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étroitement par quelque lien particulier; de maniere qu'ils femblent ne faire qu'un feul corps, quoique chacun conserve la fouveraineté pleine & entiere, indépendamment des autres.

Ces Etats compofés font de deux fortes; la premiere, lorfque plusieurs gouvernemens diftincts & séparés, n'ont qu'un feul & même roi: la feconde, lorfque deux ou plufieurs Etats confédérés ne forment ensemble qu'un feul corps. Diverfes caufes peuvent produire ceux de la premiere efpece; entr'autres le mariage, & le droit de fucceffion, lorfqu'une princeffe, héritiere d'un royaume où les femmes fuccedent à la couronne, épouse un roi étranger, les enfans qui proviendront de ce mariage, réuniront les deux royaumes; ou bien, lorfqu'un peuple fe choifit pour monarque, un prince maître déjà ou héritier d'un autre royaume; la même chofe arrive lorfque deux peuples qui d'ailleurs, n'ont rien de commun, fe choififfant le même roi, fans ceffer pour cela de former deux Etats diftincts, & fans que leurs affaires foient gouvernées en commun, par une affemblée générale enfin, il fe forme un Etat compofé, lorfqu'un roi conquiert un autre Etat en fon nom, à fes dépens & à fes rifques.

Dans toutes ces hypothefes, l'union des Etats compofés n'étant fondée que fur la perfonne du monarque commun, ou tout, au plus fur la famille royale, ce corps politique eft détruit auffitôt que cette famille vient à s'éteindre; en forte que chaque peuple rentre dans le droit ou de fe choifir un nouveau roi, ou d'introduire telle autre forme de gouvernement qu'il jugera la plus convenable; à moins que les loix conftitutives de l'un des deux Etats n'ayent prévu ce cas & réglé l'ordre de fucceffion au pouvoir fouverain à moins encore que l'union de plufieurs Etats formée à l'occaLion de quelque mariage, n'ait été depuis confirmée par une confédération de ces divers peuples, ou rendue perpétuelle par une ordonnance du roi commun, approuvée de tous en général, & de chacun en particulier : alors ce fera cette ordonnance qui fervira à perpétuité, de loi fondamentale,

Quant à la feconde forte d'Etats compofés, c'est-à-dire, de ceux qui se forment par la confédération de plufieurs Etats, dans la vue particuliere de chacun de ces corps, de fe maintenir dans la liberté de fe gouverner par fes propres loix, & de fe procurer des forces fuffifantes pour repouffer des ennemis communs, c'eft le traité, où l'union a été fucceffive, ce font les divers traités de confédération qui reglent leur maniere de fe gouverner, foit en commun, foit chacun en particulier, & qui décident, par avance, fur tous les cas qui pourront furvenir. Mais toujours, dans de telles confédérations, on ne s'affujettit à exercer en commun que certaines parties de la fouveraineté, celles, qui concernent le bien & le falut de tout le corps, & qui font réglées par une affemblée générale; par exemple, lorfqu'il s'agit d'une guerre, foit défenfive, foit offenfive, ou bien, lorsqu'il eft question de conclure le traité de paix qui doit terminer une guerre ou encore, lorfqu'il

furvient un différend entre deux Etats de ce corps; différend qui oblige les autres Etats défintéreffés à interposer leur médiation & à empêcher, qu'on ne recoure à la voie des armes.

C'eft dans des affemblées réglées pour le lieu & le temps, & compofées d'un certain nombre de députés, miniftres, ou repréfentans de chaque Etat, ou bien, par des affemblées plus générales, fuivant qu'il a été réglé par le traité de confédération, que les affaires le décident, foit à la pluralité des voix, foit fuivant la part plus ou moins confidérable que l'un des corps unis a à l'affaire qui eft agitée, ou enfin, comme il a été statué par le traité d'union, que l'on décide & délibere fur les affaires publiques. Les Etats compofés peuvent être diffous de différentes manieres: lorfque quelques-uns des confédérés fe féparent du corps, pour fe gouverner en particulier; par les guerres inteftines, qui rompent les liens de l'union, lorfque la paix ne la rétablit pas. Mais lorsque l'ennemi commun s'empare de quelqu'un des Etats unis, cette conquête ne lui donne aucune forte de droit fur les autres; dans la confédération defquels il ne peut s'introduire à la place de l'Etat qu'il a fubjugué, à moins qu'il ne soit volontairement agréé par le refte des corps confédérés. Enfin, un Etat compofé, n'eft plus qu'un Etat fimple, du moment que tous les corps confédérés fe font foumis à l'autorité fouveraine d'une feule perfonne, ou d'une feule affemblée; il devient Etat fimple auffi, lorsque l'un de ces Etats, par la fupériorité qu'il a acquife fur les autres, les réduit en forme de province, ou de quelque maniere qu'il s'en rende maître, par la perfuafion, l'intrigue, la cabale, ou les armes.

A l'égard de l'inutile question fi fouvent propofée, favoir, quelle eft la meilleure forme de gouvernement? Elle eft entiérement infoluble; le meilleur doit être pour chacun, celui où il vit: du refte, ils ont tous leurs défauts, leurs inconvéniens; celui qui en a le moins, eft fans contredit celui auffi qui mérite la préférence mais quel eft-il?

