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ces fleuriffoient. La fociété royale de Berlin fut fondée; & l'on fit toutes fortes de beaux établissemens. Frédéric mit la couronne dans fa maison, & fit ériger le duché de Pruffe en royaume. Il acquit la principauté de Neufchâtel & de Vallengin en Suiffe, le pays de Gueldres, & diverfes terres confidérables. Il fe défit fans néceffité du cercle de Schwibus. La providence fembloit en difpofer ainfi, pour laiffer à fon petit-fils la gloire de le reconquérir avec ufure. Enfin ce premier roi de Pruffe mourut regretté de fes fujets, qui étoient devenus opulens fous fon regne.

Frédéric-Guillaume porta fur le trône des vertus toutes différentes de celles de fon pere. Il étoit né avec beaucoup de génie; il avoit un efprit d'ordre, une fagacité merveilleufe pour les affaires de détail, & une inclination naturelle à l'équité. D'un autre côté, ce grand efprit de détail empêchoit qu'il n'étendit fes vues fur la totalité des objets, & qu'il confidérât les chofes en grand. Comme d'ailleurs fon penchant le portoit à l'économie, les finances s'en reffentirent bientôt. Il les réforma plus en fimple calculateur, qu'en homme d'Etat. Des confeillers ambitieux flatterent la paffion du prince pour faire leur propre fortune. Sous prétexte de mettre de l'ordre dans les affaires, on pouffa les impôts au-delà des bornes ; & les financiers inventerent chaque jour de nouveaux moyens pour augmenter les revenus du maître. L'Etat reffembloit à un cadavre livré à l'anatomie, que des chirurgiens diffequent pour faire toutes fortes d'expériences. D'un autre côté, le roi thefaurifoit & ne faifoit guere de dépenfe; par-là cette maffe qui doit se répandre dans le public au moyen de la circulation, fut confidérablement diminuée; l'argent ne roula plus, les coffres du fouverain abforberent lés fonds, qui étoient l'ame de l'induftrie; de capitaux animés on fit des capitaux morts, & le commerce n'alla plus qu'en baiffant. D'ailleurs, Frédéric-Guillaume avoit une véritable paffion pour le militaire; le prince d'Anhalt fon ami, qui vouloit déployer fes talens guerriers à la tête d'une belle & nombreuse armée, dreffée à fa fantaisie, ne manqua point d'entretenir le roi dans ces idées. Il eut l'adreffe de lui faire croire que l'art de la guerre devoit être l'unique objet d'un roi, à l'exclufion de toute autre chofe, comme fi un fouverain ne devoit pas être auffi fage législateur, auffi grand politique, auffi habile financier, que bon capitaine. A cette premiere illufion, le prince d'Anhalt en joignit une feconde, & fit concevoir au roi, que fon Etat ne devroit former qu'un état militaire. Or cette idée qui, dans le fond, ne confifte que dans un jeu de mots, fit tant d'impreffion fur l'efprit du monarque, que tout fut facrifié au militaire. Tandis que le droit naturel & la raison veulent que la félicité & le repos du peuple faffent l'objet principal du fouverain, & que le militaire ne foit qu'un acceffoire, une fuite de ce premier but, on prit le fyftême à rebours. L'armée devint le premier objet du roi, & on ne regardoit les autres parties du gouvernement, que comme les moyens destinés à l'entretien des troupes, & à former un tréfor propre à groffir l'armée.

