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diftinguer par la poffeffion de certaines chofes, donne du prix à celles-ci: cependant on appelle prix d'inclination, la valeur que l'on attache aux chofes auxquelles on eft accoutumé, ou dont on a grand befoin à celles que nous tenons des perfonnes qui nous font cheres, &c. On fait que les anciens Gaulois n'euffent voulu à aucun prix, fe deffaifir de la tête qu'ils avoient enlevée à quelqu'un de leurs ennemis; ils la confervoient avec foin, & attachoient plus de valeur à ce, monument de leur victoire, qu'ils n'en attachoient à l'or & aux pierres précieuses.

Dans les Etats bien policés, on attaché à certaines chofes un prix fixe, & pour les taxer on fe regle d'après certaines confidérations. On dit dans un Etat civilifé, car il eft incontestable que dans l'indépendance de l'état de nature, chacun eft libre de mettre le prix qu'il veut aux chofes qui lui appartiennent, quelles qu'elles foient, & que perfonne, quelque befoin que l'on fuppofe, n'eft en droit de fe plaindre de ce qu'un autre lui refufe une chofe à un prix moindre que celui auquel il l'a mife. Mais dans une fociété civile, le prix des chofes fe regle de deux manieres, ou par les loix du fouverain, ou par l'eftimation que les particuliers en font d'un confentement mutuel : fi c'eft par le fouverain, cette eftimation prend le nom de prix légitime, du moins fuivant l'opinion de quelques-uns; fi c'eft par l'ef timation commune des particuliers, on l'appelle prix commun, ou prix courant. Le prix légitime eft tel, que les chofes doivent être vendues d'après fa fixation, qu'on ne peut aller en deçà ou au delà fans commettre une injuftice; au lieu que pour les chofes dont l'eftimation eft réglée par le prix commun, il eft très-permis d'en donner quelque chofe de plus, ou quelque chofe de moins. Ce prix a trois degrés, que l'on diftingue, 1°. le plus bas, 2°. l'honnête ou le médiocre, 3°. le plus haut ou le plus ri goureux. Il est très-difficile de déterminer par une regle générale, le véritable point où fe termine chacun de ces degrés. Il eft plus fimple de dire qu'en général, concernant cette évaluation, le prix de chaque chofe eft communément ce qu'en donnent les perfonnes qui s'entendent en négoce & en marchandife; les raitons qui le font hauffer ou baiffer, font le plus ou le moins de dépenfes des marchands, & la peine qu'ils prennent. Par ces dépenses on entend la difficulté, la longueur, & les dangers des chemins, ou de la navigation, ainfi que la différence des monnoies & des marchandises, &c.

Les hommes purent fe contenter du prix propre ou intrinfeque, ainfi que du prix légitime, tant que les objets de commerce furent reftreints à des denrées & à des chofes d'ufage ordinaire, ou de fimple néceffité; mais lorfque le luxe, la fenfualité, la curiofité, mille autres paffions eurent multiplié les défirs qui créent les befoins factices, le commerce s'étendit & ne put plus être fait par échange; alors donc il fut néceffaire, pour payer la valeur de tout ce que l'on vouloit fe procurer, d'attacher, par une espece de convention, à une certaine chofe, un prix éminent, par lequel on

pût mefurer le prix propre & intrinfeque de tous les autres objets. Ce prix eft la monnoie, ou l'or, l'argent, le cuivre, les métaux les plus eftimés & les moins communs, réduits en petites pieces de plus ou de moins grande valeur, fuivant les fignes estimatifs que les fouverains ou les peuples y attacherent.

