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opérés par quelqu'un de ces moyens, font nuls de plein droit. Il n'y a que le fouverain auquel il foit permis d'ufer d'autorité, pour le bien public, de régler le prix des chofes, c'eft-à-dire, de forcer les marchands à vendre certaines marchandises à tel ou à tel autre prix, les artisans à travailler pour certain falaire, les pay fans à fournir des voitures, les maîtres de navire à louer leurs vaiffeaux, &c.

Dans les contrats gratuits où tout l'avantage eft d'un côté, l'égalité, par cela même, n'y eft rien moins que néceffaire; mais elle l'eft fi fort en matiere de contrats onéreux, qu'il n'y a nulle présomption d'un don gratuit qui puiffe excufer ceux qui prennent d'une chofe plus qu'ils ne doivent recevoir, à moins que celui qui donne cet excédent de valeur n'ait formellement exprimé dans l'acte, qu'il entend donner au vendeur cet excédent de prix.

Il peut cependant arriver, que quoique le vendeur n'ait rien défraudé, ni rien exigé au-delà de ce qu'il croyoit de bonne foi lui être dû, l'acheteur découvre dans la fuite un défaut caché dans la chofe, ou une erreur dans le prix, qui caufe une très-grande inégalité. Dans ce cas, la loi réta blit l'égalité en ôtant à l'un des contractans ce qu'il a de trop, & en donnant à l'autre ce qui lui manque : & cette loi eft celle qui caffe tout contrat onéreux, dans lequel il eft intervenu une léfion qui excede la moitié du jufte prix des chofes : elle a fixé le droit de demander dans les cas feulement de léfion d'outre moitié; parce que s'il étoit libre de fe pourvoir en caffation des contrats de cette efpece pour les plus légeres léfions, les tribunaux ne fuffiroient point à juger les procès qui s'éleveroient chaque jour fur pareille matiere. Au refte, le bénéfice de cette loi eft accordé au vendeur, ainfi qu'à l'acheteur, quoique le vendeur foit bien moins excufable, par la connoiffance plus diftin&te qu'il devoit avoir de la chofe qu'il a vendue. Quelque bonne foi néanmoins qui foit requife par la loi de l'équité dans les contrats de vente; il eft cependant vrai que les hommes aimant naturellement le gain, & le commerce ne pouvant guere fe foutenir parmi les citoyens & avec les étrangers, fi l'on n'accorde quelque chofe à l'habileté & à l'adreffe des négocians, il doit être permis à l'un d'eftimer & de vendre même ce que l'autre défire, & à celui-ci d'acheter au moindre prix qu'il lui eft poffible; fans que la vente confommée, ils foient reçus, ni l'un, ni l'autre, à revenir fur ce qu'ils ont fait c'eft-là le fens d'une loi du droit Romain, liv. 4. tit. 4. du Digefte, qui porte qu'il eft permis de fe tromper l'un l'autre à l'égard du prix de ce que l'on vend & de ce que l'on achete. Auffi par une autre loi, dont on a déjà parlé, l'action en caffation du contrat n'eft-elle admife que dans le cas de léfion d'outre moitié du jufte prix: pour une moindre léfion, on n'eft reçu à fe plaindre que lorfqu'on a été trompé à l'égard du fond même de la chofe, d'un vafe d'étain, par exemple, vendu pour un vafe d'argent, &c. car alors ce n'eft pas ufer d'adreffe, c'eft commettre un larcin.

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S. IV.

Des contrats bienfaifans ou gratuits.

Na cité au premier rang des contrats gratuits le mandement, c'eftà-dire la commission, qui confifte à fe charger fans intérêt & de bonne volonté, des affaires de quelqu'un qui nous en prie. Ce contrat eft d'autant plus gratuit, que de fa nature, il ne fuppofe ni propriété, ni prix des chofes; mais feulement & par accident, celui qui commet refte obligé de rembourfer au mandataire, procureur ou commiffionnaire, les dépenfes qu'il aura faites; celui-ci de fon côté s'engageant à ne rien demander pour fa peine.

