer l'entretien & l'augmentation des biens des citoyens eft encore une des obligations du fouverain; & c'eft en vertu de cette obligation qu'il doit les exciter par fa protection, fes entreprises & fes récompenfes, à tirer de leurs terres & de leurs eaux tout le profit qu'ils pourront en tirer; en forte qu'il ne fauroit trop favorifer l'induftrie & les arts méchaniques, faire fleurir le négoce, & fur-tout celui de la navigation; d'où l'on voit combien il importe que par de fages loix fomptuaires, & principalement par la force de fon propre exemple, le prince s'oppofe de toute fa puiffance, à l'introduction du luxe, dont les progrès font fi funeftes. :::..

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2. eft autant de Pintérêt du fouverain, que de celui de fes fujets de prendre garde qu'il ne le forme des factions & des cabales, germe cruel des féditions & des guerres civiles: la voie la plus fûre de prévenir ces maux eft de ne pas permettre que des fujets fe lient par des conventions particulieres, & fur-tour de ne pas fouffrir, qu'aucune de ces affociations

dépende d'une puiffance étrangere, pour laquelle elle ait plus de foumiffion que pour fon fouverain légitime, ou de laquelle même elle ofe attendre une plus grande protection.

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Enfin, le prince eft effentiellement obligé de ne pas laiffer amollir le courage de fes fujets, mais de les exercer & de les former aux travaux militaires, d'être toujours en état de défenfe, d'avoir des fortereffes bien entretenues, des armes, des troupes, & fur-tout des tréfors de réserve, en cas de guerre mais cependant, de ne point attaquer, à moins d'en avoir le plus jufte fujer enfin, de veiller fur les deffeins & les démarches de fes voifins, par le moyen de fes ambaffadeurs, dans les cours étrangeres; & de ménager avec la plus grande prudence, les intérêts de l'Etat. dans fes traités & dans fes alliances.

i.

LIVRE VIII.

Des principales parties de la fouveraineté ; des contrats & traités publics & particuliers des puiffances fouveraines; des différentes manieres de ceffer d'étre membre d'un Etat, des divers changemens, & de la deftruction des fociétés civiles.

S. I.

Du pouvoir des fouverains de preferire des loix à leurs fujets.

'EST immédiatement du pouvoir légiflatif que les loix civiles émanent: on les appelle civiles ou par rapport à leur autorité, ou par rapport à leur origine. Relativement à leur autorité, parce qu'elles fervent de regle aux tribunaux d'un Etat. A caufe de leur origine, parce qu'ayant pour principe la volonté du fouverain, elles roulent fur des chofes qui fe rapportent au bien particulier de la fociété civile ou de l'Etat, quoique d'ailleurs indifférentes par le droit naturel & par le droit divin, dont elles font comme les fupplémens; & cela eft fi vrai que, dans tous les cas où l'on ne trouve point de décision du droit civil, on a recours aux principes de la raison naturelle, de maniere que le droit naturel supplée en tout & partout aux loix civiles.

Ce n'eft cependant point qu'en apparence, ces deux légiflations ne fe trouvent quelquefois indirectement opposées, c'eft-à-dire, que l'une ne paroiffe tolérer ce que l'autre profcrit; mais on ne fe méprendra point fur cette apparente contrariété, fi l'on diftingue entre ce que les loix civiles ordonnent, & ce qu'elles permettent fimplement, c'eft-à-dire, ce qu'elles ne défendent pas fous quelque peine car, rien n'empêche qu'une même chose ne soit défendue par le droit naturel & permife par le droit civil ; mais alors cette permiffion ne fait pas que l'action ceffe d'être contraire au droit naturel, ni qu'on la commette fane pécher contre Dieu, le fu

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prême légiflateur; toute la vertu de la permiffion fe réduit à affurer que le fouverain n'ufera point de fon autorité contre ceux qui voudront com mettre cette action qui, devant les tribunaux humains, fera traitée comme celles qui font permifes par le droit de nature.

