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du; il n'eft pas douteux que la maniere de pofféder un royaume en pur patrimoine, confifte non feulement dans le droit de rendre la condition des fujets, telle que le roi veut; mais encore à transférer à qui il veut, le droit qu'il a fur eux, & par conféquent, à régler à fa fantaifie l'ordre de la fucceffion.

IL

S. VII.

Des différentes manieres d'acquérir la fouveraineté.

L n'y a qu'une maniere d'acquérir la fouveraineté dans les Etats populaires; & comme ceux qui commandent & ceux qui obéissent font toujours les mêmes perfonnes, on ne peut dire en aucun fens, que le peuple fe foit rendu fouverain de lui-même, par la voie de la force; d'où il résulte que quoique ces fortes de républiques s'agrandiffent fouvent par les conquêtes, la maniere d'acquérir la fouveraineté y eft pourtant toujours

uniforme.

Dans les aristocraties, les grands qui compofent le confeil fouverain, y entrent, & par-là, acquierent la fouveraineté, ou du libre confentement du peuple, ou de vive force, ou par voie d'élection, ou par le droit de la naiffance, ou par l'intrigue; ou enfin, par tout autre moyen, à la faveur duquel, ils font admis au fénat.

Dans les monarchies, la fouveraineté peut s'acquérir auffi de diverses manieres ou par la force en s'emparant de la couronne; ou par la conquête légitime, c'eft-à-dire, lorfqu'à la fuite d'une guerre jufte, le vainqueur fubjugue les vaincus, & que ceux-ci fe foumettent à lui par une convention. Mais on demande comment un ufurpateur peut acquérir, par la foumission forcée de ceux dont il s'eft rendu maître, un pouvoir légitime, & que fa confcience lui permette d'exercer? Pour répondre à cette queftion, il faut diftinguer; ou l'ufurpateur a changé un gouvernement démocratique, ou il a chaffé un légitime monarque. Dans le premier cas, le peuple pouvant être auffi heureux fous l'autorité royale, que dans un Etat démocratique, il est très-probable qu'il fe confolera de fa liberté, s'il eft bien gouverné & traité avec douceur; or, il fuffit que l'ufurpateur ait régné paisiblement pendant quelque temps, pour préfumer que le peuple approuve fa domination; & cela fuffit pour effacer le vice de la maniere dont il l'a acquife. Dans le second cas, l'ufurpateur eft obligé de rendre la couronne au fouverain qu'il en a dépouillé, tant que celui-ci ou fes héritiers exiftent, ou bien jufqu'à ce qu'ils aient évidemment renoncé à leurs prétentions; renonciation qui n'eft préfumée que lorsqu'il s'eft paffé un long efpace de temps, fans qu'ils aient fait aucun effort pour recouvrer le royaume. Mais pendant même la durée des prétentions de la famille royale dépouillée fur les fujets de l'ufurpateur, ceux-ci font indifpenfablement tenus de lui obéir, s'ils lui

ont promis l'obéiffance, après avoir fait en faveur du roi dépoffédé, tout ce qu'il pouvoit raisonnablement, exiger d'eux.

On propofe une autre queftion, favoir, comment & en quel temps un peuple eft dégagé de l'obéiffance qu'il devoit à fon roi, après s'être foultrait à fon autorité? Si ce peuple s'eft érigé en république, & qu'enfuite il ait traité en cette qualité, avec fon ancien monarque; dès-lors il eft libre de plein droit; & le fouverain eft cenfé avoir confenti qu'il reftât dégagé. Si le prince a été juftement dépouillé de fa couronne, dès-lors fes fujets recouvrent leur liberté de droit, & fans qu'il foit néceffaire que leur ancien maître les reconnoiffe indépendans.

La fouveraineté des princes s'acquiert ou par voie d'élection, ou par droit de fucceffion. Il y a deux fortes d'élections, l'une libre, & l'autre gênée à certains égards; l'élection eft libre lorsque le peuple eft le maître de choifir qui il veut pour gouverner elle eft génée, lorsqu'il eft aftreint à choisir le roi dans une certaine nation, ou dans une certaine famille, où bien qui ait certaines qualités particulieres. Pendant l'interregne, les régens du royaume ne font que des magiftrats à temps, qui exercent, au nom de tout le peuple, les actes de la fouveraineté, & qui font tenus de rendre compte de leur administration au peuple, à quoi le roi même les oblige quelquefois, au nom des peuples. Dans les royaumes héréditaires, lorfque le roi qui vient à mourir, laiffe la reine enceinte, on transfere quelques droits à l'enfant encore dans le fein de fa mere; c'est-à-dire, que comme, tant qu'il y a un fujet propre de la fouveraineté, on ne peut concevoir qu'il y ait d'interregne, cet enfant eft censé être le roi régnant. Toutefois, par l'incertitude où on eft fi l'enfant naîtra mort, ou en vie, fi ce fera un garçon ou une fille, &c. jufqu'à l'événement, le peuple, n'acquiert pas les droits qu'il auroit dans un interregne bien évident, & le royaume eft, en attendant, gouverné de la même maniere qu'il le feroit pendant la minorité du roi.

