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fonnes libres, contre la liberté defquelles on ne pouvoit prefcrire; 20. des chofes facrées, & des fépulcres qui étoient cenfés appartenir à la religion; 3°. des biens d'un pupille qui, pendant la minorité, ne pouvoit revendiquer par lui-même fes droits, ni fouffrir de la négligence de fon tuteur; 4°. des chofes dérobées, à cause du vice du titre, lors même que celui qui auroit acquis la chofe dérobée, la poffédoit de bonne foi; 50. enfin, tout ce qui n'entre point en commerce eft imprefcriptible; tels font les lieux publics, les biens qui appartiennent au public, ceux qui appartiennent au fifc, le domaine du prince, &c.

Les effets de la prescription paroiffent du premier coup-d'œil, un peu durs, & peu proportionnés à la peine que méritent les propriétaires négli gens, qui laiffent preferire contre eux cependant, pour peu qu'on y réfléchiffe, on trouve que cette maniere d'acquérir eft très-favorable au re pos de la fociété, qui feroit perpétuellement troublée par les procès & les difputes, s'il n'y avoit point un temps de jouiffance preferit, après lequel on pût s'affurer la propriété de ce que l'on poffede. Dans l'efpace de trente ans les générations fe renouvellent; le genre humain change de face; quel feroit le repos de la génération exiftante, s'il dépendoit des procès que l'on pourroit intenter pour les chofes qui fe feroient paffées dans la génération précédente, qui feroit à l'égard de celle qui exifte, comme un autre fiecle? Auffi eft-ce par la même raifon, que le temps éteint les crimes & la punition qui leur étoit due.

Pour oppofer valablement le droit de prefcription, il faut avoir acquis à jufte titre, la chofe dont celui de qui on la tient, n'étoit pas le véritable maître, c'eft-à-dire, que le titre doit avoir été par lui-même, capable de transférer la propriété, & que celui à qui elle a été transférée, air cru de bonne foi en devenir le légitime propriétaire.

La poffeffion ne doit être interrompue ni naturellement, ni civilement : or, elle l'eft naturellement lorfque le poffeffeur de bonne foi, l'a totalement négligée, & comme abandonnée pendant quelque temps, ou bien, quand elle eft retournée au pouvoir du véritable maître elle eft interrompue civilement lorfque le véritable maître a réclamé fes droits, ou bien, qu'il en a juridiquement protefté. Dans tous ces cas, la prescription ne fauroit avoir lieu. Du refte, quoique la mauvaise foi du premier poffeffeur ne puiffe point être couverte par le temps, cependant, fon fucceffeur qui a pris poffeffion de bonne foi, d'une chofe particuliere, commence & acheve validement le temps de la prefcription par fa propre poffeffion. Il n'en eft pourtant pas de même d'un héritier ou fucceffeur univerfel; parce que, quelque bonne foi qu'il air, repréfentant le tefil ne peut empêcher l'effet de la mauvaise foi de celui qu'il représente. Suivant le nouveau droit Romain, le poffeffeur de bonne foi prescrit par dix ans entre préfens, & par vingt ans entre abfens, quoique celui dont il tient la chofe, ait poffédé de mauvaise foi. Tel eft le temps limité

tateur,

pour

pour la prescription des immeubles; quant à celle des chofes mobiliaires, elle eft limitée à trois ans. Il faut néanmoins obferver que dans le cas où le véritable maître n'a pas eu la liberté de s'oppofer à la prescrip¬ tion, elle ne court pas contre lui.

Cette maniere d'acquérir eft en partie fondée fur le droit naturel, & en partie fur le droit civil: elle l'eft fur le droit naturel, par cela même que les propriétaires s'étant foumis aux loix civiles, qui peuvent borner en diverfes manieres le droit de propriété, ils ont confenti, du moins tacitement, au transport de propriété qui fe fait par la prefcription: mais elle eft fondée fur le droit civil, en ce que c'eft purement la loi civile qui a voulu que cette prescription fe fit par dix, ou vingt ans, plutôt que par douze, ou par quinze.

A l'égard de la prefcription de bonne foi de part & d'autre, c'eft-à-dire, dans le cas où un bien délaiffé par le propriétaire, eft occupé de bonne foi par un nouveau maître, elle eft entiérement fondée fur la loi naturelle, attendu que le délaiffement tacite de l'ancien maître, eft regardé comme une renonciation à fes droits fur ce bien, chacun étant très-libre de faire une femblable renonciation.

En elle-même, & indépendamment du temps limité par les loix, la prefcription eft une fuite néceffaire de la propriété des biens; car l'intérêt de la paix générale & particuliere exige, que quiconque poffede une chofe, qu'il n'a ni enlevée, ni dérobée, ni reçue à titre précaire, en soit regardé comme le véritable propriétaire; & que, fi après un laps de temps. confidérable, durant lequel il eft cenfé que le maître, même le moins foigneux de fes affaires, s'informera de ce qu'eft devenu fon bien, fi après ce long délai, ce poffeffeur de bonne foi, vient enfin à être inquiété par l'ancien maître, la demande foit tardive, & ce maître trop négligent renvoyé pour n'avoir pas fait à temps fes diligences.

