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Dans tout ce que nous venons de rapporter, il ne faut pas comprendre la Siléfie, où le gouvernement n'eft pas tout-à-fait le même que dans les autres provinces du roi. Le miniftre, par exemple, qui eft à la tête des affaires de ce duché, n'a aucun compte à rendre au directoire général de Berlin; il releve immédiatement du roi. Les tribunaux de juftice & leurs officiers, ont confervé les anciens titres & les dénominations qu'ils avoient fous les empereurs de la maifon d'Autriche; enfin cette province a été comme ifolée du reste du gouvernement Pruffien; & cela avec d'autant plus de raifon, que la nature du pays eft bien différente; que les manufactures & le commerce y font plus confidérables; que la religion catholique y a de grands privileges & de gros revenus; qu'il y a des établis femens importans, qui ne font pas dans les autres Etats du roi, comme des commanderies fort riches de l'ordre de Malthe, que ce prince donne, &c. Mais, dans le fonds, les mêmes principes du gouvernement y fubfiftent; & la principale différence confifte dans la forme & dans les dénominations.

Voyons maintenant quelle eft la politique générale que la Pruffe ob. ferve à l'égard des autres puiffances, & quelles font les mefures qu'elle a à garder avec chacune d'elles en particulier.

La Pruffe eft une monarchie qui ne paroît pas avoir atteint tout-à-fait fon période de grandeur; mais qui y marche à grands pas, fur-tout fous les aufpices du grand prince qui la gouverne aujourd'hui. Une pareille puiffance ne fauroit manquer de jaloux & d'envieux. Il faut une circonfpection infinie pour imprimer la crainte aux uns, inspirer la confiance aux autres, gagner l'amitié des principaux Etats, & paroître formidable à tous. La maifon de Brandebourg a déjà fait valoir plufieurs de fes anciennes prétentions; elle en a encore, & elle voit dans un certain éloignement de brillantes perfpectives. Sa grande politique doit être de fe faifir de toutes les occafions juftes & légitimes, qui fe préfenteront, pour obtenir la poffeffion des Etats qui lui feront dévolus. Nous avons vu d'ailleurs, que les provinces Pruffiennes font extraordinairement éparpillées; qu'elles forment une espece de chaîne de pays, qui n'a qu'une très-petite largeur, & qui pourroit par conféquent être entamé facilement. Cette étendue de pays donne outre cela beaucoup de voisins petits & grands au roi de Pruffe; on en pourroit compter une quarantaine. Les conquêtes brillantes de ce prince ont fixé fur la Pruffe les regards & l'attention de toute l'Europe. Toutes ces raifons prifes ensemble mettent le roi de Pruffe dans la néceffité d'entretenir en premier lieu, une armée très-considérable; auffi comp te-t-on 140 mille hommes effectifs, que ce monarque a fur pied. Toutes ces troupes font toujours complettes & affujetties à la plus exacte difcipline; mais, pour les faire agir avec d'autant plus d'efficace & de promptitude, il faut une caiffe proportionnée & capable de donner de l'activité à un auffi grand corps d'armée, & c'est là le but du tréfor que les rois dé Pruffe accumulent par leurs épargnes.

Le fecond objet de la politique Pruffienne, (objet auffi important & peut-être plus que le premier,) eft de faire fleurir chaque province en particulier par l'agriculture, le commerce, la navigation & l'induftrie. Cela demande le calme de la paix, & l'entretien d'une bonne harmonie avec les autres puiffances de l'Europe, & fur-tout avec les Etats voisins. C'est ici où la politique doit s'attacher à conclure des traités de commerce avantageux, à rechercher les privileges & les prérogatives qui ont été accordés par d'autres nations aux Pruffiens, ou à en ftipuler de nouveaux. La puiffance du roi de Pruffe n'eft pas non plus inutile à ce but: elle fait refpecter le pavillon Pruffien & les droits de cette nation.

Quant aux mesures politiques qui conviennent à la Pruffe à l'égard de chaque puiffance de l'Europe en particulier, voici les maximes que l'on peut établir en général.

