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Les perfonnes morales compofées, font ce que l'on appelle communément des fociétés; &, comme les perfonnes fimples, elles fe divifent en publiques & privées. Les premieres font facrées ou eccléfiaftiques, ou politiques; l'église univerfelle, la réunion ou plutôt l'enfemble de plufieurs petits corps eccléfiaftiques compris dans un même Etat, &c. forment les perfonnes publiques facrées ou eccléfiaftiques. Les fociétés politiques font divifées en générales & particulieres, & c'eft fous cette premiere dénomination qu'on comprend un Etat ou gouvernement civil, foit qu'il foit fimple ou compofé, régulier ou irrégulier, &c. Les fociétés particulieres font plus reftreintes, un ordre de chevalerie, un parlement, une tribu, un fénat, &c. Les fociétés militaires ou les armées fe divifent comme on fait, en régimens, compagnies, bataillons, efcadrons, &c. Les fociétés privées font encore plus reftreintes, ce font dans les villes, non-feulement les familles, mais auffi les corps & communautés des marchands, des artifans, &c. qui fe fubdivifent encore en une infinité de petites fociétés privées. Une même perfonne peut être en même temps en différens états moraux, pourvu toutefois, que ces états ne foient pas incompatibles, & ne s'excluent pas les uns les autres: car il eft évident que dans l'ordre phyfique, la même perfonne ne peut pas être l'époux & l'épouse, le fils & la fille; de même dans l'ordre moral, on ne peut être à la fois maître & valet, juge & témoin, &c. mais on peut être en même temps pere de famille, fénateur, avocat dans un autre tribunal, administrateur des affaires publiques, &c.

On entend par personnes morales feintes, dit l'auteur, l'imitation adroite de l'air, du gefte, des manieres, & du langage d'une perfonne très-réelle : mais cette obfervation qui ne tient à rien, étoit très-inutile; ces fortes de perfonnages n'ayant, comme il s'obferve, d'autre objet que celui d'amufer & de divertir, & ne pouvant d'ailleurs opérer aucun effet moral. A l'égard des perfonnes morales, c'eft manquer au genre-humain, que de ne pas refpecter les qualités dont elles font revêtues par leur établiffement. Ainfi Caligula eût pu faire conful le dernier des citoyens de Rome pourvu que ce citoyen eût pu remplir les fonctions extérieures de cette charge; auffi, ce fut en lui la plus extravagante abfurdité que de nommer un cheval au confulat. C'eft encore à la même folie ajouter l'impiété, continue Puffendorff, que de mettre des hommes après leur mort au rang des dieux, quelques vertus qu'ils ayent eues ou quelques fervices qu'ils ayent rendus; comme faifoient jadis les Romains après la mort des empereurs, me l'églife de Rome fait encore des faints, &c.

Puffendorff ne reconnoît point des chofes morales; & en effet il n'y en a point: car, que ces chofes appartiennent à nous ou aux autres, qu'elles foient à quelqu'un, ou n'appartiennent à perfonne, leur nature ne peut être changée fous quelque afpect qu'on les confidere. Lorsque les chofes qui, jadis étoient communes, ont été mifes en propriété de biens, il s'eft for

mé, à la vérité, une nouvelle qualité morale, le droit de propriété; mais relative aux hommes & point du tout aux chofes : c'eft-à-dire, que les propriétaires ont acquis le droit de retenir, & que les autres ont été mis dans l'obligation de s'abftenir. Il en eft à peu près de même des chofes qu'on appelle religieufes; elles n'ont point en elles-mêmes des qualités morales; mais elles font l'objet de la moralité; c'est-à-dire, que les hommes ne peuvent s'en fervir que de telle ou de telle autre maniere : & cela eft fi vrai, qu'auffitôt que cette obligation ceffe, ces mêmes chofes redeviennent communes, & chacun peut s'en fervir ainfi qu'il le juge à propos.

