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lement à la volonté divine, qui, arbitre fuprême du genre-humain, a droit de nous impofer des loix, & de punir ceux qui les violent.

L'obligation naturelle & l'obligation civile confidérées relativement à celui en faveur de qui on eft tenu de faire quelque chofe, ont cela de commun, que chacun reçoit & poffede à jufte titre tout ce à quoi il a quelque droit, en vertu de l'une ou de l'autre de ces deux obligations. Mais fi l'on refufe de s'acquitter du devoir qui réfulte de cette obligation; fi elle eft naturelle, nous ne pouvons y être contraints par aucune autre voie que par celle de confeil, d'exhortation & de douceur; au-lieu que fi elle eft civile, c'est-à-dire, fondée fur un engagement volontaire; alors la perfonne léfée peut avoir recours à la force pour en obtenir l'effet, par la même raison, que l'on peut défendre à main armée les biens que l'on poffede, contre les entreprifes d'un agreffeur injufte.

On divife encore l'obligation en obligation perpétuelle & obligation à temps: la premiere ne peut finir qu'avec la perfonne à qui elle est attachée telle eft l'obligation de nos devoirs envers Dieu; tels font encore les devoirs que les hommes fe doivent naturellement & qui durent tant que les hommes exiftent. On met au rang des obligations acceffoires, de l'obligation perpétuelle, les engagemens du mariage, & les devoirs des enfans envers leurs peres. Quant aux obligations à temps, ce font toutes celles qui peuvent être éteintes pendant la vie de ceux à qui elles font

attachées.

Il y a enfin des obligations réciproques, & d'autres qu'on peut appeller non-réciproques. Les premieres font celles qui fe répondent l'une à l'autre, de maniere que celui à qui l'on doit quelque chofe, eft obligé à son tour, de faire quelque chofe en vue de l'obligation où l'on eft à fon égard. Parmi celles-ci, il en eft qui ne font qu'inégalement réciproques, c'eftà-dire, que l'une n'a pas autant de force que l'autre, & cette inégalité vient de l'inégalité des conditions, ou de ce que les perfonnes, quoique égales, ont voula d'un commun accord, ne s'engager entr'elles qu'avec inégalité. Les obligations inégalement réciproques à caufe de l'inégalité des conditions, font, par exemple, celles qu'il y a entre un fouverain & fes fujets, un Etat & fes citoyens, un pere & fes enfans, un maître & fes domeftiques, &c. Les obligations inégalement réciproques entre perfonnes de condition égale, ont lieu dans les promeffes gratuites & dans leur exécution. Car, fi je promets gratuitement quelque chofe à un de mes égaux, je fuis obligé de tenir ma parole, & il a droit d'en exiger l'accompliffenient, quoiqu'il ne foit tenu envers moi que par les loix de la reconnoiffance, qui ne lui impofent pas une obligation parfaite; puifque je n'ai pas le droit de l'y contraindre, lorfqu'il y manque. A l'égard des obligations non-réciproques, ce font celles en vertu defquelles on eft tenu de faire quelque chofe envers un autre, fans que celui-ci contracte aucune forte d'obligation même imparfaite. Telle eft l'obligation des. hommes envers

Dieu, qui très-certainement n'eft tenu à rien envers eux. C'est même la feule obligation non-réciproque qu'il y ait, à parler rigoureufement: car, à l'exception d'un petit nombre de contrats qui ne paroiffent obligatoires que d'une part feulement, & qui néanmoins fuppofent aufli une légere obligation de l'autre part, il n'y a point d'engagement qui ne foit plus ou moins réciproque: la fociabilité de perfonnes dont l'une feroit tellement affujettie à l'autre, que celle-ci ne feroit tenue en rien envers elle, eft une fociabilité fort difficile à concevoir, ou plutôt elle paroît entiérement inconcevable.

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De la nature des promeffes & des conventions en général.

ON a dit que les obligations fe divifoient en naturelles & en acceffoi

res; on a parlé des premieres, autant qu'il étoit néceffaire, pour diftinguer les diverfes fortes d'engagemens dont elles font l'origine. Les obligations acceffoires font celles qui proviennent d'un acte propre de celui qui y eft affujetti, & en vertu defquelles les autres acquierent un droit qu'ils n'avoient point auparavant, Les actes d'où proviennent les obligations acceffoires font obligatoires, ou d'une part feulement, ou des deux côtés. Dans le premier cas, l'obligation acceffoire prend le nom de promeffe gratuite, & dans le fecond, elle prend celui de convention. Dans toute promeffe, comme dans toute convention, le promettant ou le contractant cede à un autre le droit qu'il avoit fur quelque chofe; en forte que c'est toujours une ceffion de droit. Mais qu'eft-ce qu'une telle ceffion?

Il eft effentiel d'observer qu'il est deux fortes de droits, l'un qui regarde les perfonnes, & l'autre les choses. On acquiert un droit fur les perfonnes, lorfque plufieurs confentent, foit tacitement, foit formellement, qu'un feul ait l'autorité de leur prefcrire ce qu'ils devront faire, ou ne pas faire, ou laiffer faire, s'engageant, en faveur de celui auquel on cede ce droit, de fuivre fa volonté, lui donnant pouvoir, dans le cas où l'on refuferoit de remplir cet engagement, d'ufer de contrainte, ou même de châtiment, en punition de la défobéiffance.