Non noftrum eft tantas componere lites.

S. VI.

Des caracteres propres & des modifications de la fouveraineté..

DIVERSES qualités, différens droits plus ou moins étendus caractérisent

& modifient de diverfes manieres, la fouveraineté. En général, le premier caractere du pouvoir qui gouverne, eft d'être fouverain; expreffion par laquelle on entend la plus grande autorité qu'un homme puiffe avoir fur fes femblables. L'indépendance totale eft le fecond caractere de ce pouvoir; c'est-à-dire, que celui qui en eft revêtu, n'eft tenu de rendre compte à perfonne ici-bas, de fa conduite, ni fujet à aucune peine de la part des

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hommes & cette indépendance eft d'autant plus effentielle, que le fouverain qui feroit comptable de fa conduite à quelqu'un, reconnoîtroit un fupérieur, & cefferoit par cela même d'être fouverain. Mais ce droit n'empêche point qu'un fouverain fage, éclairé, vraiment fenfible à l'honneur, n'aime à rendre de fa conduite volontairement raifon à tout le monde, foit afin d'avoir l'approbation de fes fujets, foit afin de leur faire connoître qu'il agit & gouverne avec intégrité. Le troifieme caractere de la puiffance fouveraine eft d'être libre de toute loi humaine, c'est-à-dire, au deffus de ces fortes de loix: ne reftant affujettie qu'aux loix divines naturelles & révélées. En effet, les loix humaines n'étant que des ordonnances du fouverain, prefcrites aux fujets pour le bien de l'Etat, & ces loix dépendant, foit dans leur origine, foit dans leur durée, de la volonté du législateur, il est évident qu'elles ne l'obligent point directement.

Quelques écrivains diftinguant la puiffance réelle de la puiffance perfonnelle, ont dit que celle-ci étoit effentiellement attachée au roi, mais que l'autre réfidoit dans le peuple, par oppofition au roi, & qu'elles fubfiftoient en même temps. Cette diftinction abfurde en elle-même, sera fort dangereuse toutes les fois qu'on tentera de l'appliquer aux monarchies : elle ne peut convenir qu'à des gouvernemens irréguliers. Car d'ailleurs, il y a une contradiction manifefte à fuppofer deux fupérieurs à la fois, & qui ont néceffairement des intérêts directement oppofés, dans le même Etat. La fouveraineté affranchit de l'obéiffance; & quel peuple revêtu de la puiffance réelle, voudroit obéir au poffeffeur de la puiffance personnelle? Quelle force, quel titre aura alors le fouverain de faire exécuter fes loix par le peuple, fouverain auffi & fon égal? Il eft plus fage & plus vrai de dire, que dès-là que le peuple a confenti, lors de la formation de la monarchie, à fe conformer à la volonté du fouverain, à le reconnoître pour fupérieur, & qu'il lui a donné le droit abfolu de commander; le roi, par cela feul qu'il eft revêtu du pouvoir fouverain, eft au deffus du peuple.

Toutefois, il eft effentiel d'observer que quoiqu'en général les fouverains foient indépendans de tout fupérieur ici-bas, il y a néanmoins entr'eux quelque différence dans la maniere dont ils exercent leur pouvoir; & cette différence vient originairement de la diverfité des conventions faites entre les peuples & ceux auxquels ils ont remis le pouvoir fouverain, c'est-à-dire des difpofitions des loix fondamentales propres à chaque Etat: car, dans quelques-uns, le prince gouverne comme il le juge à propos; & dans quelques-autres il eft tenu de fuivre certaines regles; & c'eft par cette différente maniere de gouverner, que l'on diftingue le pouvoir abfolu du pouvoir limité. On confond mal à propos le pouvoir abfolu avec la puiffance arbitraire & defpotique, dans une impunité de tous crimes, & dans une licence fans bornes; le mot d'abfolu, dans fa fignification propre, n'emporte rien de femblable. Dans l'état de nature, la liberté abfolue de

chaque homme confifte à régler comme il l'entend fes propres affaires, & fes actions, fans confulter perfonne; mais cependant fans préjudice des loix naturelles auxquelles chacun eft obligé de fe conformer. De même, lorfque plufieurs fe font réunis pour former un Etat civil parfait; ce corps a néceffairement confervé la même liberté relativement aux chofes qui concernent le bien public; & cette liberté a été accompagnée d'un pouvoir fouverain, c'est-à-dire, du droit de preferire aux citoyens ces fortes de chofes, & de contraindre ceux qui refuferoient d'obéir. Par cette obfervation, on voit que, par lui-même, le pouvoir abfolu ne renferme, ou ne comporte rien d'injufte ni d'infupportable.

Au refte, ce pouvoir abfolu ne paroît pas de la même maniere dans les différentes formes de gouvernement; il paroît peu dans les Etats populaires, où l'affemblée fouveraine étant compofée de tous les citoyens, aucun d'eux n'ayant hors delà acquis aucun droit par les délibérations qui y ont été prises, le même peuple peut les changer ou les révoquer toutes les fois qu'il le juge à propos. Il n'en eft pas de même dans les aristocraties, & les monarchies, où ceux qui commandent étant très-diftincts de ceux qui obéiffent, on voit fort aisément la différence du pouvoir absolu & du pouvoir limité.

