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étant contraire à la nature même de ce fief, qui exclut abfolument les femmes, exclut par conféquent les defcendans mâles des femmes.

Pour connoître fi un cas qui arrive eft abfolument incompatible avec la volonté des contractans ou du législateur, on fe fert de raifons tirées des principes de la lumiere naturelle, ou de quelque indice particulier de la volonté de celui qui parle. Or, l'indice le plus certain que l'on puiffe avoir de cette volonté, c'eft lorfqu'on voit qu'en fuivant exactement la lettre de la loi ou de la convention, on établiroit quelque chofe d'illicite ou de contraire aux loix naturelles ou divines; & l'on ne peut point préfumer qu'il y ait d'homme de bon fens qui veuille prefcrire de telles chofes. Un autre indice, c'eft lorfqu'en expliquant à la rigueur les termes de la loi ou de la convention, il en refulteroit une chofe qui, à la vérité, ne feroit point illicite, mais qui feroit trop dure ou trop onéreuse, foit rela tivement à la conftitution ordinaire de la nature humaine en général, foit relativement à la perfonne & à la chofe dont il eft queftion, comparées avec le but même de l'acte de la loi, de la promeffe, ou de la convention.

Il eft encore d'autres indices de la volonté, d'après lefquels on juge raifonnablement qu'il faut excepter d'une loi ou d'une promeffe générale certains cas particuliers; & cela a lieu lorfque l'on trouve ailleurs des expreffions entre lefquelles, & celles dont il s'agit, il furvient une espece d'oppofition, une vraie antinomie, ou une forte de conflit, par quelque cas imprévu. A l'égard de ces loix ou de ces promeffes générales, ainfi énoncées, on fuit, pour leur interprétation, les maximes fuivantes. 1°. Que quand il fe trouve du conflit entre deux devoirs, dont l'un eft fondé fur des raisons qui renferment un plus grand degré d'honnêteté, ou d'utilité, que celles d'où dépend l'autre, il eft jufte que le premier l'emporte. 2°. Que fi l'on ne peut exécuter en même-temps deux conventions, dont l'une a été faite avec ferment, & l'autre fans ferment, celle-ci doit céder à la premiere; à moins que la convention faite fans ferment, n'ait été ajoutée à l'autre en forme d'exception ou de limitation. 3°. Que ce qui n'eft que permis, doit céder à ce qui eft pofitivement prefcrit. 4°. Que ce que l'on doit faire en un certain temps, l'emporte fur ce que l'on peut faire en tout temps. 5°. Qu'une loi qui défend, a la préférence fur une loi qui ordonne. 6°. Que de deux conventions ou de deux loix, qui ont d'ailleurs une égale force, il faut préférer celle qui est la moins générale, & qui approche le plus de l'affaire dont il eft queftion. 7°. Qu'une obligation qui n'eft qu'imparfaitement réciproque, cede à une obligation parfaitement réciproque. 8°. Que toutes chofes fuppofées égales, les loix de la reconnoiffance l'emportent fur les loix de la bénéficence ou de la libéralité. 9°. Que dans des loix faites par différentes puiffances, dont l'une eft fubordonnée à l'autre, la loi de la puiffance inférieure cede à la loi de la puiffance fupérieure. 10°. Qu'une loi l'emporte fur l'autre, suivant

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qu'elle a pour objet une chose plus noble, plus utile, ou plus néceffaire. 11°. Qu'enfin, ceux avec qui l'on a des liaisons & des relations plus étroites, doivent être préférés aux autres, toutes chofes d'ailleurs égales lorfqu'on ne peut en même-temps s'acquitter envers tous de ce qu'on leur doit.

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§. XIII.

Comment fe vident les différens dans l'état de la liberté naturelle.

