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quelqu'un, eft d'ordinaire qu'on y a foi-même confenti; ce confentement, & en général tout autre engagement où l'on entre n'eft obligatoire qu'en vertu de la maxime du droit naturel, qui porte que chacun doit tenir ce à quoi il s'eft obligé.

Pour que les loix foient obligatoires, & qu'elles ayent toutes leur efficacité, il faut deux chofes, l'une que le légiflateur foit connu, & l'autre qu'elles foient connues; & comme les réflexions que chacun fait néceffairement fur la conftitution de la nature humaine, fuffit pour lui découvrir la loi naturelle, les fujets d'un Etat font inftruits des loix civiles, auxquelles ils doivent fe conformer, par la publication qui s'en fait folemnel

lement.

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Les conditions effentielles d'une loi font 1°. de déterminer ce qu'il faut faire, ou ne pas faire; 2°, de déclarer expreffément la peine qu'on encourra en ne faifant pas ce que la loi ordonne, ou en faisant ce qu'elle défend. C'eft cette feconde partie de la loi que l'on appelle fanction, dit l'au- . teur, contre le fentiment de Cumberland, qui prétend que les récompenfes font le principal objet de la fanction d'une loi, & même des loix naturelles; ce qui eft fi peu vrai, obferve Puffendorff, que notre vie, nos perfonnes, toutes nos facultés naturelles font de purs préfens de la bonté divine, qui nous les a départis gratuitement, & d'autant plus indépendans de l'obfervation des loix, que nous en jouiffions avant même que nous fuffions capables de penfer à fuivre aucune regte de conduite, &c. Bien des jurifconfultes Romains, ont décidé que l'autorité de la loi confiftoit à commander, à défendre, à permettre, & à punir. Mais il eft bond'observer que cette permiffion eft moins une action qu'une inaction; en forte que ce que la loi permet, elle ne l'ordonne, ni ne le défend, que chacun eft libre de faire ou d'omettre ce qui n'eft ni défendu ni permis, rien de tout cela n'étant obligatoire. Au refte, cette permission est pleine & abfolue quand le légiflateur donne expreffément le droit de faire une chofe avec une entiere liberté; ou elle eft imparfaite, lorsqu'elle donne feulement l'impunité ou l'exemption de tout obftacle.

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La loi oblige en général tous ceux qui vivent fous la dépendance du législateur; mais il eft des perfonnes qu'elle oblige en particulier, & il fuffit de jeter les yeux fur la loi même, pour favoir quels font ceux auxquels le législateur a voulu imposer telle ou telle autre obligation : car ils font défignés tantôt d'une maniere expreffe, & par quelque, marque d'univerfalité, ou par une reftriction à certain ordre de citoyens, & tantôt par l'addition de quelque condition ou de quelque raison particuliere; en forte que chacun peut aifément fe reconnoître à telle ou telle autre condition exprimée & qui le défigne, &c.

Relativement à fon origine, la loi eft naturelle ou pofitive. La loi naturelle est celle qui convient fi effentiellement à la nature raisonnable & fociable de l'homme, que fans l'obfervation de cette loi, il ne pourroit

exifter fur la terre de fociété honnête, & paifible. La loi pofitive eft celle qui n'eft point fondée fur la conftitution générale de la nature humaine, mais purement & fimplement fur la volonté d'un législateur.

S. VII.

Des qualités des actions morales.

Il étoit indifpenfable d'avoir une idée de la loi en général, avant que de confidérer les différentes qualités des actions morales, qui ont la loi pour regle & premiérement il importe de divifer les actions permises ou indifférentes, bonnes ou mauvaisles. A parler généralement, les bonnes font celles que la loi commande, les mauvaifes celles qu'elle défend, & les indifférentes celles qu'elle laiffe à la liberté de chacun. Les actions font moralement bonnes, lorfqu'elles font conformes à la loi; moralement mauvaifes lorfqu'elles y font contraires. Relativement aux loix divines, foit naturelles foit révélées, il ne fuffit pas pour qu'une action foit moralement bonne, qu'elle foit conforme à la regle, mais qu'elle foit faite, non par ignorance ou pour quelqu'autre raifon, mais uniquement dans la vue d'obéir à la loi. De ce que la bonté ou la malice des actions confifte dans leur convenance, ou leur difconvenance avec la regle morale, il eft évident que la caufe efficiente d'une action eft celui qui la produit, & que par conféquent elle ne doit être imputée qu'à lui.

