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En général, lorfqu'il n'y a aucune condition expreffe ni tacite qui fufpende l'effet de l'obligation, tout contrat de vente eft accompli dès l'inftant qu'on a diftinctement marqué la chofe vendue & qu'on eft convenu du prix mais l'exécution de ce contrat n'eft accomplie que lorfque l'acheteur a payé le prix de la chofe, & que celle-ci lui a été délivrée par le vendeur.

Lorsqu'entre la vente & la délivrance il fe paffe quelque temps, & que dans cet intervalle, la chofe vendue, fans qu'il y ait de la faute du vendeur, vient à périr en tout ou en partie, fans qu'il y ait de la faute du vendeur, foit par l'effet d'une force extérieure & infurmontable, foit par un vice intérieur opéré par des caufes naturelles, foit qu'elle ait été volée ou enlevée; lequel des deux contractans doit fupporter la perte? Les jurifconfultes ont beaucoup écrit fur cette queftion, qui, pour être décidée suivant les regles de l'équité naturelle, n'a befoin que d'être éclaircie par une diftinction en effet, fi le retardement de la délivrance vient de ce que la chofe ne pouvoit être transportée qu'en un certain temps au lieu où elle devoit être délivrée, ou par la négligence du vendeur qui pouvant la délivrer plutôt ne l'a pas fait; c'eft à lui fans contredit à fupporter la perte: car fi vous m'avez vendu un troupeau qui étoit loin du lieu où nous avons conclu le marché, & qu'avant la délivrance ce troupeau ait été enlevé par des voleurs, ravagé par les loups, ou péri par quelqu'autre accident, ou bien, fi pouvant le faire venir plutôt vous l'avez négligé, fans contredit vous devez d'autant plus en fupporter la perte, que je ne pouvois exercer fur ce troupeau le droit de propriété que je vous avois acheté & qui reftoit entre vos mains jusqu'à la délivrance. Mais fi le troupeau tranfporté au lieu où nous étions convenus qu'il me feroit délivré, j'ai négligé d'aller le recevoir, & s'il eft détruit par les voleurs ou par les loups, c'est à moi feul d'en fupporter la perte, puifque feul j'étois en retard. Par la même raison, toutes les fois que, fans s'y être engagé, & pour obliger l'acheteur, le vendeur veut bien garder la chofe vendue qu'il a offert de délivrer, c'eft fur l'acheteur feul que retombe la perte même opérée par un cas fortuit; à moins que l'acheteur n'ait expreffément donné en garde la chose au vendeur, qui dans ce cas, étant confidéré comme dépofitaire, eft tenu de tous les dommages qui arrivent à la chofe qui lui eft confiée, à l'exception feulement de ceux qui proviennent des cas purement fortuits.

Au fond, comme en matiere de vente & d'achat, on prévoit ordinairement tous les cas, les contrats de ce genre font communément modifiés par certaines conventions, foit du confentement des contra&ans, soit par les réglemens des loix civiles. Les plus communes de ces conventions font, 10. la vente à crédit, ou dont le payement ne doit être fait que dans un temps déterminé plus ou moins long, après la délivrance de la chofe vendue; vente fort ufitée entre marchands, 20. La délivrance à terme,