L fuffit de confulter l'équité naturelle, pour reconnoître l'obligation où l'on eft de s'acquitter de ce que l'on doit à autrui. Cette même équité nous enfeigne que les inimitiés, quelle qu'en foit la caufe, ne doivent pas être éternelles. Mais, les hommes en général, présomptueux & très-peu empreffés à rendre aux autres ce qu'ils croient leur être dû à eux-mêmes, penfent toujours avoir des raifons fuffifantes pour fe difpenfer, d'un côté, de s'acquitter de leurs devoirs, & de l'autre, pour exiger ce qu'on ne leur doit pas: en forte que ces difpofitions trop naturelles, trop communes, font une fource intariffable de difputes, de querelles & de conteftations. Dans la fociété civile, les loix qui ont marqué les devoirs refpectifs, ont prévu auffi & jugé par avance, du moins en très-grande partie, les difputes qui pourroient s'élever. Mais dans l'état de nature, il n'y a point de juge commun qui ait l'autorité de connoître de ces différens, ni de les juger, ni aux décifions duquel perfonne foit contraint de fe foumettre. Hobbes a dit que dans cet état chacun eft le juge abfolu de tout ce qui le concerne : fi Hobbes a, par ce principe, entendu que perfonne ne reconnoiffant de fupérieur, chacun eft l'arbitre de fes propres actions, de maniere pourtant que chacun doive les régler conformément aux maximes du droit de la nature & des gens; rien n'eft plus vrai; car, il eft très-conftant, que tout homme dans l'état de nature, eft libre de négliger ou de veiller à la confervation de fon droit, de diffimuler une injure ou d'en poursuivre la réparation. Mais fi Hobbes a entendu, comme on n'en peut douter, que chacun dans cet état, eft le maître de prononcer, ainsi qu'il le juge à propos, contre les autres, dans fes propres affaires, il n'a foutenu qu'une erreur; car enfin, par la même raifon que chacun feroit le maître de juger comme il voudroit dans ce qui le concerneroit relativement aux autres; ceux-ci font très-libres auffi de ne pas s'en tenir à ce jugement, ni de reconnoître aucune forte d'autorité dans le juge.

Quel eft donc, dans l'état d'indépendance naturelle, le moyen de terminer les différens ? Ce n'eft certainement point la force; car, la loi naturelle ne permet point d'avoir recours aux armes, lorsqu'il ne s'agit pas de défendre fa vie, & feulement pour maintenir un droit qu'on croit avoir. Ainfi, lorfque le différent ne peut être terminé par une conférence amiable entre les parties, ou qu'elles ne veulent point s'en remettre à la décision

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du fort, il ne refte qu'un parti à choifir, celui de s'en remettre réciproquement au jugement d'un arbitre, dont le devoir eft de ne rien donner à la faveur, ni à la haine, & de prononcer fuivant l'équité naturelle, fans égard au reffentiment de celle des deux parties à laquelle fa décifion ne fera point favorable.

Par ces réflexions on voit qu'un homme qui auroit quelque chofe à efpérer de la part de l'une des parties, ne fauroit être pris pour arbitre ; car, l'efpoir du gain, ou l'attente d'un avantage, rend bien difficile, en pareille matiere, l'impartialité. Il ne doit pas non plus y avoir, entre l'arbitre & l'une des parties, aucune convention en vertu de laquelle il foit engagé à fe décider pour elle, foit qu'elle ait raison, foit qu'elle ait tort, Ce n'eft pas qu'il n'y ait réellement une convention entre lui & les parties, au fujet même de l'arbitrage, & fans laquelle il ne pourroit juger; mais ce n'eft point fur cette convention qu'eft fondée l'obligation où il eft de prononcer felon le droit, tel qu'il le connoît, & felon ce qu'il croit juste & raifonnable; mais par cette convention, les parties s'en remettent & promettent de s'en tenir au jugement de l'arbitre : & elle eft d'autant plus néce ffaire, que, fans elle, l'arbitre ne termineroit rien, & qu'une difpute en engendreroit d'autres à l'infini. En effet, toutes les fois que le jugement de l'arbitre paroîtroit injufte à l'une des parties, ce qui ne manqueroit pas d'arriver, lorfqu'il y en auroit une de condamnée, il naîtroit de là une conteftation nouvelle, dont la décifion ne pouvant appartenir ni à la partie ni à l'arbitre, exigeroit un nouvel arbitre, après celui-ci un autre, & de même à l'infini. Ainfi donc l'arbitrage, pour prévenir cette fuite de démêlés, doit être fondé fur une convention pure & fimple des parties, par laquelle, elles s'en remettent à fon jugement & promettent de s'y tenir.

