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pays très-infertile, eut été la plus indigente des nations, s'il eut été permis aux Juifs de s'abîmer les uns les autres par l'exercice de l'ufure, qui flattoit fi agréablement leur âpreté au- gain. Mais de cette difpofition de la loi, il ne falloit pas en conclure, comme l'ont fait plufieurs d'entr'eux, que la loi leur permettoit donc d'exiger des étrangers les ufures les plus énormes: ils devoient feulement en conclure qu'il leur étoit feulement permis par la loi, de retirer de l'argent qu'ils prêtoient aux étrangers, un intérêt qui ne furpaffât point une partie du profit que leurs créanciers retiroient eux-mêmes de cet argent, ou un produit équivalent à celui que les débiteurs euffent pu faire eux-mêmes: car, de ce que la loi engageoit les Juifs à s'aimer entr'eux d'une façon particuliere & très-étroite, il n'en réfultoit point du tout, comme ils aimoient à le croire, qu'ils fuffent difpenfés de pratiquer envers tous les autres hommes, de quelque nation qu'ils fuffent, les devoirs généraux de la loi. Mais vainement Moyfe, en leur défendant de prêter à intérêt les uns aux autres, voulut les détourner de la fordide avarice qui les caractérisoit, & empêcher les riches de ruiner & d'opprimer entiérement les pauvres; l'infatiable cupidité du gain l'emporta toujours chez les Juifs, & contens d'obferver entr'eux les préceptes du lé-giflateur, ils fe dédommagerent fur les étrangers par les plus tyranniques extorfions.

Ainfi donc, il eft conftant que l'intérêt raisonnable de l'argent que l'on prête, n'eft défendu ni par la loi naturelle, ni par la loi divine pofitive, & que le débiteur gagnant le plus fouvent du bien en faifant valoir l'argent de fon créancier, il feroit abfurde de vouloir interdire à celui-ci toute part à ce gain. En effet, en vertu de quoi devroit-on prêter gratuitement à des gens qui n'empruntent communément que dans la vue de faire un profit très-confidérable? En vertu de quoi ferois-je obligé de perdre le profit que j'aurois pu retirer moi-même de mon argent, fi je ne l'avois pas prêté? Le plus grand mal qu'un législateur pourroit faire à une nation riche & commerçante, feroit de profcrire le prêt à intérêt bientôt toutes les : richeffes appartiendroient à un petit nombre de citoyens, & tous les autres languiroient, privés de tout fecours, dans l'indigence, jufqu'à ce qu'une révolution inévitable eut, après bien des défaftres, mis plus d'égalité dans les fortunes. Il eft vrai que le prêt gratuit feroit non-feulement permis, mais encore fortement recommandé chez cette nation; mais qui ne fait qu'en général, les hommes ne fe déterminent que par l'intérêt perfonnel, dont la voix eft plus puiffante & plus perfuafive que l'éloquence de tous les orateurs?

Il eft vrai que la monnoie étant de fa nature une chofe ftérile, & qui ne fert de rien aux befoins de la vie, comme les habits, les bâtimens, &c. il femble à quelques-uns que, par cela même, on ne doit rien exiger pour l'ufage d'un argent prêté mais d'un principe peu exact, ils n'euffent point tiré une auffi fauffe conféquence, s'ils euffent obfervé que depuis que la

