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Peut-on réduire en efclavage les Prifonniers de guerre? oui, dans les cas où l'on eft en droit de les tuer; lorfqu'ils fe font rendus perfonnellement coupables de quelque attentat digne de mort. Les anciens vendoient pour l'esclavage leurs Prifonniers de guerre; ils fe croyoient en droit de les faire périr. En toute occafion, où je ne puis innocemment ôter la vie à mon Prifonnier, je ne fuis pas en droit d'en faire un efclave. Que fi j'épargne fes jours, pour le condamner à un fort fi contraire à la nature de l'homme, je ne fais que continuer avec lui l'état de la guerre il ne me doit rien. Qu'est-ce que la vie, fans la liberté? Si quelqu'un regarde encore la vie comme une faveur, quand on la lui donne avec des chaînes; à la bonne heure! qu'il accepte le bienfait, qu'il fe foumette à fa condition, & qu'il en rempliffe les devoirs! Mais qu'il les étudie ailleurs : affez d'auteurs en ont traité fort au long. Je n'en dirai pas davantage : auffi-bien cer opprobre de l'humanité eft-il heureusement banni de l'Europe.

On retient donc les Prifonniers de guerre, ou pour empêcher qu'ils n'aillent fe rejoindre aux ennemis, ou pour obtenir de leur fouverain une juste fatisfaction, comme le prix de leur liberté. Ceux que l'on retient dans cette derniere vue, on n'eft obligé de les relâcher, qu'après avoir obtenu fatisfaction par rapport à la premiere vue, quiconque fait une guerre jufte, eft en droit de retenir fes Prifonniers, s'il le juge à propos, jufqu'à la fin de la guerre; & lorfqu'il les relâche, il peut avec juftice exiger une rançon, foit à titre de dédommagement à la paix, foit, fi la guerre continue, pour affoiblir au moins les finances de fon ennemi, en même-temps qu'il lui renvoye des foldats. Les nations de l'Europe, toujours louables dans le foin qu'elles prennent d'adoucir les maux de la guerre, ont introduit, à l'égard des Prifonniers, des ufages humains & falutaires. On les échange, ou on les rachete, même pendant la guerre, & on a foin ordinairement de régler cela d'avance par un cartel. Čependant, fi une nation trouve un avantage confidérable à laiffer fes foldats Prifonniers entre les mains de l'ennemi, pendant la guerre, plutôt que de lui rendre les fiens; rien n'empêche qu'elle ne prenne le parti le plus convenable à fes intérêts, fi elle ne s'eft point liée par un cartel. Ce feroit le cas d'un Etat abondant en hommes, & qui auroit la guerre avec une nation beaucoup plus redoutable par la valeur que par le nombre de fes foldats. Il eût peu convenu au czar Pierre-le-Grand de rendre aux Suédois leurs Prifonniers, pour un nombre égal de Ruffes.

Mais l'Etat eft obligé de délivrer à fes dépens, fes citoyens & fes foldats Prifonniers de guerre, dès qu'il peut le faire fans danger, & qu'il en a les moyens. Ils ne font tombés dans l'infortune, que pour fon fervice & pour fa caufe. Il doit, par la même raifon, fournir aux frais de leur entretien, pendant leur prifon. Autrefois les Prifonniers de guerre étoient obligés de fe racheter eux-mêmes; mais auffi la rançon de ceux que les foldats ou les officiers pouvoient prendre, leur appartenoit. L'usage mo-.

derne eft plus conforme à la raison & à la juftice. Si l'on ne peut délivrer les Prifonniers pendant la guerre, au moins faut-il, s'il eft poffible, ftipuler leur liberté dans le traité de paix. C'eft un foin que l'Etat doit à ceux qui fe font exposés pour lui. Cependant il faut convenir que toute nation peut, à l'exemple des Romains, & pour exciter les foldats à la plus vigoureuse réfiftance, faire une loi qui défende de racheter jamais les Prifonniers de guerre. Dès que la fociété entiere en eft ainfi convenue, perfonne ne peut fe plaindre. Mais la loi eft bien dure, & elle ne pouvoit guere convenir qu'à ces héros ambitieux, réfolus de tout facrifier devenir les maîtres du monde.

, pour

FRIVILEGE, f. m. Diftinction utile ou honorable dont jouissent certains membres de la fociété, & dont les autres ne jouiffent point.

