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prétexte qu'il n'a pas reçu la dot ftipulée; attendu qu'en confommant le mariage, il eft cenfé avoir renoncé tacitement à la condition.

Le mariage eft un obftacle infurmontable à un mariage fuivant, & toute femme qui, durant la vie de fon mari, en épouse un autre, ne doit pas être regardée comme ayant pris un nouvel époux; mais comme ayant effrontément commis un adultere. C'eft encore un obftacle moral au mariage que la trop grande proximité du fang, ou d'alliance; en forte que les mariages contractés entre parens ou alliés trop proches, font illicites, déshonnêtes, nuls & tâchés d'un vice ineffaçable; ces unions font fans contredit défendues par le droit pofitif: mais le font-elles par le droit naturel? & d'où vient la répugnance naturelle que l'on a pour de telles conjonctions?

Quelques auteurs ont foutenu, & avec raifon, que tout ce qui donne de la honte, n'eft pas contraire à la loi naturelle; car on eft honteux d'être pauvre, mal vêtu, &c. & cependant tout cela ne renferme aucune turpitude morale: mais fi dans un pays où, par exemple, c'eft la coutume de cacher les parties naturelles, on les découvre de gaieté de cœur ; c'eft pécher effentiellement contre l'honnêteté naturelle : & cependant il n'y au roit aucun mal dans les pays où l'on va nud; & où cette nudité ne fait, dit-on, aucune impreffion fur les habitans. C'eft encore manquer à l'honnêteté que de fe montrer nud, ou de faire devant des personnes au-deffus de foi, ou qu'on ne connoît, point des chofes que l'on fait librement feul ou devant un ami: on découvre fans rougir fes parties naturelles à un chirurgien ou à un médecin, & on auroit honte d'en agir ainfi, devant les mêmes perfonnes, fans en avoir des raifons très-preffantes. Or, fi ces chofes étoient contraires au droit naturel, elles le feroient dans un temps comme dans un autre, & dans tous les pays également. Or, puifque c'est par la même raifon de honte naturelle que les plus proches parens ne s'époufent point entr'eux, ne peut-on pas en conclure, qu'il n'y a point de parent à quelque degré qu'il foit, avec qui le droit naturel empêche de fe

marier?

Ce n'eft ni dans la diverfité des ufages, ni dans les inflitutions humaines, peut-on répondre, qu'il faut chercher le fiege de la honte; mais dans la conftitution morale de l'homme qui, glorieux & fuperbe de fa nature, évite foigneufement tout ce qu'il croit pouvoir dégrader la haute idée qu'il a de lui-même. Mais comme c'eft par les parties naturelles, & par celles qui leur font voifines que découlent les immondices & les faletés du corps, il eft naturel que ces faletés lui indiquant fa foibleffe & fa mifere, il derobe à autrui, autant qu'il eft en lui, ces égouts, marques vifibles de fon infirmité naturelle. D'un autre côté, les défirs criminels, cherchant, malgré ceux même qui les conçoivent, à fe produire au dehors par les parties naturelles; l'ordre de la fociété veut que l'on contienne toutes les marques fenfibles de ces défirs, qui, s'il étoit permis de les laiffer paroître, occafionneroient tant de trouble. Auffi la nature voulant conferver la

dignité de l'homme

de l'homme, & écarter en même temps les occafions capables d'enflammer les fens, a infpiré aux hommes cette pudeur, afin qu'elle les engageât à couvrir avec foin ces membres, qui expofés aux yeux de tout le monde, inciteroient perpétuellement la concupifcence toujours prête à fe fatisfaire. Il eft donc très-naturel dans les pays où l'ufage des habits eft établi, que la pudeur agiffe fur-tout relativement aux perfonnes auxquelles on doit naturellement du respect, ou avec qui l'on eft obligé d'être grave.

