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prédateur de ma vigne, de mes oliviers ou de ma forêt, le produit de fa déprédation; tout ce qu'on peut lui accorder, s'il a agi de bonne foi, & s'il a cru que ces arbres, ces olives & ces raifins étoient à lui, c'est que je lui rembourfe ce qu'il lui en a coûté pour faire ce charbon, ou cette huile, ou ce vin. Dans le cas, au contraire, où quelqu'habile artiste travaillant fur un métal appartenant à autrui, auroit fait un ouvrage infiniment plus précieux que la matiere; alors, quoiqu'on puiffe aifément faire redevenir ce métal une maffe informe, il paroît jufte d'adjuger cet ouvrage à l'artifte, à la charge par lui de donner, foit en valeur, foit en nature, une égale quantité de métal; à moins toutefois, que le propriétaire ayant deftiné ce métal à un pareil ouvrage, dont il avoit très-grand befoin, n'en puiffe trouver de pareille forte la même quantité; dans ce cas, l'équité demande qu'il reprenne fon bien, quoique le travail vaille plus que la fubf tance. Au refte, dans les différentes efpeces qui peuvent fe préfenter à ce fujet, & qui font très-nombreuses, il faut confulter les maximes de l'équité, & par elles interpréter les difpofitions des loix pofitives.

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L'alluvion eft encore une maniere d'acquérir; & c'est un acceffoire qui affure quelquefois des fonds très-considérables. L'alluvion accroît au pays en général ou au fonds des particuliers. Dans la premiere efpece, on demande fi, lorsqu'une riviere change fon cours elle change en même-temps les bornes de la jurifdiction d'un Etat, & fi ce que la riviere laiffe à fec accroît au territoire du peuple qui eft de ce côté-là? On répond que fi les terres des deux peuples font limitées, de maniere qu'elles fe touchent immédiatement; alors, quoique la riviere change de cours, le territoire reste toujours le même, puifque tout l'efpace laiffé à fec par la riviere, appar tient inévitablement à l'un ou à l'autre des deux peuples. Si la riviere a été laiffée vacante, de maniere qu'elle n'appartienne à aucun des deux Etats, les alluvions & les ifles qui s'y forment, font au premier occupant. Si cette riviere appartient toute entiere à l'un des deux peuples, c'eft à lui, fans contredit, qu'appartient l'alluvion. Mais fi les deux rivages appartiennent l'un à un Etat, & le rivage oppofé à l'autre peuple; en forte que les confins des deux territoires foient comme placés au milieu de la riviere, alors à mesure que la riviere change fon cours, elle change auffi les limites & tout ce qu'elle ajoute à fes bords appartient à l'Etar fitué de ce côté, pourvu toutefois, que ce changement foit fucceffif, c'eft-à-dire, qu'il s'opere peu à peu. Dans le cas où cette riviere abandonneroit tout à coup, & entiérement fon lit; alors le peuple chez lequel elle a pris fon cours, eft le maître de ne pas vouloir perdre une partie de fon terrain, & de garder les anciennes limites; de maniere que les confins des deux Etats refteront toujours au milieu du canal que la riviere a quitté.

Quant aux alluvions relativement aux terres des particuliers; fi la riviere aux bords de laquelle les champs de ces propriétaires font fitues, fépare les territoires des deux Etats voifins, il dépend du prince de donner au

public, ou d'abandonner à ces particuliers le terrain que l'eau a laiffé à fec; & c'eft communément à eux qu'eft laiffée cette augmentation qui leur eft d'autant plus due, qu'ils ont été obligés d'entretenir à leurs dépens, les bords de la riviere mais lorsque l'alluvion eft fi confidérable, qu'elle furpaffe de beaucoup l'étendue ordinaire des fonds d'un particulier ; alors cette augmentation eft regardée comme appartenante au public. A l'égard des ifles qui fe forment dans une riviere, quelque voifines qu'elles foient des fonds des particuliers, ils ne peuvent fe les approprier fans une permiffion expreffe de l'Etat.