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On n'eftimoit rien qu'autant qu'il pouvoit favorifer ce but. Le militaire dans les moindres grades étoit plus confidéré, que le plus fage magiftrat qui veille au bonheur de l'Etat, que le plus habile miniftre qui du fond de fon cabinet, met l'Europe en mouvement, que l'homme de lettres duquel les plus grands héros font obligés de demander le fuffrage, s'ils prétendent paffer à la poftérité. Toutes ces perfonnes ne paffoient aux yeux du monarque, que pour de viles fcribes. Le pays en attendant diminuoit d'hommes & d'argent, au fein de la plus profonde paix. Malgré cela, il faut convenir que la plus grande faute de Frédéric-Guillaume fut de pouffer trop loin fon inclination pour le militaire & pour l'épargne; car, à la mort de fon pere, ces deux objets avoient effectivement befoin de réforme. Si le nouveau roi l'eût entreprise fans y faire entrer de paffion, & fans heurter d'autres établiffemens, il eft certain qu'on n'auroit pu affez l'admirer, & qu'il feroit devenu le fecond créateur de l'Etat Pruffien. Et malgré tout ce que le regne de Frédéric-Guillaume peut avoir eu de défectueux & d'outré, il s'y eft fait néanmoins de grandes chofes; & les fucceffeurs de ce prince lui auront toujours, à certains égards, de très grandes obligations. A fon avénement au trône, il trouva une armée de vingt à trente mille hommes. Il l'augmenta jufqu'à quatre-vingt mille. Ces troupes étoient les plus belles du monde, & il les exerçoit dans une difcipline digne des anciens Romains. A mefure que l'armée groffiffoit, il falloit accroître les revenus, & comme on n'imagina point de nouveaux moyens pour introduire dans l'Etat de l'argent étranger, il eft clair que cette augmentation de revenus ne pouvoit s'obtenir qu'aux dépens des fujets & de leurs fortunes. Ce fut là le seul mal, mais il étoit grand. D'un autre côté, ce roi montra en plufieurs occafions de la grandeur d'ame & de la générofité. Il fit l'acquifition de la ville de Stettin, & d'une partie confidérable de la Poméranie. Il recueillit la plus forte moitié de la fucceffion particuliere du roi d'Angleterre Guillaume III, & fit pour cet effet un traité de partage avec le prince d'Orange. Il porta toutes les vues fur l'acquifition du pays de Juliers & de Berg, qui devoient lui retomber à titre d'héritage après la mort de l'électeur Palatin. Il s'étoit mis en état de foutenir fon bon droit par les armes, envers & contre tous fes compétiteurs; mais fa mort arrivée en 1740, changea tout le fyftême de la cour de Pruffe."

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Frédéric II, en montant fur le trône, trouva un Etat exactement réglé, un tréfor fort riche & une armée auffi belle que nombreuse. C'étoient là de puiffans moyens pour exécuter toutes fortes de projets brillans; mais ce prince trouva en lui-même des reffources bien plus grandes encore, pour faire des chofes dignes d'une admiration univerfelle.

Nous laiffons à la poftérité le foin de tracer le tableau du regne de ce monarque dont la grande ame a recherché & acquis toutes les efpeces de gloire. Il a élevé la Pruffe à l'égal des puiffances les plus formidables; nos defcendans verront fi elle faura s'y maintenir.

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Faifons connoître maintenant les provinces qui compofent cet Etat, & les maximes par lesquelles il eft gouverné.

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Le royaume de Pruffe (c'eft-à-dire cette partie de la Pruffe qui eft fituée autour de la petite riviere de Prégel, & qu'on nomme Brandebourgeoife, pour la diftinguer d'avec la Pruffe Polonoife) a une affiette très-favorable pour le commerce. Il touche à la Poméranie, à la Pologne & à la Lithuanie, & communique par ce moyen avec la Courlande, la Livonie & tout l'empire de Ruffe. Il a plufieurs ports fur la mer Baltique, qui facilitent le débit de fes denrées. Il y a deux golfes, qu'on nomme en langue du pays le Frifch-Hafft, & le Curifch-Hafft. La Viftule & la riviere de Prégel coulent à travers ce pays. On ne fauroit dire que la Pruffe foit extrêmement peuplée, & la pefte y a fait de grands ravages. Cependant le roi FrédéricGuillaume y a envoyé plufieurs colonies de Saltzbourgeois & d'autres étrangers, qui commencent à fe multiplier & à faire de bons établissemens. Cette contrée est très-fertile. Elle produit beaucoup de grains. Le gibier de toute efpece y abonde, de même que le poiffon. Les pâturages font excellens. On y trouve des buffles & des élans, dont la peau & les patres font fort recherchées. La mer y jette fur le rivage une quantité d'ambre, dont il fe fait un grand trafic. Tacite en parle déjà dans fon livre des Mœurs des Germains. Les forêts immenfes qu'on y voit, fourniffent beaucoup de bois & de goudron. Enfin les nations étrangeres s'y pourvoient de toutes les chofes les plus néceffaires pour la bâtiffe des vaiffeaux, & de plufieurs denrées, parmi lesquelles il ne faut pas oublier les foies de cochon, le chanvre, le lin, &c.