Le Portugal eft fi éloigné de la Pruffe, leur commerce réciproque eft de fi petite conféquence, & ces deux puiffances peuvent fi peu s'aider ou fe nuire, qu'il n'y a prefque aucune relation entr'elles, & qu'on n'a point d'exemple qu'elles fe foient envoyées des miniftres. Les correfpondances réciproques ne confiftent qu'en complimens, en notifications cérémonielles. Objets trop minces pour mériter des réflexions de notre part.

L'Efpagne, également fituée dans un grand éloignement de la Pruffe n'a pas beaucoup de rapports directs avec elle. Cependant il y a eu autrefois des liaifons entre ces puiffances, & dans la fuite du temps il pourroit y en avoir de bien confidérables. Nous voyons même dans l'hiftoire, que le grand électeur, pour se faire rendre juftice fur quelques prétentions qu'il avoit à la charge de l'Efpagne, fit armer une efcadre, prit un vaisseau Efpagnol richement chargé, & l'emmena dans un de fes ports fur la Baltique, Mais fans parler des prétentions qui occafionnerent cet acte de vigueur, ni des millions que milord Stanhope, pendant fon ambaffade à Madrid, fut chargé de répéter à la cour d'Espagne pour la Pruffe, il femble que l'Efpagne & la Pruffe pourroient faire un commerce réciproque, très-considérable & très-avantageux. L'Efpagne ne fauroit fe paffer des toiles de la Siléfie, & il lui faut des étamines, de petites étoffes de laine & de filofelle, des bois, des futailles, toutes fortes de verreries, & mille choses qui fe tirent des Etats du Brandebourg. Ceux-ci, au contraire, ont néceffairement befoin de laines d'Espagne pour les draps fins qui fe fabriquent à Berlin, ainfi que de vins, d'huiles, de fruits & de quelques autres denrées Efpagnoles. Qu'eft-ce qui empêcheroit qu'on n'établit un commerce réciproque entre ces puiffances, qui fût direct, & fans que les Anglois & les Hollandois le fiffent pour les Pruffiens? Il fe peut qu'il y ait encore d'autres relations politiques entre l'Efpagne & la Pruffe, par l'intérêt que P'une & l'autre prennent au fyftême général de l'Europe. C'eft ainfi que nous les avons vu alliées en 1741 contre la maison d'Autriche; mais l'une agiffoit en Italie, & l'autre en Bohême. De pareilles occasions pourroient

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revenir; & il n'eft pas inutile que ces deux puiffances entretiennent une bonne amitié.

La France eft de toutes les puiffances celle avec laquelle la Pruffe a le plus de liaisons. Si nous confidérons d'un œil attentif le fyftême de tous les princes & Etats du monde, nous verrons qu'il n'y en a point qui puisse prendre moins d'ombrage de l'agrandiffement de la maison de Brandebourg que la France. Au contraire, étant intéreffée à entretenir dans l'empire une puiffance qui contre-balance l'autorité de la maison d'Autriche, & n'en trouvant point d'autre que la Pruffe, elle doit concourir à augmenter les forces de la monarchie Pruffienne, jufqu'à ce que cet équilibre foit obtenu. Auffi avons-nous vu la France & la Pruffe étroitement alliées, lors de la guerre qui éclata pour la fucceffion de l'empereur Charles VI, jufqu'à la paix de Drefde. Les liens qui uniffent aujourd'hui l'empereur & le roi de France, loin d'être une raifon pour la cour de Berlin de ménager peu celle de Verfailles, doivent au contraire l'engager à rechercher de plus en plus l'amitié de la France, & à la cultiver. Il eft bon du refte, que ces deux puiffances ne foient pas voifines; car il eft à croire que l'amitié de la France cefferoit d'être aufli vive, dès que la Pruffe poffèderoit quelque province limitrophe des fiennes. Il fe pourroit d'ailleurs qu'il naquit dans la fuite du temps quelque rivalité entre ces deux puiffances, pour différentes branches du commerce, & fur-tout pour certaines manufactures de foie qui font tous les jours de grands progrès dans le Brandebourg. Il faut conclure de tout cela, que la Pruffe a toutes fortes de raifons pour ménager la France, en faire fon principal allié, & cultiver fon amitié; mais qu'elle doit toujours agir avec elle comme avec un ami qu'elle peut perdre un jour.