La justice eft attribuée aux perfonnes ou aux act ons, & ces deux chofes en rendent la fignification très-différente. En effet, pour être jufte, il fuffit d'agir juftement, ou de tâcher de faire ce qui eft jufte. Etre injufte, c'eft au contraire négliger la juftice, ou ne point vouloir la mesurer aux regles du devoir, mais à l'utilité actuelle en forte qu'un homme jufte peut faire plufieurs actions injuftes, & un homme injufte faire des actions juftes, le premier agit par foibleffe, & le fecond pour éviter la peine portée par la loi. A l'égard de la définition connue de la juftice, une volonté conftante & perpétuelle de rendre à chacun le fien, elle n'a aucun trait à la juftice des actions, objet principal néanmoins de la jurifpruden& c'eft un grand défaut aux jurifconfultes de n'avoir pas compris dans leur définition, les actions comme les perfonnes.

ce,

Les actions font fimples ou compofées; les premieres confiftent en un fimple mouvement de quelque faculté, appliqué à l'objet de l'action d'une certaine maniere; l'amour, la haine, la louange, le blâme, &c. Les actions compofées font celles qui confiftent en quelque acte extérieur, qui produit un bien ou un mal réel à autrui, ou aux chofes qui appartiennent à autrui. Il eft des actions qui entrent dans le commerce des hommes, & que l'on met à prix il en eft d'autres qui ne font fufceptibles, du moins pour l'ordinaire, d'aucune exacte estimation. De même, il eft des

chofes, fur lesquelles nous avons un droit parfait, & d'autres fur lefquelles nous n'avons qu'un droit imparfait. Lorfque les premieres nous font refufées, nous pouvons, fi nous vivons dans l'indépendance de l'état de nature, recourir aux voies de fait, à la force, à la guerre, pour les arracher des mains de ceux qui nous les retiennent, ou, fi nous vivons au milieu d'une fociété civile, former une action en juftice. Mais lorfque nous n'avons qu'un droit imparfait, les voies de fait, & l'action en juftice nous font également interdites.

Quant à ceux qui ne font tenus envers nous qu'en vertu de notre droit imparfait, s'ils nous rendent ce qui nous eft dû, ils pratiquent envers nous ce qu'on appelle la juftice univerfelle, & cette juftice prend différentes dénominations, fuivant ce que l'on rend; car c'eft ou charité, ou confeil, ou bienfaisance, ou amitié, affection, reconnoiffance, humanité, &c. & cette juftice univerfelle eft diftinguée de la juftice particuliere, en ce que celle-ci ne s'exerce en faveur d'autrui, qu'à l'égard des actions qui entrent en commerce, & au moyen defquelles on tranfporte à quelqu'un certaines chofes, fur lesquelles il avoit un droit parfait.

Lorfque l'on eft reçu dans une fociété, il fe fait entre cette fociété & celui qui y entre une convention ou expreffe ou tacite, par laquelle la fociété s'engage à le rendre participant aux avantages dont elle jouit, tandis que de fon côté, le nouveau membre s'engage à fupporter, fuivant la place qu'il occupe, fa portion des charges & des contributions néceffaires à la fociété. Or, le droit parfait (civil) eft fondé fur l'une de ces chofes, ou fur les conventions que chaque particulier a faites avec une certaine fociété pour en devenir membre; ou fur les conventions que la fociété a faites avec chaque particulier, pour le recevoir dans fon corps, ou enfin fur les engagemens des particuliers, les uns envers les autres, concernant les chofes ou les actions qui entrent en commerce. Or, la juftice diftributive n'eft autre chofe que la pratique des devoirs qu'on eft obligé de remplir en vertu des conventions de la fociété avec ses membres, ou des membres avec la fociété.

Il y a des engagemens mutuels concernant les chofes ou les actions qui entrent en commerce, & c'eft pratiquer la juftice permutative que de rendre à quelqu'un ce qu'on lui doit en vertu d'un engagement de cette efpece. Grotius a penfé différemment, & il a divifé la justice en explétrice & en attributive, négligeant de parler de la juftice univerfelle & de la juftice particuliere: Ariftote en reconnoît de trois fortes, outre l'universelle; favoir la diftributive qu'il fait confifter dans la diftribution des honneurs, des richeffes, des rangs, &c. : la juftice corrective qui confifte à corriger les contrats & les échanges, au nombre defquels il met le larcin, les délits, &c.; enfin la juftice qu'il appelle égalité de retour, qui eft une espece de talion. Puffendorff examine l'opinion de Grotius, fupplée à celle d'Aristote, & réfute les décifions de Hobbes, qui fait confifter la juftice pure

ment & fimplement à tenir fa parole, à s'acquitter des engagemens qu'on a pris.

