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Peut-on s'impofer à foi-même l'obligation de fouffrir des maux qui foient au-deflus de la force de l'efprit humain? Non fans doute; & toute convention à ce sujet eft nulle: cependant, il ne faut pas étendre trop loin cette décifion; car on trouveroit des cas, où l'on feroit contraint de fouffrir de grands maux, en vertu de la promeffe faite de s'y expofer & de les fouffrir; tel eft celui d'un foldat, qui placé dans un pofte où il rifqueroit évidemment d'être tué, ne peut cependant point le quitter, fous prétexte qu'il n'a pu s'obliger contre fa propre vie, &c.

La poflibilité phyfique de faire ce à quoi l'on s'eft engagé, ne fuffit pas ; il faut encore en avoir le pouvoir moral, d'où il réfulte que l'on ne peut point s'obliger valablement à faire une chofe illicite en elle-même. En effet puifque le législateur a défendu certaines chofes, & a ôté le pouvoir de les faire, il eft cenfé avoir en même-temps défendu de s'engager à les faire : il y auroit une contradiction trop manifefte à fe croire indifpenfablement obligé, en vertu d'un engagement autorifé par les loix à faire une chofe profcrite par les loix. Ainfi toute obligation qui tend à une chofe illicite, eft évidemment nulle; ainfi, les conventions criminelles n'obligent point, foit qu'il n'y ait eu encore rien d'exécuté, foit que l'un des contractans ait commis le crime, auquel il s'étoit engagé il paroît étonnant que des jurifconfultes, très-célébres d'ailleurs, & Grotius luimême, ayent décidé, que le crime une fois commis, la force de l'obligation commence à fe déployer, & que le criminel peut exiger valablement le falaire promis & convenu. S'il étoit poffible d'admettre une telle décifion, elle entraîneroit d'affreufes conféquences, & détruiroit la vérité de cette regle univerfellement reconnue & obfervée, que pour rendre une convention véritablement obligatoire, il ne fuffit pas qu'il y ait eu un confentement réciproque ; mais qu'il faut encore qu'elle roule fur des choses permifes & indifférentes, c'eft-à-dire, que l'on puiffe faire ou ne pas faire, felon qu'on le juge à propos. Or, le crime n'eft ni une chofe permife, ni une chofe indifférente, puifqu'il eft également profcrit par les loix naturelles & par les loix civiles.

Par la même raifon qu'on ne peut convenir fur une chofe illicite, on ne peut ni répéter le prix qu'on a donné pour une action illicite, ni exiger le falaire promis pour un acte de cette nature.

Il est très-vrai que les promeffes de ce qui appartient à autrui font nulles, & qu'on ne peut, en aucun cas, difpofer des chofes d'un tiers. Mais cette regle a fon exception. Par exemple, fi un teftateur, fachant bien que la maifon qu'il legue ne lui appartient point, la legue cependant; son intention doit être fuivie, non que le propriétaire de cette maison soit tenu de la céder; mais l'héritier, s'il ne peut l'acheter, eft tenu d'en payer la valeur au légataire, attendu que l'on préfume que l'intention du teftateur a été de léguer précisément cette valeur.

Un effet que nous avons engagé à quelqu'un, ne nous appartient plus, &

par

par la même raifon que toute promeffe de la chofe d'autrui eft nulle, on ne peut promettre validement ce qui est déjà engagé à un autre.

S. VIII.

Des conditions & des autres claufes ajoutées aux engagemens. TOUTE convention eft abfolue ou conditionnelle; c'eft-à-dire, qu'on s'engage à une chose ou abfolument & fans réserve, ou fous certaines conditions. On a dit ce que c'étoit que l'engagement abfolu. On définit les conditions en général, des claufes ajoutées à la ftipulation des actes qui doivent produire quelque droit, ou quelque obligation, & par lefquelles on attache l'effet & la validité de ces actes à quelque événement qui eft ou purement fortuit ou dépendant de la volonté humaine. Quelquefois les conditions fe rapportent au temps préfent ou au paffé, mais toujours fur un fait qu'on ignore, ou qu'on eft censé ignorer: ainfi toute condition_renferme quelque chofe d'incertain, tout au moins pour l'une des parties; & jufqu'à l'événement, l'obligation demeure fufpendue, fi la chofe fur laquelle la condition eft établie arrive, ou, si c'eft un fait, s'il eft vérifié l'obligation devient abfolue, ou bien fa nullité s'opere fi le fait supposé se trouve faux.