2. Le duché de Pomeranie fe divife en Poméranie-citérieure, & en Poméranie-ultérieure. Après diverfes révolutions, le roi de Pruffe a acquis par la paix du Nord, conclue en 1720, toute la Poméranie-ultérieure, & la plus importante partie de la citérieure. La Suede n'a confervé que le cercle de Barth avec la ville de Stralfund, celle de Grypfwald & l'ifle de Rugen. Tout le refte eft réuni pour jamais à la domination Pruffienne. Ce duché peut avoir cinquante milles de long fur dix à quinze de large. Il eft fitué le long de la mer Baltique, & touche à la Marche, à la Pologne, & à la Pruffe. La ville de Stettin eft la capitale, peu éloignée de la mer, floriffante & faifant un grand commerce. Stargard, Rugenwalde, & quelques autres villes du pays, font affez importantes. La Poméranie produit abondamment toutes les néceffités de la vie, & fon commerce maritime eft confidérable. Ce pays eft plus peuplé que la Pruffe; les habitans font bons foldats, mais ils ne fe piquent pas de briller par la fineffe de l'efprit & l'étendue du génie.

2. La Marche de Brandebourg qui touche à la Pomeranie, au Mecklenbourg à la Pologne, à la Silefie, à la Luface, à la Saxe, au duché de Magdebourg, & au pays de Hanovre. L'Elbe, l'Oder, la Sprée, la Warthe & le Havel, y coulent. Ce Marggraviat fe partage en cinq parties, qui font

la vieille Marche, la Prignitz, la Marche moyenne, l'Uckermarck, & la nouvelle Marche. Le pays, quoique fort fablonneux, ne laiffe pas que de produire des grains, & toutes fortes de denrées. Les François réfugiés qui s'y font établis, ont appris aux naturels à rendre ce terrain ingrat trèsfertile. Les légumes, les fruits, & fur-tout les raifins y font excellens. Il y a plufieurs vignobles. Les laines y font abondantes, & on les emploie utilement. L'encouragement que les princes de Brandebourg ont donné à l'induftrie, a fait de ce pays le rendez-vous de toutes fortes d'habiles ouvriers. Berlin eft la capitale, & on peut dire hardiment que c'eft la plus belle ville d'Allemagne. On compte que la Marche a près de cinquante milles de long fur vingt-cinq de large. Elle ne manque pas d'habitans, quoiqu'elle ne foit pas auffi peuplée que la plupart des provinces autri

chiennes.

4. Le duché de Magdebourg étoit autrefois un archevêché, qui fut fécuJarifé en faveur de la maifon de Brandebourg par la paix de Weftphalie. Il eft fitué de maniere que l'Elbe paffe directement au milieu, ayant vingt milles de long fur douze de large. Ce pays eft extrêmement riche. Le fol eft peut-être le plus beau & le plus fertile de l'Allemagne. On y voit des plaines à perte de vue, qui produisent le plus beau froment du monde; on n'en doit pas être furpris. C'étoit anciennement un domaine eccléfiaftique. Le cercle de la Sahle avec la ville de Halle, eft compris dans ce duché. L'univerfité qui y eft établie, est la plus célébre de l'Allemagne. Les falines font d'un grand rapport.

5. Le duché de Halberstadt touche à celui de Magdebourg, ayant huit milles de long fur fix de large. La riviere qui y paffe, fe nomme la Bode. Le terrain y eft admirable, & rapporte beaucoup. Dans la capitale du même nom, il y a un chapitre compofé de vingt chanoines des trois religions.