Si les deux rivages appartiennent à un même peuple, l'eau ne pouvant donner du terrain aux uns, fans diminuer l'héritage des autres, il eft jufte que celui dont le fonds a été fubmergé, s'en dédommage en s'appropriant l'alluvion. Que fi l'on ne peut favoir ce qui a été emporté d'une terre, le propriétaire de celle-ci n'eft pas autorifé à fe dédommager par l'alluvion, qui en ce cas, refte au peuple, auquel la riviere appartient. Il n'y a nulle difficulté à l'égard des alluvions produites par les rivieres qui appartiennent à des particuliers; fi elles ôtent d'un côté aux terres de ces particuliers, de l'autre, elles leur donnent ailleurs, de nouveaux terrains, & on ne peut leur en contefter la propriété. Dans le cas où une riviere qui appartenoit à un particulier, quitte fon ancien lit & s'en fait un nouveau dans les terres d'un autre particulier, on demande auquel des deux appartient cette partie de l'eau qui coule dans le nouveau lit? C'eft fans difficulté au propriétaire des terres que l'eau couvre; mais l'autre conferve le droit de détourner le cours de cette riviere, & de la ramener dans fon ancien canal: mais s'il ne le fait point, il n'a nulle forte de dédommagement à demander au fujet de la partie de la riviere qu'il a perdue, ni à prétendre au droit de la poffeder en commun avec le propriétaire des terres où elle coule. S. VIII.

Du droit que Pon peut

avoir fur le bien d'autrui.

On peut réduire les droits qu'il eft poffible d'avoir fur les biens d'autrui

à cinq principales fortes; ce font, 1°. le droit d'emphyteofe, 2°. le droit de place, 3o. le droit de poffeffion de bonne foi, 4°. le droit de gage ou d'hypotheque, 5. les droits de fervitude. A ces droits il faut ajouter celui de fief, qu'il eft fort étonnant que Puffendorff ait oublié.

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Le droit que l'on donne à quelqu'un de jouir pleinement d'un immeuble, qui nous appartenoit, avec le pouvoir, non de l'aliéner fans réserve, mais d'en difpofer à notre gré, moyennant une certaine rente à laquelle le fonds refte affujetti, en reconnoiffance du droit principal de propriété que nous confervons fur ce bien, c'eft ce que l'on appelle emphytéole ou bail emphyteotique; convention qui differe de la vente, en ce que le maître

de la chose n'en transfere point la pleine & entiere propriété à l'emphytéote, & du louage, en ce que d'un côté, l'emphyteote acquiert un droit beaucoup plus étendu que s'il prenoit ce bien purement à louage, & que de l'autre il gagne encore en ce que le prix du bail eft beaucoup moindre que ne le feroit celui d'une fimple location.

Le droit de place n'eft autre que celui de bâtir fur le fonds d'autrui ; & ce droit ne donne point, comme l'emphytéofe, le domaine utile du fonds il eft vrai que par le droit de place, on peut aliéner & disposer en maître du bâtiment; mais le fonds refte en pleine propriété à celui duquel on tient le droit de place; de maniere que fi ce bâtiment s'écroule, ou qu'il foit incendié, le maître du fonds rentre dans tous fes droits, & eft libre de vendre le fol, ou d'y conftruire un nouvel édifice, fans que le propriétaire du bâtiment incendié ou écroulé, puiffe, en aucune maniere, s'y oppofer, ni exiger des dommages.

Lorfqu'en vertu d'un titre légitime & capable de transférer la propriété, on a reçu de bonne foi d'un autre, une chofe qui appartient à un tiers, foit que celui-ci fut de bonne ou de mauvaise foi, l'acquéreur, ainsi que s'il étoit véritable propriétaire, recueille & s'approprie légitimement tous les fruits de ce bien d'autrui, dont il eft en poffeffion, & dont il fe croit le maître; il en difpofe à fon gré, & il eft autorisé à fe maintenir en poffeffion contre tout autre que le véritable propriétaire, contre lequel même après un terme fixé par les loix, il acquiert un titre irrévocable. C'est pour le bien & le repos de la fociété que cette maniere d'acquérir eft protégée par les loix, qui veulent que l'on regarde la prescription comme la fauvegarde de la tranquillité des familles : car, à quelles inquiétudes ne feroiton pas expofé, fi l'on étoit obligé de fe deffaifir de fon bien, de fon champ, à la premiere demande qu'on en feroit, fous ce prétexte qu'elle appartient à celui qui les réclame?