Les conditions font cafuelles, arbitraires, ou mixtes; les premieres font celles qui dépendent du hafard ou de la volonté d'un tiers, fur lequel on n'a aucune autorité. Je vous donnerai cent écus, fi l'on fait, à l'égard de tous les moines, ce qu'on a fi prudemment fait à l'égard des jéfuites; je vous donnerai mon cheval, fi dans trois jours le tonnerre fe fait entendre, &c. Les conditions arbitraires font celles qui dépendent de la volonté libre & du pouvoir de celui à qui l'on promet, & cette condition arrivant, la promeffe eft obligatoire.

Les conditions mixtes font celles qui dépendent en partie de la volonté de l'un des contractans, & en partie du hasard, ou de la volonté d'un tiers. Je vous promets une fomme, fi vous époufez ma coufine; cette condition eft mixte, car elle ne dépend pas feulement de votre volonté, mais encore de celle de ma coufine, qui peut-être ne voudra point vous épouser, & encore du hafard, car elle peut mourir avant que vous l'ayez épousée. Au refte fi l'un des contractans empêche, foit directement, foit indirectement l'événement de la condition, elle eft cenfée accomplie contre celui qui l'a empêchée.

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Toute condition phyfiquement ou moralement impoffible, rend la convention nulle; & il en eft de même des conditions qui renferment des choses ou déshonnêtes ou illicites. Toutefois, une condition impoffible par ellemême, mais que celui en faveur de qui elle a été faite croyoit poffible, eft regardée par les juges comme ne faifant point partie de la promeffe, Tome XXVII.

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qui eft déclarée valable, afin de punir celui qui s'est ainsi joué de la bonne foi de celui, auquel il faifoit croire poffible ce qui ne l'étoit pas.

L'obligation résultante d'une promeffe qui détermine le temps auquel elle doit être exécutée, demeure fufpendue jufqu'au terme fixé.

S. IX.

Des engagemens contracés par procureur.

CB n'eft pas toujours par foi-même qu'on traite & que l'on fait des

conventions; mais l'on peut auffi promettre & contracter par l'entremise d'autrui. Ce tiers par l'entremise duquel on contracte & s'oblige, eft regardé comme un fimple inftrument; tout ce qu'il fait, c'eft au nom & par ordre de fon commettant qu'il le fait; s'il acquiert quelque droit, ou s'il s'oblige en faveur de celui avec lequel il eft chargé de traiter, c'est également pour le compte de fon commettant qu'il le fait, & non pas pour fon propre compte; fon engagement ne confiftant qu'à remplir fidellement fa commiffion, & avec exactitude, l'ordre dont il eft porteur.

On traite pour autrui, ou par une procuration générale, qui donne plein pouvoir de faire tout ce qu'on jugera le plus utile aux intérêts du commettant; ou par une procuration spéciale qui regle expreffément, de quelle affaire, & de quelle maniere le procureur doit fe conduire; ou par un blanc-feing, que l'on confie à un procureur, pour dreffer au-deffus l'acte qu'on le charge de faire.

De quelque procuration que foit muni le mandataire, c'est son commettant qui demeure obligé relativement à tout ce qui s'eft fait en vertu de la procuration, à moins cependant que le procureur n'ait point excédé les bornes qui lui ont été prefcrites, & qu'il n'y ait point eu de collufion entre lui & ceux avec lefquels il a traité au préjudice du commettant, foit contre fon honneur, foit contre fes intérêts. Quelquefois le commettant, outre la procuration, donne des ordres fecrets à fon procureur, & celui-ci eft obligé de ne pas aller au-delà de ce que portent fes ordres fecrets; & s'il les tranfgreffe, il eft tenu de dédommager fon commettant, qui n'en refte cependant pas moins obligé envers celui avec lequel le pro

cureur a traité.

Les conventions qui fe traitent entre le procureur & ceux avec qui il agit en vertu de fon ordre, ne font obligatoires, qu'autant qu'elles font confommées; en forte que les claufes de l'acte méditées & agréées valablement de part & d'autre, mais non encore fignées; fi le procureur vient à mourir, il eft cenfé n'y avoir eu rien de fait; &, par la même raison, le commettant eft le maître de révoquer fa procuration, fi l'acte qu'il avoit donné pouvoir de faire, n'eft pas encore fait.