Il y a des Privileges de plufieurs fortes; 1o. de ceux qu'on peut appel

L

ler inhérens à la perfonne par les droits de fa naiffance ou de fon état, tel eft le Privilege dont jouit un pair d'Angleterre ou un membre du parlement, de ne pouvoir en matiere criminelle être jugé que par le parlement; l'origine de ces fortes de Privileges eft d'autant plus refpectable qu'elle n'eft point connue par aucun titre qui l'ait établie, & qu'elle remonte à la plus haute antiquité : 2o. de ceux qui ont été accordés par les lettres du prince regiftrées dans les cours où la jouiffance de ces Privileges pouvoit être conteftée. Cette deuxieme efpece fe fubdivife encore en deux autres fuivant la différence des motifs qui ont déterminé le prince à les accorder. Les premiers peuvent s'appeller Privileges de dignité; ce font ceux qui, ou pour fervices rendus, ou pour faire respecter davantage ceux qui font à rendre, font accordés à des particuliers qui ont rendu quelque fervice important; tel que le Privilege de nobleffe accordé gratuitement à un roturier; & tel auffi que font toutes les exemptions de taille & autres charges publiques accordées à de certains offices. Entre ceux de cette derniere efpece, il faut encore diftinguer ceux qui n'ont réellement pour objet que de rendre les fonctions & les perfonnes de ceux qui en jouiffent plus honorables, & ceux qui ont été accordés moyennant des finances payées dans les befoins de l'Etat; mais toujours & dans ce dernier cas même, fous l'apparence de l'utilité des fervices. Enfin la derniere efpece de Privileges eft de ceux qu'on peut appeller de néceffité. J'entends par ceuxci les exemptions particulieres, qui n'étant point accordées à la dignité des perfonnes & des fonctions, le font à la fimple néceffité de mettre ces perfonnes à couvert des vexations auxquelles leurs fonctions même les expofent de la part du public. Tels font les Privileges accordés aux commis des fermes & autres préposés à la perception des impofitions. Comme leur

devoir les oblige de faire les recouvremens dont ils font chargés, ils font expofés à la haine & aux reffentimens de ceux contre qui ils font obligés de faire des pourfuites; de forte que s'il étoit à la difpofition des habitans des lieux de leur faire porter une partie des charges publiques, ou ils en feroient bientôt furchargés ou la crainte de cette furcharge les obligeroit à des ménagemens qui feroient préjudiciables au bien des affaires dont ils ont l'adminiftration.

De la différence des motifs qui ont produit ces différentes efpeces de Privileges, naît auffi dans celui qui en a la manutention, la différence des égards qu'il doit à ceux qui en font pourvus. Ainfi lorfqu'un cas de néceffité politique & urgent, & celui-ci fait ceffer tous les Privileges, lorfque ce cas, dis-je, exige qu'il foit dérogé à ces Privileges, ceux qui par leur nature font les moins refpectables, doivent être auffi les premiers auxquels il foit dérogé. En général & hors le cas des Privileges de la premiere efpece, j'entends ceux qui font inhérens à la perfonne ou à la fonction, & qui font en petit nombre; on ne doit reconnoître aucuns Privileges que ceux qui font accordés par lettres du prince dûment enregiftrées dans les cours qui ont à en connoître. Il faut en ce cas même qu'ils foient réduits dans l'ufage à leurs juftes bornes, c'est-à-dire à ceux qui font difertement énoncés dans le titre confécutif, & ne foient point étendus au delà. Ils ne font point du tout dans l'efprit de la maxime favores amplian di, parce qu'autrement, étant déjà, & par leur nature une furcharge pour le refte du public, cette furcharge portée à un trop haut point, deviendroit infoutenable; ce qui n'a jamais été ni pu être l'intention du légiflateur. Il feroit fort à fouhaiter que les befoins de l'Etat, la néceffité des affaires, ou des vues particulieres n'euffent pas autant qu'il eft arrivé, multiplié les Privileges & que de temps en temps on revint fur les motifs, auxquels ils doivent leur origine, qu'on les examinât foigneufement, & qu'ayant bien diftingué la différence de ces motifs, on fe réfolût à ne conferver que les Privileges qui auroient des vues utiles au prince & au public.

Il en eft des Privileges comme des loix; des Privileges accordés à un ordre de l'Etat ou à une communauté pour l'avantage public, lui devien dront très-pernicieux quelques fiecles après, lorfque les circonftances auront entièrement changé. C'eft de la prudence du fouverain de paffer en revue les différens Privileges accordés dans fes Etats au moins tous les fiecles, & de retrancher ceux qu'il trouvera contraires à la loi fuprême de leur fage gouvernement, bien entendu qu'il en dédommage les privilégiés par d'autres plus conformes aux circonftances.

Il est très-jufte que la nobleffe, dont le devoir eft de fervir l'Etat dans les armées, ou du moins d'élever des fujets pour remplir cette obligation; que des magiftrats, confidérables par l'étendue & l'importance de leurs fonctions, & qui rendent la juftice dans les tribunaux fupérieurs ; que des Tome XXVII.

D

fociétés particulieres qui fe font rendues recommandables à l'Etat par leurs fervices, jouiffent de diftinctions honorables, qui en même temps font la récompenfe des fervices qu'ils rendent, & leur procurent le repos d'efprit & la confidération dont ils ont befoin pour vaquer utilement à leurs fonctions. La portion des charges publiques dont ils font exempts retombe à la vérité fur le furplus des citoyens'; mais il eft jufte auffi que ces citoyens dont les occupations ne font ni auffi importantes ni auffi difficiles à remplir & qui ne s'occupent pas au fervice de l'Etat fouverain, concourent à récompenfer ceux d'un ordre fupérieur. Il eft jufte & décent pareillement que ceux qui ont l'honneur de fervir le fouverain dans fon fervice domeftique, & qui approchent de fa perfonne, & dont les fonctions exigent de l'affiduité, de l'éducation & des talens, participent, en quelque façon, à la dignité de leur maître, en ne reftant pas confondus avec le bas ordre du peuple.

