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L'adultere n'emporte par lui-même, aucun dommage pécuniaire; mais un homme & une femme adulteres font obligés à un dédommagement proportionné, non-feulement à la nourriture de l'enfant provenu de ce commerce, mais encore à la perte que font les enfans légitimes avec lefquels l'enfant illégitime concourt à la fucceffion maternelle. Un homme qui a abufé d'une fille, foit par force, foit par féduction, eft tenu, lorfqu'on ne répare point par le mariage le préjudice caufé, de dédommager cette fille en proportion du tort qu'il a fait à fa réputation, c'eft-à-dire, de l'obftacle qu'il a mis au mariage qu'elle eut pu, fans cela, contracter.

Le voleur & le raviffeur, outre la punition à laquelle les loix les condamnent, font encore tenus de reftituer ce qu'ils ont pris, avec les accroiffemens naturels; fi ce font des beftiaux, avec leurs produits, fi c'eft un champ, avec ses productions, &c. & avec fes profits, l'intérêt de l'argent dérobé, &c. C'eft, observe Puffendorff, une coutume injufte que celle qu'on fuit en quelques lieux, où les juges, confifquant à leur profit, la chose dérobée, ne donnent d'autre fatisfaction au propriétaire que le fupplice du criminel. Il n'eft pas non plus conforme au droit naturel d'obliger celui qui a été volé, de payer les dépenfes néceffaires pour les poursuites & le fupplice du coupable. Au refte, que le voleur foit condamné ou non, il doit toujours dédommager par lui ou par fes héritiers, le propriétaire; & il n'y a ni injuftice, ni cruauté à exiger qu'après avoir fubi quelque peine afflictive ou même le dernier fupplice, le voleur paye encore de fes biens les dommages & intérêts. Car ce n'eft point à ce cas qu'eft applicable la maxime commune, la mort met fin à tout; attendu que la mort ne rompt que les engagemens perfonnels, fans abolir les dettes qui font attachées aux biens, qu'elles fuivent, à quelques nouveaux maîtres qu'ils paffent.

S. I I.

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· De l'obligation où font les hommes de fe regarder comme naturellement égaux.

Il n'eft perfonne qui ne fente qu'en fa qualité d'homme, il est égal à

tout le refte des individus de fon efpece mais cette égalité ne confifte point, comme l'a très-fauffement foutenu Hobbes, en une fimple égalité de forces & de facultés naturelles, de laquelle il réfulte qu'ils doivent tous fe craindre mutuellement; d'où il conclut que cette même crainte les empêche de s'infulter & de fe nuire réciproquement; mais Hobbes s'eft mépris au fujet de cette égalité, qui fe réduit à ces vérités évidentes; 1o. que tous les hommes ont une même nature, & qu'ils doivent fe conduire les uns à l'égard des autres, comme des individus d'une même efpeće, d'une même famille, qui ne connoît qu'une même origine & une feule tige; 2o. que nos corps font compofés d'une même matiere, tous également

fragiles, & fujets aux mêmes altérations, aux mêmes accidens; 3°. que fans diftinction de rangs, & de richeffes, tous les hommes, conçus dans le fein de leur mere, & mis au monde de la même maniere, croiffent, se nourriffent, fe multiplient, meurent & rentrent dans la pourriture de la même maniere.

La conféquence la plus naturelle de cette égalité eft que quiconque veut que les autres faffent quelque chofe en fa faveur, doit tâcher à fon tour de leur être utile: car prétendre ne pas devoir fervir les autres, & en exiger des services, c'eft fe fuppofer une fupériorité naturelle fur fes femblables, & refuser de reconnoître l'égalité; or, fi chacun en agiffoit ainfi bientôt il n'y auroit plus entre les hommes aucun commerce d'offices ou de devoirs. De cette conféquence découle cette maxime inviolable du droit naturel, que quiconque n'a pas acquis un droit particulier, en vertu duquel il puiffe exiger quelque préférence, ne doit rien prétendre plus que les autres, mais au contraire, les laiffe jouir également, des mêmes droits qu'il s'attribue à lui-même.

