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font bonnes ou mauvaises. Mais, quoique les vices enracinés par une longue habitude paroiffent devenus naturels; les mauvaises actions qu'ils font commettre, n'en font pas moins produites par des mouvemens libres de la volonté; & l'on peut dire auffi que, quelqu'invétérées que foient les habitudes, elles font également volontaires; parce qu'il dépendoit de nous de ne pas les contracter, c'est-à-dire, de ne pas faire de telle ou de telle maniere chaque a&te en particulier, d'où elles ont été formées.

Les paffions qui pouffent fi fortement la volonté, ne détruisent pourtant point fon pouvoir ni fa liberté, quelque violentes qu'elles puiffent être; puifque le confentement qu'on donne à leur mouvement eft toujours volontaire, & qu'il dépend du libre arbitre. Il n'eft perfonne qui ne fache & ne fente d'ailleurs, que même l'ame la plus foible peut acquérir un empire absolu fur fes paffions, pourvu qu'avant de leur laiffer faire trop de progrès, elle emploie toute fon induftrie à les régler & les conduire. Cependant comme toutes les paffions font excitées par l'un de ces deux objets, le défir du bien, ou la fuite du mal; ces deux vues très-naturelles, mettent beaucoup de différence dans l'imputation qu'on doit faire des actions qu'elles ont produites : & en effet, le défir de fe procurer quelque chofe d'agréable, ne peut jamais affoiblir l'énormité de la mauvaise action à laquelle on s'eft porté en vue de jouir d'un bien qu'on défiroit; mais la crainte de quelque chofe de fâcheux eft une excufe d'autant plus légitime, que l'objet qui donnoit cette crainte menaçoit d'un mal infupportable, & contraire à la nature humaine.

reur,

Les actions mauvaises auxquelles on fe porte par la violence de la crainte, & que fans cette extrémité l'on n'auroit point commifes, font appellées des actions mixtes, c'eft-à-dire, en partie volontaires, & en partie involontaires; elles font volontaires, parce que l'agent, quoiqu'il en eût hor& qu'il connut toutes leurs circonftances, étoit cependant libre de ne pas y confentir; mais parce qu'il n'a fait que céder à la néceffité, & qu'il ne s'y eft déterminé que comme à un mal moindre que n'eût été celui qui eût réfulté de fa résistance: ce moindre mal tient lieu de bien, attendu qu'il n'y avoit pas moyen de fe garantir à la fois des deux maux, & qu'il n'y avoit plus qu'à opter.

Enfin, lorsqu'un principe extérieur, accompagné d'une force fupérieure, contraint quelqu'un, qui d'ailleurs témoigne fon averfion & fa répugnance par quelque figne & par la réfiftance de fon corps, l'action qui en résulte, quelqu'atroce qu'elle puiffe être, eft proprement forcée, & imputable à celui qui l'a fait commettre, & non à celui qui a été contraint de la com

mettre.

S. V.

Des actions morales en général, & de la part qu'y a l'agent, ou de ce qui fait qu'elles peuvent lui étre imputées.

De ces principes & de ces obfervations il refulte que les actions mora

les ne font autre chofe que les actions volontaires de l'homme, confidérées par rapport à l'imputation de leurs effets dans la vie commune. L'effence des actions morales, dit Puffendorff, en tant qu'elles font volontaires, & que leurs effets peuvent être imputés aux hommes, renferme deux idées, l'une qui en eft comme la matiere, l'autre comme la forme. Ce qui fait la matiere de ces actions eft 1°. le mouvement phyfique de quelqu'une des facultés naturelles, telles que l'appétit fenfitif, les fens externes & internes, & l'entendement lui-même, en tant que fimple perception; 2o. le défaut de mouvement phyfique, que l'on pouvoit & qu'on eût dû produire, & que l'on n'a pas produit; 3°. les penchans des facultés naturelles pour certaines chofes, confidérés comme excitant & pouffant à agir; 4. les mouvemens & les habitudes d'autrui, ou les défauts de ces habitudes & de ces mouvemens, lorfque c'est notre volonté qui peut ou doit les diriger; . les actions même des brutes & des corps inanimés, toutes les fois que ces êtres font dirigés par notre volonté; 6°. enfin les actions d'autrui, lorfque c'eft par notre faute qu'elles ont été commifes.

On regarde l'imputabilité comme la forme des actions morales, & par-là on entend que les effets d'une action volontaire ne peuvent être imputés qu'à l'agent, foit qu'il ait par lui-même & phyfiquement produit ces effets, foit qu'il les ait opérés par autrui. C'eft en vertu de cette forme qu'on regarde l'agent d'une action comme la caufe morale, & que par conféquent c'eft à lui qu'elle eft imputée. Toutefois, pour fixer avec jufteffe jufqu'à quel degré une action doit être imputée à quelqu'un, il faut confidérer s'il en eft l'auteur médiat ou immédiat, s'il a voulu formellement la produire, ou fi elle n'a été qu'une fuite de fon inadvertance, ou fi elle eft réfultée de quelque circonftance, & fi cette circonftance étoit aifée ou difficile à prévoir. Car il y a, dans tous ces cas, une grande différence, & on eft bien moins coupable quand on agit imprudemment, que lorsque l'on fe détermine par malice.

