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riode de richeffes & de puiffance; parce que l'emploi de toutes fes terres & de toutes fes richeffes y fera déterminé felon l'ordre & la loi de la nature, vers le plus grand profit poffible, par la combinaison que les propriétaires feront de la qualité de leur fol, de la confommation & du prix des denrées, & de la facilité des débouchés. Les temps d'ignorance & de yanité, où les hommes fe flattoient d'établir un ordre plus avantageux à la fociété que l'ordre naturel établi par la providence, font paffés; la nation commence à voir & à réclamer fes intérêts, & le gouvernement qui feconde fes efforts, eft trop éclairé pour déranger par des Privileges exclufifs, l'ordre naturel qui affure la compenfation de l'emploi des terres pour le plus grand avantage de tous. L'adminiftration fourde à la voix du monopole ne peut, ne veut, & ne doit envifager que le bien général. De quelque évidence que les principes qui tendent au maintien de la propriété paroiffent aujourd'hui, il ne faut cependant pas être furpris qu'on s'en foit écarté fréquemment du paffé. Si l'on fait réflexion que dans ces temps, les vrais principes du commerce & l'étendue des droits de la propriété étoient enveloppés de ténebres, que l'efprit humain ne s'étoit point encore affez attaché à éclaircir; fi l'on obferve qu'il n'exiftoit prefque point de livres, & fur-tout de bons livres économiques, on verra que le zele de l'adminiftration, étoit privé par conféquent du fecours des lumieres, que la quantité & la liberté des difcuffions intéreffantes à la patrie entraînent toujours à leur fuite, & qu'il devoit donc être indifpenfablement fujet à s'égarer fouvent, & à fe laiffer féduire par les prétextes du monopole, mafqué de l'amour du bien public. C'eft un malheur qui fera commun à tous les pays où les études économiques ne feront pas non-feulement libres, mais. encouragées.

Notre fiecle doit s'applaudir de ce que la lumiere, qui fe répand de jour en jour fur les vérités économiques, rend les particuliers moins hardis à demander, & les miniftres moins faciles à accorder des Privileges exclufifs. Autrefois c'étoit la chofe du monde la plus aifée à obtenir, il n'y a aucune branche d'induftrie qui n'en ait été grévée; & de nos erreurs paffées fur ce fujer, il nous refte les communautés d'artifans & les corps de métiers qui fubfiftent, & que nous voyons encore tels, qu'après un torrent impétueux, on découvre les ravins qu'il a laiffés fur fon paffage. Mais aujourd'hui les hommes fages, fur qui roule le foin de l'administration, favent tous qu'ils peuvent répondre à ceux qui follicitent des Privileges exclufifs ou votre entreprise eft utile, ou elle ne l'eft pas. Si elle n'est pas utile, il ne vous, faut point de Privilege exclufif: fi elle eft utile, il faut fe garder de vous donner un Privilege exclufif car pourquoi empêcher un autre de faire comme vous une entreprise ou un établissement utile? Nous n'en faurions trop avoir. D'ailleurs, ou vous avez porté votre entreprife au plus haut degré de perfection & d'économie, ou vous ne l'avez pas fait. Si vous l'avez portée au plus haut degré de perfection & d'éconoTome XXVII.