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monnoie eft devenue le prix éminent de tout, l'induftrie rend l'argent très-fécond, puifque par lui on acquiert tout, & des chofes qui produifent des fruits naturels, & des chofes qui produisent des fruits civils. Eh! qu'estce que les intérêts que le débiteur paye à fon créancier fi ce n'eft des fruits civils? Dans les chofes, dit-on, qui fe confument par l'ufage, on ne peut diftinguer la propriété avec l'ufage, en forte que par cela même qu'on transfere l'ufage, on transfere auffi la propriété; l'un fuit néceffairement l'autre, & ils fe confument tous les deux en même-temps; d'où l'on infere que dans le prêt à ufage, l'argent périffant moralement parlant, pour celui qui le dépenfe, puifqu'il ceffe d'être au nombre de fes biens; l'usage ne pouvant être ici diftingué de la chofe empruntée, il fuffit que le débiteur en rende une pareille de même efpece, pour que le créancier n'ait plus aucun droit de rien exiger de lui, pour l'ufage qu'il en a fait. Ce raisonnement n'eft que fpécieux tout au plus, & il ne prouve rien contre la légitimité de l'intérêt; car, il refte toujours que le débiteur a pu acheter de cet argent emprunté, des chofes qui lui ont produit un revenu, ou qu'il en a tiré du profit de quelqu'autre maniere : quand même le créancier n'auroit fait que prêter des denrées, ou d'autres chofes néceffaires à la vie, le débiteur n'a-t-il pas profité en ce que par-là le prêteur lui a épargné la néceffité où il auroit été indifpenfablement de troquer à très-grande perte, ou de vendre à bas prix fes marchandises, pour acheter du blé ou toute autre chose dont il ne pourroit se paffer?

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Pour achever de démontrer combien eft fauffe l'opinion de ceux qui condamnent les intérêts dans le prêt à usage, & que tous leurs raifonnemens ne font qu'une pure logomachie, une abfurde difpute de mots, il fuffira, par un exemple très-fimple & fort ordinaire, de prouver combien le prêc à ufage gratuit, eft plus défavantageux au débiteur que le prêt à ufage dont on exige un intérêt honnête. Une terre qui m'accommoderoit beaucoup, eft à vendre, & je n'ai point d'argent pour en faire l'acquisition; mon voisin à qui j'en parle, ne me prête point la fomme dont j'aurois befoin, attendu qu'il croiroit illicite de retirer de moi l'intérêt de cet argent; mais il achete cette terre, & enfuite il me la donne à louage. J'euffe bien mieux aimé qu'il m'eût prêté de quoi l'acheter; mais il n'a pas voulu le faire & rien n'eft plus permis à lui que de me donner cette terre à louage. Cependant fi mon voifin m'eut prêté de l'argent pour faire l'acquifition de ce fonds qui étoit fi fort à ma bienséance, & qu'au lieu de la rente annuelle que je lui donne pour le louage de cette terre, je lui euffe payé la même valeur pour l'intérêt de la fomme qu'il m'eut prêtée: très affurément mon voifin n'eut rien perdu, & je ferois bien plus riche que je ne le fuis, puifque je ferois propriétaire de ce même fonds, dont les fruits affuroient à mon voifin l'intérêt de fon argent. C'eft par fcrupule, qu'il a fait avec moi un marché qui n'eft favorable qu'à lui, maître de la terre & des fruits, & qui n'eft défavantageux que pour moi, qui,

grace à ce même fcrupule, ne fuis propriétaire, ni des fruits, ni de

la terre.

Que conclure de cette efpece, & de toutes les autres de ce genre, qui lui reffemblent? Que lorsqu'on met de l'argent entre les mains d'un honnête homme, qui doit nous donner une portion raifonnable du profit qu'il en retirera, il n'y a dans ce traité rien qui ne foit très-équitable; & que le traité eft tout auffi légitime, quand on ftipule, de celui chez qui l'on place fon argent, ou auquel on prête fon argent, un intérêt fixe & modique, pour le profit incertain qu'il peut en tirer.