La prefcription a lieu de peuple à peuple, comme de particulier à particulier; elle a lieu auffi entre fouverains, quoiqu'il feroit pourtant affez inutile de recourir, dans leurs démêlés, à un femblable droit, leur poffeffion étant communément appuyée fur d'autres fondemens. A l'égard de peuple à peuple, la préfomption eft toujours d'autant plus à l'avantage du poffeffeur, qu'il n'eft pas vraisemblable que fi l'autre peuple avoit des droits fondés fur le pays poffédé, il en eût laiffé la poffeffion tranquille. Si c'est en temps de guerre que cette poffeffion a commencé, communément les traités qui terminent les guerres, font rentrer les pays conquis au pouvoir des anciens poffeffeurs, ou ceux-ci les abandonnent au conquérant.

Tome XXVII.

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Des devoirs qui refultent de la propriété; & des obligations d'un poffeffeur de bonne foi.

ON a Na déjà parlé de ces devoirs, puifqu'ils confiftent à s'abftenir religieufement du bien d'autrui, & à ne pas étendre fur les poffeffions étrangeres, les bornes de ce que l'on poffede; à lui rendre ce qui lui appartient, & qui eft tombé entre vos mains, fans qu'il y ait de la mauvaise foi de notre part. Cette obligation réfulte évidemment de la nature de la propriété; car, quelle feroit la propriété affurée, fi une chofe qui a un véritable maître, venant à tomber entre les mains d'un autre, celui-ci pouvoit la retenir, & s'en accommoder, ou la garder malgré le propriétaire qui la réclameroit. Cette obligation fondée fur l'équité naturelle, indique bien diftinctement combien eft injufte la coutume des pays où l'on confifque les biens des malheureux qui ont fait naufrage, & celle qui adjuge au fifc la chose dérobée qui devroit être rendue au propriétaire.

Cette obligation prouve encore la nullité des contrats particuliers faits au fujet d'une chofe dont le véritable maître a été dépouillé, de quelque maniere qu'elle lui ait été prise.

Ce n'est pas même affez de rendre en nature à autrui les chofes qui lui appartiennent; la même équité naturelle veut que le poffeffeur de bonne foi des chofes qui ne font plus en nature, ou qu'il a confommées, rende la valeur du profit qu'il en a fait. D'après ces principes on décide, 1o. que tout poffeffeur de bonne foi, n'eft obligé à aucune reftitution fi la chofe eft venue à périr ou à fe perdre attendu qu'en ce cas, il n'a ni la chofe ni le profit; 2°. Qu'un poffeffeur de bonne foi eft tenu de rendre, non-feulement la chofe, mais auffi les fruits, qui fe trouvent encore en nature; 2°. qu'un tel poffeffeur eft tenu de rendre auffi la valeur des fruits confommés, s'il y a lieu de croire que, fans cela, il en eut confommé tout autant de femblables. A ce fujet, on cite un exemple d'équité donné pourtant par le plus injufte des hommes, Caligula, qui, rendant la couronne à plufieurs princes qui avoient été dépouillés de leurs Etats, leur fit reftituer auffi tous les revenus recueillis depuis le temps qu'ils n'en jouiffoient plus. 4°. Qu'un poffeffeur de bonne foi n'eft pas tenu de rendre' la valeur des fruits qu'il a négligé de recueillir ou de faire venir en nature. 5°. Qu'un tel poffeffeur ayant reçu une chofe en préfent, & Payant lui-même donnée à quelqu'autre, il n'eft point obligé de la rendre, 2 moins que fans cela, il n'en eut donné une autre du même prix, parce qu'alors il profiteroit, en ce qu'il épargneroit fon propre bien.

Au refte, dans le cas où un poffeffeur de bonne foi ayant acquis la chofe à titre onéreux; l'a aliénée depuis, de quelque maniere que ce foit, il n'eft obligé que de rendre le gain qu'il a fait par cette aliénation. Mais

quand même il auroit acquis à titre onéreux, il ne peut demander au maitre de la chofe ce qu'il a débourfé, mais feulement à celui de qui il la tient.

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Enfin, fi l'on a reçu quelque chofe à titre déshonnête, ou bien pour une chose honnête en elle-même, mais qu'on étoit obligé de faire gratuitement; par le droit naturel, on n'eft point tenu de reftituer. Car, quelle feroit la raifon de reftituer une chofe qu'on a acquife du confentement de l'ancien maître. A l'égard de ce qu'on a reçu à titre déshonnête, à-dire, fi l'on a extorqué le confentement du propriétaire, ou s'il y a quel que vice dans la maniere dont on s'y eft pris, pour le porter à fe défaire de fon bien, fans contredit, on eft obligé à reftituer ce que l'on a reçu.