C'eft donc dans ce fentiment de pudeur qu'on trouve la raifon de la défense des mariages entre les afcendans & les defcendans. Dans la ligne collatérale, le mariage fans doute n'eft pas auffi étroitement défendu par la loi naturelle, mais il l'eft par cette pudeur d'éducation, s'il eft permis de s'exprimer ainsi; sentiment si délicat, à l'égard des freres & des fœurs, que, pour peu qu'ils ayent de modeftie, ils ne fe trouvent pas volontiers dans un tête-à-tête amoureux de l'un ou de l'autre avec un tiers. Cependant, on ne peut point dire que ce foit la nature qui réprouvé le mariage entre les freres & les fours; car fi de telles conjonctions étoient naturellement défendues, il faudroit donc dire que Dieu auroit voulu, dans les premiers temps, réduire les hommes à la néceffité de violer la loi naturelle; puifque n'ayant créé qu'un homme & une femme, il falloit bien que les freres & les fœurs, enfans de ces premiers individus, s'époufaffent les uns les autres. D'ailleurs, de telles conjonctions ont été jadis permifes chez plufieurs nations, & elles le font encore en plus d'une contrée.

A l'égard de la défenfe du mariage entre collatéraux plus éloignés, elle vient uniquement des loix pofitives, & des vues politiques des fouverains & des légiflateurs; & point du tout du droit naturel.

Il eft des pays où l'on autorife les mariages de confcience, qui confiftent à habiter avec une femme de laquelle on reçoit la foi de mariage, & avec qui l'on vit en une fociété très-étroite, mais qui n'a pas le rang d'époufe legitime, foit à caufe de l'infériorité de fa naiffance, soit pour d'autres raifons, & dont les enfans n'ont pas tout le droit qu'ils auroient fi la mere eut été épousée avec les formalités ordinaires. Ces conjonctions ne different du véritable mariage, que par le droit pofitif; & cette différence n'a été établie par les loix civiles, que pour conferver dans tout leur luftre, les familles confidérables; pour ne point préjudicier aux enfans d'un premier lit, ou pour épargner à l'époux la dépenfe à laquelle la coutume du pays l'obligeoit, s'il donnoit à fa femme le titre & le rang d'époufe légitime. C'eft pour cela que ces fortes de mariages, très-conformes d'ailleurs au droit naturel, n'ont pas tous les effets qu'ont dans ces mêmes lieux les mariages légitimes; ils n'affoibliffent point le patrimoine des enfans du premier lit, avec lefquels ceux qui font nés d'un mariage de confcience, ne partagent rien, s'en tenant au fimple avantage que le pere a fait à leur mere, conformément aux loix.

S. I I.

Du pouvoir paternel.

LES fruits du mariage font les enfans, qui doivent reconnoître leur

pere & leur mere pour leurs fupérieurs, & fuivre refpectueufement leurs ordres & leurs volontés. Quelle eft l'origine du pouvoir paternel? Vient-il de l'acte même de la génération? L'autorité du pere fur fes enfans doit-elle l'emporter fur l'autorité de la mere, à caufe de l'excellence du fexe masculin, ou parce qu'en qualité de mari, étant le chef de la maison, & ayant pouvoir fur la femme, il a, par conféquent, une puiffance d'autant plus entiere fur les enfans? Suivant Hobbes, l'autorité appartient originairement à la mere, qui, la premiere, a eu fes enfans fous fa puiffance; puifque, fuivant cette regle du droit naturel, le premier qui poffede une chofe, en eft le véritable maître. Auffi, continue Hobbes, le pouvoir de la mere, ne paffe à d'autres, que dans certains cas; ou parce qu'elle renonce à fon droit, en expofant l'enfant qu'elle auroit dû nourrir; car alors l'autorité paffe à celui qui éleve l'enfant, difpenfé de l'obligation où il étoit envers fa mere, & tenu beaucoup plus envers celui qui l'ayant fauvé, lui tient. lieu de mere & de maître. 2°. Dans le cas où la mere devient prifonniere de guerre; car alors, fon enfant tombe fous la puiffance de celui qui les a pris l'un & l'autre. 3°. Le fouverain de l'Etat ayant une entiere autorité fur la mere, eft auffi le maître de l'enfant qu'elle met au monde. 4°. Lorsqu'une femme, en se mariant, a promis de laiffer à fon mari toute autorité fur les enfans qui naîtroient de ce mariage, elle n'a plus fur eux aucun pouvoir, chacun étant le maître de céder fes droits, & nul ne pouvant ufer d'un pouvoir qu'il a une fois cédé. 5o. Enfin dans les fociétés civiles, c'eft par les loix que les enfans font fous la puiffance du pere, & cela devoit être, les hommes ayant établi tous les gouvernemens civils, & ayant pleinement donné l'autorité domeftique aux peres de famille.

