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pas lieu d'en inférer l'incertitude de la fcience morale; mais il falloit feulement en conclure, qu'à certains égards, il y a du plus & du moins de bonté morale dans les actions en elles-mêmes; & qu'un bien peut être dit meilleur que l'autre, felon le différent degré de néceffité qu'on y remarque; enfin que de deux actions permifes & indifférentes de leur nature, l'une eft cenfée meilleure que l'autre, felon qu'il en refulte un plus grand avantage mais alors il ne faut confidérer que la néceffité ou l'utilité; car il reftera toujours que fi on prend l'expreffion bien à la rigueur, pour ce qui eft conforme à la loi, il n'eft pas plus poffible d'imaginer un bien meilleur que l'autre, que de concevoir, entre deux lignes droites, l'une plus droite que l'autre.

On apperçoit, & il exifte réellement quelqu'étendue dans les quantités morales qui doivent leur origine à l'inftitution & à l'eftimation des êtres libres, dont l'intelligence & le jugement ne font pas fufceptibles d'une mefure phyfique, & l'on a conclu de ce défaut de mefure phyfique, qu'il n'y a donc pas de certitude dans la science morale. Mais l'auteur obferve avec raifon, qu'il fuffit, pour que cette certitude exifte, & pour l'utilité de la fcience morale dans l'ufage de la vie humaine, de comparer & d'estimer un peu en gros les perfonnes, les chofes & les actions, fans chercher une précifion qui aille jufqu'aux minuties, & qui ne peut exifter que dans les quantités phyfiques, objets des mathématiques, & qui représentées fur une matiere fenfible, peuvent être comparées, mefurées, divifées avec la derniere exactitude, & c'est là ce qui montre la différence des démonftrations mathématiques avec les démonftrations phyfiques,

Au refte, Puffendorff avertit qu'il faut avoir grand foin de ne pas confondre la certitude morale, avec celle dont on parle fouvent dans les queftions de fait; lorfque, par exemple, on affure qu'une chofe eft moralement certaine. Car il n'y a nul rapport de la vérité d'une maxime, avec la vérité d'un fait; le parjure eft une très-mauvaise action; j'en ai la certitude morale, & j'en fuis pleinement convaincu; je crois auffi qu'un homme de bien ne fe parjurera point; mais cette derniere opinion n'eft pas la conféquence de ma premiere certitude. Plufieurs hiftoriens ont raconté le même fait, & leur unanimité le rend très-probable, quoiqu'il n'en exifte, ni témoins, ni monument; toutefois, comme beaucoup de fables ont paffé pendant plufieurs fiecles pour des faits inconteftables, il faut bien fe garder de confondre cette certitude morale, avec la certitude. morale qu'on a du juste ou de l'injufte de certaines actions.

S. II I.

De l'entendement humain, en tant qu'il eft un des principes des actions morales.

L'ENTEND

'ENTENDEMENT humain eft un des principes des actions morales. L'entendement renferme deux facultés, l'une naturelle & représentative, qui préfente l'objet à la volonté, & lui découvre fimplement la convenance, là difconvenance, fon bien ou fon mal: l'autre examine, compare, décide ce qu'il faut faire ou ne pas faire, détermine le temps de l'action, ainfi que les moyens les plus propres à parvenir au but. Toute action volontaire de l'homme a pour principe l'entendement, qui, naturellement droit en ce qui concerne les chofes morales, nous fert de flambeau dans nos actions; de maniere que moyennant une recherche exacte, on vient inévitablement à bout de difcerner le bien d'avec le mal, & de se garantir, à cet égard, de l'erreur: delà vient auffi que dans le jugement pra tique, en ce qui concerne les maximes générales du droit naturel, ce jugement n'eft jamais corrompu au point que les mauvaises actions qu'il produit, ayent pour principe une erreur inévitable, ou une ignorance tellement invincible, qu'elle mette le coupable à couvert d'une jufte imputation. Ce jugement intérieur que chacun porte des actions morales, en tant qu'il eft inftruit de la loi, eft ce qu'on appelle confcience; cet acte de l'entendement précede ou fuit l'action; dans le premier cas il indique ce qui eft bien ou mal, ce qu'il faut faire, ou ce que l'on doit éviter; dans l'autre cas, cet acte défapprouve ce qui eft mal, ou approuve ce qui eft bien. Les idées de la confcience bien inftruite, font appuyées fur des principes certains, indubitables; c'eft la confcience droite. Lorfque quoiqu'affurée de la vérité de fes fentimens, elle ne fait pourtant pas les réduire en forme de démonftration, & qu'elle fe contente de la vraisemblance, c'est la confcience probable.