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Il y a cette différence entre les loix & les ordres d'un fouverain, que les loix font générales & regardent tous les fujets, indiftin&tement obligés de s'y conformer; au lieu que les ordres ne s'adreffent qu'à tel ou tel particulier, & qu'ils font donnés par occasion, & non pour fervir de regle perpétuelle, quoique les uns & les autres impofent une égale obligation d'obéir indifpenfablement. A ce fujet, on demande fi un citoyen peche en exécutant des ordres injuftes de fon fouverain, après avoir hautement déclaré qu'il n'agir que comme fimple exécuteur, & qu'il le rend refponfable de ce qu'ils ont d'injufte? Bien des écrivains ont décidé que c'étoit pécher effentiellement, & que les fujets ne devoient obéir, qu'après avoir examiné les ordres du prince, felon les lumieres d'une confcience bien éclairée. Cette décision paroît tout au moins fort hafardée, fuppofé qu'elle ne foit pas trop téméraire; car enfin, il feroit très-dangereux pour l'Etat & pour les citoyens, fi à raifon d'un fcrupule fouvent minutieux propos d'un doute imprudemment formé fur la juftice des ordres du fouverain, on fe croyoit fuffisamment autorifé à défobéir. Dans le doute, le parti le plus fûr, eft auffi le meilleur pour la confcience; & il y a moins de rifque de pécher à obéir à des ordres de l'injuftice defquels on n'est pas pleinement perfuadé, qu'à manquer fur un fimple doute, aux obligations expreffes auxquelles on eft tenu envers fon fouverain. Ainfi, quand même l'ordre feroit injuste par lui-même, le plus fûr eft de l'exécuter 1o. comme simple inftrument, comme une action d'autrui, à laquelle ne veut avoir aucune part; 2° avec une répugnance marquée, c'est-à-dire après avoir fait tout fon poffible pour fe difpenfer d'un auffi trifte emploi, -3° que par le refus d'exécuter, on foit menacé d'une mort certaine, ou de quelqu'autre grand préjudice. Toutefois, il faut obferver qu'il eft des actions i fort abominables par elles-mêmes, que la mort eft préférable à deur exécution: ainfi, l'on doit perdre plutôt la vie, que d'obéir à un tyran, qui ordonneroit à un citoyen de tuer fon propre pere ou fa mere, ou fes enfans, de coucher avec sa mere ou avec fa fille, &c. De même, un homme menacé d'être mis à mort s'il n'en poignarde un autre, qu'il fait être innocent, doit fe laiffer tuer plutôt que de tuer, attendu qu'il n'eft pas permis par la loi naturelle de racheter fa vie par celle d'autrui, à moins que celui-ci ne foit un agreffeur injufte. En un mot, il n'eft jamais permis de commettre un crime pour obéir à fon fupérieur mais lorfque l'ordre du prince n'eft pas évidemment injufte, un fujet, & fur-tout un miniftre public, ne doit point fe hâter de le condamner, les actions du fouverain étant toujours préfumées dictées par la juftice.

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C'eft fans doute un crime dans un fouverain, d'entreprendre une guerre

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injufte: mais on demande fi, dans ce cas, un fujet peut, fans pécher,
porter les armes pour fon prince. Grotius a décidé que, comme on ne doit
jamais fe rendre le miniftre d'une action injufte, le parti le plus fûr qu'on
ait à prendre, eft celui de ne point s'enrôler. Cette décifion paroit trop
légérement donnée : il est très-difficile en effet aux fujets de favoir fi la
guerre que leur fouverain entreprend, eft jufte ou injufte; ce n'eft point
eux examiner cette queftion; d'ailleurs, les princes ne font jamais de
déclaration de guerre, qu'elle ne foit accompagnée d'un manifefte dans le
quel ils ne manquent point à démontrer que la juftice eft de leur côté.
comme la puiffance ennemie prouve auffi que fa caufe eft évidemment la
plus jufte. Pendant cette difcuffion qu'ont à faire les citoyens? Ils doivent
obéir & s'armer, fans s'informer d'autre chofe, & laiffer au fouverain le
foin de rendre compte à Dieu de fa conduite, 2002 up sa
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Tons 2bryship, sido tuo ovob be ming put smp 28,rasmalleinalta

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I.I.

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Du pouvoir des Jouverains fur la vie de leurs fujets, pour la défense

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de l'Etat.

Murin 1157 0' slummal moncie A D

E fujet de ce paragraphe et très-intéreffant, & il l'eft d'autant plus qu'il n'y a eu que trop de fouverains qui ont cruellement abufe du pouvoir que la fouveraineté leur donne d'expofer les citoyens aux dangers de la guerre. Ce pouvoir de vie & de mort n'eft qu'indirect, lorfqu'il s'agit de la défenfe de l'Etat, & direct lorfqu'il eft queftion de la punition des crimes. nel eevus pbar ita no vallo paur saflores

Dans le premier cas, ce n'eft pas directement la mort de fes fujets que le prince fe propofe, mais la défenfe du droit de l'Etat, & l'éloignement des ennemis. C'eft dans cette vue qu'il a le droit de lever des armées & de former les foldats aux exercices militaires;& ce droit emporte celui de faire obferver une difcipline exacte & rigoureufe, jufques même à punir de mort les moindres fautes, la moindre-négligence, le plus léger manquement, pouvant, en bien des circonftances, occafionner la perte d'une armée entiere. En quelques pays, cette févérité eft extrême en quelque's autres, elle l'eft moins it eft des nations, où les foldats font traités en efclaves, & ils n'en font pas meilleurs; it en eft d'autres où on les dirige par l'honneur, & ils forment d'excellens guérriers. Un homme avili & conduit par la crainte, perd indifpenfablement la plus forte partie de fon courage. Il eft des lieux où l'on note d'infamie ceux qui défertent les drapeaux fons lefquels ils fe font enrôlés, & il y a peu de déferteurs, parce que pour l'homme courageux, l'infamie eft le plus cruel des fupplices; il en eft d'autres où l'on punit de mort les déferteurs, & la défertionely devient une forte de maladie épidémique qui, en deux ou trois campagnes, affoiblit beaucoup plus une armée, que n'euffent pu le faire cinq à fix batailles.

C'est

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