6. Le duché de Minden eft fitué dans la Weftphalie, entre l'évêché d'Ofnabruck & la Wéfer, Il eft partagé en cinq bailliages. Minden, la capitale de ce duché, eft affife fur la Wéfer, & a le droit d'échelle fur cette riviere. Il y a un chapitre de dix-huit chanoines.

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Le comté de la Marck eft pareillement dans la Weftphalie, entre le duché de Berg, & l'évêché de Munfter. Il a douze milles de long fur huit de large. La ville de Hamm en eft la capitale.

8. Le comté de Ravensberg eft fitué entre Osnabruck & Paderborn, pas loin de Minden, & confifte en quatre bailliages. Les villes de Hervorden & de Bielefeld y appartiennent. On y fabrique des toiles qui ont beaucoup de réputation & de débit par toute l'Europe.

9. La ville de Lipftadt, capitale du comté de Lippe, appartient pour la moitié au roi de Pruffe, qui y eft co-feigneur avec le comte régnant de la Lippe. Il y a garnifon pruffienne.

10. Le comté de Tecklenbourg eft entouré de l'évêché de Munfter. Le

137 roi de Pruffe en a fait l'acquifition en 1707 par voie d'achat. La capitale porte le même nom.

11. Le comté de Lingen eft fitué également au milieu du pays de Munfter, fur la riviere d'Ems. La ville du même nom a une école illuftre. Le roi a obtenu ce comté par la fucceffion d'Orange.

12. Le duché de Cleves eft fitué des deux côtés du Rhin; il a douze milles de long fur quatre de large. Il touche aux Pays-Bas, & comprend les villes de Cleves, Wéfel, Rées, Duifbourg, Emmerick, &c. C'est un fort beau pays, qui ne manque ni de commerce, ni de toutes les néceffités de la vie. Duifbourg a une univerfité fameuse.

13. Le duché de Meurs eft fitué au-delà du Rhin, entre Cologne, Cleves & Gueldre. Il n'a qu'environ fept milles de circuit. La maifon de Brandebourg l'a hérité du roi d'Angleterre Guillaume III, dernier prince de la maifon d'Orange.

14. Le duché de Gueldre eft fitué le long de la Meufe jufqu'au Zuiderzée, & a vingt milles de long fur environ cinq de large. En vertu de la paix d'Utrecht & du traité des barrieres, ce duché eft partagé entre la maifon d'Autriche, le roi de Pruffe & les Hollandois. Le roi de Pruffe y poffede la ville capitale de Gueldre, qui eft importante par fes fortifications, de même que plufieurs petites villes moins confidérables. La ville & le bailliage de Montfort lui font auffi dévolus par la fucceffion d'Orange.

15. Quelques feigneuries & domaines dans les Pays-Bas, provenus de la fucceffion de Guillaume III, ont été acquis à la maifon de Brandebourg en vertu du traité de partage avec le prince d'Orange, figné à Berlin le 14 mai, & à Dieren le 16 juin 1732. Il y a

1. La feigneurie de Swaluwe. On la partage en haute & en basseSwaluwe.

2. La feigneurie de Naaltwyck.

3. La feigneurie de Hoenderland.

4. La feigneurie de Wateringen.

5. La feigneurie d'Orange-Polder, avec un petit port du même nom fur la Meuse.

6. S'Gravelande, feigneurie, château & village. Ces fix feigneuries font toutes fituées dans la province de Hollande.

7. Le péage de la ville de Genep, fituée fur les frontieres de Namur. 8. La baronnie de Thurnhout avec la petite ville du même nom, dans le duché de Brabant.

9. Le palais à La Haye, nommé la vieille cour.

10. Le château de Honslardyck avec toutes les dépendances.

16. Le duché d'Oftfrise eft fur la mer du nord. Il a dix milles de long & fix de large. Ce pays est échu au roi de Pruffe en 1744, par la mort Tome XXVII.

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