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langue allemande; & Bruzen de la Martiniere a non-feulement traduit en françois l'ouvrage de Puffendorff & celui du continuateur Allemand, mais il y a fait des changemens, il y a mis une fuite & des notes, avec l'hiftoire des fouverains dont Puffendorff & fon continuateur n'avoient point parlé. A l'ancien titre, la Martiniere, qui a ajouté ce qu'il a pú au fujet des Etats de l'Afie, de l'Afrique, & de l'Amérique, a fubftitué celui-ci : » Introduction à l'hiftoire générale & politique de l'univers, où l'on voit » l'origine, les révolutions, l'état présent, & les intérêts des fouverains «. Amfterdam 1722 & 1732, & la Haye 1743, & encore Amfterdam 1752. Celle-ci eft plus ample & la feule complette. Elle contient 7 volumes in-12, favoir cinq pour l'Europe, & deux pour les trois autres parties du monde. Cet ouvrage, la production de deux ou trois plumes différentes eft beaucoup moins mauvais que n'étoit le premier; mais il eft encore assez imparfait, & il feroit à défirer qu'on le refondit en entier. C'est un vœu que la Martiniere lui-même a fait. Quoiqu'il en foit, les auteurs expliquent l'origine & la fuite des changemens qui font arrivés dans les monarchies. Ils donnent d'abord une légere idée des quatre empires, des Affyriens, des Perfes, des Macédoniens, & des Romains. Ils racontent comment des débris de celui-ci fe font formés prefque tous les Etats. Ils rapportent enfuite féparément les principaux faits historiques qui regardent chaque Etat particulier. Après avoir marqué féparément le temps où chaque Etat a commencé, & quels ont été fes progrès & fes révolutions, les auteurs ont tâché de faire connoître les maximes & les intérêts actuels de chaque gouvernement. Quelques articles ne font pas exacts, & quelques autres font fort éloignés de l'étendue qui convenoit au deffein des auteurs.

Avant de paffer à l'analyse du grand ouvrage de Puffendorff, je dois remarquer qu'on a imprimé fous fon nom un ouvrage qui n'eft pas de lui. Il a pour titre : » Differtation de M. de Puffendorff fur les alliances entre » la France & la Suede, avec un avis de quelques fénateurs, préfenté au » roi de Suede en 1671, touchant le traité qu'on alloit conclure avec la » France contre la Hollande «. Traduit du latin, la Haye chez T. Johnfon 1709. Cet ouvrage contient mille faits faux; l'auteur s'y propose uniquement de prouver que la France n'a jamais exécuté de bonne foi les alliances que la Suede a eues avec elle. Cette feule circonftance ne fuffiroit peut-être point pour juger que l'ouvrage n'eft pas de Puffendorff; car il étoit fort indifpofé contre la France, ainfi que je l'ai remarqué; mais ni les auteurs de fa vie, ni les éditeurs de fes ouvrages, ni aucun autre écrivain ne le lui ont jamais attribué. La préfomption qui fe tire de l'année & du lieu de l'impreffion, & l'état où étoient alors les Hollandois & leurs alliés avec la France, ne permettent pas de douter que ce livre n'ait été la production d'une plume vénale & ennemie de cette couronne.

Cette notice feroit imparfaite & ne rempliroit pas l'objet de cette biblio

theque, fi nous ne donnions pas une analyse du droit de la nature & des gens, auffi détaillée que l'excellence de cet ouvrage & l'importance de la matiere l'exigent,

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Ou du fyftéme général des principes les plus importans de la morale, de la jurifprudence & de la politique ;

PAR

nes,

Par le Baron DE PUFFENDORF F.