Autrefois la cour de Berlin regardoit l'Angleterre comme fon alliée naturelle. Je n'examine point fi elle avoit raifon alors; mais il paroît, fuppofé que cela fût, que ce fyftême a dû totalement changer lorique la maifon de Brandebourg a fait l'acquifition de la Siléfie. L'Angleterre étoit intime amie de la maifon d'Autriche, & elle l'étoit trop par principe, pour pouvoir l'être fincérement de la Pruffe, dans des temps où les cours de Vienne & de Berlin étoient brouillées. On dira peut-être, que c'est l'Angleterre cependant qui a fait les traités de Breflau & de Drefde, par lef quels la Siléfie a été assurée au roi de Pruffe; mais je réponds, qu'il ne faut point être la dupe de certaines démarches involontaires, auxquelles les circonftances du temps forcent quelquefois les fouverains, ni prendre pour service d'ami, ce qui fe fait par intérêt. Il étoit d'une néceffité abfolue pour l'Angleterre, de débarraffer alors la reine de Hongrie d'un ennemi victorieux teľ que le roi de Pruffe, afin qu'elle pût agir ailleurs felon les vues de la Grande-Bretagne. Or la paix ne pouvoit fe faire que par la ceffion de la Siléfie; le roi d'Angleterre engagea la cour de Vienne à faire ee facrifice, & à céder aux circonftances, en attendant une occafion plus

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favorable pour regagner ce que l'on venait de perdre. En politique encore plus qu'ailleurs, il est très-néceffaire de réduire toujours les chofes au terme le plus fimple & le plus naturel. Le fyftême de l'Angleterre demande de foutenir dans le continent la puiffance de la maifon d'Autriche, pour s'en fervir dans le befoin; la Pruffe eft intéreffée que cette même maison ne devienne pas plus formidable qu'elle l'eft; la France, rivale naturelle de l'Angleterre, s'attache à la Pruffe. En combinant toutes ces circonftances, il ne faut qu'un difcernement médiocre, pour reconnoître que l'amitié du roi de la Grande-Bretagne ne fauroit être fort fincere pour le roi de Pruffe, malgré toutes les démonstrations & les proteftations que la politique fait faire fouvent. Ajoutons encore à ceci, que le gouvernement d'Angleterre ne voit pas avec plaifir, que la Pruffe étende fon commerce & fa navigation, foit par fes ports sur la Baltique, foit par Emden & Greetfiel fur la mer du Nord. Nous avons vu pendant la précédente guerre, que les armateurs Anglois ont fait des infultes impardonnables au pavillon Pruffien, & qu'il n'y a jamais eu moyen d'en obtenir juftice ou fatisfa&tion, de l'amirauté de l'Angleterre, parce qu'on n'avoit point de forces navales pour fe la faire rendre. L'Angleterre exerce fur la mer un empire chimérique, qui eft foutenu par des forces réelles. Des attentats pareils de la part de la Grande-Bretagne ne fauroient cimenter une bonne harmonie. Concevons enfin, que le roi d'Angleterre eft en même-temps électeur de Hanovre; que l'électeur de Hanovre ne fauroit voir de bon œil l'agrandiffement de l'électeur de Brandebourg, & que le miniftere Anglois eft obligé de fuivre toutes les vues du roi, pour le maintien de fes Etats en Allemagne. Toutes ces confidérations ne cedent-elles pas aujourd'hui à l'alliance qui unit les maisons d'Autriche &, de Bourbon? Et par la même raison, la cour de Berlin ne doit-elle pas avoir pour celle de Londres toutes les attentions & tous les égards convenables, & tâcher fur-tout, de détourner tout ce qui pourroit faire éclater une inimitié ouverte entre deux grands princes, unis par les liens du fang les plus étroits? L'alliance qu'ils contracterent au commencement de 1756, pourroit bien avoir pour objet de contre-balancer celle qu'on favoit fe négocier alors entre les deux autres puiffances. Si le roi de Pruffe n'eut pas lieu d'être fort content de la paix de 1763, la politique eft faite pour adoucir, pour calmer, pour diffiper les ombrages, & conduire les chofes à leurs fins par les voies les plus amiables.