Des étres moraux, l'auteur paffe aux modes moraux, qu'il divise en modes fimples, & en modes d'eftimation: les modes fimples font ceux qui modifient fimplement les perfonnes d'une certaine maniere; & les modes d'eftimation font ceux qui rendent les perfonnes ou les chofes telles qu'elles font plus ou moins eftimées. On défigne dans l'acception la plus générale les premiers par le terme de qualité, & les autres par celui de quantité. Il eft des qualités formelles, & il en eft d'opératives; les qualités formelles ne font attribuées au fujet que comme de pures modifications; mais les qualités opératives font celles qui ont pour but quelque opération, &c. Les titres font de tous les attributs moraux, les plus confidérables, parce qu'ils défignent en même temps & la différence des rangs des perfonnes & leur condition morale. Il en eft de deux fortes, les uns défignent le rang, les qualités particulieres, & fuivant l'ufage, indirectement l'état moral des perfonnes; telles font les épithetes de féréniffime, éminentiffime illuftriffime, &c. Les autres marquent & le rang que chacun occupe dans fon ordre, & la confidération attachée à fa place. Ces fortes de manieres de défigner ne font rien moins qu'invariables, & elles changent ou augmentent à mesure que la nation qui les a inftituées, s'étend & fe polit; mais cette augmentation n'est pas toujours la preuve d'un accroiffement de dignité. Le pouvoir, le droit & l'obligation font les plus confidérables des qualités actives. Le pouvoir eft parfait ou imparfait; le premier eft celui en vertu duquel on peut conferver par la force, la puiffance que les autres chercheroient à détruire ou à diminuer; le pouvoir imparfait eft celui dont nous jouiffons à la vérité; mais de maniere que quelque injuftes que foient ceux qui veulent nous empêcher d'en faire ufage, leur injuftice ne nous donne pas le droit de recourir à la violence, pas même à les poursuivre en juftice, à moins que les circonftances ne foient telles, qu'elles nous autorifent à ufer de force & fuppléer à l'imperfection de ce pouvoir. Ainfi, je ne puis malgré vous paffer fur votre terre, quelque injufte que vous foyez de me refufer le paffage; mais fi j'ai le plus grand intérêt à y paffer, ou que pourfuivi par l'ennemi, je n'aie point d'autre route, je fuis en droit de forcer le paffage. Le pouvoir eft perfonnel ou communicable; quelquefois le pouvoir perfonnet eft tellement inhérent à la perfonne, que nul autre qu'elle ne peut l'exercer; un époux ne peut, par les loix, ren

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dre par procureur les devoirs conjugaux. Quelquefois le pouvoir perfonnel, quoiqu'il ne puiffe être transféré à un autre en fon entier, peut être communiqué en partie pour en exercer quelques actes les rois, établis par le peuple, ne peuvent difpofer de leur couronne; mais ils font exercer, par leurs miniftres, quelques-uns des actes de la royauté. Quant au poupurement communicable, c'eft celui que l'on peut transférer entiérement à autrui; tel étoit à Rome le pouvoir qu'un pere transféroit à celui qui adoptoit fon fils, &c. Le pouvoir que nous avons fur les chofes que nous poffédons, s'appelle propriété, celui que nous avons fur les personnes, autorité, & fur les biens des autres, fervitudes.

voir

Le mot droit a plufieurs acceptions; tantôt c'eft une loi, tantôt un fyftême de loix, tantôt une fentence prononcée; mais plus particuliérement le mot droit, défigne une qualité morale, en vertu de laquelle on a quelqu'autorité fur les perfonnes, ou la poffeffion de certaines chofes, ou bien aufli, en vertu de laquelle il nous eft dû quelque chofe; en forte que le droit & le pouvoir ne different dans leur acception, qu'en ce que le pouvoir indique plus directement la poffeffion que le droit, qui fouvent ne défigne que le jufte titre que nous avons à une chofe.