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ou qui ne doit être faite qu'au bout d'un certain temps, le vendeur fe réfervant la propriété de la chofe, les profits qu'elle rapportera, comme auffi fe foumettant à la perte qui pourra furvenir jufqu'au terme convenu par la délivrance. 3°. On vend quelquefois, à la charge que fi dans un temps fixé, on trouve davantage de la chofe qu'on aliene, on pourra la vendre à un autre fi la chofe vendue eft actuellement délivrée, la vente eft confommée, avec cette condition néanmoins, qu'elle fera réfolue, fi quelqu'autre offre, dans le temps limité, un plus haut prix. Si la chofe n'eft point délivrée, le vendeur refte le maître de la marchandise, jusqu'à l'événement de la condition; époque, où le contrat eft pleinement accompli. 4°. La vente à claufe commifloire, eft celle par laquelle on convient que P'acheteur ne paye pas dans un temps fixé, la vente fera nulle, foir que la chose ait été, ou n'ait pas été délivrée. 5o. La vente à claufe de retrait, appofée ou par les contractans mêmes, ou par les loix civiles, claufe par laquelle on convient que l'acheteur ou fes héritiers, en rendant, dans un temps limité, ou quand bon leur femblera, le prix de la vente, rentreront en poffeffion de la chofe vendue. Quelquefois auffi l'on ftipule en faveur de l'acheteur, qui n'a acheté que pour faire plaifir au vendeur, qu'il pourra, dans un délai prefcrit, ou quand il lui plaira, rendre la chofe & retirer le prix qu'il en a donné. Le retrait, appellé droit de préférence, eft celui par lequel on ftipule que dans le cas où l'acheteur voudra revendre la chofe qu'il achete, le vendeur ou fes héritiers auront la préférence au même prix que tout autre en donneroit. En bien des pays, ce privilege eft donné par la loi aux propriétaires directs, à l'égard des fonds aliénés à titre emphyteotique, aux créanciers pour les biens de leur débiteur vendus à l'encan; au propriétaire du fond voifin de l'héritage vendu, aux propriétaires d'une chofe commune; aux parens à l'égard des biens d'un parent; & c'eft le retrait lignager.

Quelquefois celui qui vend un héritage, s'en réserve une partie, ou du moins un certain usage; quelquefois auffi on ne vend une chofe que pour un certain temps, avec convention que ce terme écoulé, le vendeur ou fes héritiers rentreront en propriété de la chofe, de plein droit & fans être obligés de rendre à l'acheteur le prix que celui-ci en a donné.

Telles font les principales conditions ajoutées au contrat de vente, & qui en déterminent la nature; il fuffit de les avoir rapportées, pour avoir fait connoître les engagemens réciproques de l'acheteur & du vendeur.

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Il est une autre vente particuliere, c'eft celle par laquelle on vend non une chose déterminée, mais une efpérance probable à laquelle les contractans attachent un prix dont ils conviennent. Telles font les ventes en bloc ou en gros, &c. L'efpérance incertaine peut être vendue & achetée auffi; un chaffeur peut vendre d'avance le produit de fa chaffe future, & le pêcheur ce qui fe trouvera dans le filet qu'il va jeter.

Tout monopole eft odieux & puniffable; mais il ne faut pas confondre

avec le monopole un négoce licite. Une ville qui fabrique des marchandifes qu'on ne trouve point ailleurs, ne fait point un monopole, parce. qu'elle eft la feule qui ait & qui vende de cette forte de marchandises. Un commerçant navigateur qui, feul, tranfporte des marchandifes d'un pays éloigné, n'eft pas coupable de monopole, parce qu'il eft le feul par lequel on puiffe fe procurer de ces marchandifes. Un peuple voifin d'une nation qui abonde en certaines chofes, foit naturelles ou fabriquées, ne doit pas être accufé de monopole, parce qu'il a traité avec cette nation, que ce feroit à lui feul exclufivement, qu'elle vendroit de ces chofes, qu'il revend à très-grand profit au refte des nations: c'eft par une telle induftrie que la Hollande s'eft enrichie, & avant la Hollande, Venife; il feroit plus ridicule encore, qu'injufte, de donner le nom de monopole au commerce auffi licite que floriffant de ces deux républiques.

DONNER à

S. VI.

Du contrat de louage.

ONNER à autrui, moyennant un certain loyer, un certain prix, ou un certain falaire, l'ufage d'une chofe, & fa peine ou fon travail, c'eft faire un contrat de louage. Et comme la vente eft confommée dès l'inftant qu'on eft convenu du prix; de même, dès qu'on eft convenu du loyer ou du falaire, le contrat de louage eft accompli.