AR quelle inconcevable fatalité la plus utile des connoiffances humaines, la fcience des mœurs eft-elle reftée profondément ignorée, depuis les temps les plus reculés presque jusqu'à nos jours ? C'eft pourtant à l'étude des principes de la morale que tous les philofophes, foit anciens, foit moderfe font le plus conftamment attachés; ou plutôt, c'eft à la découverte & au développement de ces principes qu'ils ont tous voulu perfuader à leurs contemporains qu'ils s'étoient attachés. Avoient-ils réellement cherché à s'éclairer ? S'étoient-ils égarés dans les grandes recherches qu'ils prétendoient avoir faites; ou par la fauffeté de leurs maximes & l'illufion de leurs fophifmes ne se propofoient-ils que d'éblouir & d'égarer leurs fectateurs ? Quoi qu'il en foit, on eft forcé de convenir que nul d'entre eux, avant la fin du feizieme fiecle, n'eft parvenu à percer à travers les nuages que P'erreur, les préjugés, les paffions avoient raffemblés pendant une longue fuite de fiecles fur cette connoiffance, fi fimple cependant pour quiconque cherche de bonne foi la vérité, & marche avec courage à la lueur de fon flambeau.

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Jadis les ftoïciens furent de tous les philofophes ceux qui cultiverent la morale avec le plus de fuccès; il faut même avouer qu'ils ne se bornerent point à quelques généralités, à des maximes vagues; mais que traitant cette fcience dans le plus grand détail, ils appliquerent avec autant de jufteffe que de fagacité, les préceptes généraux qu'ils avoient médités aux différens états de la vie & aux diverfes circonftances que la fucceffion des temps & l'inftabilité de la fortune amenent ordinairement. Toutefois on ne peut fe diffimuler que ces ftoïciens, fi fiers de leurs progrès, & qui repréfentoient la vertu fous des traits fi impofans, n'étoient rien moins qu'exacts dans cette idée même qu'ils s'enorgueilliffoient d'avoir de la vertu il faut avouer encore qu'ils n'étoient ni fondés fur des principes bien évidens, ni, malgré la haute idée qu'ils avoient d'eux-mêmes, exempts préjugés, de caprices, d'erreurs. Leur fage, qu'ils dépouilloient de toutes

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paffions, même des plus modérées; leur fage, inacceffible au plaifir comme à la douleur, & qui par fon apathie & fon infenfibilité difputoit de bonheur avec les dieux mêmes, qu'étoit-il autre chofe qu'un impofteur, ou, pour adoucir les termes, qu'un charlatan de philofophie, plus propre faire des enthoufiaftes, qu'à guider de vrais philofophes?

à

Je pense qu'il eft inutile, après avoir reconnu l'infuffifance du ftoïcisme de parler de Chrifippe qui ne reconnoiffoit ni vice, ni vertu, ni bonne, ni mauvaise action je ne crois pas non plus devoir m'occuper de la morale d'Epicure, ni de celle de Zenon, qui, à bien des égards, n'étoit guere meilleure; & après lefquels cependant il ne vint plus perfonne qui prît une route nouvelle pour expliquer la fcience des mœurs, chacun fuivant à fon gré, les maximes de la fecte qu'il avoit adoptée. Tels furent les Romains jufqu'au regne d'Augufte: parmi eux on ne diftingue qu'un philofophe feulement, qui mérite la préférence fur tous ceux qui l'avoient devancé. C'eft Cicéron qui, tantôt académicien & tantôt péripatéticien, fit le meilleur traité de morale, le plus régulier & le plus méthodique qui eut encore paru. Néanmoins, il s'en faut bien que ce traité, des offices ou des devoirs, fi précieux à tant d'égards, préfente un fyftême complet de morale, puifqu'au contraire, les chofes qui doivent entrer le plus effentiellement dans le plan de cette fcience, y manquent abfolument, & que la plupart des queftions qui y font traitées, le font fi fuperficiellement qu'on ne peut s'empêcher de reconnoître que Cicéron ignoroit alors les véritables principes, fans lefquels cependant il eft tout-à-fait impoffible de décider en certains cas, fort ordinaires & très-multipliés.