D'après l'obligation où font les hommes de fe regarder comme naturellement égaux, on fent la néceffité qu'il y a, dans le réglement des droits entre plufieurs perfonnes, de les traiter comme égales, & de n'adjuger rien à l'une plus qu'à l'autre, tant qu'aucunes d'elles n'a point acquis de droit particulier qui lui donne quelque avantage, d'où réfulte ce principe qu'une chofe qui eft en commun, doit être diftribuée par portions égales, à ceux qui y ont le même droit: mais que fi elle n'eft pas fufceptible de divifion, tous ceux qui y ont un droit égal, doivent en jouir en commun, s'il eft poffible, ou même autant que chacun voudra, fi la nature de la chofe le permet; qu'autrement, il faut que chacun en jouiffe, fuivant une certaine mefure réglée entre eux, & proportionnément au nombre de ceux qui doivent y avoir part. Que fi la chofe ne peut fe partager, ni être partagée en commun, il faut, ou que chacun en jouiffe tour à tour, ou s'il n'eft pas poffible, & qu'on ne puiffe dédommager ceux qui en font exclus; alors il faut que le fort en décide, & que celui à qui la fortune la donnera, la retienne pour lui feul.

De cette même obligation où nous fommes tous de nous regarder comme naturellement égaux, vient le frein le plus puiffant que nous ayons à opposer à l'orgueil, à cet injufte fentiment de foi-même qui fait que l'on s'eftime plus que les autres, & qu'on les méprife comme fort au-deffous de foi. Auffi l'intime perfuafion de l'égalité naturelle eft-elle le motif le plus fort de nous détourner de l'outrage & du mépris d'autrui : cette conviction exclut effentiellement l'opinion injufte & fauffe de ceux qui veulent qu'on reconnoiffe, à proprement parler, des esclaves par nature: telles qu'étoient les orgueilleufes prétentions des Grecs qui s'imaginoient que les Barbares, c'eft-à-dire, les nations étrangeres, étant efclaves par nature, & les Grecs libres, il étoit jufte que les premieres obéiffent aux derniers. L'esclavage

naturel, à fuppofer qu'il pût exifter, feroit l'état de celui qui, avec un efprit groffier & un corps robufte, obéiroit à une perfonne capable de lui commander; de maniere que par cet arrangement, chacun des deux vécût dans une pofition commode & conforme à fa condition naturelle. L'efclavage légal, ou celui qui vient de la loi, auroit lieu toutes les fois que par l'injuftice du fort, ou par la condition de fa mere, un homme d'un esprit éclairé, d'une ame noble & généreufe, feroit contraint par les loix d'obéir à un maître moins fage & moins éclairé, telle, par exemple, qu'étoit la fituation d'Epictete à l'égard d'Epaphrodite, &c. Au fond, il eft absurde de fuppofer, que la fimple aptitude naturelle de commander ou d'obéir, donne aux uns le droit de faire des loix, & qu'elle impofe aux autres l'obligation de s'y foumettre. Cette prétendue aptitude bien analyfée, n'est autre chofe que le droit du plus fort, qui n'est certainement rien de bien légitimé.

Ainfi donc par la nature, il n'exifte entre les hommes qu'une égalité de pouvoir, comme une égalité de liberté, & cette condition naturelle & commune à tous les individus, s'eft foutenue jufqu'à ce que par une convention particuliere entre les hommes, les uns ont acquis de l'autorité fur les autres. Lors de cette époque fort ancienne, l'égalité primitive a été abolie, par l'établiffement des fociétés civiles, dans lefquelles une feule ou plufieurs ont reçu le pouvoir de commander au plus grand nombre, qui a été réduit à la néceffité d'obéir.