Les accidens qui furviennent à la chofe louée, & qui empêchent ou diminuent fon ufage, font-ils à la charge du preneur, ou à celle du bailleur à louage? La décifion dépend d'une diftinction que tout le monde eft en état de faire; fi la chofe louée vient à périr fans qu'il y ait de la faute du preneur, celui-ci n'en eft point tenu, & même le loyer ne court plus contre lui du moment que la chofe eft périe la même décision a lieu pour tous les cas où le preneur ne peut plus jouir de la chofe qu'il a louée : fi la maifon qu'il occupe à titre de loyer, vient à être renversée; s'il en eft expulsé par les créanciers du propriétaire, &c. Mais il ne peut fe difpenser de payer le prix du foyer fous prétexte, par exemple, qu'il n'y trouve pas les commodités qu'il y fuppofoit, ou fi c'eft un bien de campagne, fur ce que la récolte eft moins abondante qu'il ne l'avoit efpéré, &c. De même que le bailleur n'a point droit au profit extraordinaire que le locataire retire d'une récolte extraordinaire, il eft inutile de dire qu'un propriétaire qui, après avoir loué une chofe la reloueroit à un autre, ou en retireroit lui-même les revenus dûs au premier locataire, eft tenu envers celui-ci de tous les profits qu'il a faits, ou de la valeur des revenus qu'il a perçus.

Au refte, le preneur doit jouir en bon pere de famille, & il eft refponsable envers le propriétaire de tout ce qui fe perd ou fe détériore par

fa faute.

Tome XXVII.

Qq

L

S. VII.

Du prêt à confomption & des intérêts.

E prêt à confomption eft un contrat par lequel on donne à quelqu'un une chofe fufceptible de remplacement, à la charge de rendre dans un certain temps, autant qu'on a reçu, de la même efpece, & de la même qualité.

Les chofes qui se prêtent le plus fouvent à ufage font, 1°. au nombre; l'argent monnoyé 2o. au poids; l'or, l'argent maffif, & le pain : 3. à la mesure; le blé, le vin, l'huile, le fel, la bierre, & en général, toutes fortes de vivres, ainfi que toutes fortes de marchandifes que l'on peut mefurer, & dont il fe trouve par-tout de pareilles, d'une égale bonté.

Si je paye à quelqu'un, à qui je ne dois rien, une fomme d'argent que j'ai cru lui devoir; ou bien fi j'ai donné à une perfonne de l'argent ou quelqu'autre effet, à condition qu'elle feroit, ou feroit faire pour moi telle ou telle autre chofe, & que la condition ait manqué : dans ces deux cas, la délivrance que j'ai faite, prend le nom de prêt tacite, & me donne action en reftitution contre ceux à qui j'ai donné mon argent : c'est ce que les Romains appelloient un quafi-contrat.

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Dans le prêt à confomption, on aliene, il eft vrai, la chofe prêtée, puifqu'elle fe confume par l'ufage; mais comme l'un ne donne qu'à la charge de recevoir l'équivalent, & que l'autre ne reçoit qu'avec promeffe de rendre les biens du débiteur ne font point augmentés, quelle que foit la valeur de la chofe prêtée, ni ceux du créancier diminués, puifque tous ceux du débiteur lui repréfentent la chofe prêtée, & qu'ils font affectés au créancier, en vertu du droit qu'il a acquis de pourfuivre l'autre en justice.

On demande fi lorfqu'entre le temps du prêt & celui du payement, il arrive du changement dans la monnoie, on doit rendre l'argent qu'on avoit emprunté, fur le pied de ce qu'il valoit lors du prêt, ou bien à raison de ce qu'il vaut au temps du payement? Cette queftion n'eft rien moins qu'épineuse, à ne confulter que l'équité naturelle; en effet, lorfque la monnoie change, c'eft-à-dire, forfque fa valeur intrinfeque diminue, par fon mauvais alloi; qui ne fent que le débiteur doit rendre l'argent prêté fur le pied de ce qu'il valoit lorsqu'il l'a emprunté; en forte que fi la nouvelle monnoie eft, par le mauvais alloi, diminuée d'un quart, alors pour cent écus il faut rendre cent vingt-cinq écus de monnoie nouvellement frappée. Mais fi, fans rien changer à la valeur intrinfeque, fans frapper de nouvelles efpeces, le fouverain ou le magiftrat ne changent que la valeur extrinfeque, foit en augmentation, foit en diminution: ce changement eft au profit, ou aux rifques du débiteur, fuivant l'augmentation ou la dimiBution des efpeces; en forte que fi j'ai emprunté cent écus qui valoient