Toutefois, quoique cette valeur des efpeces monnoyées dépende de l'institution & des conventions humaines, le fouverain en la réglant, eft indifpenfablement obligé d'avoir égard à certaines chofes; & entr'autres, 1o. à l'opinion univerfelle; car, en tous lieux, l'or eft plus eftimé que l'argent, l'argent plus que le cuivre, & fuivant la proportion que tous les peuples mettent entre ces métaux; 2°. que le but effentiel de la monnoie étant de faciliter le commerce, non-feulement d'un Etat, mais entre les différens peuples; hauffer la valeur des efpeces; c'eft les rendre inutiles par rapport aux étrangers avec qui l'on trafiquera; comme auffi, les faire de méchant alloi; c'eft leur donner une moindre valeur intrinfeque, que celle des monnoies étrangeres; car alors, les étrangers refuferont de donner leurs marchandises pour d'auffi mauvaises efpeces, &c.

Puifqu'il eft convenu que la monnoie eft la regle du prix de toutes chofes il est évident que l'on ne peut y rien changer fans rifque, & qu'un tel changement ne doit être fait que dans les plus grands befoins de l'Etat, & par une néceffité abfolue: car, la plus légere imprudence dans une telle opé ration, peut jeter le commerce dans l'embarras, & les affaires des citoyens dans le défordre. C'eft alors fur-tout qu'il faut fe fouvenir que la monnoie renferme virtuellement le prix de toutes chofes; & que fi une piece égale actuellement la valeur d'une autre chose de différente nature, cela ne vient ni de la matiere feule des efpeces d'or ou d'argent, ni du nom & de la forme particuliere qu'on leur a données, ni de l'empreinte qu'elles portent; mais de la comparaifon qu'on en fait à la rareté ou à l'abondance de l'argent, avec toutes les autres chofes, & principalement avec celles qui font les plus néceffaires à la vie or l'objet principal & perpétuel avec lequel on compare l'or & l'argent monnoyés, eft la terre & fes productions; attendu qu'il n'y a dans les Etats que deux claffes principales, l'une de ceux qui ont, ou qui cultivent la terre, l'autre de ceux qui, par leur industrie, procurent ou augmentent les commodités de la vie. Or, fi l'argent monnoyé furabonde, & que dans le même temps les terres & leurs produits foient à bas prix, les laboureurs font inévitablement ruinés : fi l'argent eft rare au contraire, & qu'en même temps les denrées de premiere néceffité fe vendent fort cher, la claffe industrieuse périra de faim: la mifere de cette claffe augmentera encore, fi dans le même temps, le prix ou le salaire de l'induftrie n'eft pas hauffé en proportion de la difette des vivres & de la rareté des efpeces. De ces obfervations dont l'expérience a tant de fois démontré la jufteffe, il fuit que pour régler la valeur des monnoies, on ne fauroit avoir trop d'égard à la valeur des terres, fur-tout dans les Etats où la terre eft fertile & les fabriques nombreuses.

D'après les mêmes obfervations, on voit auffi d'où provient le changement qui s'eft fait dans la valeur intrinfeque de la monnoie, ainfi que dans la valeur des autres chofes depuis trois ou quatre fiecles. Car alors, on avoit pour cent écus un fonds de terre qui feroit eftimé aujourd'hui trois & quatre mille livres ; & un artifan étoit, avec cinq fols, bien payé d'un ouvrage, qu'il peut donner à peine aujourd'hui pour quatre livres. Il faut attribuer ce changement à la grande quantité d'or & d'argent qui nous eft venu des Indes & de l'Afrique, ainfi qu'à celle qu'on a tirée des mines d'Europe; furabondance qui a fait baiffer la valeur propre & intrinfeque des efpeces monnoyées, & hauffer en proportion, le prix des autres chofes; quoique ce ne foit que la valeur intrinfeque de la monnoie qui a changé; car, l'or & l'argent maffifs ont toujours confervé leur ancienne valeur, puisqu'une once d'or ou d'argent fe paye aujourd'hui ce qu'elle fe payoit il y a deux cents ans, mais il faut plus d'efpeces pour la payer, vu le furhauffement de la valeur de ces efpeces, relatif à leur abondance. Au refte, la monnoie eft toujours demeurée la mesure commune du prix des chofes, parce que ce changement ne s'eft pas fait tout d'un coup, mais fucceffivement; ainsi qu'il arrive toujours en pareille matiere; car, la valeur de l'argent diminue d'une maniere fi lente & fi infenfible, que ce n'eft jamais qu'après bien des générations qu'on s'apperçoit de toute l'étendue de

fon décroiffement de valeur.

