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la probabilité de l'innocence de l'accufé étant moindre, il faut prolonger le temps de l'examen, & diminuer celui de la prescription; parce que l'impunité eft moins dangereufe. Or on ne pourroit faire cette diftinction entre ces deux efpeces de délits, fi les fuites fâcheufes de l'impunité étoient en raifon de la probabilité qu'il y aura un crime impuni. Que l'on confidere auffi qu'un accufé dont l'innocence ou le crime ne font pas conftatés, quoique renvoyé faute de Preuves, peut être encore arrêté pour le même crime, & foumis à une nouvelle procédure, fi l'on trouve contre lui de nouveaux indices, déterminés par les loix, avant la fin du temps de la prescription fixée pour l'efpece de crime qu'il a commis. Tel eft au moins le tempérament qu'on pourroit prendre, à mon avis, pour pourvoir à la fois à la fureté & à la liberté des citoyens, fans favorifer l'une aux dépens de l'autre; écueils contre lefquels on peut donner facilement; parce que ces deux biens, patrimoine égal & inaliénable de tout citoyen, font fujets à être envahis, l'un par le defpotisme déguisé, l'autre l'autre par l'anarchie tumultueufe.

Il y a quelques efpeces de crimes fréquens dans la fociété, & en même temps difficiles à conftater, & pour ceux-là la difficulté de trouver la Preuve compenfe aux yeux de la loi la probabilité de l'innocence: mais comme la fréquence de cette forte de crimes eft bien moins la fuite de leur impunité, que l'effet de caufes différentes, le danger de les laiffer impunis n'eft pas d'une auffi grande importance. Il faudra donc diminuer également le temps de l'examen, & celui de la prefcription. Les principes reçus font bien oppofés à ceux-là. C'eft précisément pour les crimes qu'il eft le plus difficile de conftater, comme l'adultere, la pédérastle, &c. qu'on admet les préfomptions, les femi-preuves, comme fi un homme pouvoit être demi-innocent & demi-coupable; c'eft-à-dire, demi-abfolvable & demi-puniffable. C'eft dans ces délits que la torture doit exercer fon cruel empire fur la perfonne de l'accufé, fur les témoins, fur toute la famille d'un malheureux, felon les enfeignemens de quelques do&teurs, qui dicent avec une injuftice froide des loix aux nations.

D'après ces principes, on reconnoîtra avec étonnement que la raison n'a pas toujours préfidé à la formation de la jurifprudence criminelle. C'est pour les délits les plus atroces, les plus obfcurs & les plus chimériques c'eft-à-dire, pour ceux dont la vraisemblance eft la moindre, qu'on s'eft contenté des Preuves les plus foibles & les plus équivoques; comme fi les loix & le magiftrat avoient intérêt, non pas de trouver la vérité, mais de prouver un crime; comme fi le rifque de condamner un innocent n'étoit pas d'autant plus grand, que la probabilité du crime eft moindre.

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La plus grande partie des hommes manquent de cette énergie d'ame néceffaire pour les grands crimes autant que pour les grandes vertus, & qui amene toujours les uns & les autres à la fois dans les Etats qui fe foutiennent par l'activité nationale & par la paffion du bien public; quant

à ceux qui fubfiftent par leur maffe ou par la bonté de leurs loix, les paffions affoiblies femblent plus propres à y maintenir la forme du gouvernement, qu'à l'améliorer; ce qui nous conduit à cette conféquence importante, que les grands crimes dans une nation, ne prouvent pas toujours fon dépériffement.

PRIÉZAC, Auteur Politique.

DANIEL DE PRIÉZAC, avocat au parlement de Paris, docteur-régent

en l'université de Bordeaux, & depuis l'un des membres de l'académie françoife, & confeiller d'Etat, né au château de Priézac en Limofin, & mort en 1668, s'eft fait connoître par, quelques ouvrages qui ne font pas de mon fujet (a), & par deux livres dont je dois rendre compte.