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alors quarante-huit fols chacun, & qu'ils ayent été mis depuis à cinquante-deux fols; je ne fuis tenu que de rendre cent fois quarante-huit fols, ou bien de retenir quatre fols par écu de même, s'ils valoient cinquante-deux fols, lors du prêt, & qu'ils ayent été réduits à quarante-huit fols, je fuis obligé de rendre cent huit écus à mon créancier, ou bien de lui compter quatre fols de plus par écu; à moins que dans le prêt, on n'ait fixé la valeur des écus à quarante-huit fols, ou que le débiteur ne fe foit engagé à rendre les mêmes efpeces qu'il recevoit. Au refte, toutes les efpeces monnoyées font changées, ou les écus feulement dans le premier cas, comme le prix des chofes change en même proportion: on n'eft tenu que de rendre cent écus en même nombre : dans le fecond, la valeur intrin→ seque d'une feule forte de monnoie n'étant rehauffée que parce qu'ordinairement les autres efpeces ont fouffert quelque détérioration; par exemple, à cause de la diminution de la bonté intrinfeque des fols; le débiteur qui auroit reçu cent écus en efpeces, valant alors quarante-huit fols, ne peut payer en fols, à quarante-huit par écu; mais il eft obligé d'en donner cinquante-deux, s'il n'aime mieux payer en écus, ainfi qu'il a reçu; que fi le créancier lui a prêté en monnoie courante, alors l'augmentation des efpeces feroit au profit du débiteur, à moins que le rehauffement de la monnoie ne fût fi exceffif, & la fomme empruntée fi confidérable, qu'il y eût une trop énorme disparité entre cette fomme prêtée & le payement que l'on

voudroit en faire.

Les théologiens & les jurifconfultes fort rarement d'accord entr'eux, le font encore moins fur la queftion, favoir fi le prêt à ufure, ou pour mieux dire à intérêt, eft permis ou illicite. Les uns & les autres ont beaucoup parlé des difpofitions de la loi judaïque, ceux-ci pour décider que l'on peut ftipuler & exiger des intérêts ceux-là pour prouver au contraire que tout intérêt, quel qu'il foit, ou pour mieux dire, toute ufure, car ils ont affecté de donner conftamment ce nom au produit de l'argent, eft un gain criminel. Toutefois, fans examiner ici le plus ou moins de partia lité, d'aigreur & de févérité affectée des défenfeurs trop zélés de ces deux opinions, contentons-nous de regarder comme une regle fûre, avouée par la raifon, & confirmée par l'ufage univerfel, que le prêt à intérêt, confidéré en lui-même, & lorfqu'il n'eft point accompagné d'extorsion ni d'inhumanité, c'est-à-dire, lorfqu'il n'excede pas le profit que le créancier auroit pu retirer lui-même de fon argent, ou une partie de celui que le débiteur en fait, fur-tout lorfque l'on prête à des gens qui empruntent pour le gain, plutôt que par néceffité, n'a rien de contraire au droit de la nature, ni au droit divin, pofitif & univerfel; en forte que fi la loi de Moyfe le défendoit de Juif à Juif, c'étoit pour des raifons particulieres, vraisemblablement fondées fur la conftitution de l'Etat, & fur le caractere du peuple d'Ifraël, qui étant naturellement dur & avide, avoit besoin d'un frein qui arrêtât fon avidité exceffive, & qui d'ailleurs, vivant dans un

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