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& quelque droit cafuel, qu'il pourra faire valoir par l'événement, ou à défaut de certaines conditions.

La délivrance de la chose aliénée est nécessaire pour accomplir l'aliénation: mais ce n'eft pas que l'on doive mettre la délivrance au nombre des manieres d'acquérir, puifqu'elle n'eft autre chofe qu'un acte qui doit indifpenfablement intervenir dans l'aliénation, qui eft la caufe dont la délivrance eft l'effet néceffaire.

Par l'aliénation on tranfporte à un autre le droit que l'on avoit foi-même de jouir pleinement de la chofe qu'on lui cede; mais le nouveau propriétaire ne fauroit, fans la prife de poffeffion corporelle, ufer du droit qu'il a acquis. On connoît deux fortes de poffeffions, la naturelle & la civile. Par la premiere, non-feulement on a intention de regarder une chose comme fienne, mais encore on la tient actuellement & corporellement, comme fi on l'avoit entre fes mains. L'intention feule de conferver la propriété d'une chose qui n'eft pas actuellement en notre puiffance, forme la poffeffion civile, que l'on appelle ainfi, parce que les loix civiles accordent, en certaines circonflances, les émolumens de la poffeffion à ceux qui n'ont pas la détention corporelle de leurs biens.

A parler rigoureusement, on ne peut pofféder que les chofes corporelles, immeubles ou mobiliaires: mais on poffede auffi, en quelque maniere les droits ou les chofes incorporelles, par l'ufage qu'on en fait, ou par le pouvoir qu'on a d'en faire ufage fi l'on veut. On n'eft en poffeffion d'une chofe qu'autant que par foi-même, ou par un autre agiffant au nom du poffeffeur, on s'eft faifi corporellement de la chofe, autant que fa nature le permet, ou de ce qui eft la marque ou le gage de cette chose, ou de quelque inftrument qui fert à la tenir ferrée.

Toutefois, quelque indifpenfable que foit cette formalité de prise de poffeffion, les loix civiles peuvent en difpenfer, & établir que fans elle, la propriété paffera de droit à quelqu'un, de maniere qu'en vertu de cette permiffion, on peut agir contre le détenteur injufte, avec autant d'effet que fi l'on avoit poffédé corporellement la chofe qu'on répete.

On dit communément, & cela eft vrai, que les conventions fuffifent pour acquérir la propriété, laquelle dans ce fens eft confidérée comme une qualité morale détachée de la poffeffion, & c'eft, confidérée fous ce point de vue, que la propriété paffe fans difficulté d'une perfonne à l'autre, par la feule vertu des conventions.

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S. X.

Des teftamens.

Left deux fortes d'acquifitions dérivées; les unes qui font faites en cas de mort; les autres entre-vifs dans l'une & l'autre maniere d'acquérir les chofes nous font transférées, ou par la volonté expreffe de celui qui en étoit propriétaire, ou en vertu des difpofitions de quelque loi.

Le teftament doit-il être regardé comme une véritable aliénation? Tant que le teftateur vit, il conferve un plein droit fur fes biens, & il n'aliene rien à fa mort il perd tous les droits qu'il avoit pendant fa vie, & il aliene encore moins, puifque rien ne lui appartient plus, pas même fon fépulcre. Qu'est-ce donc que le teftament? C'eft une déclaration de notre volonté au fujet de ceux qui doivent fuccéder à nos biens après notre décès; déclaration qui peut, avant notre mort, être par nous changée ou révoquée, comme il nous plaît, & qui ne donne aucun droit à perfonne, qu'après que nous aurons ceffé d'être. On demande fi le pouvoir de tefter eft fondé fur le droit naturel ou fur le droit pofitif? 11 eft fondé fur l'un & fur l'autre ; fur le droit pofitif, en tant qu'il regle la maniere & les formalités des teftamens, auffi-bien que de tous les autres actes des citoyens; mais le fond même du teftament tenant beaucoup de la propriété, & l'établissement de la propriété ayant pour base la loi naturelle, en ce fens, on doit dire que le pouvoir de faire teftament eft de droit naturel.

Dans le cas où il manque à un teftament quelqu'une des formalités prefcrites par le droit civil, l'héritier inftitué peut, fans contredit, recueillir la fucceffion, fi perfonne ne s'y oppose: car le vice qu'il renferme ne fubfifte plus, dès-lors que perfonne ne s'en plaint d'ailleurs, il n'y a perfonne à qui les biens de l'hérédité reviennent plus naturellement, puifque ceux que la loi appelloit à la fucceffion ne revenant point pour la demander, renoncent par-là tacitement à leurs prétentions, en faveur de l'héritier inftitué. Mais fi un tel héritier peut en confcience & très-légitimement recueillir la fucceffion; de fon côté, l'héritier ab inteftat est trèsautorifé à faire caffer un pareil teftament: car, il ne fait aucun tort au teftateur qui n'avoit pas le droit de difpofer en faveur d'autres que de fes héritiers légitimes, fans obferver fort attentivement les formalités prefcrites par les loix. Il ne fait pas tort non plus à l'héritier inftitué, qui ne pouvoit acquérir, au préjudice des héritiers légitimes aucun droit valable, que par un teftament ftrictement conforme aux formalités prefcrites par les loix.