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mie, il ne vous faut point de privilege exclufif; car ceux qui pourroient venir après vous, feront long-temps à acquérir le degré de perfection où vous êtes parvenu, & quand ils y arriveroient, vous aurez toujours & tout naturellement la préférence fur eux, comme inventeur, & comme le premier établi & le premier lié de correfpondance avec les acheteurs. Si vous n'avez pas porté votre entreprise au plus haut degré de perfection & d'économie, il faut bien fe garder de vous donner un Privilege exclufif. De quel droit empêcheroit-on un citoyen plus habile & plus intelligent que vous, de perfectionner votre invention, que vous donnez pour utile, & de l'exécuter d'une maniere moins difpendieufe, & par conféquent plus profitable au public? Mais, répliquent les demandeurs de Privileges, un autre profitera de mes découvertes, & devenu fage à mes dépens, il pourra faire la même chofe à moins de frais, & par conféquent la donner à meilleur marché, & moi inventeur je refterai fans débit. Tant mieux encore une fois, répond le miniftre, fi un autre trouve le moyen de faire la même chofe à moins de frais que vous, il fera donc auffi un peu inventeur dans fa partie, & fon exemple vous inftruira, & vous vous ingénierez; & comme vraisemblablement vous ne manquez pas d'intelligence dans le métier que vous voulez faire, car autrement vous n'oferiez fans doute folliciter un Privilege exclufif, comme vous ne manquez pas d'intelligence, vous parviendrez à travailler à auffi peu de frais que le nouveau venu, peut-être le furpafferez-vous; mais toujours le public profitera de votre économie & de votre concurrence. Mais, reprend le folliciteur, j'ai fait de fauffes dépenses & des effais coûteux avant de réuffir, n'eft-il pas jufte que, fur le produit de mon travail, je retire de quoi me dédommager, non-feulement de ce qu'il me coûte habituellement, mais de ce que m'a coûté antérieurement le talent qui me rend capable de le faire? J'entends, dit le miniftre, vous voulez faire payer votre apprentiffage au public en cela vous êtes plus exigeant que vos confreres les artifans; car ils font apprentiffage à leurs frais, & feulement pour fe mettre enfuite à portée de débiter leur travail au prix que la concurrence regle entr'eux. Mais fuppofé que votre demande fût légitime, il feroit toujours bon de favoir s'il y a quelque proportion entre les dépenses de votre apprentiffage & le dédommagement que vous demandez, & encore s'il y a quelque proportion entre le dédommagement que vous voulez recevoir, & le tort qu'il caufera au public. Or quant au premier point, c'eft ce que ni vous ni moi ne favons; car nous ne pouvons évaluer quel profit vous reviendra du Privilege exclufif que vous demandez; & cependant avant de favorifer un homme aux dépens de fes concitoyens, il eft indifpenfable de favoir à quoi fe monte la faveur qu'on lui accorde. Henri-le-Grand y fut trompé; il croyoit avoir accordé au comte de Soiffons une gratification de 30,000 livres, tandis qu'elle fe montoit à trois cents mille écus, & le fage Sully, après avoir compté, fe vit obligé d'arrêter les effets de la bienfaifance de fon maître; mais encore Sully pou

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35 voit-il compter, & ici nous ne le pouvons pas. Pour ce qui eft du fecond point, nous le pouvons encore moins; mais fans compter, nous voyons. très-bien qu'il n'y a nulle proportion entre l'avantage que vous pouvez retirer en furvendant le travail de votre manufacture, & le dommage qui réfultera pour la fociété, en étouffant l'induftrie de tous ceux qui auroient pu courir la même carriere que vous, qui l'auroient fait mieux que vous, & qui vous auroient contraint de mieux faire vous-même, qui auroient multiplié les chofes utiles auxquelles votre entreprise eft confacrée, qui en auroient rendu la jouiffance plus facile & moins coûteufe à leurs concitoyens, & qui par conféquent auroient laiffé dans la fociété plus de richeffes employables à la confommation dire&te des productions de la terre, d'où feroit réfulté un plus grand revenu difponible pour tous les propriétaires du produit net de la culture, pour les poffeffeurs des terres, pour le fouverain, pour les décimateurs. Non, mon ami, vous n'aurez point de Privilege exclufif.

Quoi, diront quelques lecteurs, un homme qui a fait une invention utile, ne doit-il en retirer aucun profit extraordinaire? Ne faut-il pas que les citoyens aient pour imaginer des chofes nouvelles, & pour se livrer à des entreprises coûteufes, la perspective d'un avantage affuré résultant de leur travail même ? Ces avantages n'excitent-ils pas l'émulation de ceux qui afpirent à en avoir de pareils? Faut-il laiffer l'induftrie fans encouragement?

