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leur avoient été données, que la difpofition ne préjudicioit à perfonne; & comme fi elles n'en avoient pris la garantie que parce qu'elles n'avoient pas douté de fon équité, elles fe jugerent libres de leur engagement, auffitôt que les manifeftes des maifons de Baviere, de Saxe, & de Brandebourg, eurent mis dans fon jour le tort qu'elle leur faifoit.

Charles VI n'en impofa point aux trois colleges par l'éloge pompeux qu'il leur fit faire de fa Pragmatique. Chacun fut perfuadé que c'étoit moins la fureté de l'empire, & l'intérêt de la balance de l'Europe, que la tendreffe paternelle, qui la lui avoit infpirée. Mais un empereur a tant de prife fur le plus grand nombre des membres du corps germanique, qu'à moins de s'être fait univerfellement hair ou méprifer, il peut toujours compter fur fa fupériorité dans les dietes. Les électeurs Palatins, de Saxe & de Baviere protefterent en diete contre la Pragmatique-fanction. Leurs miniftres effayerent de perfuader aux colleges d'en refufer la garantie, en leur mettant fous les yeux fes inconvéniens. Ils tenterent d'indifpofer contre elle les plus puiffans membres, en leur montrant la dignité de l'empire léfée par la recherche des garans étrangers qu'on lui affocioit fans l'en avoir confulté. Mais les follicitations de la cour de Vienne l'emporterent. La plupart des princes & Etats regardant la garantie qu'on exigeoit d'eux comme un acte de complaifance envers l'empereur, dont fa mort les releveroit, fe firent un nouveau mérite auprès de lui des oppofitions des électeurs. Ils affecterent de paroître faifir toutes les charges & tous les dangers d'une garantie fans bornes, afin de donner un plus grand prix à fon acceptation; & le 11 de janvier 1732, ils en firent fignifier le décret aux commiffaires de l'empereur, & aux miniftres des électeurs oppofans.

Il reftoit encore la France & le Danemarc avec le roi de Sardaigne, dont les électeurs oppofans pouvoient efpérer l'appui dans leurs prétentions. La cour de Vienne, qui, dans l'établiffement de fa Pragmatique, ne voyoit rien de plus flatteur que la rivalité des deux maifons, ne penfoit point à folliciter la garantie de la France, contre laquelle l'héritiere de Charles VI lui paroiffoit affez puiffante par fon union avec les puiffances maritimes; & elle croyoit avoir en main de quoi s'attacher le roi de Sardaigne, dont la poffeffion tranquille des morceaux de la Lombardie qui lui avoient été cédés, paroiffoit devoir contenter l'ambition. Les bons offices de la Ruffie lui gagnerent le roi de Danemarc. Le traité fut conclu & figné le 26 de mai 1732. La Ruffie y renouvella les engagemens qu'elle avoit pris en 1726, & le roi de Danemarc promit l'alliance & la garantie aux mêmes termes qu'elle, moyennant la renonciation que le duc de Holftein dut donner en fa faveur dans l'efpace de deux ans à fes prétentions fur le duché de Schleswich.

Après ce dernier traité, l'empereur fut tranquille fur fa fucceffion. Son confeil, qui s'étoit accommodé à fa paffion, lui cacha avec foin les restrictions tacites des puiffances garantes; & il lui laiffa ignorer combien peu

on devoit efpérer, qu'ayant des intérêts fi oppofés dans le fyftême général, elles puffent fe réunir conftamment fur un point qui lui étoit effen

tiel. D. B. M.

En effet, à la mort de l'empereur Charles VI en 1740, l'électeur de Baviere fe mit fur les rangs pour recueillir la fucceffion de ce prince. La France donna des troupes auxiliaires à l'électeur; l'Espagne fit valoir fes prérentions fur les Etats Autrichiens en Italie. De tout cela il réfulta une guerre fanglante que la reine de Hongrie, Marie-Thérefe, fut obligée de fouterir au commencement de fon regne, & qu'elle termina glorieufement avec l'affiftance du roi d'Angleterre & du roi de Sardaigne. Elle réduifit l'électeur de Baviere à recevoir la paix qu'elle voulut lui accorder en 1745, & la paix générale d'Aix-la-Chapelle en 1748 mit fin à la guerre avec la France & l'Espagne.

PRATIQUE, f. f.

Hiftoire critique des pratiques fuperftitieufes qui ont féduit les peuples & embarraffe les favans, avec la méthode pour difcerner les effets naturels d'avec ceux qui ne le font pas. A Rouen, chez Behourt, 1701, in-12.

