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plus civils que polis, & plus humains que gracieux. Ils n'ont communément l'efprit ni fort étendu ni fort élevé, mais ils l'ont jufte. Attachés à leur objet, ils ne s'égarent pas dans de longs circuits, tout dans leurs négociations eft l'ouvrage des connoiffances folides & de la réflexion. Ils écoutent avec attention, & ne précipitent jamais leurs réponses; ils jugent bien, mais lentement; ils ont un fens droit qui va au but par les voies les plus naturelles. Ils héfitent à fe réfoudre, mais ils ne changent plus ce qu'ils ont une fois réfolu. Egalement éloignés de la petiteffe d'efprit, qui eft un obstacle à l'intelligence, & de la fubtilité qui égare à force de rafiner, & comme placés entre deux extrémités vicieuses, ils font, généralement parlant, de bons politiques. On pourroit les citer en preuve de cette propofition: que les qualités néceffaires au gouvernement fe trouvent dans ce tempérament de l'efprit qui eft également éloigné de la fubtilité & de la ftupidité. Bons matelots, ils font peu propres à faire la guerre par terre, & ils fe fervent de troupes étrangeres, auffi volontiers que les Bataves dont ils defcendent, faifoient la guerre pour les étrangers.

Amateurs du gain, ils s'expofent à toutes fortes de périls pour s'en procurer. Les Hollandois femblent être faits pour la mer, & la mer pour les Hollandois. Le François veut jouir lui-même des établiffemens dont il eft l'auteur, & il néglige tout ce qu'un intérêt à venir le follicite de faire. Le Hollandois au contraire facrifie quand il le faut, le préfent au futur, & travaille pour fes arriere-neveux avec la même ardeur que s'il devoit recueillir perfonnellement le fruit de fon travail.

En Hollande, l'opulence des particuliers forme celle de l'Etat, & de cette opulence de l'Etat naît le crédit public. Les loix fomptuaires ne formerent jamais aucun peuple à autant d'économie, que l'indigence en avoit infpiré à cette république naiffante. C'étoit à la faveur de cette économie du public & des particuliers, que la guerre qui appauvrit les Etats, avoit earichi les Provinces-Unies; mais aujourd'hui les Hollandois, tant naturels que réfugiés, commencent de donner, à certains égards, dans un fafte inconnu aux peres des uns & des autres, fuite néceffaire de l'abondance. Le chef qu'ils viennent de fe donner a une cour de prince, & il eft à préfumer que les Hollandois devenus courtifans, feront encore moins économes à l'avenir. Le bas peuple eft prefque par-tout inquiet; mais la force le contient, & dans les féditions, les châtimens le ramenent à fon devoir. En Hollande, au contraire, la populace eft très-docile & refpe&te fes magiftrats; mais c'eft par la douceur qu'elle veut être menée. Lorfqu'elle eft une fois émue, elle fe porte à des excès inouis, & les exemples de févérité ne fervent qu'à l'animer davantage. Peu contente des officiers qui la gouvernoient, elle a voulu avoir un ftadthouder-général, & il a fallu lui en donner un, & un qui eft héréditaire dans la ligne féminine comme dans la ligne masculine. Les fept Provinces- Unies n'ont guere plus d'étendue enfemble que la quinzieme partie de la France. Ce n'eft, pour ainfi dire, qu'une butte de Tome XXVII.