On peut avoir fur les chofes deux fortes de droits, l'un originaire, & l'autre dérivé. C'eft y avoir un droit originaire, que de les pofféder en vertu d'une renonciation expreffe ou tacite que les autres ont faite des juftes prétentions qu'ils avoient fur l'ufage d'une même chofe; mais fi celui qui jouit ainfi à titre de droit originaire, vient à céder ce droit à fon tour à quelqu'un; ce dernier acquiert fur la chofe un droit que l'on appelle

dérivé.

Promettre, de quelque maniere que ce foit, même gratuitement, c'eft s'impofer à foi-même une obligation, & donner à celui ou à ceux en faveur de qui l'on a promis, un droit à exercer. La chose que l'on pro

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met de faire, dépend actuellement de celui qui s'engage, ou elle en dépendra à l'avenir. Dans ces cas, il y a différentes manieres de promettre, l'une qui n'engageant pas, n'eft point obligatoire; par exemple, je déclare le deffein où je fuis de faire un jour telle ou telle autre chofe en faveur d'une perfonne que je défigne; cette déclaration ne marque précisément que ma bonne volonté pour cette perfonne; mais ce n'eft point là une promeffe expreffe; ce n'eft qu'une forte de projet, qui ne m'impofe aucune néceffité de perfifter dans les mêmes intentions; ce n'eft qu'une fimple efpérance que je donne, & qui ne me mettant point dans l'obligation de la réalifer, n'affure aucun droit à celui en faveur duquel je dis que j'agirai. Il en eft exactement de même de l'efpérance que l'on donne à quelqu'un de faire quelque chofe en fa faveur, en lui déclarant expreffément que l'on eft dans la réfolution de perfifter dans cette intention. Cette promeffe eft à la vérité plus marquée, & il n'eft pas douteux que parler ainfi c'eft s'imposer à foi-même l'obligation de tenir fa parole. Cependant il ne résulte d'une telle déclaration qu'une promeffe imparfaite; c'eft-à-dire, qu'elle ne donne aucun droit à exercer à celui en faveur de qui elle eft faite pour en obtenir l'exécution. Ce n'eft pas que par le droit naturel, de telles promeffes n'obligent; mais leur défectuofité ne vient que des loix civiles, qui font dépendre la validité des engagemens de certaines formalités. A l'égard de ces promeffes vagues, de ces offres de fervice & de ces brillantes efpérances données par les grands à ceux que l'inexpérience rend crédules & dupes de leur propre crédulité, il eft conftant qu'elles n'obligent même point par le droit naturel, parce qu'en les faifant, il est très-affuré qu'on fe réserve toujours le droit de les exécuter ou de ne pas les exécuter. Ces promeffes ne lient pas plus que la formule d'ufages qui termine les lettres; formule d'après laquelle il y auroit de l'abfurdité à prétendre avoir acquis le droit de commander à un homme, par cela feul qu'il auroit pris le titre d'humble & d'obéiffant ferviteur. En un mot, il n'y a que les promeffes parfaites qui obligent ftrictement; & une promeffe n'eft parfaite, qu'autant qu'à l'obligation qu'on s'eft impofée à foi-même de perfifter dans l'intention où l'on déclare être de faire quelque chofe en faveur de quelqu'un, on ajoute un engagement plus étroit, & par lequel on donne à celui, à l'avantage de qui l'on s'eft engagé, le droit d'exiger à la rigueur, l'exécution de la promeffe.

A l'égard des paroles qui ne regardent que l'avenir, elles n'obligent pas: & pour qu'elles foient vraiment obligatoires, il faut effentiellement qu'elles foient conçues par des expreffions qui marquent, ou le temps paffé ou le temps préfent: par exemple, fi pour vous transférer le droit fur une chofe, je m'exprime ainfi; je vous donnerai demain telle chofe : c'eft autant déclarer qu'on ne l'a point donnée, & qu'on ne la donne point actuellement, que dire qu'on la donnera : & d'après cette défectuofité de tranflation, on conferve la chofe, non-feulement le lendemain, mais auffi le furlendemain,

&

& les jours fuivans, & toujours, à moins que par un nouvel engagement on ne la transfere réellement, & qu'on ne donne actuellement cette chofe promise. Mais fi je m'exprime ainfi; en fix jours je vous donnerai cent écus, & fi je figne ma promeffe, alors elle eft parfaite; parce que c'est comme fi j'avois dit, je vous donne dès-à-préfent cent écus, & je m'engage à vous compter cette fomme dans fix jours. Enfin, fur ce fujet qui eft journellement celui de trop de conteftations, il eft une maxime fûre & qui doit fervir de regle; c'eft que les termes d'avenir employés dans les promeffes, & fur-tout celui de donner, emportent ou une obligation qui n'eft pas encore contractée; & alors, ils ne transferent ni la chofe, ni le droit à la chofe; ou ils emportent la délivrance que l'on doit faire de la chofe fur laquelle on transfere ou l'on a transféré fon droit, & dans ce cas, ces termes n'empêchent point que la promeffe ne foit parfaite.