I. Difcours Politiques, 2 vol. in-4°. Le premier fut imprimé en 1652, & le fecond en 1654. Cet ouvrage, dédié au chancelier Séguier, traite de la fociété, de la famille, de la cité, de la république, de l'amitié, de la fervitude, de la nobleffe, de la vie active & contemplative, de la fouve raineté, de la royauté, &c. Il eft écrit affez purement, & préfente d'affez belles idées; mais avec tout cela il eft médiocre, parce qu'il eft écrit en ftyle oratoire, un peu enflé, & fouvent épigrammatique; que l'auteur cherche trop plaire pour inftruire, & qu'il n'eft pas infiniment au fait de la matiere qu'il traite.

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II. Mifcellaneorum Libri duo. Paris, 1558, in-4°. C'est un ouvrage pofthume dont le fils de Priézac eft l'éditeur. On trouve, dans ces Euvres mêlées, deux pieces dont je dois dire un mot. I. Une » differtation qui » a pour titre : Queftion royale, favoir, fi un criminel de lefe-majefté qui s'eft fauvé dans un Etat étranger, doit être livré à fon prince qui » le réclame "; & l'auteur eft pour l'affirmative. II. Une réponse au Mars Gallicus de Janfénius, fous le titre de Vindicia Gallica. Cette réponse fut faite par ordre de la cour de France. Le Mars Gallicus & les Vindicia Gallica font des ouvrages dont il faut connoître le titre; mais il eft désormais inutile de les confulter.

(a) Trois difcours prononcés en trois différentes occafions: Observations contre le li vre de l'abbé de Métrose, intitulé: Philippe-le-Prudent; & trois volumes des privileges de la vierge.

PRISONNIER DE GUERRE, Celui qui, dans la guerre, pris par l'ennemi, les armes à la main, ou autrement, tombe en fa puissance.

TOUS OUS les ennemis vaincus ou défarmés, que l'humanité oblige d'épargner, toutes les perfonnes qui appartiennent à la nation ennemie, même les femmes & les enfans, on eft en droit de les arrêter & de les faire Prifonniers, foit pour les empêcher de reprendre les armes, foit dans la vue d'affoiblir l'ennemi, foit enfin qu'en fe faififfant de quelque femme ou de quelqu'enfant cher au fouverain, on fe propofe de l'amener à des conditions de paix équitables, pour délivrer ces gages précieux. 11 eft vrai qu'aujourd'hui, entre les nations polies de l'Europe, ce dernier moyen n'eft guere mis en ufage. On accorde aux enfans & aux femmes une entiere fureté, & toute liberté de fe retirer où elles veulent. Mais cette modération, cette politeffe, louable fans doute, n'eft pas en elle-même abfolument obligatoire; & fi un général veut s'en difpenfer, on ne l'accufera point de manquer aux loix de la guerre il eft le maître d'agir à cet égard, comme il le trouve à propos pour le bien de fes affaires. S'il refufe cette liberté aux femmes, fans raifon & par humeur, il paffera pour un hommie dur & brutal; on le blâmera de ne point fuivre un ufage établi par l'humanité. Mais il peut avoir de bonnes raifons de ne point écouter ici la politeffe, ni même les impreffions de la pitié. Si l'on efpere de réduire par la famine une place forte, dont il eft très-important de s'emparer, on refuse d'en laiffer fortir les bouches inutiles. Il n'y a rien là qui ne foit autorifé par le droit de la guerre. Cependant on a vu de grands hommes, touchés de compaffion, en des occafions de cette nature, céder aux mouvemens de l'humanité contre leurs intérêts. Nous avons parlé ailleurs de ce que fit Henri-le-Grand, pendant le fiege de Paris. Joignons à ce bel exemple, celui de Titus au fiege de Jérufalem. Il voulut d'abord repouffer dans la ville les affamés qui en fortoient mais il ne put tenir contre la pitié que lui infpiroient ces miférables; les fentimens d'un cœur fenfible & généreux, prévalurent fur les maximes du général.