Tout ce raifonnement de Hobbes eft fondé fur un faux principe. En effet, la génération n'eft que l'occafion & point du tout le fondement du pouvoir paternel; & c'eft un titre fi peu fuffifant, que dans l'état de nature un enfant parvenu à l'âge d'homme fait, eft égal à fon pere & à fa mere, par les droits naturels communs à tous les hommes; & nul d'entr'eux n'a plus aucune autorité fur lui. C'est donc fur d'autres principes qu'eft fondé le pouvoir paternel; & il en eft deux qui paroiffent inconteftables. 1o. La loi naturelle, en prefcrivant aux hommes la fociabilité, a nécessairement ordonné aux peres & aux meres d'avoir foin de feurs enfans; car, fans ce foin, la fociété ne pourroit abfolument point fubfifter: afin même que le pere & la mere aimaffent à remplir cette obligation, la nature leur a infpiré une tendreffe extrême pour leurs enfans. Mais comment le pere & la mere pourroient-ils prendre ce foin, s'ils n'avoient pas le pouvoir

de diriger leurs actions pendant l'enfance, incapable de tout, & même de pourvoir à fes befoins les plus indifpenfables? Il s'enfuit donc fort évidemment, que la nature a conféré aux peres & aux meres le pouvoir de diriger les actions de leurs enfans, auxquels par une conféquence néceffaire la nature a impofé l'obligation de fe foumettre à la direction du pere & de la mere. 2°. Cette autorité eft fondée fur le confentement présumé des enfans, fur une espece de convention tacite; car fi de leur côté, le pere & la mere promettent, par le fimple vau, de conferver leur enfant, de le bien élever, autant qu'il dépendra d'eux, & de remplir à cet égard, le devoir qui leur eft impofé par la nature : l'enfant d'un autre côté, quoiqu'in-, capable encore de s'engager expreffément, entre dans une obligation réciproque, auffi forte que s'il avoit formellement confenti; bien que cette obligation ne déploie fon effet que dans la fuite, & lorfque l'âge l'aura mis en état de comprendre ce que fon pere & fa mere ont fait pour lui. Il est donc évident que c'eft du droit de la nature que les peres & les meres tiennent le pouvoir qu'ils ont fur leurs enfans: mais lequel des deux, du pere ou de la mere a plus d'autorité? Dans l'état de la liberté natutelle, & lorfque l'enfant n'eft que le produit d'une copulation fortuite & momentanée, fans contredit c'eft à la mere qu'il appartient, puifqu'elle a pu avoir affaire à d'autres hommes, & qu'elle ne fauroit faire connoître ce pere avec quelque certitude: &, fuivant les loix Romaines, c'est auffi à la mere que font adjugés les enfans nés lors du légitime mariage. Mais fi dans ce même état de la liberté naturelle, la copulation a été précédée de quelque engagement, les conventions du pere & de la mere indiquent de quel côté doit être le pouvoir, attendu que l'autorité fouveraine fur une même perfonne ne peut appartenir à deux en même temps, & au même degré.

Il en est tout autrement dans les fociétés civiles; & comme elles ont été formées par les hommes & non par les femmes, c'eft le mari qui eft toujours le chef de la famille; & c'eft par cela même qu'il a fur fes enfans une autorité fi entiere, que confidérés en eux-mêmes, les ordres de la mere ne font que de fimples avis qui n'ont force d'obliger, qu'autant qu'ils la tirent du pouvoir que le mari communique à fa femme. Si le mari meurt, cette autorité toute entiere, paffe de droit à la femme, lorfque le mari a difpofé en fa faveur du gouvernement de la maison. Si elle fe remarie, & que fon fecond mari fe charge de l'éducation des enfans du premier lit, c'eft à lui qu'appartient le pouvoir paternel, & ces enfans font obligés de le refpecter comme leur pere.