Un homme peut-il accepter une promeffe pour un tiers en faveur de qui elle eft faite? On fuppofe que cet acceptant ne foit chargé ni d'ordre, ni de procuration de la part de ce tiers. Il faut diftinguer; fi l'on promet à celui qui accepte de donner à un tiers; par exemple, fi l'on dit, je vous promets de donner telle chofe à un tel; dans ce cas, le promettant eft obligé fans contredit; mais celui auquel la promeffe eft faite immédiatement peut décharger le promettant, avant que le tiers ait accepté la promeffe. Si l'on s'engage dire&tement & précisément envers le tiers; par exemple, fi l'on dit; je vous prends à témoin que je donnerai telle chofe à un tel; dans ce cas, on doit décider également; car, fi celui en faveur de qui la promeffe eft faite, n'a point donné ordre de l'accepter; l'acceptant n'acquiert aucun droit, ni pour foi, ni pour le tiers, dont il n'a pas l'aveu.

J'avois promis foit par lettre, foit par une perfonne envoyée exprès, une chofe à un homme, qui avant que d'avoir accepté, eft venu à mourir ; fuis-je tenu envers fes héritiers, & peuvent-ils accepter pour le défunt? Il est décidé qu'une telle promeffe eft révoquée de plein-droit, & que les héritiers ne peuvent accepter pour celui auquel ils fuccedent.

Quand une promeffe a été une fois acceptée, on ne peut y rien ajou ter, pas même une condition onéreuse, au promettant qui voudroit l'y inférer.

En général, il n'y a que deux fortes de conventions, les unes d'où il réfulte un droit avantageux au genre humain; les autres d'où il ne résulte qu'un droit utile à certaines perfonnes en particulier. Car, les hommes vivroient encore dans le pur état de nature & en fauvages, s'ils n'avoient ajouté aux biens qu'ils tiennent de la nature, divers établiffemens, foit pour rendre la vie plus commode, foit pour orner & embellir la fociété. Les plus utiles d'entre ces établiffemens foot 1° l'ufage de la parole; 2o. la propriété des biens, 3". le prix des chofes; 4°. le gouvernement

humain.

Cherchons l'origine & le fondement particulier de chacun de ces établiffemens, & nous verrons, en même-temps, quels font les devoirs conditionnels du droit naturel qui en découlent, comme autant de conféquences néceffaires.

LIVRE I V.

De la nature du menfonge, du ferment, du droit de propriété; des diverfes manieres d'acquérir..

L'HOMME

§. I.

Des devoirs qui concernent l'ufage de la parole.

'HOMME eft né pour la fociété; il fuffit, pour fe convaincre de cette vérité, de réflechir à la nature de l'homme, qui, feul de tous les animaux, a reçu la faculté de faire connoître fa pensée par la parole, ou par des fons articulés. De ce que l'homme a par deffus toutes les autres créatures, l'avantage de communiquer à fes femblables ce qu'il penfe, il faut conclure que la parole eft deftinée à faire connoître l'utile & le nuifible, le jufte & l'injufte : car, on fait que l'homme a exclufivement auffi l'avantage de fe former des idées faines du bon & du mauvais, du jufte & de l'injufte, de l'utile & du pernicieux; en un mot, de toutes les chofes de ce genre dont le commerce ou la connoiffance & l'étude forment les familles & les Etats. C'eft encore par la parole que nous indiquons nos befoins mutuels & le fecours qu'il nous importe de nous donner les uns aux autres. Mais ce même organe fi précieux par le bien qu'il peut faire, pouvoit auffi devenir très-préjudiciable par l'abus que l'homme en eut fait, s'il n'eut été guidé & contenu par cette maxime inviolable du droit naturel de ne tromper jamais perfonne par des paroles, ni par aucun autre figne établi pour exprimer les pensées.

Les fignes font naître en nous des idées ou en réveillent une infinité d'autres quand ils fe préfentent; ceux qui font impreffion fur nos organes, & qui nous fourniffent l'occafion d'acquérir des connoiffances, &c. font innombrables: on les divise d'abord en fignes naturels & en fignes d'inftitution. Les fignes naturels font prefque tout ce qui exifte dépendamment; l'aurore eft le figne du prochain lever du foleil; la fumée eft le figne de la préfence plus ou moins éloignée du feu, &c. &c. Les fignes d'inftitution font ceux que les hommes ont attachés aux chofes, aux actions, à certains mouvemens, ou aux mots, c'eft-à-dire, aux caracteres écrits d'où fe forment les mots. Quelques-uns de ces fignes font univerfels; quelques autres, fans être univerfels, font connus de la plupart des hommes; les autres ne le font que de quelques-uns feulement.

Les fanaux deftinés à guider les vaiffeaux pendant la nuit, & les balifes à montrer pendant le jour les écueils ou bancs de fable; les marques mifes fur les grands chemins pour guider le voyageur; les horloges, le fon des cloches, du tambour, des trompettes, les bannieres, les étendards, &c. &c. ce font les fignes attachés aux choses.

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