Nous avouons que nous voudrions bien voir un traité de la maniere d'exciter l'émulation & d'encourager l'induftrie par des Privileges exclufifs. Ce feroit un curieux ouvrage. Les Privileges exclufifs défendent, à qui que ce foit, d'avoir de l'émulation & de l'induftrie dans tel genre, qui a été choifi par un tel, lequel a fouvent très-peu d'induftrie, & qui étant tout feul ne fauroit avoir d'émulation, mais qui par conceffion, ou par achat eft porteur de tel Privilege. Et l'on regarderoit ces Privileges comme propres à exciter l'émulation & l'induftrie! Il faut fans doute récompenfer les talens & les services utiles à la patrie; les bons & grands princes, & les miniftres habiles n'y ont jamais manqué; mais ils favent bien, que fi l'homme à récompenfer eft pauvre, une penfion le récompenfera tout auffi bien qu'un Privilege, & coûtera beaucoup moins au fifc, attendu que le Privilege, qui ne rapporteroit à fon porteur que la valeur de la penfion, détruiroit une fomme dix fois plus forte dans les richeffes renaiffantes, & dans le produit ner de la culture dont l'impôt a une grande part. Quant aux citoyens qui font riches, les fages adminiftrateurs d'Etat fe garderoient bien de leur avilir le cœur par des récompenfes pécuniaires. Une marque de diftinction, un éloge, l'honneur d'être confultés par le gouvernement dans la partie fur laquelle il fe font diftingués, les lauriers académiques, le cordon de quelque ordre, voilà les récompenfes qui font belles à donner & à recevoir.

Νους

PRIX, f. m.

définiffons le Prix, une quantité morale ou mefure commune à la faveur de laquelle on peut comparer ensemble, & réduire à une jufte égalité, non-feulement les chofes extérieures, mais encore les actions qui entrent en commerce, & que l'on ne veut pas faire gratuitement pour

autrui.

La propriété des biens établie, les hommes n'auroient pourvu qu'imparfaitement à leurs befoins, s'ils n'avoient pas établi entr'eux le commerce. au moyen duquel par des échanges réciproques, ils puffent fe procurer ce dont ils manquoient, en donnant en retour des chofes dont ils pouvoient fe paffer.

Afin que le commerce pût fe faire à l'avantage commun des parties il étoit néceffaire que l'on y obfervât l'égalité; en forte que chacun reçût autant qu'il donnoit lui-même. Mais comme les chofes qui entrent en commerce font pour l'ordinaire de différente nature & de différent ufage, il étoit abfolument néceffaire d'attacher aux chofes une certaine idée ou qualité, au moyen de laquelle on pût les comparer enfemble, & les réduire à une jufte égalité. C'eft là l'origine du Prix des choses.

Le Prix n'eft donc autre chofe, qu'une certaine qualité ou quantité morale, une certaine valeur, que l'on attribue aux chofes & aux actions qui entrent en commerce, & au moyen de laquelle on peut les comparer enfemble, & juger fi elles font égales ou inégales. L'on dit que le Prix eft une qualité morale, parce qu'elle eft d'inftitution humaine, & que l'on l'on y confidere moins quelle eft la conftitution phyfique & naturelle des chofes, que le rapport qu'elles ont à notre avantage, ou à nos plaifirs, & qu'ainfi elle fert de regle aux mœurs.

Ce n'eft pas cependant que la quantité phyfique n'entre dans l'eftimation des chofes qui fe trouvent de même nature & de même bonté; car tout le refte d'ailleurs égal, un gros diamant, par exemple, vaut beaucoup plus qu'un petit. Mais on n'a pas toujours égard à cela dans l'eftimation des chofes de différente efpece & de différente qualité; ainfi une groffe maffe de plomb ne vaut pas plus qu'une petite piece d'or.