Lorfque c'eft à l'infçu de quelqu'un que l'on prend foin de fon bien, ce bon office s'appelle geftion d'affaires, & il donne action en payement des dépenfes que l'on a faites, & des foins que l'on s'eft donnés, comme de fon côté le propriétaire a action contre celui qui s'eft chargé de cette geftion lorsqu'il a laiffé dépérir fon bien par fa négligence.

A l'égard des commiffions dont on s'eft chargé, elles impofent l'obligation de s'en acquitter avec tout le foin & toute l'exactitude poffibles, quoique la commiffion tende uniquement à l'intérêt de celui qui l'a donnée; mais par cela même que l'on étoit le maître de ne point s'en charger, elle exige la plus grande vigilance. Toutefois, le commiffionnaire négligent eft fouvent moins coupable que le commettant, qui doit alors fouffrir feul des fautes de celui auquel il a eu l'imprudence de confier fes intérêts. Par exemple, lorsqu'il charge de fes affaires un homme qui par fa propre inconduite ou par fon étourderie s'eft ruiné : dans ce cas, ce procureur n'est refponfable de s'être mal acquitté de fa commiffion, qu'autant qu'il s'eft formellement engagé à y apporter tous les foins d'une perfonne exacte & que d'ailleurs, à fa légéreté près, il a toute la capacité qu'il en falloit pour bien remplir la commiffion.

Au refte, quand on a dit que le commettant eft tenu de rembourfer toutes les dépenfes faites par le procureur, on a entendu que ces dépenses ne s'étendiffent point au-delà de celles qu'il a faites uniquement pour parvenir à l'exécution de fa commiflion; en forte que le commettant n'eft point du tout tenu de dédommager le procureur de tout ce qu'il a perdu en s'acquittant de cette charge, comme s'il a été volé en chemin, s'il eft tombé malade, même à force de foins, s'il a fair naufrage, &c. Car, tous ces événemens font fortuits, & nul n'eft tenu d'en répondre. Quand même il y auroit du péril à remplir la commiffion dont on s'eft chargé, le commettant n'en eft pas plus obligé de payer les dépenfes occafionnées par les fuites de ce péril, à moins qu'il ne l'ait expreffement promis dans la commiffion.

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On demande fi l'on peut s'acquitter d'une commiffion par équivalent,

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c'eft-à-dire, par d'autres moyens que par ceux que le commettant a indiqués? Pour décider cette queftion, il faut diftinguer entre le mandement d'un supérieur & le mandement d'un égal,: car dans la commiffion que donne un fupérieur à celui fur lequel il a autorité, il ne reste à ce dernier que la gloire de bien exécuter les ordres qui lui font prefcrits, & pour peu qu'il s'en écarte, il eft refponfable & répréhenfible, même quand il réuffiroit par une autre voie. Mais s'il s'agit d'un mandement d'égal à égal, il eft conftant que la maniere d'exécuter la commiffion tracée par le commettant, eft censée n'être jamais qu'un confeil, qui laiffe au commiffionnaire la liberté d'employer d'autres voies qu'il juge plus utiles, & que rien ne l'oblige à marcher ftrictement dans la route qui lui a été tracée. Le prêt à ufage, par lequel on accorde à autrui gratuitement l'ufage d'une chofe qui appartient au prêteur, eft auffi dans la claffe des contrats bienfaifans. Les regles de ce contrat font 1°. de garder & d'entretenir la chose empruntée, avec toute la vigilance que les perfonnes les plus attentives ont pour leur propre bien; 2°. de ne les employer à d'autre ufage, ni pour plus long-temps que le propriétaire ne l'a permis : 3°. de la rendre telle qu'on l'a reçue, & fans autre altération que celle qui devoit néceffairement réfulter de l'ufage qui en a été fait; 4°. de la rendre avant le temps prescrit, & auffitôt qu'on en eft requis, fi le propriétaire en a néceffairement befoin pour lui-même & par un accident qu'on n'avoit pas prévu lors du prêt. Ce contrat differe du précaire, en ce que le précaire ne dure qu'autant & fi peu qu'il plaît à celui qui a prêté.