Dans les royaumes patrimoniaux, lorfque le roi a expreffément déclaré quel il veut que foit l'ordre de la fucceffion; fa volonté eft une loi qui doit être fuivie, de quelque maniere qu'il ait jugé à propos de partager l'Etat entre les enfans, fans en excepter les filles, ni les enfans naturels au défaut des légitimes, ou les enfans adoptifs, ou même entre toutes autres perfonnes, foit fes parentes, ou étrangeres.

A l'égard des royaumes établis par la volonté du peuple, fi ce dernier en fe choififfant un fouverain, lui a conferé le droit de nommer fon fucceffeur, le prince fera libre de laiffer la couronne à qui il voudra: fi le peuple a ftipulé que la fucceffion feroit héréditaire purement, la couronne demeure dans la postérité du dernier roi, fans pouvoir paffer jamais à fes parens en ligne collatérale, & moins encore aux enfans naturels ou bâtards: mais fi le peuple a modifié la fucceffion héréditaire, de maniere qu'au défaut d'enfans du roi, la couronne paffàt à fes plus proches; la fucceffion

eft

eft alors linéale; il en eft de deux fortes, la cognatique, & l'agnatique : fuivant la premiere, les femmes, quoique plus âgées que les mâles, ne fuccedent qu'au défaut de ceux-ci dans la même ligne; en forte que la fille du fils du dernier roi eft préférée au fils de la fille du même roi, & la fille d'un de fes freres, au fils d'une de fes fœurs. Dans la fucceffion agnatique, les femmes, & tous ceux qui en defcendent, quelque proches parens qu'ils foient du dernier roi, font exclus du droit de fuccéder, & ils en font exclus à perpétuité.

Par la fucceffion en ligne collatérale, chacun eft appellé à la couronne, felon qu'il eft plus proche parent non du dernier, mais du premier roi de la famille régnante. Mais lorsqu'il furvient des difputes entre deux ou plufieurs prétendans à la même couronne, c'eft au peuple qu'il appartient feul de décider non qu'il exerce en cela aucun pouvoir judiciaire, ou qu'il rende une fentence; mais parce qu'il ne fait que reconnoître celui qui a le meilleur droit. Et en effet, s'il ne s'agit que de favoir quel eft le plus proche parent du roi, c'eft une queftion de fait, fur laquelle il eft inconteftable que celui qui donnera les meilleures preuves doit être préferé; ou bien il s'agit de favoir lequel de deux degrés doit l'emporter fur l'autre, c'eft une queftion de droit qui appartient d'autant plus légitimement au peuple, qu'il eft préfumé favoir mieux que perfonne comment, lors de l'établiffement de la monarchie, il a prétendu régler l'ordre de la fucceffion; & là déclaration qu'il fait de fa volonté, ne tient en aucune maniere, de la nature d'une fentence juridique,

S. VIII

Des droits inviolables de la fouveraineté.

Le premier droit de la fouveraineté eft d'être facrée & inviolable; d'où

il fuit que c'est une rebellion criminelle de réfifter aux poffeffeurs de ce droit, lorfqu'ils n'excedent pas les bornes de leur pouvoir. Cependant c'eft une question de favoir fi lorsqu'un fouverain ordonne des chofes injuftes, ou qu'il fe fert de mauvais traitemens, il eft permis aux fujets de défobéir, de repouffer la force par la force ou s'ils font obligés de fouffrir patiemment les injures les plus énormes? Il ne s'agit point ici d'examiner fi les fujets ont en général, le droit de former des plaintes; car, il n'eft pas. douteux que fi les ordres du prince font évidemment injuftes, ils ont, fans contredit, le droit de fe plaindre. Mais à moins de cela, ils n'y font point autorifés, & ce n'eft point d'après leur fantaisie qu'il leur eft permis de murmurer; en effet, fi quelques-uns d'entr'eux trouvent le joug trop pefant, ou les impôts que les néceffités de l'Etat obligent d'impofer, trop inlupportable, ils font les maîtres de fe retirer ailleurs. Mais d'un autre côté, il n'eft que trop vrai que les fouverains peuvent commettre des injusTome XXVII,

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tices en diverses manieres, foit en violant, à l'égard des fujets, les devoirs de fouverain, foit en manquant aux devoirs de l'homme en général : en ne procurant point, l'avantage de l'Etat autant qu'il le pourroit; en ne refpectant point les loix fondamentales; en négligeant de défendre fon me contre les ennemis du dehors, ou en ne travaillant point à maintenir au dedans la tranquillité publique. L'injuftice la plus criante & la plus manifeste dans un prince, feroit de travailler directement contre fes sujets, à chercher à les perdre, & les traiter en ennemis déclarés; tel qu'étoit l'empereur Caligula qui défiroit que le peuple Romain n'eût qu'une feule tête, pour fe donner le plaifir de l'abattre d'un feul coup; comme homme, prince peut violer fes devoirs, en flétriffant l'honneur de l'un de fes fujets, fans qu'il l'ait mérité; en refufant à un autre la récompenfe qu'il lui a promife; en négligeant de réparer le dommage qu'il a caufé à un parti→ culier; en débauchant les filles & les femmes; en faisant périr des innocens, en fubornant des calomniateurs, en obligeant par la force des menaces ou la féduction des promeffes, des juges à prononcer injustement des fentences de mort, ou flétriffantes, ou ruineufes.