S. I I.

Des contrats en général.

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LES jurifconfultes ont diverfement défini les contrats, & la plupart d'entr'eux les ont confondus avec les conventions. Puffendorff les diftingue & veut que par contrats en général, on entende les engagemens au fujet des chofes & des actions qui entrent en commerce, & qui fuppofent l'établiffement de la propriété & du prix des chofes; au lieu que par fimples conventions, il veut qu'on entende celles que l'on fait fur tout le refte des chofes. Ce font donc de fimples conventions, que celles par lesquelles on s'engage à ne pas faire ou à ne pas demander ce que l'on pouvoit de plein droit, ou demander ou faire en un mot, on comprend fous le mot de convention, toute forte d'accord & de traité, au fujet de quelqu'action ou de quelque travail qui ne doit pas fe faire pour de l'argent. Ce n'eft au refte, que pour plus d'exactitude que l'on définit ainfi ces deux manieres de traiter; car, dans l'ufage, on donne affez indiftinctement le nom de convention ou de contrat à des actes faits fur des chofes qui n'entrent point en commerce; & des conventions matrimoniales font communément appellées un contrat de mariage.

Les contrats font ou obligatoires d'une part feulement, ou obligatoires des deux parts, ou mixtes, c'est-à-dire, qui tiennent des deux premiers.

Le prêt à confomption, & la ftipulation ou promeffe verbale, faite dans les formes, font des contrats obligatoires d'une part; les contrats de vente, de louage, de fociété, obligent les deux contractans; le prêt à usage, le dépôt, le gage ou l'hypotheque, font des contrats mixtes.

Les jurifconfultes divifoient autrement les contrats, & ils les appelloient ou réels, ou de fimple confentement, ou verbaux, ou contrats par écrit. Les réels étoient ceux en vertu defquels on étoit en droit de demander une chofe, non, parce qu'on avoit ftipulé à son fujet, mais parce qu'elle avoit été actuellement délivrée : ainfi, le prêt n'obligeoit point parce qu'on avoit emprunté, mais parce qu'on avoit réellement reçu la chofe empruntée, &c. Ils appelloient contrats de fimple confentement ceux qui impofent l'obligation de faire ce à quoi l'on s'engage dès l'inftant que l'un ou l'autre des contractans a donné à connoître fa volonté, fans que la délivrance de la chose ait été actuellement effectuée. Le contrat verbal eft celui qui confifte en certaines formalités, ou certaines manieres prefcrites d'interroger & de répondre. Les obligations par écrit font ce que l'on appelle contrats par écrit, car ils obligent par cela feul qu'on a reconnu par écrit devoir, une chofe quoique l'obligation ne porte point qu'elle a été délivrée au débiteur. Les mêmes jurifconfultes appelloient contrat, fans nom, les conventions qui n'avoient point de nom propre & affe&té qui marquât la forme & la nature de la chofe ftipulée, tel eft l'échange; attendu que tout eft échange, & que par ce feul mot, on ne comprend pas s'il a été queftion d'une vente, ou de donner, afin qu'on donne, &c.

Une divifion plus fimple eft celle de contrats de bienfaisance, ou gratuits, & qui procurent à l'un des contractans un avantage gratuit; tels font le mandement ou la procuration & le dépôt, & contrats onéreux ou intéreffés de part & d'autre; ce qui revient à la divifion en contrats de bonne foi & en contrats rigoureux. Les premiers font appellés ainfi, parce qu'ils donnent une action de bonne foi, & qu'ils laiffent au juge la liberté de prononcer felon les maximes de l'équité; au lieu que dans l'action de droit rigoureux, & relativement aux contrats qui la donnent, le juge eft obligé de fuivre ftrictement certaines formules, & de ne pas s'écarter en aucune maniere, de ce qui a été écrit.