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De l'abus de Privileges naiffent deux inconvéniens fort confidérables; l'un que la partie des citoyens la plus pauvre eft toujours furchargée audelà de fes forces: or, cette partie eft cependant la plus véritablement utile à l'Etat, puifqu'elle eft compofée de ceux qui cultivent la terre & procurent la fubfiftance aux ordres fupérieurs; l'autre inconvénient eft que les Privileges dégoûtent les gens qui ont du talent & de l'éducation d'entrer dans les magiftratures ou des profeffions qui exigent du travail & de l'application, & leur font préférer de petites charges & de petits emplois où il ne faut que de l'avidité, de l'intrigue & de la morgue pour fe foutenir & en impofer au public. De ces réflexions, il faut conclure ce qui a déjà été obfervé ci-devant, que foit les tribunaux ordinaires chargés de l'adminiftration de la partie de la juftice qui a rapport aux impofitions & aux Privileges, foit ceux qui par état font obligés de veiller à la répartition particuliere des impofitions & des autres charges publiques, ne peuvent rien faire de plus convenable & de plus utile, que d'être fort circonf pects à étendre les Privileges, & qu'ils doivent autant qu'il dépend d'eux, les réduire aux termes précis auxquels ils ont été accordés en attendant que des circonftances plus heureuses permettent à ceux qui font chargés de cette partie du miniftere de les réduire au point unique où ils feroient tous utiles. Cette vérité leur eft parfaitement connue; mais la néceffité de pourvoir à des rembourfemens ou des équivalens arrête fur cela leurs défirs, & les befoins publics renaiffant à tous momens, fouvent les forcent non-feulement à en éloigner l'exécution, mais même à rendre cette exécution plus difficile pour l'avenir,

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PRIVILEGE EXCLUSI F.

ON appelle ainfi le droit que le prince accorde à une compagnie ou

à un particulier, de faire un certain commerce ou de fabriquer & de débiter une certaine forte de marchandiles à l'exclufion de cent autres. Un fage gouvernement doit-il accorder des Privileges exclufifs?

Cette intéreffante question eft une de celles qui ne peuvent fe décider que par les principes du droit naturel des hommes réunis en société. C'est ici un des cas où l'on fe trouve obligé d'examiner avec, attention, quel eft l'ordre le plus évidemment avantageux à la chofe publique, & qui prouve combien il est néceffaire d'établir les principes de cette étude qui doit occuper les hommes éclairés & bienfaifans, chargés de la glorieufe & pénible fonction de travailler au plus grand bonheur poffible de leurs femblables.

On peut réduire à un très-petit nombre les principes qu'on doit regarder comme immuables entre les hommes réunis, par le défir & l'espérance d'augmenter leur bonheur, & leur fureté. Peut-être fe convaincroit-on par l'obfervation & la méditation, que les maximes les plus avantageuses aux grandes fociétés, se réduisent aux trois principes fuivans, ou qu'ils en découlent. 1°. Les droits de la propriété doivent être inviolables, excepté dans le cas unique où l'intérêt de tous exige le facrifice des intérêts particuliers. 2°. Les Privileges exclufifs, fur-tout en fait de culture & de commerce, ne peuvent appartenir à aucun particulier, à aucun corps, parce qu'ils attaquent les droits conftitutifs de la fociété & de la propriété. 3°. Les richeffes nationales dépendant du commerce intérieur & extérieur de ce qui eft dans l'Etat, l'intérêt général demande que le commerce acquiere toute l'étendue dont il eft fufceptible, par des facilités accordées à la circulation & à l'exportation.

1o. Les droits de la propriété doivent être inviolables. En effet, l'Etat eft composé de propriétaires, qui, relativement à la propriété, ne fe doivent rien les uns aux autres, fans quoi le nom de propriétaire, feroit une dénomination abfurde qui ne répondroit à aucune idée. Un particulier qui demanderoit qu'on me défendit de vendre mes bois, dans l'efpérance qu'il yendroit mieux les fiens, fe rendroit coupable d'un de ces actes d'hoftilité contre lefquels la fociété s'eft formée. Mes bois, par la feule raison qu'ils font mes bois, ne doivent rien à ceux de qui que ce foit. Ce n'eft. pour les défendre de toute invafion, que je contribue aux frais de la défense commune, ainfi ma contribution me donne un droit abfolu à cette défense, elle m'eft due contre quiconque voudroit m'ôter la libre difpofition de mes bois, car ce feroit les envahir.

que

Si plufieurs propriétaires, fi les habitans d'une ou de plufieurs provinces,

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