Il y a deux fortes d'arbitres; les uns font établis & choifis en qualité de juges, les autres ont reçu des parties un pouvoir plus étendu; en forte qu'ils font autorisés à juger plutôt felon les maximes de l'équité & de l'humanité, que fuivant les loix du droit rigoureux. Le premier, de même que le juge, doit pefer exactement les raifons de part & d'autre, & juger conformément à la loi : & dans le doute, fi les parties ont entendu qu'il les jugeât d'après l'équité naturelle, ou d'après les regles de la juftice & le fens le plus ftrict de la loi, on préfume que l'arbitre doit juger felon le droit rigoureux, fans le tempérer en aucune maniere fuivant les maximes de l'humanité, de la charité, de la compaffion & d'autres semblables vertus.

S'il eft queftion d'un différent furvenu entre deux citoyens d'un même Etat, il eft de regle que l'arbitre ne peut juger que felon les loix civiles, auxquels les deux parties font foumifes. Mais lorfque celles-ci ne reconnoiffent point fur la terre de tribunal commun, lorsqu'il eft queftion, par exemple, de prononcer fur le différent de deux fouverains, l'arbitre doit

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juger d'après le droit naturel, à moins que les parties n'ayent formellement déclaré qu'elles confentent à être jugées fuivant les loix civiles d'un Etat. Par cette même raifon, que dans les différens de deux fouverains, l'arbitre doit fe régler fur le droit naturel, il ne peut prononcer que fur l'affaire principale, c'eft-à-dire, fur la validite ou l'invalidité du droit des parties, au fur le pétitoire, & non pas fur le poffeffoire; attendu que les décifions fur le poffeffoire ne font que de droit civil, & que par le droit des gens, le droit de pofféder fuit la propriété. Ce n'eft pourtant pas que l'arbitre ne puiffe & qu'il ne doive même, en bien des cas, examiner d'a bord quel eft le poffeffeur; & cela afin de favoir quelle eft celle des deux parties qui eft obligée de produire fon titre & de prouver fes droits.

Les arbitres different des médiateurs en ce que ceux-là jugent, prononcent & terminent en vertu de l'autorité qui leur en a été donnée, au lieu que les derniers interviennent d'eux-mêmes, & tâchent de réconcilier les parties, foit par la confidération qu'elles ont pour eux, foit par la force des raifons ou par la perfuafion des prieres. Les arbitres doivent être choisis du confentement des parties; mais chacun eft le maître de s'offrir pour médiateur : & il eft certain que des fouverains intéreffés à la pacification d'un démêlé, peuvent travailler de concert à le terminer, & régler même d'un commun accord, jufqu'où il fera permis à chacun d'eux, de fe mêler dans cette querelle; pourvu toutefois qu'aucun d'entr'eux ne foit engagé par quelque traité particulier à fecourir l'une des parties, au cas que l'on en vienne aux mains; une promeffe antérieure ne pouvant être annullée ni seulement reftreinte par une convention poftérieure avec un tiers. Il eft encore très-permis aux médiateurs de dreffer enfemble, après avoir examiné les prétentions refpectives de part & d'autre, des articles de paix, & de les propofer enfuite aux puiffances en guerre, avec déclaration que fi l'une d'elles refufe de foufcrire à ces articles, les médiateurs prendront le parti de la puiffance qui aura accepté les conditions de paix. Ce n'eft point là fe rendre arbitre d'une perfonne malgré elle-même, ni agir d'une inaniere opposée à l'indépendance de l'état de nature, puifque c'eft au contraire, se conduire par le droit naturel; fuivant lequel il eft permis à chacun de joindre fes armes aux armes de celui auquel on penfe que l'on fait du torr, fur-tout lorsqu'il y a à craindre que la neutralité ne foit préjudiciable à foimênie: ainfi donc, offrir fa médiation avant que de se déclarer, c'eft marquer hautement un amour fincere de la paix & de l'équité.