La force ou la fuperftition ont beau défendre une chose légitime; elle s'introduira malgré la fuperftition & la force; tout ce que l'on y gagnera, ce fera de la voir s'introduire fous quelques déguifemens qui forceront les législateurs même de la tolérer. C'est-là précisément ce qui eft arrivé relativement au prêt à intérêt; on a trouvé mille moyens divers d'éluder la défense, & cependant de retirer des profits de l'argent que l'on a prêté; Pavidité a eu même assez d'induftrie pour concilier l'ufure exorbitante avec la fuperftition; abus énorme qu'on eut fagement évité fi l'on eut permis l'intérêt dans le prêt à ufage. Les moyens les plus licites qu'on a employés pour éluder cette févérité mal entendue, ont été 1°. les rentes constituées à prix d'argent, contrat par lequel on prête de l'argent fur un immeuble que le débiteur engage pour le payement d'une certaine fomme qu'il doit donner tous les ans, foit à perpétuité, foit pour un temps fixé, foit pour un temps incertain, c'est-à-dire, pendant la vie du créancier. De ces rentes, les unes peuvent être amorties en rendant l'argent emprunté; & les autres ne peuvent point être amorties. Ces contrats font déclarés très-légitimes; qu'eft-ce autre chofe cependant qu'un prêt à intérêt. 29. Les monts de piété, qui prennent des gages, retirent par mois un intérêt fur la fomme prêtée, & au bout de l'année font vendre le gage à l'encan, fi l'argent prêté n'est pas rendu. En remettant au débiteur le furplus de la fomme principale qu'on retient, ainfi que les intérêts des mois écoulés, ces monts de piété qu'ont-ils en foi, de plus licite que l'intérêt pour le prêt à ufage. 3°. Le mohatra, efpece de contrat par lequel un homme ayant befoin d'argent, achete à crédit, au plus haut prix, des marchandises, qu'il revend fur le champ au même marchand, qui les lui paye argent comptant, fur le pied du plus bas prix. 4°. Le change fec, dont le payement fe doit faire dans le lieu même où la fomme a été comptée, au prix hauffant du change, ce qui eft au fond un véritable intérêt, &c. Enfin on a mille moyens tolé rés & permis par la loi, d'éluder la défense peu réfléchie faite par quelques législateurs, au fujet du prêt à ufage. Mais il faut efpérer que, pour l'avantage du commerce, le bien public & celui des particuliers, on en viendra enfin à permettre hautement par-tout l'intérêt de l'argent prêté, foit à fimple usage, foit de toute autre maniere.

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§. VIII.

Du contrat de fociété.

E contrat de fociété eft, fans contredit, le plus avantageux de tous, lorfque la bonne foi caractérise tous les affociés; mais c'eft le plus funefte pour ceux qui s'y engagent, lorsque l'un d'entr'eux eft de mauvaise foi; lorfque c'eft un fourbe ou un homme fans probité, ils deviennent tous les victimes du brigand qui les ruine & les écrafe. L'auteur de ce systême ou peut-être celui de l'analyfe de cet ouvrage, n'a que trop de raisons d'être convaincu de la force & de la vérité de cette affertion. Le contrat de fociété confifte en ce que deux ou plufieurs perfonnes mettent en commun leur argent, leurs biens, ou leur travail, à la charge de partager entre eux le gain, & de fupporter les pertes qui en arriveront, chacun à proportion de ce qu'il contribue du fien. Si la mife eft égale de part & d'autre, le gain & la perte fe partagent également; mais fi l'un des affociés n'a donné que fon argent, & fi l'autre a donné fa peine, il faut examiner fur quel pied ils s'étoient affociés. Car, lorfqu'on met en commun, d'un côté, le travail & l'induftrie, de l'autre feulement l'usage d'une certaine fomme; celui qui fournit l'argent, n'en rend pas l'autre affocié, copropriétaire; il s'engage feulement à partager avec lui le gain qui proviendra de cet argent & de ce travail joints enfemble, à proportion de ce que chacun a contribué. En ce cas, comme d'un côté, celui qui n'a fourni que fa peine, n'entre point, lorfque la fociété finit, en portion de la fomme qui a fait le premier fond du commerce; de l'autre, celui qui a fourni cette fomme, en étant feul légitime propriétaire, il faut qu'il en foit remboursé avant toutes choses; mais auffi, fi elle vient à fe perdre c'eft pour fon compte. Ainfi dans une telle fociété, on compare avec la peine de l'un des affociés, non pas le fond même de l'autre, mais les rifques que celui-ci court de perdre fon argent, & le gain qu'il en pouvoit

vraisemblablement attendre.