La Hollande a fuivi long-temps les impulfions de l'Angleterre dans les mefures politiques qu'elle prenoit; elle adoptoit le même lyftême pour les affaires générales de l'Europe, & elle avoit les mêmes intérêts de commerce, le même défir d'en débufquer les autres nations. Elle voit dans ce moment quel eft le fruit de fa complaifance. Quoi qu'il en foit, elle a paru époufer les fentimens de l'Angleterre pour la Pruffe ; & être tantôt fon amie & tantôt fe refroidir envers lui. Elle a pu avoir auffi fes raifons particulieres. Ce prince eft un voifin trop proche & trop formidable; il

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touche à la république par le duché de Gueldre & celui de Cleves; il poffede même plufieurs feigneuries & domaines à lui dévolus par la fucceffion d'Orange, qui font enclavés dans le territoire de la Hollande, & qui peuvent occafionner des difputes; & il a encore diverfes prétentions de fommes confidérables à la charge des Provinces-Unies, qu'il pourroit réclamer un jour. Mais ce qui pourroit devenir fur-tout la pomme de difcorde entre la Pruffe & les Hollandois, c'eft le duché d'Oftfrife. La compagnie d'Embden a pu exciter pendant quelque temps la jaloufie d'une nation commerçante. Malgré tout cela, il fubfifte depuis plus d'un fiecle, une harmonie & une amitié fi bonne entre les princes de Brandebourg & la république, qu'il ne feroit ni avantageux, ni décent de la rompre fans néceflité. Un prince, quelque grand qu'il foit, ne fauroit avoir trop d'amis ; & lorsqu'il a des envieux, il eft expédient d'ufer de tant de politique, que cette envie ne puiffe éclater en inimitié ouverte. Lorfque les ennemis sont réduits à l'inaction, ils ne font pas fort dangereux.

Le roi de Pruffe n'a guere d'autres relations avec les treize cantons Suiffes, que celles qui réfultent de la co-bourgeoifie, établie entre cette république & le duché de Neufchâtel & Valengin; mais ces pactes d'affocia tion deviennent fort utiles au roi de Pruffe, parce que le pays de Neufchâtel étant entiérement ifolé du refte de fes Etats, il ne pourroit jamais le protéger contre quelque entreprise voifine, fans le fecours des cantons. La qualité de co-bourgeois donne plufieurs prérogatives dans toute la Suiffe au roi, & beaucoup de diftinctions à celui qu'il nomme gouverneur de Neufchâtel. Enfin la cour de Berlin ménage foigneufement l'amitié de la république helvétique, pour obtenir de temps en temps la permiffion de faire chez elle quelques recrues pour l'armée Pruffienne.

Autrefois la cour de Berlin n'avoit aucune liaison avec les princes d'Italie. Depuis l'acquifition de la Siléfie, elle a quelquefois de petits intérêts à difcuter avec le pape, par rapport à l'évêché de Breflau, & aux affaires de la religion catholique-romaine. Elle a aufli une efpece de relation avec le grand-maître de l'ordre de Malthe, pour les commanderies qui font dans la Silefie. Mais tous ces intérêts font des bagatelles que nous n'examinons point dans cet ouvrage. La Pruffe n'a point de relations avec les autres princes ou républiques de l'Italie, fi ce n'eft celles qui naiffent des affaires générales de l'Europe. D'ailleurs, nous avons vu paffer depuis quelques fiecles les provinces d'Italie, tantôt entre les mains de la maifon d'Autriche, tantôt entre celles des Bourbons, tantôt enfin à quelque prince particulier. Le moyen d'établir quelque fyftême politique dans de fi fréquentes révolutions? Il faut que la prudence guide toujours la conduite que le cabinet de Berlin doit tenir avec les princes Italiens dans chaque conjoncture particuliere. Cependant nous ne faurions nous empêcher de remarquer, qu'il ne feroit pas hors de propos d'établir un traité de commerce entre le roi de Pruffe & le roi de Naples, pour le débit des toiles & d'autres ou

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