On diftingue quatre claffes de contrats onéreux: 1°. Donner, afin que l'on nous donne; 2. faire, afin que l'on faffe pour nous; 3°. Donner, afin que l'on faffe pour nous; 4°. Faire, afin que l'on nous donne. C'est à ces contrats onéreux, dont il feroit trop long de proposer des efpeces, ainsi qu'aux contrats gratuits que fe réduifent, à peu près, tous les contrats fimples.

Il est des contrats mixtes, c'est-à-dire, où il entre deux actes de différente nature. Par exemple, j'achete une chofe au-delà de fa valeur, le fachant, le voulant, & je confens que le furplus refte au vendeur; ou bien je vends une chofe au-deffous de fa valeur & je tiens quitte l'acheteur de

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ce qui manque. C'eft en partie un achat & en partie une donation. De même l'emphyteofe eft mêlée de vente & de louage, comme la conceffion d'un fief tient en partie de la donation, en partie des contrats de la feconde claffe, faire afin que l'on faffe, & en partie de ceux de la troifieme, donner afin que l'on faffe pour nous; car fi d'un côté, le fief vaut beaucoup plus que les fervices militaires auxquels le vaffal s'engage; de l'autre, le feigneur n'accorde ce fief & fa protection à son vassal, qu'afin d'être en droit d'exiger de celui-ci, des fervices militaires.

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§. III.

De l'égalité qu'il doit y avoir dans les contrats intéreffés de part &

d'autre.

E prix des choses étant réglé d'une maniere fixe, & chaque chose ayant la valeur déterminée, il eft conftant que la premiere regle des contrats onéreux eft qu'il y ait égalité de part & d'autre, c'eft-à-dire, que chacun des contractans reçoive autant qu'il donne : en forte que celui qui fe trouve avoir reçu moins qu'il n'a donné, ait action contre l'autre, foit en réfiliation du contrat, foit en dédommagement de ce qui manque à ce qu'il a reçu.

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De ce principe, il réfulte que les contractans doivent avoir une connoiffance égale de la chofe au fujet de laquelle ils traitent. Ainfi, le vendeur eft obligé de déclarer à l'acheteur non-feulement les bonnes, mais aufli les mauvaises qualités de la chofe qu'il vend; car, fans cela il n'y auroit aucun moyen de régler fon prix avec quelque jufteffe. C'eft la nature même du contrat onéreux qui impofe ce devoir, & non les loix générales de l'humanité, fuivant lefquelles perfonne n'eft dans l'obligation d'informer les autres de fes affaires, de leur découvrir les qualités des cho.fes qu'il poffede mais alors on n'entre auffi avec perfonne dans aucun engagement qui fuppofe la néceffité de rendre compte de la nature ou de la valeur de ce qu'on a; au lieu que les contrats fe faifant pour l'avantage mutuel des contractans, le devoir de ceux-ci eft de fe procurer de bonne foi l'un à l'autre cet avantage, incompatible avec la diffimulation. Toutefois, ce devoir ne s'étend point jufqu'à déclarer les défauts qui ne font ou qui ne peuvent être ignorés de la part de celui ou de ceux avec qui l'on contracte. En effet, fi j'achete une maifon ou un bien de campagne affujetti à une fervitude qui m'a été déclarée par le vendeur, & fi dans la fuite ce même vendeur, m'achete cette maifon ou ce bien, je ne fuis nullement obligé de faire mention de cette fervitude, qui lui étoit fuffisamment connue.

Si l'on eft obligé de déclarer les défauts de la chofe que l'on vend, à plus forte raison eft-il défendu d'employer aucune voie illicite, telles que la force, la crainte, &c. pour forcer quelqu'un à traiter, & les contrats Tome XXVII. Pp

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