Ainfi, c'est le degré d'imputabilité qui rend les actions morales plus ou moins repréhenfibles; & c'eft par cela même que l'on regarde cette imputabilité comme un être pofitif, puifque c'eft d'elle que réfultent les qualités, les propriétés & les fuites de l'action; &, pour qu'elle nous foit imputée, il fuffit qu'elle ne foit pas abfolument involontaire, & qu'elle foit foumife à la direction des autres volontés.

Afin de fe faire une idée exacte, quoique générale, des chofes qui doivent ou ne doivent pas nous être imputées, il faut favoir que tout ce qui

provient

provient d'une néceffité phyfique, ou de quelqu'autre caufe que ce puiffe être, & qui ne dépend point de la direction des hommes ne fauroit jamais être imputé; ainfi, on ne peut en général imputer à quelqu'un les effets des caufes naturelles. Il y a cependant des exceptions à cette regle; par exemple, on peut imputer à quelqu'un de n'avoir pas tiré de ces caufes naturelles tout le parti qu'il étoit obligé d'en tirer; un laboureur eft tenu de feconder par fes foins la fertilité naturelle du fol qui lui eft confié, &c. On ne doit pas non plus être responsable des opérations & des effets des facultés végétatives qui fe trouvent dans le corps humain; ainfi je ne fuis pas la caufe de la foibleffe de mon tempérament, à moins que par ma négligence & mes excès je n'aie ruiné mes forces & altéré ma fanté. Perfonne encore n'eft refponfable des chofes que tous fes foins & toute fon induftrie n'ont pu faire, ni empêcher, pourvu toutefois, que cette impuiffance ne vienne point de fa propre faute. Ce que l'on eft contraint de fouffrir, ou ce que l'on eft absolument forcé de faire, ne peut être imputé, & l'action qui en réfulte eft toute entiere fur le compte de celui qui a employé la contrainte, l'agent forcé n'étant plus regardé que comme un inftrument purement phyfique dans la main de celui qui l'a employé.

L'ignorance invincible met à l'abri de toute imputabilité, à moins que l'on ne fe foit mis foi-même, & de propos délibéré en état d'ignorer ce qu'on pouvoit & ce que l'on devoit connoître; car, en ce cas, on eft tout auffi coupable que fi l'on eût agi en pleine connoiffance de cause. Ce n'eft que lorsqu'une action a été faite, & non avant, qu'elle doit être imputée, à moins que cette action future ne dépende tellement de quelque acte prefent ou paffé de celui auquel on l'impute, qu'il ne foit plus possible d'empêcher que cette action ne foit produite.

A l'exception de ces divers cas, il n'eft aucune action humaine qui foit involontaire, & que par conféquent on ne doive imputer à l'agent, foit qu'il s'y trouve entraîné par un mouvement impétueux ou par l'effet d'une habitude vicieufe, foit qu'on fe foit fervi d'un autre, comme inftrument phyfique, ou qu'on ait concouru foi-même à la confommation de l'action, comme caufe principale ou fubalterne, par des confeils, des encouragemens, l'approbation, la flatterie, la permiffion, ou par quelqu'autre moyen que ce foit, mais dont on ait pu & dû prévoir les fuites.

$. V I.

De la regle des actions morales, ou de la loi en général.

C'EST la loi qui dirige les actions morales; c'eft elle qui les revêt de

certaines qualités particulieres fuivant leur convenance ou leur difconvenance avec cette regle: & il faut bien prendre garde de ne pas confondre la loi avec le confeil, qui n'étant qu'un avis d'entreprendre ou de ne pas Tome XXVII,

A a

entreprendre une chofe, & laiffant la liberté d'agir ou de ne pas agir, n'impofe aucune obligation encore moins doit-on confondre la loi avec la convention, qui n'eft qu'une promeffe, ou un engagement où l'on entre foi-même de fa pure volonté on ne doit pas enfin la confondre avec le droit, qui, à la vérité, eft le fynonyme de loi, lorfqu'il eft pris pour un recueil de loix, comme on dit le droit civil des Romains pour les loix civiles des Romains; mais dans fon acception propre le mot loi ne défigne autre chose que la permiffion de faire certaines chofes, expreflément ou tacitement accordée par les loix; permiffion qui fuppofe une pleine liberté d'agir, c'est-à-dire, d'ufer ou de ne pas ufer de la chofe permise. Ainfi, par le mot de loi en général, il faut entendre la volonté d'un fupérieur, par laquelle il impofe à ceux qui dépendent de lui, l'obligation d'agir d'une certaine maniere qu'il leur prefcrit, & non autrement : volonté néanmoins qui, prife dans toute fon étendue, comprend ce qu'on a dit de la convention & du droit, puifqu'elle renferme auffi la permiffion d'agir ou de ne pas agir en certaines chofes, comme on le juge à propos. Mais il y a cette différence, & que Puffendorff n'a point obfervée, que le droit & la convention ne comprennent jamais la loi, au lieu que celle-ci renferme, comme on voit, en certains cas, la convention & le droit.