Les qualités en vertu defquelles nous pouvons légitimement avoir, fouffrir ou recevoir quelque chofe, font appellées paffives. Il en eft de trois fortes : nous recevons légitimement une chofe, quoique nous n'ayons eu aucun droit de l'exiger, & que celui qui nous la transfere ne fut pas obligé de nous la donner; ou bien, c'eft une qualité qui nous rend propres à recevoir une certaine chofe, que nous n'avions pourtant aucun droit d'exiger, à moins d'une très-preffante néceffité, & qu'on eft obligé de nous donner par principe de vertu, c'eft-à-dire de charité, de bonté, de bénéficence enfin la derniere forte de qualité paffive, eft celle en vertu de laquelle nous avons le droit d'obliger les autres malgré eux-mêmes faire pour nous une certaine chofe, de maniere que s'ils s'y refusent, ils encourent la peine portée par la loi.

de

Il eft encore une qualité morale en vertu de laquelle nous fommes contraints, par une néceffité morale, de faire, recevoir, ou de fouffrir quelque chofe; c'eft ce qu'on défigne par obligation. Puffendorff met enfin au nombre des qualités morales fenfibles ou qui font impreffion fur l'efprit des hommes, l'autorité, l'honneur, fon oppofé, l'ignominie, le crédit, la réputation, l'obscurité de la naiffance, la gravité, la dignité, &c.

Comme on eftime les personnes & les chofes non-feulement à cause de leurs qualités naturelles résultantes des principes phyfiques, mais par rapport à une autre forte de qualité, qui provient de l'inftitution & de la détermination d'une faculté raifonnable: l'auteur donne à ces moyens d'appréciation le nom de modes, d'eftimation ou de qualités morales. Lorfque, dit-il cette qualité morale fe trouve dans la chofe, on l'appelle prix, quand c'eft dans les perfonnes, on lui donne les noms d'eftime, de confi

dération, de respect, &c. Quand c'eft dans les actions, cette qualité n'a point alors de nom particulier & déterminé.

Les êtres moraux d'inftitution divine font indeftru&tibles: mais ceux qui tirent leur origine de la volonté des hommes, ou qui font d'inftitution humaine, changent comme cette volonté, & font même entiérement détruits, lorfque l'inftitution eft révoquée, fans toutefois que la substance phyfique des perfonnes & des chofes éprouve aucune forte de changement, comme elles n'en ont point éprouvé en recevant ces mêmes êtres moraux qu'elles perdent. Ainfi le roturier qui devient noble acquiert de nouveaux droits, mais non aucune augmentation dans sa substance & fes qualités phyfiques auffi lorfqu'il eft dégradé, ne perd-il que les droits de la nobleffe, & rien des qualités qu'il tenoit de la nature, & qui fubfiftent en entier : par la même raison, on peut être dépouillé de l'honneur même, fans que les fondemens propres & réels de l'honneur qui font d'inftitution divine perdent rien de leur prix.

Telle eft l'origine des êtres moraux, foit d'inftitution divine, foit d'inf titution humaine; telles font leurs différentes fortes en général, leurs divifions, leurs définitions & leurs fous-divifions. Il étoit d'autant plus effentiel de s'arrêter fur ces premiers principes, que le fyftême entier du droit de la nature & des gens dépend du développement que Puffendorff en donne dans le refte de ce grand ouvrage, dont il ne feroit pas poffible d'avoir l'intelligence, fi l'on avoit omis quelqu'un de ces principes. Maintenant que ces fondemens font pofés, je pense pouvoir me permettre de refferrer cette analyfe, & de parcourir plus rapidement les différens objets que l'auteur confidere.

AVANT

S. I I.

De la certitude des fciences morales.

