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fent plus étroitement engagés à dire la vérité, ou à tenir leur parole par la crainte de la divinité, qui peut tout & voir tout. Ainfi, c'eft à la divinité que le ferment fe terminé toujours. D'où il faut conclure que fon ufage marque ou fuppofe la défiance, l'infidélité, l'ignorance & l'impuiffance des hommes, defquels il feroit inutile d'exiger cette fureté, fi l'on pouvoit fe fier à leur parole. On peut conclure auffi de cet ufage trop fréquent, qu'il indique la foibleffe ou l'ignorance des juges, qui proftituent le ferment, donnent fouvent à un malhonnête homme qui ne craint point de jurer pour le menfonge, gain de cause contre des citoyens honnêtes, qui ont toujours fait profeffion de détefter la perfidie & d'abhorrer le parjure. Auffi cette forte d'abus n'a-t-il lieu que dans quelques tribunaux ifolés, compofés de juges imbécilles, & chez des peuples abrutis par la fuperftition & la mauvaise foi; car il s'en faut bien que ces deux vices s'excluent l'un l'autre.

On a dit que le ferment fe termine toujours à la divinité. En effet, on ne doit point regarder comme un ferment valable, de jurer par fa tête, par fon honneur, &c. mais de quelque formule qu'on fe ferve d'ailleurs, pour prendre à témoin la divinité, c'eft une regle inviolable que le ferment doit toujours être réputé conforme, à la religion de celui qui le prête; attendu qu'il feroit abfurde de faire jurer quelqu'un par une divinité qu'il ne reconnoît point, & dont par conféquent, il ne redoute pas la vengeance; & cela eft fi vrai, que pour qu'un ferment oblige en confcience, il faut que celui qui le fait, ait véritablement deffein de prendre à témoin la divinité du refte, il eft décidé que fi l'on a marqué ouvertement que l'on ne prétendoit point jurer, le ferment n'eft plus regardé que comme un fimple jeu; de même que tous les autres actes capables d'impofer quelque obligation n'engagent à rien, lorfque les contractans témoignent bien diftinctement que leur intention eft de ne fe lier en aucune maniere.

C'eft un axiome inconteftable que de fa nature le ferment ne produit point de nouvelle obligation, propre & particuliere, mais ne fait qu'ajouter une forte de bien acceffoire à celui par lequel on étoit déjà tenu. De maniere, que dans le cas où un acte renfermeroit un vice qui le rendroit incapable d'aucune obligation, tous les fermens du monde n'auroient point la force de rectifier ce vice, ni de rendre l'acte plus obligatoire.

Quant aux fermens faits ou arrachés par erreur, c'est-à-dire, dans la fuppofition d'une chofe que l'on croyoit réellement exiftante de telle ou de telle autre maniere; ils font comme non avenus, & ne peuvent point obliger, puifqu'il eft évident que l'on n'eût point juré, fi l'on eut eu une connoiffance plus diftincte de la chofe, telle qu'elle eft.

De même que les promeffes arrachées par une crainte injufte font nulles de plein droit, le ferment que l'on oblige forcément quelqu'un de faire ne te lie point du tout la même nullité rend inutiles les fermens par lef

quels on s'engage à quelque chofe d'illicite. Ainfi, je ne fuis nullement obligé par le ferment que des voleurs, entre les mains de qui j'étois, m'ont fait faire, pour me racheter de la mort, & par lequel j'ai promis que je ne les dénoncerois pas, & que je garderois fur leur brigandage, & fur le lieu où ils fe retirent, le plus profond filence.

En général, les fermens font par eux-mêmes, fi peu obligatoires, qu'on peut même fe difpenfer de les tenir, & qu'ils font regardés comme nuls toutes les fois qu'ils empêchent un bien moral, c'est-à-dire, qu'ils s'oppofent à la pratique de quelqu'un des devoirs impofés par le droit naturel : car les progrès qu'on fait dans la vertu dépendent de l'affiduité conftante dans l'exercice de ces devoirs; & chacun étant obligé de tendre, autant qu'il eft en lui, vers la perfection, on ne fauroit s'ôter à foi-même la liberté de remplir fes devoirs, ni par conféquent, être lié par un ferment qui empêcheroit un bien moral.