On peut d'abord diftinguer le Prix en Prix propre & intrinfeque, & en Prix virtuel ou éminent. Le premier c'eft celui que l'on conçoit comme inhérent aux chofes mêmes, ou aux actions qui entrent en commerce, felon qu'elles font plus ou moins capables de fervir à nos befoins, à nos commodités, ou à nos plaifirs. Le Prix virtuel ou éminent eft celui qui eft attaché à la monnoie, en tant qu'elle renferme virtuellement la valeur de toutes fortes de chofes, ou d'actions, & qu'elle fert comme de regle ou de

mefure commune pour comparer & ajufter ensemble la variété infinie de dégrés d'eftimation dont elles font fufceptibles.

Il n'y a que les chofes & les actions qui entrent en commerce, qui foient fufceptibles de Prix, & qui en puiffent être l'objet. Ainfi la haute région de l'air, le ciel, les corps céleftes, & le vafte Océan n'étant point fufceptibles de propriété, & ne pouvant entrer en commerce, ne fauroient être mis à Prix.

Il y a aufli des actions qui doivent être faites fans intérêt, & dont les loix divines & humaines défendent de trafiquer. Telle eft l'administration des chofes faintes, ou de la juftice, la collation des bénéfices & des emplois eccléfiafliques. Il eft donc défendu à un juge de vendre la justice. C'eft un crime de fimonie, lorfqu'un miniftre de la religion vend les chofes facrées, par exemple, l'adminiftration des facremens; ou qu'il ne veut exercer les fonctions particulieres de fa charge qu'en faveur de ceux qui ont de quoi le payer; comme auffi lorfque l'on confere des emplois eccléfiaftiques, non au plus digne, mais pour de l'argent.

Mais il faut bien remarquer ici, que les juges ou les miniftres de la religion, qui reçoivent quelque falaire pour la peine qu'ils prennent & le temps qu'ils donnent aux fonctions de leur emploi, ne font rien en cela d'illegitime. His, non rei pretium, fed operæ, folvitur, quod deferviunt, quod à rebus fuis advocati, nobis vacant, mercedem non meriti, fed occupationis fuæ, ferunt, Seneca de benef. l. vj. c. 25.

Les fondemens du Prix propre & intrinfeque font premiérement l'aptitude qu'ont les chofes à fervir aux befoins, aux commodités, ou aux plaifirs de la vie, en un mot leur utilité, & enfuite leur rareté. Je dis premiérement leur utilité. Par où j'entends non-feulement une utilité réelle, & fondée dans la nature même, mais encore celle qui n'eft qu'arbitraire & de fantaisie, comme celle des pierres précieuses. Et delà vient que dans le langage ordinaire, ce qui n'eft d'aucune utilité, eft dit de nul Prix.

Mais l'utilité feule, quelle qu'elle foit, ne fuffit pas pour que les chofes ayent un Prix; il faut de plus que cette utilité foit accompagnée de quelque rareté; c'eft-à-dire, que les chofes foient de telle nature, que chacun ne puiffe pas s'en procurer aifément autant qu'il en veur. En effet, les chofes les plus utiles & même les plus néceffaires, mais qui font d'une fi grande abondance que l'ufage en eft inépuisable, ne font point mises à Prix, comme on le voit par l'exemple de l'eau commune. Cependant la rareté feule, quelque grande qu'elle foit, n'eft pas non plus fuffifante pour donner un Prix aux chofes, fi d'ailleurs elles n'étoient d'aucun ufage.

Comme ce font là les vrais fondemens du Prix des chofes, ce font auffi ces mêmes circonftances, combinées différemment, qui l'augmentent ou le diminuent. Si la mode d'une chofe paffe, ou que peu de gens en faffent cas, dès-lors elle devient à bon marché, quelque chere qu'elle ait été auparavant. Qu'une chofe commune au contraire, & qui ne coûte que peu

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