Au refte, on peut fans injuftice ftipuler quelquefois que l'un des affociés, aura part au gain, fans entrer pour rien dans les pertes; mais c'eft alors une fociété irréguliere qui tient du contrat de fociété & de celui d'affurance. Alors, pour rétablir l'égalité, il faut que celui qui refte chargé des risques & des périls, ait une portion de gain plus grande, à proportion de l'avantage qui revient de-là aux autres affociés. Une fociété inique, odieufe & trèsrépréhenfible, & qui n'eft cependant point fans exemple, feroit celle où l'un des affociés fouffriroit feul des pertes, fans avoir aucune part au profit, Lorfque des affociés mettent tous leurs biens en commun, tant que la fociété dure, chacun d'eux eft en droit de prendre du fonds commun fuivant fa condition, & autant que le lui permettent les loix d'une fage économie. Mais lorsque la fociété finit, ou qu'elle fe fépare, alors les parts

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du gain fe reglent fuivant ce que l'on croit qui reviendra plus ou moins de profit, des biens de chacun & de leurs acceffoires, & non pas que, dans le partage, chacun prenne d'abord les biens qu'il avoit apportés dans le fonds commun, & enfuite ce qu'ils ont apporté de profit par eux-mêmes; car l'intention des affociés a été que chacun d'eux eut part au gain. qui proviendroit du bien des autres.

Le devoir le plus facré des affociés eft la fidélité inviolable qu'ils fe doivent réciproquement. C'eft, dit Cicéron, Orat. Pro. Sex. Rofe. Amer. ; c'eft une des plus grandes infamies que de tromper en la moindre chofe une perfonné qui s'eft affociée avec nous. A qui fe fiera-t-on, fi l'on eft trompé par ceux-là même fur la bonne foi de qui l'on fe repofe entiérement? Les crimes qui méritent d'être punis avec le plus de rigueur, ce font, fans contredit, ceux contre lefquels il eft le plus difficile de fe précautionner. Le moyen d'éviter les friponneries d'un affocié, duquel il n'eft pas même permis de fe défier jufqu'à ce qu'on les ait découvertes? C'est donc avec raifon qu'on regarde comme un très-mal-honnête homme celui qui a trompé fes affociés: On convient que tromper des affociés, abufer de leur confiance, fe fervir de leur bonne foi, pour les ruiner, eft nonfeulement une infamie, mais le plus puniffable des crimes cependant il faut avouer que cette infamie refte quelquefois impunie; car eft-ce affez que du mépris pour punir des malheureux, affez fcélérats pour s'enrichir par un tel crime? & c'eft-là néanmoins ce que l'on a vu quelquefois : en forte qu'il ne refte à un honnête homme trompé & volé, que la honte d'avoir eu pour affociés des brigands; il ne lui refte plus qu'à rougir d'avoir formé des nœuds qui le déshonoroient, à fon infçu, & contre fon

attente.

§. IX.

Des contrats où il entre du hafard.

LORSQU'ON fait quelque convention au fujet d'un événement incertain, ou bien lorfque de part & d'autre on confent à s'en rapporter à un cas fortuit, on appelle ces fortes de conventions, des contrats où il entre du hafard. Ces contrats font ou publics, ou particuliers; ceux de la premiere efpece fe font en temps de paix, ou en temps de guerre. En temps de paix, on remet, en quelques pays, à la décifion du fort le choix des juges, des gouverneurs des provinces, la diftribution des charges, lorfqu'il y a une parfaite égalité de mérite & de droit dans les concurrens. Lorfque ceux-ci confentent à cette maniere de choifir entr'eux, ce confentement fe donne par une convention, ou par un compromis, dans lequel ils promettent de s'en remettre au fort. Mais lorfque c'eft le fupérieur ou le fouverain qui, pouvant choifir & nommer en vertu de fon autorité, fe détermine à prendre le fort pour arbitre, alors il ne fe fert de cette voie,

qu'afin

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