RIEN de plus philofophique que ce titre; rien de moins philofophique

que l'ouvrage. L'auteur fe laiffe féduire lui-même par les pratiques fuperftitieufes qui féduifent les peuples. Il parle très-férieufement de la baguette divinatoire, de fa cause & de fes effets. Aujourd'hui l'homme du monde. en rit, le bourgeois commence à en douter, & dans cinquante ans, les nourrices n'y croiront plus. L'auteur de ce livre appuie fa croyance fur l'autorité d'un grand nombre de favans. Je fais que plufieurs ont cru à ces chimeres; mais la raifon & l'érudition ne font pas inféparables. Il ne faut que de la mémoire pour faire un favant: il faut du jugement pour faire un philofophe. Le premier ne fait que lire, le fecond fait penfer, & (pour me fervir de l'expreffion d'un homme qui fut vraiment philofophe) un fot favant eft fot plus qu'un fot ignorant. L'opinion d'un homme érudit le témoignage d'un magiftrat en impofent au peuple. De nos jours un enfant a perfuadé à une province prefqu'entiere que fes regards pénétroient dans les entrailles de la terre, & y fuivoient le cours des eaux auffi facilement que fur fa furface. Long-temps avant, une femme avoit prétendu voir dans le corps humain (à travers la peau & les chairs) la circulation du fang, la formation du chyle, la métamorphofe des alimens. Ces deux merveilles ont été atteftées par des certificats authentiques, qu'on devroit effacer pour l'honneur de notre fiecle. Un magiftrat peut avoir étudié les loix fans avoir étudié la nature : il y a loin de Buffon à Gujas. Je me fouviens

qu'il y a huit ou neuf années, un homme de lettres rencontra dans une province un fénateur, recommandable dans le barreau, par fes lumieres, qui lui dit férieusement, au fujet d'une comete qui venoit de paroître : »> Vos aca» démiciens de Paris ne croient point à la funefte influence des cometes; pour » moi, j'y crois, & tant que celle-ci fera fur l'horifon, je ne marierai » point ma fille «. Il avoit raifon : la comete a en effet une influence maligne, puifqu'elle empêche deux amans de s'unir, & qu'elle fait déraisonner un grave magiftrat.

Au reste, l'hiftoire des Pratiques fuperftitieufes intéreffe par des faits finguliers, par un mélange de ridicule & de merveilleux. Telle eft, par exemple, cette anecdote. Dans le royaume de Navarre, lorfque la terre aride & altérée ne pouvoit plus nourrir d'un fuc fécond les moiffons dont elle étoit couverte, les magiftrats & le clergé faifoient promener l'image de faint Pierre; le peuple lui crioit donnez-nous de la pluie, une fois, deux fois, trois fois, l'image étoit auffi muette que fourde. Le peuple, indigné de fon filence, s'écrioit qu'il nous donne de la pluie, ou qu'on le jette dans l'eau. Alors les magiftrats intercédoient pour le faint, & promettoient de fa part cette pluie tant attendue. Le peuple fe laiffoit toucher, mais il exigeoit une caution; les magiftrats la donnoient, & elle reftoit dans les mains du peuple, jufqu'à ce que la parole du faint fût dégagée par quelque nuage bienfaifant. On voyoit encore au commencement de ce fiecle des traces de cette fuperftition.

PREUVE, f. f. Ce qui fert à faire voir, ou juftifier, qu'une chofe eft véritable.

ON peut faire la Preuve d'un fait, de la vérité d'un écrit ou de quel

qu'autre piece, comme d'une monnoie, d'un fceau, &c.

On apporte auffi la Preuve d'une propofition ou d'un point de droit, que l'on a mis en avant ; cette Preuve fe fait par des citations & des autorités, mais ces fortes de preuves font ordinairement défignées fous le nom de moyens ; & quand on parle de Preuve, on entend ordinairement la Preuve d'une vérité de fait en général.

L'ufage des Preuves ne s'applique qu'aux faits qui ne font pas déjà certains; ainfi lorfqu'un fait est établi par un acte authentique, on n'a pas befoin d'en faire la Preuve, à moins que l'acte ne foit attaqué par la voie de l'infcription de faux; auquel cas, c'eft la vérité de l'acte qu'il s'agit de prouver.

Il faut néanmoins diftinguer entre les faits contenus dans un ade authentique ceux qui font atteftés par l'officier public, comme s'étant paffés devant lui, de ceux qu'il attefte feulement à la relation des parties; les

premiers font certains, & n'ont pas besoin d'autre Preuve que l'acte même; les autres peuvent être conteftés, auquel cas celui qui a intérêt de les foutenir véritables, doit en faire la Preuve.

La maxime commune par rapport à l'obligation de faire Preuve eft que la Preuve eft à la charge du demandeur, & que le défendeur doit prouver fon exception, parce qu'il devient demandeur en cette partie ; & en général il eft de principe, que lorsqu'un fait eft contesté en justice, c'est à celui qui l'allegue à le prouver,

Le juge peut ordonner la Preuve en deux cas; favoir quand l'une des parties le demande, lorfque les parties fe trouvent contraires en faits. On ne doit pas admettre la Preuve de toutes fortes de faits indifféremment. On diftingue d'abord les faits affirmatifs des faits négatifs.

La Preuve d'une négative ou d'un fait purement négatif eft impoffible; & conféquemment ne doit point être admife: par exemple, quelqu'un dit fimplement; je n'étois pas un tel jour à tel endroit; ce fait eft purement négatif: mais il ajoute, parce que je fus ailleurs: la négative étant reftrainte à des circonftances, & fe trouvant jointe à un fait qui eft affirmatif, la Preuve en eft admiffible.