Le gage ou l'hypotheque eft une maniere d'acquérir dont on parlera plus bas, afin de ne pas intervertir l'ordre des matieres.

Confidérées par rapport à celui à qui elles font dues, les fervitudes font définies, le droit de tirer du profit, ou de l'utilité, ou quelque commodité, d'une chofe qui appartient à autrui, ou bien de s'oppofer valablement à la difpofition pleine & libre que le maître voudroit en faire. Par rapport à celui qui les doit, les fervitudes font définies, l'obligation où l'on eft de permettre qu'un autre retire un avantage de notre bien, ou de nous abftenir de difpofer de telle ou de telle autre maniere de notre bien.

Les fervitudes font perfonnelles ou réelles. Par les premieres, on retire immédiatement quelque utilité du bien d'un autre; par les fervitudes réelles on retire une utilité médiate du bien d'autrui, c'est-à-dire, un avantage procuré par le moyen & à la faveur d'un certain fonds.

L'ufufruit, l'ufage, l'habitation, & le fervice des efclaves font des fervitudes perfonnelles. L'ufufruit eft le droit de tirer du bien d'autrui tout

le

le profit qui en peut revenir fans toucher au fonds d'où l'on voit que l'ufufruit ne peut avoir lieu qu'en matiere de chofes qui ne fe confoinment pas par l'ufage même; car alors ce feroit être propriétaire & non ufufruitier on ne peut avoir l'ufufruit d'un tas de blé, ou de mille pieces de vin; car en ufant de l'ufufruit, la chofe même fe confomme, puifqu'on peut en difpofer à fon gré, attendu qu'on en a la jouiffance pleine & entiere. L'ufufruitier, au refte, quelque maître qu'il foit des fruits, des revenus & des émolumens qui fuivent la chofe, eft obligé de maintenir la chose même, ou le fonds en bon état, d'en fupporter les charges, les impôts, & de ne point en détériorer la substance en aucune maniere. Ce droit s'éteint par la mort de l'ufufruitier,

L'usage, moins étendu que l'ufufruit, n'eft autre chofe que le droit de percevoir fur le bien d'autrui autant qu'il faut pour fournir à fes besoins ordinaires il eft vrai que l'ufager n'eft affujetti ni aux charges, ni aux impôts.

L'habitation eft le droit de retirer tous les émolumens qui proviennent du logement d'une maifon d'autrui: droit moins étendu que l'ufufruit; mais auffi plus que le fimple ufage. Le fervice des efclaves eft le droit de retirer toute l'utilité qui peut revenir du fervice & du travail de l'esclave d'autrui.