A ces défauts près, que l'on doit beaucoup moins attribuer à l'auteur qu'à l'état très-imparfait où la fcience des mœurs étoit reftée jufqu'alors, c'eft un excellent traité que celui des offices; & fi ce grand homme a fait, relativement à la morale, un ouvrage qui, malgré fon imperfection, foit au-deffus de celui des devoirs, c'eft fon traité des loix, dans lequel il prouve qu'il existe un droit naturel, indépendant de toute inftitution humaine, & qui vient immédiatement de la volonté de Dieu; principe auffi vrai, qu'il eft confolant & flatteur pour les hommes, duquel découlent toutes les loix juftes & raisonnables, c'est-à-dire, la jurisprudence, la politique, l'indif penfable néceffité d'une religion dans la fociété civile & tous les devoirs réciproques des hommes.

D'après ce principe lumineux, & qu'il eft inconcevable qu'on ait fi fort négligé dans la fuite, les jurifconfultes Romains perfectionnerent autant qu'il fut en eux, ou pour mieux dire, autant que le leur permirent les préjugés auxquels ils étoient affujettis, la jurifprudence naturelle: mais malheureusement divifés de fectes, peu d'accord fur différentes matieres, ils ne purent que répandre la plus embarraffante confufion fur leurs décifions concernant le droit naturel, comme fur celles qui dépendoient du droit civil. Auffi, fort peu inftruits des principes & des regles de l'équité natu

relle, nul d'entre eux ne fongea-t-il à traiter féparément du droit naturel & des gens; & ce fut un bonheur pour ces fciences mêmes, qu'ils les négligeaffent, parce qu'ils n'auroient pas manqué, s'ils s'en fuffent occupés, de les furcharger de définitions incomplettes, de divifions inexactes, & de décifions arbitraires : car, il faut convenir qu'ils étoient d'une étonnante fertilité en fictions & en vaines fubtilités, qu'ils tranfportoient fans raison, fans rapport, du droit civil, qu'ils embrouilloient, au droit naturel, qu'ils ignoroient entiérement.

Vers le quatrieme fiecle de l'ere chrétienne, la doctrine de Platon, mal entendue & plus mal expliquée, fit des progrès rapides; & ces progrès ne fervirent qu'à épaiffir les tenebres qui couvroient la fcience du droit de la nature & des gens. Aux opinions de Platon fe joignirent, dans le fixieme fiecle, les opinions obscures & impérieuses des ariftotéliciens, qui ne s'entendant pas eux-mêmes, s'arrogerent, graces à l'ignorance générale, une autorité abfolue & defpotique fur les efprits. Ce fut à cet inintelligible péripatétifme que dut fon origine la philofophie fcholaftique, fcience de mots, qui infectant de fon jargon l'Europe entiere, nuifit plus à la religion & à la morale, que l'on prétendoit interpréter, qu'aux fciences spéculatives que ce vain ariftotélisme fit difparoître entiérement. A la honte de la raison, on vit pendant près de neuf fiecles l'ignorance, le pédantisme & la fuperftition tenir lieu de morale, de droit naturel & civil.

Ces tenebres épaiffies pendant une fi longue barbarie, fe feroient vraifemblablement perpétuées encore, fi, pour le bonheur des hommes, l'Angleterre n'eut produit, vers la fin du feizieme fiecle, le célébre François Bacon, génie vafte, auquel feul il étoit réservé de connoître l'état d'imperfection dans lequel la philofophie languiffoit. Bacon eut affez de lumieres pour foulever le voile que l'ignorance avoit étendu fur les connoiffances humaines, & il donna des plans admirables de réformation. Ces beaux plans furent une énigme inexplicable pour les admirateurs d'Ariftote; mais ils éclairerent un très-petit nombre de fages qui, épars en Europe, avoient reçu de la nature des difpofitions plus heureufes que celles du refte de leurs contemporains: ils méditerent les idées de Bacon, & animés par l'espérance de voir réuffir les moyens qu'il leur indiquoit, ils entreprirent de dégager la fcience des mœurs & celle du droit naturel de l'énorme entaffement d'erreurs, de préjugés, de principes abfurdes & de fauffes opinions fous lequel ces connoiffances reftoient enfevelies. Dans un ouvrage de morale, Mélanchton ofa diftinguer les regles naturelles d'avec les principes d'inftitution humaine. Mais Mélanchton étoit trop affervi au jargon & aux obfcurités de la philofophie péripatéticienne, pour chercher de bonne foi, ou pour pofer, dans la fuppofition qu'il eut été capable de les découvrir, les véritables fondemens du droit naturel; d'ailleurs, il tenoit trop fortement à la barbarie fcholaftique, pour qu'il fût en état d'indiquer une nouvelle méthode d'expliquer le droit de la nature.