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Dans les fociétés civiles, tous les citoyens ne font pas égaux; au contraire, il y a entr'eux beaucoup d'inégalité : non-feulement à l'égard de la dignité perfonnelle, de l'eftime, de la réputation, &c., mais encore eu égard au pouvoir que les uns ont fur les autres. Cette inégalité tire en partie fon origine de l'état des peres de famille, antérieur à la fociété civile, & dans laquelle chacun d'eux, en y entrant, a confervé le pouvoir qu'il avoit fur fa femme, fes enfans, fes efclaves. Auffi cette fupériorité ne vient-elle en aucune maniere de la fociété civile dans laquelle l'on vit, quoique la puiffance paternelle y foit confervée, mais plus ou moins reftreinte. Quant aux autres inégalités, elles proviennent uniquement du fouverain, ou de l'administration du gouvernement, qui a demandé que le fouverain, confiât à certains citoyens le droit d'exercer une partie du pouvoir fuprême. L'inégalité des biens & des richeffes, ne peut jamais être perfonnelle, c'est-à-dire, qu'elle ne peut produire aucune inégalité réelle entre les citoyens; & les inégalités qui fe forment à ce fujet, ne proviennent que de l'infolence des uns & de la baffeffe des autres.

Au refte, quelle que puiffe être l'inégalité civile, & quelque immense que foit la diftance qui fépare le fouverain & l'humble laboureur, cette prodigieufe diftance ne détruit pourtant point l'égalité naturelle, ni les obligations mutuelles qui en résultent.

S. III.

Des offices communs de l'humanité.

Pour OUR que les hommes foient bien unis entre eux, il ne fuffit pas qu'ils ne fe faffent point du mal mutuellement, & que l'un ne s'approprie point ce qui appartient à l'autre ; c'eft feulement ne point fe haïr: mais il faur encore qu'ils s'aiment, & que par des offices mutuels, ils fe témoignent & fe donnent des preuves des fentimens dignes de la parenté & de la liaifon que la nature a mises entre tous les hommes. Or, il eft deux moyens de procurer l'avantage d'autrui; ou d'une maniere indéterminée, ou d'une maniere déterminée, c'eft-à-dire, fans qu'il nous en coûte rien ou en facrifiant. quelque chofe du nôtre.

On fait le bien des autres d'une maniere déterminée, quand, pour fe rendre utile à la fociété, on cultive par l'exercice ou par l'étude, les difpofitions de fon corps ou les facultés de fon ame, foit qu'on défende ses concitoyens contre la violence, foit que par fes talens, fon induftrie & ses heureufes découvertes, on invente des chofes qui ajoutent aux commodités & aux agrémens de la vie. D'après cette obfervation, il eft évident que quiconque n'embraffe point une profeffion utile ou honnête, offense la loi naturelle, eft à charge à lui-même, & pese à la fociété. Mais un homme content du patrimoine de fes peres, eft-il excufable de paffer fa vie dans l'oifiveté, & de consumer paifiblement ce qui lui a été transmis? Il est très-répréhensible; car ce n'eft pas pour foi feulement qu'il faut travailler, mais afin de laiffer à ceux qui nous fuccéderont, ou, fi nous manquons d'héritiers, afin de foulager ceux qui, maltraités par la fortune ont befoin de fecours. On voit par-là combien font inexcufables les moines qui, comme dit Zozime, (liv. 5. chap. 23.) renonçant au mariage rempliffent les villes & la campagne de communautés nombreuses; qui ne portent point les armes, & qui ne rendent aucun autre fervice à l'Etat ; s'étant toujours multipliés depuis leur premier établissement, ils ont acquis de grandes terres, fous prétexte de nourrir les pauvres, & ont, en effet, réduit prefque tout le monde à la pauvreté, &c.