De tout ce que l'on vient de dire fur ce fujet, il réfulte que les fermens n'étant par eux-mêmes autre chofe qu'un fimple acte religieux, par lequel on affure une chose en prenant Dieu à témoin, ils ne peuvent ni changer la nature, ni altérer le fond des promeffes, & des conventions auxquelles ils font ajoutés. De maniere qu'ils ne peuvent rendre abfolue une promefle qui n'eft que conditionnelle, ni fuppléer à l'acceptation de la part de celui à qui l'on jure, &c. Bien plus, le ferment le plus folemnel ne fauroit empêcher l'effet d'un acte poftérieur & directement contraire à ce même ferment en forte que fi je vous ai promis avec ferment de vous vendre ou de vous donner mon champ, à moins qu'en même temps je ne me fois dépouillé en votre faveur, de tout droit de propriété, & que je ne vous aie mis en poffeffion, l'acte poftérieur par lequel je vends ce même champ, ou le donne à tout autre qu'à vous, fubfifte en fon entier. Il eft vrai que je me parjure; mais la vente n'en eft pas moins valide. Cependant, quoique le refpect dû à la volonté divine qu'on ne peut point tromper, exclue de l'interprétation des actes où le ferment eft intervenu toute chicane & toute vaine fubtilité, il ne faut pas conclure que l'on doive abfolument donner toujours aux paroles du ferment toute l'étendue qu'elles paroiffent capables de recevoir; au contraire, il eft jufte, & il importe quelquefois de le reftreindre, quand la nature même de la chofe l'exige. Tels font les fermens, par exemple, faits par un principe de haine & d'animofité, & lorfque c'eft moins une promeffe, qu'une menace qu'on a fair.

Par la raison que les fermens peuvent être reftreints à un fens moins étendu que celui qu'ils paroiffent avoir, on doit dire auffi qu'ils n'excluent ni les restrictions, ni les conditions tacites qui réfultent de la nature même de la chose. Ainfi, vous ne pouvez me demander valablement tout mon bien, parce que j'ai juré de vous accorder tout ce que vous fouhaiteriez & qui dépendroit de moi; car il n'eft ni naturel, ni raifonnable de conclure

delà, que je me fois ftrictement obligé de me réduire à l'indigence pour vous rendre service.

Il est vrai qu'on a dit au commencement de ce paragraphe, que le ferment doit toujours être conforme à la religion de celui qui le prête; mais il eft de regle auffi qu'il doit être conforme à la perception de celui, en faveur de qui on le fait; c'est-à-dire, que comme il intéreffe le plus celui qui le défere, les paroles dans lesquelles il eft conçu, doivent être expliquées dans le fens que celui-ci a témoigné les entendre; en forte que c'eft à lui à prefcrire la formule du ferment en termes clairs, intelligibles, & déclarer de quelle maniere il les entend.

De même que l'on peut contracter quelque obligation par lettres; de même auffi l'on peut jurer par lettres; & lorfque ce ferment a été lu avec les formalités d'ufage, il oblige tout autant que s'il avoit été prêté de vive voix : ainfi, ceux qui jurent pour autrui, ne devroient point agir, quelque procuration qu'ils ayent, comme s'ils agiffoient pour eux-mêmes: il vaudroit beaucoup mieux, qu'ils luffent un écrit dans lequel le ferment de la perfonne abfente fût contenu & figné de fa main.