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Dès que votre ennemi eft défarmé & rendu, vous n'avez plus aucun. droit fur fa vie, à moins qu'il ne vous le donne par quelqu'attentat nouveau, ou qu'il ne fe fût auparavant rendu coupable envers vous d'un crime digne de mort. C'étoit donc autrefois une erreur affreufe; une prétention injufte & féroce, de s'attribuer le droit de faire mourir les Prifonniers de guerre, même par la main d'un bourreau. Depuis long-temps on eft revenu à des principes plus juftes & plus humains. Charles I, roi de Naples ayant vaincu & fait Prifonnier Conradin fon compétiteur, le fit décapiter publiquement à Naples, avec Frideric d'Autriche, Prifonnier comme lui.

Cette barbarie fit horreur, & Pierre III, roi d'Arragon la reprocha au cruel Charles, comme un crime déteftable & jufqu'alors inoui entre princes chrétiens. Cependant il s'agiffoit d'un rival dangereux, qui lui difputoit la couronne. Mais, en fuppofant même que les prétentions de ce rival fusfent injuftes, Charles pouvoit le retenir en prifon, jusqu'à ce qu'il y eut renoncé, & qu'il lui eut donné des furetés pour l'avenir.

On eft en droit de s'affurer de fes Prifonniers, & pour cet effet, de les enfermer, & de les lier même, s'il y a lieu de craindre qu'ils ne se révolrent, ou qu'ils ne s'enfuient : mais rien n'autorife à les traiter durement, à moins qu'ils ne fe fuffent rendus perfonnellement coupables envers celui qui les tient en fa puiffance. En ce cas, il eft le maître de les punir. Hors delà, il doit fe fouvenir qu'ils font hommes & malheureux. Un grand. cœur ne fent plus que de la compaffion pour un ennemi vaincu & foumis. Donnons aux peuples de l'Europe la louange qu'ils méritent: il eft rare que les Prifonniers de guerre foient maltraités parmi eux. Nous louons, nous aimons les Anglois & les François, quand nous entendons le récit du traitement que les Prifonniers de guerre ont éprouvé de part & d'autre chez ces généreufes nations. On va plus loin encore, & par un ufage qui releve également l'honneur & l'humanité des Européens, un officier Prifonnier de guerre eft renvoyé fur fa parole; il a la confolation de paffer le temps de fa prifon dans fa patrie, au fein de fa famille; & celui qui l'a relâché, fe tient auffi fûr de lui, que s'il le retenoit dans les fers.

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On eût pu former autrefois une queftion embarraffante. Lorfqu'on a une fi grande multitude de Prifonniers, qu'il eft impoffible de les nourrir, ou de les garder avec fureté, fera-t-on en droit de les faire périr, ou les renverra-t-on fortifier l'ennemi, au rifque d'en être accablé dans une autre occafion? Aujourd'hui la chose eft fans difficulté: on renvoie ces Prifonniers fur leur parole, en leur impofant la loi de ne point reprendre les armes jufqu'à un certain temps, ou jusqu'à la fin de la guerre. Et comme il faut néceffairement que tout commandant foit en pouvoir de convenir des conditions auxquelles l'ennemi le reçoit à compofition; les engagemens qu'il a pris pour fauver fa vie, ou fa liberté, & celle de fa troupe, font valides, comme faits dans les termes de fes pouvoirs, & fon fouverain ne peut les annuller. Nous en avons vu divers exemples dans le cours de la derniere guerre plufieurs garnifons Hollandoifes ont fubi la loi de ne point fervir contre la France & fes alliés, pendant une ou deux années; un corps de troupes Françoises invefti dans Lintz, fut renvoyé en deça du Rhin, à condition de ne point porter les armes contre la reine de Hongrie, jusqu'à un temps marqué. Les fouverains de ces troupes, ont refpecté leurs engagemens. Mais ces fortes de conventions ont des bornes; & ces bornes confiftent à ne point donner atteinte aux droits du fouverain fur fes fujets. Ainfi l'ennemi peut bien imposer aux prifonniers qu'il relâche, la condition de ne point porter les armes contre lui jusqu'à la fin de la guerre, puif