On ne doit pareillement admettre que la Preuve des faits qui paroiffent pertinens, c'est-à-dire, de ceux dont on peut tirer des conféquences, qui fervent à établir le droit de celui qui les allegue.

Il faut d'ailleurs que la Preuve que l'on demande à faire foit admissible; car il y a des cas où l'on n'admet pas un certain genre de Preuve. On diftingue en général trois fortes de Preuves.

Les Preuves vocales ou teftimoniales, les Preuves littérales ou par écrit, & les Preuves muettes.

Lorfque celui qui demande à faire Preuve d'un fait, offre de le prouver par écrit, on lui permet auffi de le prouver par témoins: car quoique les Preuves par écrit foient ordinairement les plus fûres, néanmoins comme ces fortes de Preuves peuvent être infuffifantes, ou manquent en certaines occafions, on fe fert de tous les moyens propres à éclaircir la vérité, c'eft pourquoi l'on emploie auffi la Preuve par témoins & les Preuves muettes, qui font les indices & les préfomptions de fait & de droit ; on cumule tous ces différens genres de Preuves, lefquelles fe prêtent un mu tuel fecours.

La Preuve par écrit peut fuffire toute feule pour établir un fait.

Il n'en eft pas toujours de même de la Preuve teftimoniale: il y a des cas où elle n'eft pas admiffible, à moins qu'il n'y ait déjà un commencement de Preuve par écrit,

En général une Preuve non écrite n'eft pas admife en droit contre un écrit. Il faut néanmoins diftinguer fi c'eft en matiere civile, ou en matiere criminelle, & fi l'acte eft infcrit de faux ou non.

Il n'appartient qu'aux loix de fixer l'efpace de temps qu'on doit employer

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à la recherche des Preuves du crime, & celui qu'on doit accorder à l'ac cufé pour fa propre défense. Si le juge avoit ce droit, il feroit législateur. Pour les crimes atroces, dont la mémoire fubfifte long-temps parmi les hommes, lorsqu'ils font prouvés une fois, il ne doit y avoir aucune pres cription en faveur du coupable qui s'eft fouftrait par la fuite mais pour des crimes moins confidérables, & qui font moins de fenfation, il faut fixer un temps, après lequel le citoyen ceffe d'être incertain de fon fort. La raison de cette différence eft que l'obscurité, qui dans ce dernier cas a enveloppé le crime pendant long-temps, empêche qu'il n'y ait un exemple d'impunité, & laiffe au coupable le pouvoir de devenir meilleur. !., Il me fuffit d'indiquer ici des principes généraux, parce que, pour fixer des limites précises, il faudroit avoir en vue telle ou telle légiflation, & une fociété placée dans des circonftances données. J'ajouterai seulement que dans une nation qui voudroit éprouver les avantages des peines modérées, des loix qui, felon la grandeur du délit, augmenteroient ou dimi nueroient le temps de la prefcription, & celui de la Preuve, & qui feroient ainfi d'un exil volontaire, ou de la prifon même, une partie de la peine, fourniroient par-là une progreffion facile à fuivre, d'un petit nombre de peines douces pour un grand nombre de délits.

Il faut cependant remarquer que le temps pour la prescription, & celui qu'on employe à la recherche des Preuves, ne doivent pas croître l'un & l'autre en raifon de la grandeur du crime; parce que la probabilité que le crime a été commis, eft en raifon inverse de fon atrocité. Il faudra donc diminuer quelquefois le temps employé à la recherche des Preuves, & augmenter celui qu'on exigera pour la prescription, & réciproquement.

Pour développer mon idée, je diftingue deux claffes de crimes. La premiere eft celle des crimes atroces, qui commence à l'homicide, &`qui comprend tous les crimes qui font au-delà. La feconde eft celle des moindres crimes. Cette diftinction a fon fondement dans la nature. Le droit que chacun a de conserver sa vie, est un droit de nature, Celui de conferver fes biens, eft un droit de fociété. Il y a beaucoup moins de motifs qui puiffent pouffer l'homme à fecouer le fentiment naturel de la compaffion qu'il faut étouffer pour commettre de grands crimes, qu'il n'y en a qui le tentent de chercher fon bien-être, en violant un droit qu'il ne trouve point gravé dans fon cœur, & qui n'eft que l'ouvrage des conventions des fociétés. La très-grande différence de probabilité de ces deux claffes de délits, exige des loix toutes différentes. Dans les grands crimes, par la raison même qu'ils font plus rares, la plus grande probabilité de l'innocence de l'accufé doit faire prolonger le temps de la prefcription, & diminuer celui de l'examen, parce qu'en accélérant le jugement définitif, on empêche les hommes de fe flatter de l'impunité, & que le danger de laiffer fubfifter cette idée d'impunité dans leur efprit, eft d'autant plus grand, que le crime eft plus atroce. Au contraire, dans les délits moins considérables, Tome XXVII.

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