On eft fouvent embarraffé dans le choix des chofes avantageufes : Puffendorff trace des regles générales & fûres, que l'on doit fuivre pour juger ce qui eft ou n'eft pas avantageux: telles font entr'autres celles-ci : de ne rien entreprendre, d'où l'on ait lieu de préfumer qu'il en reviendra plus de bien que de mal, ou même autant de mal que de bien, qu'il eft inutile de donner fes foins à une terre dont les revenus ne furpaffent pas les frais de la culture, &c. On peut mettre au nombre & au premier rang même de ces regles, cette belle maxime de Confucius que Puffendorff ignoroit vraisemblablement, dans le doute fi une action eft jufte ou injufte, abftienstoi mais il faut convenir que s'il l'a ignorée, il en a rendu le fens, lorfque parlant de l'incertitude de l'efprit quand il n'a point de lumieres fuffifantes pour décider fi une chofe eft bonne ou mauvaise; incertitude d'où réfulte ce qu'on appelle la confcience douteufe, il pofe pour prin

cipe, que tant qu'il n'y a point de raison qui n'y a point de raison qui nous fasse pencher d'un côté plus que de l'autre, il faut s'empêcher d'agir, & que par conséquent quiconque fe détermine pendant que la confcience eft encore, pour ainfi dire, en équilibre, peche: & en effet, c'eft violer la loi autant qu'il eft

en foi.

Quant à ceux qui manquent tout-à-fait de lumieres pour fe déterminer, ils font dans l'état qu'on appelle d'ignorance. Cette ignorance eft volontaire ou involontaire : la premiere eft, comme on dit, vincible; elle confifte à ignorer des chofes qu'on pouvoit & qu'on devoit favoir; telle eft celle des principes les plus communs du droit naturel, ou des loix civiles. du gouvernement fous lequel on vit, &c. L'ignorance invincible confifte à ne pas connoître ce qu'on ne pouvoit ni ne devoit favoir. Lorfque nonfeulement on manque de lumieres fuffifantes, mais que l'on eft encore prévenu d'une fauffe opinion que l'on croit vraie, on eft dans l'erreur, & cette erreur, felon fes différentes fortes, produit divers effets par rapport aux actions permifes ou indifférentes. Après avoir fait connoître ces effets de l'erreur spéculative, également vincible ou invincible, par rapport aux actions moralement néceffaires, & par rapport aux actions indifférentes l'auteur explique ce que c'eft que les effets de l'erreur de pratique, par rapport aux actions bonnes ou mauvaises dans lesquelles on agit de bonne foi; bonne foi qui fait que l'action ordonnée ou défendue par la loi, ne peut être imputée ni comme bonne, ni comme mauvaise; il dit auffi en quoi confiftent les effets de la même erreur de pratique, par rapport aux actions mauvaises dans l'intention même de l'agent, qui peut fe rendre plus ou moins répréhensible par les effets de fon erreur. Car fouvent, dans l'exécution d'une action mauvaise, on prend, fans y penfer, un autre objet que celui où l'on tendoit; & alors quoique la malice de l'agent demeure, la même, l'action eft cenfée plus ou moins mauvaise felon la qualité de l'objet fur lequel elle est tombée par accident. Comme lorfque, par exemple, croyant tuer un ennemi, on tue quelqu'autre perfonne. L'homicide eft toujours criminel fans doute, mais le meurtre en lui-même eft jugé plus ou moins criminel, fuivant le rang & les qualités de la perfonne tuée, &c.

§. IV.

De la volonté humaine, en tant qu'elle est un des principes des actions

morales.

CES obfervations fur l'entendement conduifent M. Puffendorff à confi

dérer auffi la volonté humaine, comme l'un des principes des actions morales: & il définit la volonté, une faculté à la faveur de laquelle après avoir connu les objets qui fe préfentent, l'homme peut fe porter vers eux par un principe interne, fans aucune néceffité phylique, choisir ceux qui

lui conviennent ou lui plaifent le plus, & s'éloigner de ceux qu'il juge ne pas lui être convenables. Cette faculté en fuppofe deux autres fubalternes, la fpontanéité par laquelle la volonté agit de fon propre mouvement, & la liberté par laquelle la volonté agit de telle maniere qu'elle peut agir ou ne point agir, & l'auteur ne laiffe rien à défirer fur ces deux facultés fubalternes: il définit la liberté une faculté par laquelle toutes les chofes pour agir étant pofées, la volonté, parmi plufieurs objets propofés, peut en choifir un ou quelques-uns, & rejeter les autres; s'il n'y en a qu'un, le choisir ou le rejeter, enfin agir ou n'agir pas.

L'idée de la liberté en général, ajoute à l'idée de la fpontanéité, 1°. l'indifférence de la volonté à l'égard de l'opération actuelle; c'eft-à-dire, que cette indifférence fait qu'à l'égard de chaque objet particulier qui fe préfente, la liberté choifit celui de ces deux actes qui lui plaît, d'agir ou ne pas agir; 2°. une libre détermination qui fait que la volonté pouffée uniquement par un mouvement propre & interne, produit en telle ou telle rencontre, l'un ou l'autre de ces actes, vouloir ou ne pas vouloir.