Les fervitudes réelles font établies fur les héritages de ville, ou fur les héritages de campagne : celles de la premiere efpece font, 1°. le droit d'appui, par lequel on peut faire porter un bâtiment fur un mur ou fur une colonne de la maifon voifine. 2°. Le droit d'entailler le mur du voifin, pour y faire entrer les poutres d'un plancher ou d'un toit. 3°. Le droit de bâtir en faillie, ou de faire quelque avance qui réponde perpendiculairement au fol de la maifon voifine, fans porter fur aucun endroit de ce fol, ni de ́ce bâtiment voifin. 4°. Le droit d'exhauffer fon bâtiment jufqu'à incommoder fon voifin, fans que celui-ci puiffe exhauffer de fon côté. 5°. Les jours, c'est-à-dire, le droit de percer des fenêtres qui portent dans la maison voifine, ou d'empêcher le maître de celle-ci de percer des fenêtres qui portent fur notre maifon. 6°. Les vues, ou le droit d'avoir la vue libre dans toutes les parties de la maison voifine, ou d'empêcher celleci d'avoir le même privilege. 7°. La fervitude des gouttieres, ou le droit d'avoir une gouttiere qui faffe tomber les eaux dont nous ferions incommodés, dans la cour de la maifon voisine, ou d'empêcher que le voilin ne déplace une gouttiere qui répand dans notre fond, des eaux qui nous font utiles. 8°. La fervitude des eaux courantes, par laquelle nous avons le droit de faire paffer par les fonds voifins, des eaux dans des canaux, ou d'empêcher notre voifin de détourner un canal qui porte les eaux de fa maifon dans la nôtre. 9°. Enfin, le droit de jeter quelque chofe dans la maison voifine, d'y décharger l'égoût de notre maison, &c. font autant de fervitudes.

Tome XXVII.

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Les principales d'entre les fervitudes des héritages de campagne, font: 1o. le droit de paffage, par lequel on peut paffer fur les champs d'autrui pour se rendre chez foi, ou foi feulement, où les bêtes, ou les charrois ou tout cela ensemble. 2°. Les aqueducs, ou le droit de conduire les eaux par les fonds d'autrui, pour l'utilité de notre propre fonds, ou pour arroser nos poffeffions, ou pour abreuver nos troupeaux, ou pour remplir nos viviers, &c. 3°. Le droit de puifer de l'eau dans une fontaine, un puits, une source ou un canal appartenant à autrui. 4°. Le droit d'abreuver fes beftiaux à une fource fituée fur le fonds d'autrui. 5°. Le droit de faire paître fes beftiaux fur le fonds d'autrui; droit qui n'exclut point, à la vérité, le poffeffeur de ce fonds, de la liberté de faire paître auffi fes bêtes mais qui limite le nombre de celles qu'il doit avoir; de maniere que leur quantité ne nuife point à la jouiffance pleine de cette fervitude. 6o. Enfin, on peut avoir le droit de tirer du fonds d'autrui, du fable, des pierres, de la chaux, des échalas, du bois, &c. & ce font tout autant de fervitudes.

:

Il falloit compter auffi au nombre des fervitudes, & c'eft de toutes la plus confidérable, le droit de fief: c'eft celui de jouir pleinement d'un immeuble ou d'une chofe incorporelle, qui appartient à un autre, à qui l'on promet, pour cet effet, fidélité & hommage, avec certains fervices & certaines redevances. Ce droit fe transfere aux héritiers, communément aux mâles & aux defcendans directs ou collatéraux paternels. Celui qui donne en fief, eft le feigneur, & celui qui reçoit eft le vaffal. Par défaut d'héri tiers, ou pour crime de félonie de la part du vaffal, le fief retourne au feigneur.

S. IX.

De l'aliénation ou du transport de la propriété en général.

Tour

OUT acte par lequel la propriété d'une chofe eft transférée d'une perfonne qui la poffédoit, à une autre, eft ce que l'on appelle une aliénation. Mais pour que cette aliénation foit valable, il faut qu'elle ait certaines conditions; la premiere eft le confentement de celui qui transporte & le confentement de celui qui reçoit ou qui acquiert: car, il n'y auroit point de raifon à dire qu'un homme fe défifte de la propriété d'une chofe fans intention de s'en dépouiller, & il feroit injufte d'exiger de quelqu'un qu'il reçût une chofe malgré lui, à titre de propriété. Il faut que ce confentement mutuel foit exprimé clairement, foit par un figne non équivoque, foit de vive voix, ou par écrit en quelques lieux même on exige une déclaration expreffe pardevant le magiftrat, ou un enregistrement, ou une infinuation, ou toute autre formalité folemnelle & indifpenfable.

L'aliénation eft faite purement ou fous condition, c'eft-à-dire, que celui qui aliene, ou ne fe réferve rien, ou bien fe réferve quelques prétentions

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