Il est des cas où les héritiers font obligés par le ferment du teftateur, il en eft d'autres, où fon ferment ne les lie point. Par exemple, lorfque le teftateur par fon obligation & fon ferment a donné un droit direct ou indire& à quelqu'un, il eft décidé que l'héritier doit tenir ce ferment comme une charge attachée aux biens du défunt, & qui paffe avec la fucceffion; mais fi le ferment n'a donné aucun droit parfait; fi ce n'eft qu'un fimple engagement fondé fur quelque principe de charité, de piété, &c. engagement que le teftateur eût pu ne pas tenir en justice: il est conftant que l'héritier n'eft point du tout lié, à moins pourtant qu'il n'ait été expreffément inftitué à condition qu'il fera ce que le teftateur avoit juré de faire.

Les fermens obligatoires font de deux fortes; les uns par lefquels on entre dans quelqu'engagement où l'on n'étoit pas encore, & les autres par lefquels on confirme un acte déjà conclu, & valable par lui-même. Il eft vrai qu'en général, le ferment n'eft qu'un acceffoire d'une obligation; mais il eft cependant des promeffes dont les paroles même renferment le ferment; tel eft un acte dans lequel je jure que je ferai une chofe en faveur de celui avec lequel je traite: mais il y a des promeffes, & c'est le plus grand nombre, dans lefquelles le fentiment eft féparé de l'affaire principale. Quand cette affaire principale eft illicite fuivant le droit naturel, ou le bien public, ou bien qu'elle nuit à un tiers, le ferment eft nul fans contredit: mais il eft des actes pourtant qui, quoique nuls en eux-mêmes, par le droit civil, font rendus valides par l'interpofition du ferment, & cela, dit-on, parce que ces actes ne renferment point de vice effentiel, mais feulement des difpofitions par lefquelles une des parties peut être léfée par l'autre : on préfume que, chacun étant libre de renoncer au bénéfice des loix, ce

lui qui a confirmé un tel acte par fon ferment, a mûrement examiné la chofe & voulu s'expofer au préjudice qu'il peut en recevoir. Au fond, il faut convenir que c'eft-là une décision fort mauvaife, & un peu intéreffée : elle eft mauvaise; car d'après une telle maxime, le cautionnement d'une femme, les promeffes d'un enfant en âge de puberté, & toute autre convention femblable, nulle par les loix civiles, fera valide, parce que le pape veut la décider telle, en faveur du ferment qui l'accompagne. Cette décifion eft intéreffée; car, qui ne voit que le clergé Romain a voulu parlà s'arroger la puiffance de corriger les loix civiles & les fentences des juges, comme auffi empêcher que les promeffes & les donations faites à l'églife ne fuffent infirmées par de juftes exceptions.

Les fermens affirmatifs font ceux qui fe font pour décider un différend au fujet duquel les preuves manquent; & ils font faits par la perfonne intéreffée, ou par un tiers, pourvu toutefois, que le témoignage de celui-ci ne foit pas fufpe&t & recufable par des liaisons étroites, foit de parenté fcit d'amitié, foit d'intérêt avec la partie en faveur de laquelle il jure.

Les fermens faits par les parties mêmes pour décider leur différend, font déférés ou par ordre du juge, ou par une convention entre les deux perfonnes en conteftation. Les fermens de cette forte ne devroient être ordonnés que fort rarement; ils le font au contraire très-fréquemment, & c'eft un très-grand mal; car trop fouvent, c'eft donner à l'audace & à l'effronterie un moyen affuré de triompher de la bonne foi. De deux parties qui offrent le ferment fur un fait affirmé par l'une & nié par l'autre, l'une des deux eft évidemment parjure, & ordinairement c'eft celle qui demande le plus hardiment d'être admife au ferment: dans ce cas, c'eft au juge à examiner la conduite, les mœurs, des deux parties, & à s'en rapporter à celle qui mérite le plus de créance par-tout où l'on en ufe autrement, ce n'eft point décider avec équité, c'eft proftituer le ferment, & l'offrir à l'iniquité comme une voie fûre de réuffir impunément dans tous les attentats, Chez la plupart des nations policées on n'eft guere admis à l'exercice d'une charge qu'après avoir juré d'en remplir fidellement les fonctions & de s'acquitter de fes devoirs : comme ces devoirs font quelquefois très-étendus & fort multipliés, on demande fi c'eft être parjure que d'en avoir négligé quelque partie? It eft conftant que fi cette négligence eft commife de propos délibéré, & qu'elle porte fur un devoir effentiel, le parjure eft commis; on prévarique & l'on eft puniffable: mais cette attention peut bien ne pas être portée jufqu'au fcrupule le plus minutieux.