Des raifonnemens de l'auteur, il fuit que la volonté n'eft point du tout affujettie par un principe propre & interne à une maniere d'agir invariable, & que cette indifference intérieure ne peut jamais être détruite par aucun moyen extérieur. Cette vérité fondamentale eft d'autant plus effentielle, que fi l'on pouvoit en quelque circonftance que ce fut, dépouiller la volonté de ce pouvoir d'agir ou de ne pas agir, on détruiroit par-là toute la moralité des actions humaines, comme a tenté de la détruire Hobbes, en foutenant que le défir & l'aversion suivant néceffairement l'idée qu'on a conçue du plaifir ou de la douleur, ces deux fentimens ne laiffent plus de lieu au libre arbitre proprement ainfi nommé. La réponse de M. Puffendorff à Hobbes réfute en même temps l'opinion fort énoncée des défenfeurs de la prédétermination phyfique; comme l'erreur encore plus abfurde de ceux qui prétendent que la prefcience divine rendant les actions humaines abfolument néceffaires, ôte à la volonté de l'homme toute liberté, & affranchit par conféquent fes actions de toute imputation.

Afin de faire mieux comprendre de quelle maniere la volonté de l'homme fe porte toujours vers le bien, ou vers ce qu'il prend pour le bien, il faut. fe faire une idée précife de la nature du bien, en tant qu'il fe rapporte à autrui, & que l'on conçoit les chofes où il fe trouve comme bonnes à quelqu'un ou pour quelqu'un, & à cet égard, c'eft définir exactement fon effence, que de dire que le bien confifte dans une certaine difpofition qui rend une chofe capable d'étre utile à une autre, de la conferver ou de la perfectionner: difpofition qui dépendant de la nature des chofes, fait qu'on peut appeller ce bien naturel, & le regarder comme fixe, uniforme, indépendant des opinions des hommes, erronées ou diverfes. Mais comme il faut connoître, du moins confufément le bien, pour qu'il excite le défir, & qu'une connoiffance imparfaite & acquife par les fens, n'inftruit que

très-imparfaitement de la nature des chofes; comme d'ailleurs l'entendement eft souvent féduit par l'erreur, & par les impreffions des fens & des paffions, il arrive qu'on attache fort mal à propos l'idée de bien à de certaines chofes qui lui font au contraire tout-à-fait oppofées ; & c'eft-là ce qu'on appelle un bien apparent ou imaginaire. A ces erreurs près, il eft conftant que tout homme cherche fon bien; c'eft-à-dire, qu'il ne défire les chofes qu'autant qu'il les croit utiles à fa confervation ou à améliorer fon fort, & qu'il ne hait & ne rejette d'autres chofes, qu'autant qu'il juge qu'elles tendroient à fon mal ou à fon défavantage.

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Ainfi donc, la nature de la volonté confifte à rechercher conftamment le bien en général, & par la même raison, à fuir le mal & tout ce que P'on croit pouvoir nuire, ou être défavantageux. Mais comme les biens fe préfentent prefque toujours mêlés avec les maux, & que d'ailleurs tout le monde ne fait pas difcerner bien diftin&tement les biens folides & durables, d'avec les biens ou faux ou paffagers, il fuit delà beaucoup d'incertitude pour les uns, & pour les autres une erreur encore plus fàcheufe que l'incertitude; puifque ne connoiffant point ce qui leur eft vraiment avantageux, ils ne le défirent pas, ou bien parce que trompés par l'apparence du mal, ils rejettent, fans le favoir, le bien qui s'y trouve joint.

Ce qui pourroit, à cet égard, arriver de plus heureux à la plupart des hommes, feroit que leur volonté reftât toujours dans un parfait équilibre; mais elle eft malheureufement entraînée par divers poids, vers différens objets; quelquefois même elle fe trouve preffée par une telle force extérieure, qu'elle eft cenfée ne pouvoir ufer de fes propres forces; quoique ce foit pourtant alors précisément qu'elle déploie le plus fon indifférence; car ne diftinguant point d'une maniere lucide les biens qu'elle défire, ni les maux qu'elle craint; entraînée tantôt vers les uns & tantôt vers les autres, elle fe détermine enfin pour les uns ou les autres; mais c'est elle, qui de fon propre mouvement, fait pencher la balance; en forte que les actions qu'elle produit en conféquence, font purement volontaires, & nom

mées ainfi.

Dans le nombre des caufes qui dans cet état d'incertitude, font enfin pencher la volonté, l'auteur indique principalement les difpofitions du naturel, qui portent à une certaine forte d'actions; difpofitions d'où résulte le tempérament qui varie fuivant la naiffance, l'âge, la fanté ou la maladie, la profeffion qu'on exerce, &c. D'autres caufes bien puiffantes font la conformation des organes, l'air qu'on refpire, le climat, &c. Il faut toute fois obferver que, quelle que foit l'influence de chacune de ces causes en particulier, ou même de toutes à la fois, elle n'a jamais affez de force. pour empêcher la volonté de pencher du côté oppofé. L'habitude contractée par la fréquente pratique de certaines chofes, influe beaucoup auffi fur la volonté, & ces actes réitérés qui forment les inclinations, prennent le nom de vertus ou de vices, fuivant que les actions qui en proviennent

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