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Si la chofe prêtée vient à périr par un accident fortuit que l'emprunteur n'a pu prévoir, eft-il tenu de la payer, ou d'en rendre une autre de même nature? Les jurifconfultes diftinguent, & décident que fi la chofe eut également péri dans les mains du propriétaire, s'il ne l'avoit pas prêtée l'emprunteur n'eft nullement tenu de la rendre mais fi elle fe fut confervée, fi elle eut refté entre les mains du propriétaire, alors l'emprunteur eft obligé de la reftituer ou bien la valeur. Toutefois, fi l'effet que vous m'avez prêté a été brûlé avec tout ce que je poffédois dans ma maifon réduite en cendres, il y auroit de l'inhumanité à exiger de moi, qui ai tout perdu, le payement de cet effet: mais fi j'ai fauvé mes meubles les plus précieux, mes effets & mon argent de l'incendie; alors je fuis tenu de vous payer la chofe prêtée que je devois auffi fauver des flammes la même décifion a lieu pour la chofe prêtée, & périe dans un naufrage.

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Le dépôt par lequel on donne en garde à quelqu'un qui s'en charge gratuitement, une chofe qui appartient à celui qui la confie, ou à laquelle il a un intérêt direct ou indirect, eft encore un contrat bienfaifant; & l'obligation du dépofitaire eft de garder foigneufement la chose déposée & de la rendre auffitôt que celui qui la lui a remife la redemande. Toutefois, fi en rendant le dépôt il y a quelque rifque évident de caufer du préjudice ou au dépofitaire ou à d'autres, on n'eft nullement tenu de ren

dre le dépôt; au contraire, on doit d'autant plus attentivement le garder. Car, fi n'ayant confié votre épée pendant que vous aviez le libre usage de votre raison, vous me la redemandez lorfque vous êtes dans le délire, ou quand je fais, que c'eft pour en aller percer le fein de votre ennemi; très-certainement, la raison & l'humanité me défendent de me deffaifir de ce dépôt. Vous m'avez confié une grande fomme d'argent, enfuite vous tramez un complot contre l'Etat ; &, comme cet argent vous eft néceffaire pour réuffir dans votre attentat, vous me le redemandez; mais je ferois prefqu'auffi criminel que vous, fi, je vous le rendois. Un malheureux a volé des effets, & il vient me les confier en dépôt; je fuis informé de fon vol, & je n'ai garde de lui rendre ces effets: c'eft au propriétaire à qui on les a enlevés que je dois les remettre, en obfervant les formalités prefcrites en pareille circonstance.

On ne peut exiger du dépofitaire d'autre foin pour la garde de la chose dépofée, que celui qu'il apporte à fes propres affaires; car, s'il eft négligent, dans ces dernieres, & que par une fuite de ce défaut la chose déposée vienne à fe perdre, le dépofitaire ne doit s'en prendre qu'à luimême, & au peu de prudence qu'il a eue de ne pas choisir une perfonne plus vigilante.

Si la chofe déposée eft fujette à fe détériorer par l'usage, ou fi perdue, on ne peut pas à tout inftant la remplacer, comme de l'argent, des vafes précieux & fragiles, &c. le dépofitaire ne peut point s'en fervir en aucune maniere, fans le confentement du propriétaire, & s'il s'en fert, il commet un larcin. A plus forte raison, celui qui abuferoit d'un dépôt, que la néceffité auroit forcé de lui confier, des effets, par exemple, qu'on lui auroit remis en garde pendant un incendie & qu'il auroit détournés, mériteroit une punition rigoureuse; auffi, l'infidélité d'un tel dépofitaire eft-elle punie de mort, non-feulement parce qu'il viole les loix de la juftice, & les droits de la propriété, mais parce qu'il foule aux pieds les loix de l'amitié & les devoirs facrés les plus indifpenfables de l'humanité.