LIVRE V.

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Du prix des chofes; des contrats; des différentes manieres dont on eft dégagé d'une obligation; de l'interprétation des loix; de la maniere de vider les différens dans l'état de nature.

§. I.
I.

Du prix des choses.

A MESURE que l'on avance dans la connoiffance du droit de la nature & des gens, les principes de cette fcience deviennent plus étendus, les maxinies applicables à un plus grand nombre de cas, & les matieres plus généralement importantes, par les rapports plus directs qu'elles ont, foit aux nations en particulier, foit à la réciprocité des intérêts de divers peuples. On voudroit abréger, & refferrer la chaîne de ces principes; mais on fent qu'elle s'étend, & ne fe prête point autant qu'on le défireroit, à la précifion de l'analyse.

Toutes les chofes qui entrent en propriété, n'étant ni de même nature, ni d'un même ufage, il étoit indifpenfable d'attacher, par quelque convention, une idée à ces chofes, au moyen de laquelle il fut poffible & facile de les comparer & les réduire à une jufte égalité mais comme l'égalité n'est autre chose que le rapport d'une même quantité, c'eft cette quantité de chofes qui entrent en propriété, que l'on a prife pour mesure de leur valeur, ou de leur prix. Cette quantité eft très-diftincte de ces autres mefures appellées, l'une quantité phyfique, l'autre quantité mathématique : car l'étendue de la fubftance des chofes ne renferme point la quantité en général, laquelle confifte dans l'eftimation & les mefures dont elles font fufceptibles; c'eftà-dire, qu'on ne leur attribue quelque quantité que parce qu'on les me fure, on les compare les unes avec les autres, & l'on fixe par le réfoltat, leur égalité ou leur inégalité. C'est donc, fuivant cette quantité morale,

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qu'on eftime & mefure moralement les chofes, indépendamment de la quantité physique, qui entre auffi dans cette eftimation, lorfque les chofes font de même nature & de même bonté. Et en effet, qui ne fait que de deux diamans également brillans & fans défaut, le plus gros vaut beaucoup davantage que le plus petit? Mais on ne fait pas la même attention, & fouvent on n'en fait aucune dans les chofes de différente nature; une petite piece d'or l'emporte fur un gros volume de plomb, &c. Ainfi donc, on peut définir le prix en général, une quantité morale ou une certaine valeur des chofes qui entrent en commerce; quantité fuivant laquelle on les compare les unes avec les autres.

On ne connoît que deux fortes de prix, le propre, ou intrinfeque, & le prix virtuel ou éminent. Le propre eft celui qu'on conçoit dans les choses même, ou dans les actions, eu égard à ce qu'elles nous font utiles, commodes ou agréables. Le prix virtuel eft la valeur fixée à la monnoie, ou à tout ce qui en tient lieu, comme repréfentant ou renfermant virtuellement la valeur des chofes ou des actions.

L'aptitude des chofes à fervir médiatement ou immédiatement, aux befoins, aux commodités ou aux plaisirs de la vie, eft, ainfi qu'on le fent, le fondement du prix propre ou intrinfeque. Il eft bon d'obferver néanmoins qu'il y a bien des chofes, fort utiles à la vie, & auxquelles on n'a cependant point attaché aucun prix; car, on n'eftime point l'air, la lumiere, la fanté, la liberté, &c. Voilà pourquoi auffi, les Romains n'attachoient point de prix aux chofes facrées, ainfi qu'à toutes celles qui étoient cenfées appartenir à la religion : c'eft encore par la même raison qu'il eft des actions, qui devant être faites fans intérêt, ou d'autres qui, étant défendues par la loi divine ou humaine, ne peuvent être mifes à prix, ni être exercées pour de l'argent.

Une feule & même chofe augmente ou diminue de prix, par des raifons particulieres qui les rendent, tantôt plus, tantôt moins utiles, plus ou moins agréables, &c. La rareté d'une denrée, la rend chere, fon abondance la rend meilleur marché, fa furabondance la déprécie encore davantage. Certaines choles font plus cheres en hiver qu'en été; le luxe qui multiplie fi fort les befoins factices, donne un prix, fouvent très-haut, à des choses de peu de valeur en elles-mêmes, & quelquefois de nulle valeur.

A parler en général des ouvrages de l'art, leur valeur & leur prix dépendent de l'habileté de l'ouvrier, de la délicateffe & de la beauté du travail, comme auffi très-fouvent, de l'opinion & prefqu'auffi fréquemment du caprice de ceux, qui veulent fe procurer ces fortes de chofes : quoiqu'il refte vrai cependant que la peine & la difficulté de l'ouvrage, l'adresse qu'il faut pour y réussir, l'état & la fituation de ceux, en faveur de qui, l'induftrie exerce fon habileté, augmentent le prix des chofes, ainfi que celui des actions qui entrent en commerce.

Le défir, l'inclination, ou pour mieux dire, très-fouvent la manie de se

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