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Permettre ou accorder à quelqu'un une chofe, d'où il lui revient de l'u tilité, c'eft lui rendre fervice d'une maniere déterminée: refufer un tel office, qui fouvent ne coûte rien, & dont on n'a à craindre aucune incommodité, c'eft manquer à la loi naturelle, & lui préférer l'inhumanité. C'est également une dureté barbare que d'aimer mieux voir fe perdre chez foi une partie d'une chose dont on a abondamment, ou bien la détruire foi-même, que la donner à ceux qui en manquent & en ont befoin. Cet acte a cependant une exception, & c'eft l'état de guerre, circonftance dans laquelle il eft important de ne pas laiffer à l'ennemi des chofes qui peuvent lui fervir contre ceux-même qui les lui abandonneroient. Les

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232 exemples de ces offices mutuels auxquels les hommes font obligés par la loi naturelle, font très-multipliés, & d'autant plus faciles à connoître, que chacun fent aisément, quand l'occafion s'en préfente, s'il peut rendre fervice à autrui, fans s'incommoder lui-même & fans causer du préjudice à un tiers. Ainfi, par la même raison, que fi je vois un homme pourfuivi par un ennemi, je l'oblige en lui permettant de paffer fur mes terres; je dois auffi accorder ce paffage à plufieurs perfonnes qui, également pourfuivies, ne pourroient guere fe dérober autrement, à leurs ennemis. Mais cette permiffion de paffage peut-elle être étendue à une troupe considérable, à une armée ? Quelques écrivains ont décidé affirmativement, fans fonger vraisemblablement au dommage inévitable qu'un femblable paffage cauleroit au propriétaire, ni à l'imprudence qu'il y auroit à recevoir chez foi des étrangers armés, & par-là même, affez forts & affez nombreux pour chaffer de fes poffeffions celui qui leur auroit accordé le paffage. D'ailleurs, il n'eft pas vrai que l'on foit obligé par les loix naturelles de rendre un tel fervice à une armée d'étrangers, & principalement fi elle eft en guerre contre un peuple voifin des terres fur lefquelles elle demande à paffer; car, par la même loi naturelle, on eft beaucoup plus tenu de vivre en bonne intelligence avec fes voifins, que de faciliter à l'étranger le moyen de les opprimer. Un tel paffage peut & doit donc être refufé, à moins qu'on n'y foit contraint par la force majeure, ce qui arrive prefque toujours en pareil cas. Du refte, ce qui prouve combien peu ce fervice eft d'obligation naturelle, c'eft que dans les traités d'alliance, il y a communé ment une claufe expreffe par laquelle chacun des alliés s'engage à ne point donner paffage aux ennemis de l'autre.

Le tranfport des marchandifes par les terres, les rivieres & les ports d'autrui, a été le fujet de bien de conteftations, & il n'eft pas encore bien décidé, fuivant quelques-uns, fi les nations à travers les poffeffions defquelles de tels tranfports. fe font, font tenues de les permettre. La queftion cependant n'eft rien moins qu'infoluble, & pour la décider, il fuffic de connoître les obligations précisément que le droit naturel impofe aux hommes, & les offices mutuels qu'ils font tenus de fe rendre : or, il eft évident que les loix de l'humanité toute feule, ou les loix naturelles ne nous obligent pas indispensablement de donner paffage à aucune marchandife étrangere, à moins qu'elle ne foit néceffaire à la vie. Quant à celles qui ne fervent qu'au luxe, ou dont le trafic tend plutôt à entaffer des richeffes fuperflues, ou à fatisfaire l'avarice, qu'à fournir aux befoins de la vie, de quel droit prétendroit-on obliger quelqu'un à les laiffer tranfporter par fon pays? Car, outre qu'un trop grand abord d'étrangers eft quelquefois préjudiciable ou fufpect à l'Etat, pourquoi un fouverain ne procureroit-il pas à fes fujets le gain que font les étrangers à la faveur du paffage qu'ils demandent? Ne peut-il pas & ne doit-il pas favorifer les citoyens préférablement aux étrangers? II eft vrai qu'en permettant à ceux

ci

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