A peu près dans le même temps, Wincler publia à Leipfic un ouvrage fous le titre de principes du droit, dans lequel il foutint hautement, contre l'opinion des fcholaftiques, que la volonté divine eft la fuprême loi, & le fondement unique de la juftice. Mais Wincler plus courageux qu'éclairé, ne diftingua point les loix naturelles des loix pofitives; il confondit l'équité naturelle avec la juftice arbitraire, & fubftitua de nouvelles erreurs aux erreurs qu'il croyoit détruire; en forte que malgré les vœux & les efforts du chancelier Bacon, le droit de la nature & des gens feroit refté toujours auffi profondément ignoré qu'il l'avoit été jufqu'alors, fans le célébre Grotius qui, infiniment au-deffus de fon fiecle, publia un fyftême complet de droit naturel, fous le titre de Traité du droit de la guerre & de la paix. Perfonne n'étoit plus capable de démêler les vrais principes de cette fcience que Grotius, qui uniffoit à la plus rare fagacité un tact fûr, une critique lumineufe, une érudition profonde, une vafte lecture, une longue expérience, &, au milieu des emplois les plus importans, une affiduité infatigable à l'étude. Auffi fon excellent ouvrage opéra-t-il la plus heureuse révolution les principes de la jurifprudence naturelle & ceux de la morale, furent généralement connus & mieux étudiés. Encouragés par le fuccès de ce traité, quelques favans jurifconfultes fe mirent à méditer l'étude du droit de la nature & des gens.

En Angleterre, Jean Selden, publia un fyftême de toutes les loix des Hebreux concernant le droit naturel, & il intitula pompeusement ce fyftême, relatif à la petite horde des Hebreux feulement, fyftéme du droit de la nature & des gens, felon la doctrine des Hebreux. Pendant que Selden manquoit fon but, on vit paroître fur la même matiere un nouvel ouvrage d'un autre Anglois, à tous égards fort fupérieur à Selden. Cet écrivain génie rare & fait pour éclairer les hommes, s'il n'avoit pas formé le cou pable deffein de les égarer par fa dure & pernicieufe doctrine, étoit le fameux Thomas Hobbes, qui, dans fon traité du citoyen, s'efforça d'établir comme deux principes démontrés, que la confervation de foi-même, & l'utilité particuliere font les deux fondemens uniques des fociétés; que d'après ces principes tous les hommes ont la volonté, la force & le pouvoir de fe faire du mal les uns aux autres, & que l'état de nature eft un état de guerre de tous contre tous, & de chacun contre tous.

Par cette déteftable doctrine qui attribue aux fouverains le pouvoir le plus defpotique, Hobbes mérita fans doute de foulever contre lui fes concitoyens & les étrangers, quoiqu'on ne puiffe cependant lui refufer d'avoir développé mieux que perfonne, dans ce même ouvrage, les fondemens de la politique. Mais ce n'étoit point-là, il s'en falloit de beaucoup, expliquer le droit de la nature & des gens; c'étoit au contraire offenfer l'équité naturelle & les hommes, beaucoup moins toutefois que le même écrivain ne les offenfa dans fon Leviathan, ouvrage monftrueufement hardi, dans lequel Hobbes foutint que c'eft de la volonté feule du fouverain d'un

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