Tout ce qu'il eft poffible de dire à ce fujet, fans s'engager dans une trop longue difcuffion, eft, que comme une feule perfonne peut fe tromper facilement dans les chofes relatives au bien public, & que beaucoup de fouverains pourroient d'ailleurs être emporté trop loin par leurs paffions, plufieurs peuples, & les plus judicieux d'entr'eux, ont jugé à propos de mettre des bornes au pouvoir de leurs rois, & de leur prefcrire la maniere de gouverner, relativement au génie de chaque nation, & à la conftitution de chaque Etat.

Les promeffes particulieres des rois, ou des fénateurs dans un confeil fouverain, ne limitent pas néceffairement leur autorité, qui n'est bornée dans un roi que lorfqu'à fon avénement à la couronne, il s'engage à bien gouverner, ou par une promeffe générale, expreffe ou tacite; ou bien par une promeffe particuliere, qu'il confirme ordinairement en prêtant ferment. La promeffe générale tacite, eft celle qui eft cenfée fe faire par cela feul que le roi monte fur le trône mais elle eft plus formelle lorfqu'elle eft accompagnée de quelques cérémonies & du ferment. Quelquefois elle renferme une énumération générale des devoirs du roi, & quelquefois une defcription circonftanciée des principales obligations qu'il entend contracter. La promeffe particuliere faite à l'avénement, à la couronne, & pour l'ordinaire confirmée par le ferment, eft celle qui renferme un engagement particulier de gouverner felon certaines regles prefcrites, c'eft-àdire, conformément aux loix fondamentales de l'Etat. Il eft des pays où cette promeffe lie feulement la confcience du prince; il en eft d'autres où elle est une condition néceffaire, au défaut de laquelle, les fujets font

dégagés de leur obéiffance: il en eft d'autres enfin, où les loix fondamentales renferment une claufe commiffoire, par laquelle le roi eft déchu de la couronne, s'il peche contre ces loix. Il eft conftant qu'aucun monarque, véritablement absolu, c'est-à-dire, exactement au deffus de toutes les loix humaines, ne reçoit la couronne fous claufe expreffément commiffoire; mais rien n'empêche que dans une monarchie limitée, le prince, n'ait malgré cette condition, une autorité vraiment royale. Il ne réfulte même pas de cette claufe commiffoire, que le peuple devienne le juge de fon roi, car, ces loix fondamentales roulent fur des chofes fi fenfibles, qu'elles ne font fujettes à aucune conteftation; d'ailleurs, la décifion des fujets n'eft point du tout un jugement par lequel ils prononcent fur les actions du prince; mais une fimple déclaration par laquelle ils proteftent de la violation d'un droit manifefte; or cette forte de proteftation n'eft point interdite à un inférieur vis-à-vis de fon fupérieur.

Les affaires de l'Etat en général, font de deux fortes; les unes telles qu'on peut les régler par avance, parce qu'elles font toujours de même nature; les autres que l'on ne peut régler que quand elles furviennent, parce qu'elles font accompagnées de circonftances que l'on n'a pu prévoir. Les loix perpétuelles ou fondamentales d'une monarchie limitée, reglent les premieres, de maniere que le roi eft obligé de fe conformer à ces loix, & pour les autres, les mêmes loix perpétuelles lui impofent l'obligation de confulter l'affemblée du peuple, ou les grands de l'Etat; & ces affemblées diversement formées, fuivant qu'il a été réglé lors de la formation des diverfes monarchies limitées, n'ont pas auffi par-tout la même étendue de pouvoir. Toutefois, ces affemblées même, ne rendent pas la puiffance du roi moins abfolue, & elle n'eft véritablement limitée, que quand le peuple a expreffément ftipulé en le couronnant, que s'il faifoit quelque chofe de fon chef, & fans le confentement des Etats du royaume, concernant telles ou telles autres affaires, fes ordonnances feroient nulles. En ce cas même, il doit toujours avoir le pouvoir de convoquer l'affemblée, & celui de la diffoudre, après y avoir propofé ce qu'il juge à propos; car autrement, ce ne feroit pas être roi, mais fimplement le chef d'un Etat fort irrégulier.

La fouveraineté, par elle-même, eft & doit être perpétuelle; & il ne peut y avoir des fouverains à temps; car alors, ceux qui font revêtus du pouvoir n'exercent la fouveraineté qu'au nom d'autrui; tels qu'étoient à Rome les dictateurs, au nom de la patrie, & qui n'étoient que des magiftrats extraordinaires, & à temps; tels font encore les régens, qui n'exer cent l'autorité fouveraine qu'au nom du roi mineur, ou captif, ou tombé en démence.

Les royaumes patrimoniaux font ceux qui ont été donnés aux princes, avec plein pouvoir de les aliéner, comme bon leur fembleroit; bien entendu que les donateurs euffent le droit de transférer un pouvoir auffi éren

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