Le teftament differe de la donation à caufe de mort, en ce que par celle-ci, on transfere la propriété de fes biens, en cas de mort, à une perfonne vivante, qui le fait & confent à cette tranflation. On donne de deux manieres à caufe de mort: lorfque, dans le danger de mourir, on

remet aЯuellement fon bien entre les mains du donataire, en forte néanmoins qu'il n'en acquerra la propriété que dans le cas ou le donateur viendra à mourir dans cette circonftance: car, le péril paffé, la donation eft nulle, & le donataire n'a plus aucune forte de titre ni d'efpérance fur les biens qu'on lui avoit donnés : l'autre maniere de donner a lieu lorfque le donateur fe réferve la poffeffion & la jouiffance de ce qu'il donne à caufe de mort de maniere qu'il peut révoquer la donation pour certains motifs. comme s'il reçoit une injure de la part du donataire, ou bien, s'il vient lui-même à avoir des enfans, &c. En général les donataires en vertu d'un tel acte n'acquierent aucun droit tant que les donateurs confervent la faculté de changer, c'est-à-dire, tant qu'ils ont l'ufage de la raison. Si cependant une perfonne fe croyant en danger de mourir, donne quelque chofe à une autre, de maniere que celle-ci en foit dès-lors en propriété, & fi l'acte eft fait de telle forte qu'il ne puiffe être révoqué; alors c'eft moins une donation à cause de mort, qu'une donation entre-vifs, & elle en a toute la force, puifqu'elle en a tous les effets. Mais fi la donation eft. fi générale que le donateur en foit confidérablement incommodé; alors elle eft cenfée n'avoir été faite qu'à condition que l'on mourroit dans la circonftance où elle a été faite; car perfonne n'eft préfumé avoir affez peu de bon fens pour avoir voulu, de gaieté de cœur, fe réduire à l'indigence. Enfin, quand on transfere à quelqu'un la propriété de fes biens, & qu'on ne s'en réserve que l'ufufruit, c'est une donation entre-vifs, bien faite & irrévocable.

§. X I.

Des fucceffions ab inteftat.

LES fucceffions ab inteftat font conprifes dans la claffe des acquifitions dérivées. Ces fucceffions font fondées fur une préfomption très-naturelle. de la volonté de ceux qui les laiffent: car, chacun eft cenfé avoir voulu ce qui étoit le plus conforme à fon inclination naturelle & à fes devoirs ; c'eft-à-dire, que chacun eft cenfé vouloir faire plutôt le bien de fes parens que celui des étrangers, préférer les liens du fang à toute autre liaison. L'ordre obfervé dans ces fortes de fucceffions, eft que les enfans paffent devant tous les autres, même devant le pere & la mere du défunt: préférence fondée fur l'obligation des peres, de pourvoir, autant qu'il eft en eux, au bien-être de leurs enfans, & fur la tendreffe paternelle, la plus forte & la plus durable de toutes les affections humaines. Les peres, en vertu du devoir qui leur eft impofé par la nature, font dans l'obligation de nourrir & d'élever leurs enfans, & lorfqu'il fe trouve un pere affez dur & affez infenfible pour vouloir s'affranchir de ce devoir, les loix civiles y fuppléent en l'obligeant à remplir, malgré qu'il en ait, l'engagement où il est à cet égard. Par la nourriture qui eft due aux enfans, on entend,

non-feulement tout ce qui eft néceffaire à la conservation de leur vie, mais auffi tout ce qui eft capable de les former à la fociété & à la vie civile. On comprend au refte, fous le nom d'enfans, les petits-fils, foit du premier degré, foit des fuivans, qui defcendent des mâles ou des femelles: la nourriture leur eft due, ainfi qu'aux enfans naturels, fuffent-ils nés d'un commerce inceftueux.

Toutefois, les enfans n'ont, par la loi, aucun droit d'hériter de ce qui eft au-delà de la nourriture, & ils n'ont de juftes prétentions à la fucceffion paternelle, qu'autant que le pere n'en di pofe pas autrement par une volonté expreffe. Cependant, les loix romaines fuppofant qu'un pere ne préféroit un étranger à fes enfans, que par le plus grand tort de la part de ceux-ci, vu la force de l'inclination paternelle, avoient fagement ordonné que quiconque déshériteroit ses enfans, feroit obligé d'en marquer les raifons, qui toutes ne pourroient être admifes. D'un autre côté, les mêmes loix donnoient aux enfans exhérédés une action en juftice qui s'appelloit plainte d'inofficiofité; d'après laquelle, s'il paroiffoit que le pere eut été pouffé par quelque artifice, quelque furprife, ou par un mouvement de bizarrerie à exhéréder fon fils, on adjugeoit à celui-ci la fucceffion paternelle, comme fi le pere fut mort ab inteftat.