La notion exacte de la juftice indique diftin&tement ce que c'eft que l'injustice & fes différentes efpeces. En général, on entend par actions injuftes, des actions qui font faites de deffein prémédité, & qui d'ailleurs, font mal appliquées, ayant pour objet une perfonne envers laquelle on devoit en ufer autrement; ou bien, on entend des actions par lesquelles on refufe de rendre à quelqu'un ce qu'on lui doit. D'après cette définition, l'auteur explique ce que c'eft que le tort ou l'injure, qui fe faifant toujours de deffein prémédité, differe effentiellement d'une fimple faute ou d'un malheur, ce qu'il faut encore diftinguer; car, ce n'eft qu'un malheur, lorfque, contre toute attente, l'on fait du mal à autrui; mais c'eft une faute, lorfqu'on a pu prévoir ce mal, & qu'il arrive réellement, fans toutefois qu'il y ait eu de mauvais deffein. Au refte, comme on ne peut faire du tort à celui qui confent d'en recevoir, le caractere diftin&tif de l'injure eft qu'elle foit faite contre la volonté de la perfonne léfée; car il eft conftant que, quoique l'on ne faffe pas ce que l'on doit, lorfque du confentement même de quelqu'un, on le dépouille de fon bien, il n'a aucune action contre le fpoliateur de cette regle très-fûre, Ariftote en a conclu que lorfqu'un homme violemment agité par la colere, fe tue lui-même, il ne fe fait point du tort, mais qu'il en fait à l'Etat, qu'il prive d'un citoyen; auffi eft-ce pour cela, que l'Etat punit le fuicide, par une flétriffure qui rejaillit fur le cadavre du fuicide & fur fa mémoire.

§. VIII.

De la quantité ou de l'eftimation des actions morales.

ON conçoit dans les actions morales, ainfi que dans l'efpece, une cer

taine étendue; & c'eft de cette étendue ou quantité que réfulte leur eftimation. On mefure les actions volontaires de l'homme ou d'une maniere abfolue, ou en les comparant les unes avec les autres. A ne confidérer que l'eftimation abfolue, il eft conftant qu'il y a une différence très-marquée entre une bonne & une mauvaife action. Mais les bonnes actions n'ont point de quantité, parce que leur bonté confifte dans la conformité à la loi, & que cette conformité n'eft fufceptible d'aucune mefure, ni d'aucune variation. Mais il en eft tout autrement à l'égard des mauvaises actions qui, s'écartant de la loi, & s'en éloignant plus ou moins, marquent aifément leur degré de malice, ou même d'atrocité.

Pour rendre bonne une action, il ne fuffit pas que l'on faffe ce que la loi ordonne; mais il faut auffi qu'elle foit faite avec l'intention de fe conformer à la loi; ces deux conditions font effentielles, relativement au fuprême législateur mais il n'en eft pas de même devant les tribunaux des

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hommes, où il fuffit que l'acte extérieur foit conforme à la loi, & de paroître avoir été fait pour l'utilité de l'Etat : en forte que l'intention de l'agent ne rend point une action plus ou moins bonne. On en agit différemment à l'égard des actions mauvaises, & l'intention de l'agent les rend plus ou moins puniffables. Lorfqu'elles font faites fur-tout de deffein prémédité, elles font plus ou moins mauvaises, felon que l'intention a été plus ou moins pleine. Une bonne action eft parfaite en fon genre, lorfqu'elle eft achevée ; & elle eft plus ou moins parfaite, lorfqu'elle n'eft point achevée, fuivant la diftance où elle eft de cette perfection, c'est-àdire fuivant le plus ou moins de parties qui lui manquent pour être achevée. Par la raison contraire, les plus mauvaises actions font celles qui ont le plus parfaitement atteint le but que l'on fe propofoit en les faifant, & plus elles font loin d'être accomplies ou confommées, moins auffi elles font mauvaises. C'est l'objet d'une action qui, plus ou moins pernicieuse, ou plus ou moins utile que celui d'une autre, fait auffi qu'à cet égard il y a des actions ou plus mauvaises ou meilleures les unes que les autres: car il est évident que celui qui entre furtivement dans un jardin & vole quelques légumes, fait beaucoup moins de mal que celui qui, pénétrant dans un temple pendant la nuit, le dévafte, & fe charge d'an butin facrilege.

S. 1 X.

De l'imputation actuelle des actions morales.

POUR favoir de quelle maniere on impute actuellement une action, de

forte qu'elle produife un effet moral dans l'agent ou dans quelqu'autre, il eft effentiel de diftinguer les actions ordonnées ou défendues par la loi, d'avec les actions indifférentes, c'est-à-dire, qu'on peut faire, ou ne pas faire. S'il s'agit de celles qui font ordonnées ou défendues, elles font imputées à l'agent, quand le législateur les lui attribue comme à leur auteur; ce qui fe fait en lui adjugeant les récompenfes, ou en lui décernant les peines portées par la loi. S'il s'agit d'une action qu'on pouvoit ne pas faire, elle eft imputée, quand l'agent l'a produite fans y avoir été contraint, en faveur d'une autre perfonne, déclarant expreflément qu'il veut que l'avantage qui en résultera, tourne au profit de ce tiers. On voit facilement en quoi different ces deux fortes d'imputations; & que la premiere venant du légiflateur, ou de l'exécuteur des loix, fe termine à l'agent, tandis que l'autre, venant de l'agent même, fe termine à la perfonne à l'avantage de laquelle l'action a été faite.

Dans la premiere de ces deux efpeces, on diftingue l'imputation par grace de l'imputation de droit. On attribue à une perfonne, qui n'y avoit aucun droit, les effets d'une action produite par un tiers; c'est une imputation par grace; c'en eft une auffi, lorsqu'on étend, en faveur de l'agent,

les

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