VANT Puffendorff, l'opinion commune des favans étoit que les fciences morales n'avoient aucune certitude de démonftration; il examine cette opinion, d'autant plus enracinée qu'elle étoit confacrée par la décifion d'Ariftote; mais l'auteur prouve la fauffeté de cette décision, & fait voir que quoique les fciences morales ayent cela de commun, qu'elles ne s'arrêtent pas à la fpéculation, mais qu'elles tendent à la pratique; cependant il y à cette grande différence entre les deux principales de ces fciences, la morale & la politique, que la premiere a pour objet la régularité des actions, par rapport aux loix, & que l'autre fe propose de diriger nos actions & celles d'autrui, en vue de la fureté & de l'utilité publique : d'où il suit que les maximes de la politique dépendant de l'efprit des hommes, étant fujetes au changement, à l'inconftance & aux variations, cette fcience eft effentiellement deftituée de démonftration. Mais la morale eft appuyée fur des fondemens inébranlables, d'où l'on tire les plus évidentes démonftra

tions,

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tions; & ces maximes font fondées für des principes fi certains, qu'ils ne laiffent aucun doute dans l'efprit, quoiqu'en ait pu dire Hobbes, qui eft réfuté ici avec autant de force que de fuccès; ainfi que quelques autres écrivains, qui ont foutenu que les chofes morales en général étant variables & incertaines, on ne peut fe flatter de trouver de la certitude dans les chofes dont elles font les objets. Mais quand on voudroit s'étayer même de la raison tirée de l'inftabilité des circonftances qui changent quelquefois entiérement la qualité de l'action, il n'en eft pas moins vrai qu'il ne laiffe pas pour cela d'y avoir des principes certains; d'où l'on peut conclure démonstrativement quelle vertu a chaque circonftance pour qualifier ou diversifier une action. C'eft ici fur-tout que l'auteur combat, ou pour mieux dire, qu'il détruit cette fauffe opinion érigée en principe, & qui étoit alors prefque univerfellement adoptée, qu'il eft des chofes bonnes ou mauvaifes par elles-mêmes. L'honnêteté & la déshonnêteté morale dit-il, étant de certaines propriétés des actions humaines, qui réfultent de la convenance ou de la difconvenance de ces actions avec une certaine regle, ou avec la loi; & la loi étant une ordonnance d'un fupérieur, je ne vois pas comment on pourroit concevoir l'honnête ou le déshonnête avant la loi ou l'inftitution du fupérieur. Il me femble auffi que ceux qui admettent pour fondement de la moralité des actions humaines, je ne fais quelle regle éternelle, indépendante de l'inftitution divine, affocient à Dieu manifeftement un principe extérieur coéternel; ce qui eft abfurdement impie. Il faut donc reconnoître qu'il n'y a point dans le fond, de mouvement ni d'acte de l'homme, qui, en faifant abftraction de toute loi divine & humaine, ne foit entiérement indifférente, & que les actions ne font appellées naturellement bonnes ou mauvaises, que parce que la conftitution de la nature dont il a plu à Dieu de revêtir les hommes, demande absolu ment qu'on faffe ces actions, ou que l'on s'en abstienne.

Des qualités morales, dit-on, paroîtroient ne devoir opérer que des effets moraux; cependant un sentiment intérieur de la turpitude propre & intrinfeque de certaines actions, couvre, malgré nous-mêmes, notre front de rougeur; & de-là on conclut qu'il y a des chofes honnêtes ou déshonnêtes, indépendamment de toute inftitution; l'auteur prouve que cette opinion est une erreur, & que la conclufion eut été plus exacte, fi l'on eur dit, que le créateur dont la fageffe eft infinie, a mis dans le cœur des hommes ces fentimens de honte, pour être en quelque forte, les gardiens de la vertu, & fervir de frein au vice : que d'ailleurs rien n'empêche qu'une qualité morale, qui, par conféquent, doit fon origine à l'inftitution, ne produife du moins médiatement un effet phyfique, parce que l'ame peut, à l'occafion des impreffions que les chofes morales font fur fon entendement ou fur fa volonté, mettre en mouvement quelqu'un des membres du corps, avec lequel elle est très-étroitement unie.

De l'étendue des actions morales par rapport à la qualité, il n'y avoit Tome XXVII.

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