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Eft-il cependant permis à un fujet exceffivement maltraité par fon fouverain qui lui fait les plus énormes injuftices, de lui réfifter? Le fujet maltraité doit tenter tous les moyens poffibles pour le mettre à couvert par lá fuite, des mauvais traitemens dont il eft injustement menacé. Mais, ditfi toute espérance de fuite lui eft ôtée, quel parti lui refte-t-il à prendre? Quelques-uns foutiennent que dans cette circonftance critique, & qu'on n'eut point dû fuppofer, le prince lui-même dégage par fa violence, le fujet de l'obligation où il étoit envers lui; de maniere que ce particulier peut alors recourir à la force, pour fe mettre à couvert de l'injure atroce dont il eft menacé par celui qui devoit au contraire le protéger. Toutefois comme il n'eft guere poffible de trouver de femblables exemples, on peut fe difpenfer de décider une telle question.

Des gens audacieux, une fociété perfidement ambitieufe, & juftement abolie; d'autres fociétés, à cet égard, non moins répréhenfibles, ont ofé avancer & foutenir que les fujets font en droit de fe foulever contre leur fouverain, du moment qu'il paffe parmi eux pour tyran, cette propofition eft affreufe, & elle a été fuivie des plus déteftables conféquences on ne fait que trop jufques à quel degré de licence & d'impiété le fanatifme, étayé par ce faux & meurtrier principe, a porté fes fureurs, dans des temps orageux. Les auteurs & les défenfeurs de cette abominable propofition ont également affecté de méconnoître la nature de la fouveraineté, & les de voirs de la fujétion.

Au refte, les droits de la fouveraineté ne font vraiment inviolables qu'autant que les princes font réellement fouverains; car il en eft qui portant le titre de roi, dépendent néanmoins du peuple, tels qu'étoient autrefois les rois de Lacédémone; tels que font encore les fouverains qui fe

font démis de leur pouvoir, ou qui ont abandonné manifeftement le royaume; ou auxquels les fujets ne font foumis qu'à condition que s'ils viennent à entreprendre certaines chofes, on fera dès-lors dégagé de la fidélité; car s'ils violent la convention, ils font par cela même cenfès avoir volontairement donné au peuple le plein droit de leur résister.

A l'égard des ufurpateurs, dont les fujets, par leur confentement exprès, n'ont point légitimé le titre; on n'eft tenu de fe foumettre à eux extérieurement, que par la loi de la néceffité; mais comme la force ne lie point la confcience, on ne fe rend point coupable de rébellion, fi on refuse de leur obéir, ou même, fi l'on tente à la premiere occafion de fecouer le joug. Toutefois s'ils regnent avec douceur & équité; le parti le plus fage eft malgré le vice de leur poffeffion, de les tenir pour princes légitimes, tant qu'il n'y en a point d'autres qui puiffent à plus jufte titre prétendre au gouvernement. Mais tant que le fouverain légitime eft en vie; s'il fe trouve réduit à un tel état, qu'il lui foit impoffible de défendre ses sujets, & que ceux-ci n'ayent point des forces fuffifantes pour réfifter à l'ufurpateur, il faut préfumer que le fouverain dépoffédé dégage ses sujets autant qu'il eft néceffaire pour leur propre confervation, jufqu'à ce qu'il retrouve une occafion. favorable de remonter fur le trône, Alors le ferment de fidélité qu'ils prêtent, par néceffité à l'ufurpateur, ne s'étend que jufqu'au temps, où le prince dépouillé fe fera remis en poffeffion de la couronne, Toutefois, il n'eft guere de caş, où un fimple particulier puiffe, de fa propre autorité, s'oppofer légitimement, à un ufurpateur, quelque injufte que foir la poffeffion de ce dernier. La réfiftance alors ne fert qu'à irriter l'ufurpas teur, & à appefantir le joug fur tous les citoyens.

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IL n'étoit guere poffible de parler des droits de la fouveraineté, fans in

diquer du moins quelques-uns des devoirs du fouverain; matiere d'autant plus importante, que c'eft fur-tout de l'exactitude des princes à remplir ces obligations, que dépend la tranquillité de leurs peuples. Pour les connoitre ces devoirs, il fuffit de confidérer avec un peu d'attention ce que demande la nature & le but des fociétés civiles, & l'exercice des diverfes parties de la fouveraineté : le foin que l'on a pris de traiter dans cette analyfe, avec quelque étendue, ces deux fujets intéreffans, fait qu'ici l'on fe contentera de parcourir, fans s'y arrêter, les principaux de ces devoirs. Ie premier impofe aux princes l'obligation de s'inftruire exactement de tout ce qui eft néceffaire, pour avoir une connoiffance diftincte de leurs engagemens. Cette connoiffance épineuse exige une étude affidue des maximes générales de la fcience du gouvernement, précédée de celle de la confti

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