En général au refte, tout engagement pris doit être rempli; quand même ce ne feroit qu'une fimple promeffe ou une fimple convention, qui ne feroit accompagnée d'aucune exécution, & qui ne renfermeroit point d'engagement valide en juftice. Sans doute que ceux en faveur defquels de telles conventions ont été faites, n'ont point le droit de les faire exécuter; mais il n'en eft pas moins vrai que, par les loix naturelles, c'est-à-dire, par l'équité, on eft tenu de remplir cette forte d'engagemens. Par la même raifon, les billets ou promeffes fans caufe, quoiqu'ils foient fans nulle validité en juftice, lient étroitement, en vertu du droit naturel, celui qui les a confentis, car, de cela même qu'ils font fans cause ou fans ftipulation réciproque, il en résulte que ce font des engagemens de pure bénéficence & de libéralité; & on ne voit pas trop pourquoi tous les fervices mutuels des hommes doivent fe réduire à un commerce purement mercenaire : je ne vois pas non plus pourquoi je ne devrois pas me fier à la promeffe d'un homme qui s'engage à me donner quelque chofe fans intérêt, fans doute afin de m'attacher à lui comme à mon bienfaiteur. Il est vrai que les loix civiles ne donnent action en juftice que pour les promeffes accompagnées d'une ftipulation formelle; non qu'une promeffe fimple & fans caufe, ne renferme une obligation parfaite, à ne confulter que les regles du droit naturel : mais parce qu'en établiffant ces formalités, les légiflateurs ont voulu, d'un côté, que chacun fût averti de ne rien promettre fans avoir mûrement réfléchi fur la force d'un engagement, dont il ne feroit plus poffible de fe dédire, quand on l'auroit une fois contracté; & de l'autre, donner une méthode facile d'exprimer clairement ce à quoi l'on s'engageroit, & éviter par-là les conteftations qui pourroient provenir de l'obfcurité des promeffes.

Tome XXVII.

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S. VI.

Du confentement néceffaire dans les promeffes & les conventions.

Ꭰ De E la néceffité d'exprimer clairement les conventions, d'indiquer les caufes des engagemens, de ne laiffer aucune obfcurité dans les objets des promeffes, il réfulte que l'une des conditions les plus effentielles de toute promeffe, de toute convention, eft le confentement de la perfonne qui s'engage.

On confent de différentes manieres; par des fignes, par des paroles, par des écrits, par un fimple mouvement de tête quelquefois il n'est befoin d'aucun de ces fignes, & le confentement eft déduit ou de la nature de la chofe qui fait l'objet de la convention, ou de diverfes circonftances qui ont précédé, accompagné ou fuivi cet acte. Il eft auffi des occafions où le filence feul équivaut à un confentement formel. Toutes ces fortes de confentement forment l'effence des conventions qu'on appelle tacites, parce que l'on eft préfumé y avoir confenti, par une conféquence manifefte, par la nature même de la chofe, par les avantages qu'on en a retirés, ou que l'on devoit en retirer, ou par d'autres circonftances.

Une convention principale à laquelle on a expreffèment confenti, suppose fort fouvent, par fa nature même, des conventions acceffoires qu'on n'a point exprimées, & auxquelles néanmoins on eft cenfé avoir auffi confenti d'une maniere expreffe, quoique tacitement. C'eft ainfi que la plupart des conventions fuppofent, par des conféquences néceffaires, certaines exceptions & certaines conditions, qui, pour n'avoir pas été énoncées, n'en font pas moins obligatoires, & qui, quoique fous-entendues, fuppofent néceffairement un confentement tacite.

Lors, par exemple, que je vais demeurer dans un pays étranger, je ne contra&te pas formellement avec le gouvernement fous lequel je vais vivre; mais par cela feul que j'y fuis, je fuis cenfé m'engager tacitement à en abferver les loix; attendu que je ne puis ignorer que c'eft une condition exigée indifpenfablement de tous ceux qui, comme moi, vivent fur les terres dépendantes de cet Etat. Par une même convention tacite, le fouverain & les miniftres s'engagent à me protéger, tant que je refterai dans ce pays. Mon pupille n'a point contracté avec moi, ni moi avec lui; mais nos engagemens mutuels font fondés fur une convention tacite. Je loue un appartement dans une maison, & quoique je ne parle dans le bail que de cet appartement, le propriétaire eft cenfé me permettre de me fervir des portes, des veftibules & des autres parties, de la maifon qui conduifent à cet appartement, & fans l'ufage defquelles il ne m'eft pas poffible d'y entrer. Un fouverain accorde aux étrangers, par une loi expreffe, la liberté de venir aux marchés & aux foires de fes Etats. La liberté d'emporter chez eux les marchandises qu'ils y auront achetées, eft censée taci

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