A l'exception des loix de permiffion, dont l'effet eft de donner un pouvoir moral de fe procurer légitimement certaines chofes, fi on le juge à propos, toutes les loix font obligatoires, c'eft-à-dire qu'elles ont par ellesmêmes, la force d'obliger; de forte que ceux qui y font foumis, font contraints de fe conformer à ce qu'elles ordonnent, car l'obligation n'eft autre chofe qu'une qualité morale opérative, par laquelle on eft tenu de faire ou de fouffrir quelque chofe force d'autant plus puiffante, qu'elle reftreint la liberté, & ne permet pas de fe conduire autrement qu'il n'eft prefcrit par la loi.

:

La différence de la loi naturelle & de la loi pofitive eft telle , que la premiere, d'inftitution divine, eft immuable comme fon auteur; mais que la même volonté du législateur qui a prefcrit la loi pofitive peut l'annuller. On demande fi les effets qu'on a acquis en vertu de cette loi positive, pendant qu'elle étoit obfervée, ceffent auffi lors qu'annullée, elle n'eft plus obligatoire, & Puffendorff répond que non, & qu'il y auroit une fouveraine injustice à prétendre abolir avec la loi, tous les effets qu'elle a produits; il cite en preuve plufieurs exemples de tentatives inutilement faites par des législateurs, en vue d'abolir les effets d'une loi qu'ils annulloient, entr'autres celui de l'absurdité du pape Boniface VIII, qui, par dépit contre Philippe-le-Bel, roi de France, annulla les indulgences que fes prédéceffeurs avoient accordées aux François.

De cet exemple & de plufieurs autres, il s'enfuit qu'il y a cette diftinction à faire entre les loix pofitives, qui peuvent être annullées, & les autres actes des fouverains, tels que des donations, des aliénations, des

conventions revêtues de toutes les formalités, &c. Actes qui ne peuvent être révoqués par les fouverains qui les ont faits, ni par leurs fucceffeurs, parce que, en vertu de ces mêmes actes, d'autres perfonnes ont acquis des droits auxquels on ne peut plus les forcer de renoncer.

C'eft une regle univerfellement reçue, que perfonne ne peut s'obliger envers foi-même, c'eft-à-dire, traiter avec foi-même; attendu qu'une pareille obligation n'aboutiroit à rien; puifque l'on feroit toujours libre d'exécuter ou de ne pas exécuter fa promeffe, & que d'ailleurs, perfonne ne perdroit rien, quand on négligeroit de remplir un tel engagement : cette regle eft applicable aux fociétés entieres que l'on confidere comme une perfonne morale, de même qu'aux particuliers.

De ce que les loix font obligatoires & l'ouvrage d'un législateur, qui contraint les autres de s'y foumettre, il s'enfuit que pour être affujetti à une obligation, il faut 10. relever d'un fupérieur, 2°. connoître la regle preferite, 3°. avoir une volonté libre par elle-même, mais qui, lorfque le fupérieur a prefcrit une regle, foit convaincue qu'elle ne doit point s'en écarter.

Les qualités néceffaires à un législateur font 1°. d'avoir des forces fuffifantes pour faire fouffrir quelque mal aux infracteurs de la loi qu'il prefcrit, 2o. d'avoir de juftes raisons de reftreindre, ainsi qu'il le juge à propos, la liberté de ceux auxquels il commande. Il faut que ces deux qualités foient réunies car la feule excellence de la nature d'un fupérieur ne feroit pas affez puiffante pour obliger des hommes, qui, primitivement égaux à lui, & fe croyant tout auffi juftes, ne feroient engagés à lui obéir, ni par l'espoir des récompenfes, ni par la crainte des châtimens d'un autre côté, la force feule n'obligeroit que pour un temps à fuivre la volonté du législateur, & autant qu'on feroit expofé aux effets de fa puiffance; mais cette crainte éloignée, chacun fecoueroit le joug & agiroit à fon gré. D'après cette tendance naturelle des hommes à fe remettre en poffeffion de leur liberté, auffitôt qu'ils y trouvent leur compte. L'auteur combat avec autant de force que d'avantage, l'opinion de Hobbes qui foutient que c'eft la puiffance feule qui donne le droit de régner, par l'impoffibilité où elle met les autres de résister à ceux qui ont de l'avantage à cet égard.

Au fond, l'obligation n'eft fondée que fur un principe général, auquel tous les autres se réduifent; & ce principe eft la dépendance naturelle où nous fommes de l'empire de Dieu, qui nous ayant donné l'être, a pu par cela même, exiger que nous fiffions de nos facultés l'ufage auquel il nous eft évident, qu'il les a deftinées. Voilà l'inébranlable bafe de toute autorité légitime, & qui n'eft telle, qu'autant qu'elle eft conforme à la volonté de Dieu, foit révélée, foit connue par les lumieres naturelles. Que fi, dit l'interprete de notre auteur, M. Barbeyrac, que fi, parmi les hom mes, la raison immédiate pourquoi l'on doit fe foumettre à l'empire de

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