Mais, quelque favorables que les loix fuffent aux enfans injuftement exhérédés, les peres n'en reftoient cependant pas moins libres de difpofer de leurs biens, & ils le font encore, fur-tout quand les enfans font affez à leur aife pour fe paffer de fecours. Ainfi un homme qui tiendroit une grande partie de ce qu'il poffede de la libéralité d'un bienfaiteur, pourroit, par fon teftament, donner des marques fignalées à ce bienfaiteur qui auroit éprouvé des pertes confidérables, & les enfans de cet homme reconnoiffant ne feroient pas reçus à fe plaindre en juftice de ce que leur pere les auroit laiffés un peu moins riches.

A plus forte raison, les peres ont-ils le droit de partager, ainsi qu'ils le jugent à propos, leurs biens à leurs enfans, de maniere qu'ils avantagent l'un d'entr'eux, celui qu'ils jugent le plus digne, & qu'ils n'ayent pas tous une part égale à leur fucceffion. Rien n'empêche non plus que, pour conferver fa famille dans le luftre où elle eft parvenue, un pere ne donne la partie la plus confidérable de fes biens à un de fes enfans, réduifant à la légitime chacun des autres; & c'eft de cette liberté que chez la plu part des nations européennes, vient le droit de primogéniture. Mais fi ce pere meurt fans avoir tefté, la loi veut que fes enfans partagent également fes biens; parce que, en pareil cas, les plus proches parens du défunt, à un même degré, font cenfés lui avoir été auffi chers les uns que les autres. On obferve toutefois, que les enfans légitimes font préférés aux naturels, auxquels il n'eft accordé que la nourriture; & les légitimes même ne font admis au partage de la fucceffion, qu'autant qu'ils ont été reconnus de leur pere, à moins qu'ils ne foient nés d'un mariage légalement contracté ;

car alors, tout enfant eft préfumé le fils du mari de fa mere, foit que le pere ait ou n'ait pas confenti à le reconnoître.

Par cela même que les péres & les meres font obligés de nourrir leurs enfans & leurs petits-fils, lorfque ceux-ci font orphelins, & que leur grand-pere meurt ab inteftat, ils font appellés à fuccéder par droit de repréfentation, c'eft-à-dire, qu'ils repréfentent, tous réunis, leur pere décédé, & recueillent la portion d'hérédité qui lui reviendroit s'il étoit encore en vie.

Au défaut des defcendans, ce font les afcendans qui fuccedent, & lorfque ceux-ci manquent, c'eft aux collatéraux que la fucceffion eft déférée : &, dans ce cas, c'eft aux freres à l'exclufion de tous autres parens, à l'exception des fœurs, qui ne recueillent que les biens maternels & les acquets. Quant aux biens paternels, les freres de pere, ou de pere & de mere, font préférés aux freres utérins, ou de mere feulement, de même que ceux-ci font préférés lorfqu'il s'agit de la fucceffion des biens maternels. Au défaut des freres les neveux paternels font appellés à partager avec les oncles paternels, attendu que la portion du père du défunt avoit diminué la portion des oncles la même difpofition a lieu pour les neveux & oncles maternels, s'il eft queftion des biens qui viennent de la mere. Lorfque tous ces parens manquent, on fuit le même ordre, à l'égard des autres branches collatérales, les paternelles étant toujours appellées avant les maternelles. Mais de quelque maniere que l'on foit appellé à une fucceffion, foit ab inteftat, foit en vertu d'un teftament, l'héritier eft tenu de payer les dettes du défunt; parce que cette charge fuit toujours les biens qui font cenfés hypothéqués pour le payement des dettes; chacun n'ayant de bien que ce qui lui en refte fes dettes acquittées. Toutefois, lorfque ces dettes font trop confidérables, l'héritier eft le maître de renoncer à la fucceffion, parce qu'il ne feroit pas jufte qu'il fût tenu de payer aux créanciers du teftateur, au-delà de la valeur de l'hérédité.

S. XII.

De la prefcription.

LORSQUE, fans oppofition, on a jouì long-temps d'une chose qui appartient à autrui, mais que l'on croit à foi, qu'on poffede à jufte titre & que. l'on a confervée de bonne foi, on en acquiert enfin la propriété par prescription, & c'eft fans contredit la plus confidérable des différentes fortes d'acquifition civile. Pour acquérir de cette maniere, outre le titre & la bonne foi, la loi demande encore la poffeffion non-interrompue durant un temps déterminé,

Suivant les loix romaines, les immeubles comme les chofes mobiliaires peuvent s'acquérir par la prescription; à l'exception toutefois; 1o. des per

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