Pour connoître la véritable étendue du pouvoir paternel, il faut diftinguer encore l'état de la liberté naturelle, avec l'état de fociété. Dans le premier, le pere n'a d'autre pouvoir que celui qui lui eft néceffaire pour s'acquitter des devoirs que la nature lui impofe envers fes enfans: en forte qu'il ne peut faire ufage de cette autorité, qu'autant qu'il en a befoin

pour les entretenir & les gouverner jufqu'à ce qu'ils foient en état de s'entretenir & de fe gouverner eux-mêmes; & alors le pouvoir paternet prend fin. Delà on voit que l'autorité paternelle ne comprend point du tout le droit de vie & de mort, lorfque les enfans font au monde; & quand ils font encore dans le fein de la mere, il ne peut détruire l'enfant que dans le cas feul où fans ce moyen violent, la mere & l'enfant périroient inévitablement. Du refte, quelqu'énorme que foir la faute d'un enfant, quelque atroce que puiffe être l'action qu'il a commife, la puiffance coercitive du pere, ne va jamais jufqu'au droit de le faire mourir; il peut fans doute & il doit même, le punir, mais avec modération, & la plus grande rigueur ne peut être portée au-delà de l'abdication & de l'exhérédation.

Afin de difcerner avec plus de jufteffe les différens dégrés du pouvoir paternel, il faut confidérer les enfans fous trois différentes époques, ou divers âges. Le premier, lorfqu'ils n'ont pas encore du difcernement, & qu'ils font incapables d'agir avec connoiffance. Le fecond, lorfque, quoiqu'ils ayent le jugement mûr, ils font encore membres de la famille, & qu'ils n'ont aucune poffeffion particuliere & féparée en gouvernement. Le troifieme, lorfque, fortis de la maifon paternelle, ils font eux-mêmes chefs de famille, ou bien, qu'ils font entrés dans une autre maison. On convient unanimement que dans le premier intervalle, toutes les actions de l'enfant font foumises à la direction du pere. Mais on demande fi à cet âge, les enfans peuvent, par le droit naturel, avoir quelque chofe à eux; en forte que la propriété ait fon effet par rapport aux parens mêmes? Si ce font des biens que l'enfant ait gagnés par fa propre induftrie; tout ce qu'ils peuvent alors amaffer n'eft que fort peu confidérable, & ne paffe trèsvraisemblablement point au-delà de ce que leur éducation coûte au pere, qui eft en droit de s'approprier ces biens, en dédommagement de fes foins & de fes dépenfes, attendu que, quelqu'obligation que lui impose la loi naturelle d'élever fes enfans, rien ne l'empêche de retirer ces petites épargnes, comme le premier fruit de l'éducation qu'il a donnée. Mais fi ces biens viennent aux enfans par un effet de la libéralité d'autrui, comme par un teftament, par une donation, &c. Dans ce cas, l'enfant n'étant point capable d'acceptation, c'eft en fon nom que le pere accepte ces biens, & qu'il les adminiftre, jufqu'à ce que l'enfant foit en état de les gouverner par lui même. Ainfi, l'enfant acquiert la propriété, & il ne reste au pere que la jouiffance & la perception des revenus qu'il eft cenfé employer à l'entretien de fon fils, jufqu'à ce que celui-ci, foit capable de prendre foin de l'adminiftration; époque à laquelle il entre en pleine propriété des biens qui lui font échus, quant au fonds, & quant aux revenus.

S'il eft prouvé, comme on vient de le dire, que le pere tient du droit de la nature le pouvoir paternel; il eft prouvé auffi qu'en général chacun eft libre de céder fes droits comme il veut, & à qui il veut. De ces deux principes s'enfuit-il cependant, que ce pouvoir, ainsi que les engagemens

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