APRÈS

S. V.

De l'échange & du contrat de vente.

PRÈS avoir parlé des obligations qui réfultent des contrats bienfaifans ou gratuits, il refte à parler des contrats onéreux ou intéreffés de part & d'autre, le premier de ceux de cette claffe par fon ancienneté eft l'échange; car, il eft très-conftant qu'avant l'invention du prix éminent ou de la monnoie, tout le commerce confiftoit à échanger entre elles les différentes choses.

Actuellement l'échange fe fait de deux manieres; l'on commence par eftimer les choses qu'on veut troquer, & on les apprécie comme fi l'on

vouloit les vendre argent comptant, & enfuite les contractans fe les donnent l'un à l'autre en place du prix qu'ils y avoient attaché; l'autre eft plus fimple; on troque une chofe pour une autre, en les comparant feulement, & ne confidérant que leur valeur propre & intrinfeque. La premiere forte d'échange eft regardée comme une vente réciproque, les chofes échangées tenant lieu d'argent, fuivant l'eftimation faite par les contractans; & cette efpece de vente eft fort ufitée entre marchands.

Deux amis qui fe font une donation réciproque, fans avoir eftimé les chofes qu'ils fe livrent mutuellement, & qui peuvent être d'une valeur très-inégale, font cenfés faire un échange; l'acte par lequel ils fe donnent l'un à l'autre n'ayant point d'ailleurs de nom particulier.

La vente eft le deuxieme des contrats intéreffés de part & d'autre; on peut même dire qu'il eft le premier, & le plus en ufage depuis l'invention de la monnoie : on fait que c'eft un contrat par lequel, au moyen d'une certaine fomme d'argent, que l'on donne au vendeur, on acquiert de lui la propriété d'une chose ou quelque autre droit équivalent. Dans quelle circonftance la vente doit-elle être cenfée accomplie? Suivant les loix des Romains, c'est auffitôt que les deux contractans font convenus du prix de la chofe; car, dès-lors, difent-ils, le vendeur peut obliger l'acheteur à prendre la chofe & à lui en payer le prix, & l'acheteur a action contre le vendeur pour l'obliger à lui livrer la chofe du prix de laquelle ils font convenus. Mais il peut arriver qu'alors même il manque quelque chose à la vente qui la rendant encore imparfaite, empêche que les deux contractans ayent action en juftice l'un contre l'autre : & ce cas peut avoir lieu, foit par une raifon générale, foit par une raifon particuliere : par une raifon générale, lorsqu'à la vérité les deux contractans font en marché, mais qu'ils n'ont encore rien conclu, ou bien, qu'ils n'ont conclu qu'en termes généraux; en ceux-ci par exemple, nous n'aurons point de difficultés, vous ne payerez que ce que cette chofe vaut, &c.: alors comme il n'y a point d'obligation contractée, le vendeur & l'acheteur font très-libres de le dédire. La vente n'eft pas accomplie par une raifon particuliere, quoique même le contrat foit écrit & figné, lorfque ce contrat renferme une condition expreffe ou fous-entendue, qui fufpend l'effet & l'obligation; ce qui a lieu par exemple, lorfque l'on prend une chose à l'effai; ou bien lorfqu'il eft queftion de la mesure d'une chofe, dans le cas où il eft cenfé que cette mefure doit être déterminée par une condition tacite; car fi j'achete du drap pour un habit, fans déterminer combien j'en achete, il eft très-certain que je fuis cenfé avoir entendu vouloir en acheter, autant qu'il m'en faut pour un habit, & s'il fe trouve que la piece que le marchand m'a livrée ne fuffit pas, il n'y a point de vente également fi j'achete un tas de blé que l'on me vend pour cent fetiers, & que je paye à raifon de cette quantité, s'il s'y trouve moins de cent fetiers, j'ai action contre le vendeur, & la vente eft annullée.

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