A l'égard de la difpenfe ou abfolution de certains fermens & de certains vœux, il faut s'en tenir à ces deux principes, 1°. Que tout homme dont les actions & les biens dépendent d'autrui, ne peut en aucun cas, en dispofer au préjudice de l'autorité de fon fupérieur, qui conféquemment a droit de prononcer la nullité de tout qui a été fait contre fon autorité : 2o. Qu'un fupérieur peut mettre des bornes aux droits que ceux qui dépen

dent de lui ont acquis, & bien plus encore aux droits qu'ils doivent acquérir. Ainsi, le fupérieur peut toujours, en vertu de fon autorité, annuller les vœux & les fermens de fes fujets; à la réferve toutefois, que cette autorité ne peut jamais s'étendre fur les fermens véritablement obligatoires, c'eft-à-dire, qui ne renferment aucun vice, & qui concernent des chofes dont ceux qui jurent étoient les maîtres de difpofer, ainfi qu'ils le jugeoient à propos. On voit par-là combien un fouverain eft autorisé à dépouiller de tous les effets un acte où l'invocation de Dieu eft intervenue : combien il eft le maître de fécularifer, au grand défir des bons citoyens, & pour le bien public, cette multitude de moines qui furchargent l'Etat & foulent la fociété à laquelle ils ne font d'aucune utilité.

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S. III.

Du droit des hommes fur les chofes ou les biens.

LES biens font, en quelque forte, l'ame de l'intérêt, & celui-ci le grand reffort qui fait agir les hommes les biens font l'agrément & la commodité de la vie mais c'eft par cela même qu'ils font une fource féconde intariffable de conteftations: auffi eft-ce concernant les chofes ou les biens que les législateurs font entrés dans le plus grand détail.

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Le droit des hommes fur les autres créatures eft manifeftement fondé fur la volonté de Dieu, qui, maître absolu de tout, a bien voulu permettre aux hommes de fe fervir des autres créatures. On doit d'autant plus regarder ce droit comme manifefte, qu'il nous feroit phyfiquement impoffible de fubfifter fans le fecours de ces créatures, dont celles qui nous font le plus néceffaires, viennent, pour ainsi dire, s'offrir d'elles-mêmes à nos befoins auffi les écrivains facrés nous apprennent-ils que Dieu, dès les commencemens des temps, donna pouvoir aux hommes, non-feulement fur les végétaux, mais encore fur les animaux qui vivent dans l'air ou fur la terre ou dans les eaux : c'eft un droit d'ufufruit accordé par le propriétaire de tout ce qui exifte, & confirmé par une jouiffance vraiment immémoriale, univerfelle, & nulle part, ni en aucun temps interrompue.

Il eft conftant que l'homme ne fait aucun tort aux végétaux en les confumant, & qu'il n'y a rien que de très-innocent dans le plein pouvoir qu'il a d'en difpofer à fon gré. Quant aux animaux qui font doués de fentimens, & fufceptibles de douleur, il paroît qu'il y a de la cruauté à les faire mourir, & une forte de barbarie à fe nourrir de leur chair, qui eft comme notre chair. Il paroît encore que l'empire donné à l'homme fur les bêtes, n'eft pas tout-à-fait arbitraire, & ne va pas jufqu'à les tuer, quand les néceffités indifpenfables de la vie ne le demandent pas abfolument c'est même une vraie ingratitude d'égorger impitoyablement des créatures qui labourent & fécondent nos champs, & nous nourriffent de

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