qu'il feroit en droit de les retenir en prifon jufqu'alors: mais il n'a point le droit d'exiger qu'ils renoncent pour toujours à la liberté de combattre pour leur patrie; parce que la guerre finie, il n'a plus de raison de les retenir : & eux de leur côté, ne peuvent prendre un engagement abfolument contraire à leur qualité de citoyens ou de fujets. Si la patrie les abandonne, ils font libres, & en droit de renoncer auffi à elle.

Mais fi nous avons affaire à une nation également féroce, perfide & formidable, lui renverrons-nous des foldats, qui peut-être, la mettront en. état de nous détruire? Quand notre fureté le trouve incompatible avec celle d'un ennemi, même foumis, il n'y a pas à balancer. Mais pour faire périr de fang-froid un grand nombre de Prifonniers, il faut 1°. qu'on ne, leur ait pas promis la vie ; & 2o, nous devons bien nous affurer que notre falut exige un pareil facrifice. Pour peu que la prudence permette, ou de, fe fier à leur parole, ou de méprifer leur mauvaise-foi, un ennemi géné reux écoutera plutôt la voix de l'humanité, que celle d'une timide circonfpection. Charles XII, embarraffé de fes Prifonniers, après la bataille, de Narva, fe contenta de les défarmer, & les renvoya libres. Son ennemi, pénétré encore de la crainte que lui avoient donnée des guerriers redoutables, fit conduire en Syberie les Prifonniers de Pultowa. Le héros Suédois fut trop plein de confiance dans fa générofité : l'habile monarque de Ruffie fut, peut-être un peu dur, dans fa prudence. Mais la néceffité. excufe la dureté, ou plutôt elle la fait difparoître. Quand l'amiral Anfon. eut pris auprès de Manille, le riche gallion d'Acapulco, il vit que fes Prifonniers furpaffoient en nombre tout fon équipage, il fut contraint de les enfermer à fond-de-cale, où ils fouffrirent des maux cruels. Mais s'il fe fût exposé à fe voir enlevé lui-même avec fa prife & fon propre vaiffeau, l'humanité de fa conduite en eût-elle juftifié l'imprudence? A la bataille. d'Azincour, Henri V, roi d'Angleterre, fe trouva, après fa victoire, ou crut fe trouver, dans la cruelle néceffité de facrifier les Prifonniers à fa propre fureté. Dans cette déroute univerfelle, dit le P. Daniel, il arriva un nouveau malheur, qui coûta la vie à un grand nombre de François. Un refte de l'avant-garde Françoise fe retiroit avec quelqu'ordre, & plufieurs s'y rallioient. Le roi d'Angleterre les voyant de deffus une hauteur, crut qu'ils vouloient revenir à la charge. On lui vint dire en même-temps qu'on attaquoit fon camp, où il avoit laiffé fes bagages. C'étoit en effet quelques gentilshommes Picards, qui ayant armé environ fix cents payfans, étoient venus fondre fur le camp Anglois. Ce prince craignant quelque fâcheux retour, envoya des aides de camp dans tous les quartiers de l'armée, porter ordre de faire main-baffe fur tous les Prifonniers; de peur que fi le combat recommençoit, le foin de les garder n'embarraffat fes foldats, & que ces Prifonniers ne fe rejoigniffent à leurs gens. L'ordre fut exécuté fur le champ, & on les paffa tous au fil de l'épée. » La plus grande néceffité peut feule juftifier une exécution fi terrible; & on doit plaindre le général qui fe trouve dans le cas de l'ordonner.

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