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Dans les différens furvenus entre deux ou plufieurs perfonnes, & remis au jugement d'un arbitre, on demande quel parti doit prendre ce juge, dans le cas où l'une des parties ne peut prouver ce qu'elle avance, que par des actes qui fe trouvent perdus? Le feul parti qu'il ait alors à prendre, eft de déférer le ferment à cette partie, avec le confentement de l'autre; car, fans ce confentement, il eft inconteftable que dans l'état de la liberté naturelle, nul n'eft obligé de remettre fes droits au ferment ni

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à la confcience d'autrui. Les parties peuvent auffi s'en remettre à la décifion du fort, ou enfin vider l'affaire par le duel mais il ne faut point oublier que tous ces moyens ne peuvent avoir lieu que dans l'état d'indépendance naturelle, & que c'eft dans cet état feulement que la perte des actes néceffaires à la preuve d'un fait, ne diminue rien par elle-même des droits de celui en faveur de qui ils avoient été paffés: au lieu que dans l'état civil il n'y a que les actes qui prouvent, & que l'on implore vainement l'autorité du juge, lorfqu'on n'a pas en fa puiffance de quoi faire

valoir fon droit.

Mais lorsque fur des faits contraires, les parties foutiennent avec la même force, l'un, la négative, l'autre, l'affirmative, que doit faire l'arbitre? Tenir la balance égale. Ne s'en rapporter ni à celui qui nie, ni à celui qui affirme; mais tâcher de découvrir la vérité par des indices, des raifons des pieces ou des actes authentiques; &, fi tout cela manque, recourir, à la dépofition des témoins, quoiqu'il n'en résulte qu'une preuve de moindre force que celle qui provient des titres & des actes.

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Le témoin doit, comme l'arbitre, n'avoir aucune forte de motif qui le faffe pencher pour une partie plus que pour l'autre : fon devoir eft de ne rien donner à la faveur, à la haine, à un défir de vengeance, ni à toute autre paffion. C'eft auffi pour cela que l'on recufe très-valablement les. parens, les amis, & les ennemis déclarés : c'étoit par la même raison, que chez les Romains, il n'y avoit ni loi, ni magiftrat qui pût obliger un client à porter témoignage contre fon patron, ni celui-ci contre fon client; & qu'il n'étoit pas permis de mettre un esclave à la torture, pour le contraindre à dépofer contre fon maître.

Quant à l'exécution de la fentence arbitrale, l'on devient maître de la chofe adjugée par l'arbitre, non-feulement en prenant poffeffion, de quelque maniere que ce foit; mais encore lorsqu'au défaut de la chofe adjugée on fe faifit d'une autre de même valeur, en y comprenant les dépenfes, que l'on a faites pour l'avoir : fuivant cette maxime; toutes les fois que la juftice coactive ne peut obtenir précisément ce qui eft dû, elle se nantit de l'équivalent, qui, moralement parlant, eft regardé comme la chofe

même dont il tient lieu.

Cependant l'équité demande quelquefois, qu'après s'être approprié les biens du débiteur on lui donne le choix, ou de nous les abandonner, ou de les reprendre en payant ce qui nous eft dû. Au refte, il n'eft pas né ceffaire d'avertir que cette maniere d'exécuter une fentence ne peut avoir lieu que dans l'état de la liberté naturelle, & que toutes ces regles font incompatibles avec les loix pofitives & la forme du gouvernement civil.

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