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fable & de limon que le hafard a élevée, & que le hafard est toujours prêt à engloutir. En beaucoup d'endroits les terres ne font qu'une glaise froide & humide ou qu'un fable menu, plus propre à produire des joncs que toute autre chofe. En d'autres, elles feroient couvertes d'eau fans les digues qui foutiennent les rivieres & les canaux, & qui les empêchent de noyer les prairies dont le terrain eft plus bas que le niveau des eaux, fur-tout dans les hautes marées. Les bornes que la nature elle-même a oppofées par-tout ailleurs à la violence des flots (a), font en Hollande l'ouvrage des hommes, comme le dit un poëre établi dans le pays, en parlant des digues (b); mais ces provinces font très-peuplées, & la fituation baffe du terrain a donné la facilité de creufer ces canaux couverts jour & nuit de barques dont les habitans fe fervent, foit pour voyager, foit pour tranfporter les denrées & les marchandifes d'une ville à une autre. A la faveur de grandes rivieres navigables, ils attirent chez eux les marchandifes des autres pays, & y tranfportent les leurs, ils peuvent commodément naviguer fur l'Océan & fur la mer Baltique, & l'on compte environ vingt mille navires, tant grands que petits, qui font journellement employés à leur commerce, foit intérieur, foit extérieur. Il ne croit pas dans cet Etat la cinquieme partie des chofes qui s'y confument; mais la pauvreté de leur terre a rendu les Hollandois fi induftrieux, que d'un fol ftérile de lui-même, ils font fortir l'abondance, ou du moins qu'ils l'y amenent de toutes les parties du monde. Il n'y a pas long-temps que leur commerce furpaffoit de beaucoup celui de la Grande-Bretagne, quoique les Anglois ayent de meilleurs ports; mais ceux-ci, à la fuite d'une guerre heureufe, ont porté une rude atteinte au commerce des Hollandois, en leur ôtant la liberté de négocier avec l'Angleterre autrement que par le moyen des navires Anglois; & d'ailleurs la guerre pour la fucceffion d'Efpagne & la paix d'Utrecht qui l'a terminée, ont accrû confidérablement le commerce des Anglois. Il en eft venu au point qu'aucun autre ne peut lui être comparé, comme je le ferai voir bientôt.

La république n'a que 21 ou 22 millions de florins de revenu (c), c'eft-àdire environ 45 millions de livres de France. Elle a de grandes dépenfes à faire pour réparer fes digues, & pour remédier aux défordres que les vers y causent.

Les vers attaquent les vaiffeaux qui naviguent dans les mers chaudes, c'eft-à-dire celles qui font contenues entre les Tropiques. Ces mers fourmillent d'une infinité d'infectes dont les uns couvrent leur furface en certaines faifons, les autres tourmentent les plus gros poiffons, & les obligent continuellement de s'élancer hors de l'eau, les autres enfin dévorent le bois des

(a) Ufque hunc venies & non procedes amplius.

(b)

Tellurem ferere Dii, fua littora Belga. Pitcairn.

(c) Lettres de Vanhoey (ambaffadeur de Hollande en France) aux Etats-généraux.

navires expofés à leurs piqûres réitérées. Les mers froides, c'eft-à-dire, celles qui s'étendent depuis les Tropiques jufqu'aux cercles Polaires, & depuis ces cercles jufqu'aux lieux les plus voifins des Pôles, ont moins d'infectes malfaifans que les mers chaudes, & les vaiffeaux de toute efpece y font plus en fureté. Les vers viennent des mers chaudes, foit de l'Afie, foit de l'Afrique, foit principalement de l'Amérique; les vaiffeaux des premieres navigations des Européens, dans les trois autres parties du monde, ont rapporté en Europe ces vers deftructeurs qui s'y étoient attachés, & obligent les Hollandois à un travail continuel pour la confervation de leurs digues.

Cette république ne peut guere entretenir que quarante mille hommes en temps de paix, & n'en a pas entretenu davantage pendant les 26 ans qui ont fuivi la paix d'Utrecht; mais dans la guerre qui avoit précédé cette paix, elle en avoit foudoyé jufqu'à 127 mille, ce qui l'a conftituée dans des dépenfes dont elle fe fent encore; & dans la guerre terminée par la paix d'Aix-la-Chapelle en 1748, qui a auffi fort groffi fes dettes, elle a entretenu cent mille hommes & payé des fubfides à d'autres puiffances qui ont eu des troupes à fa folde.

La province de Hollande, l'une des fept qui, dans les pays étrangers, a donné fon nom aux habitans de toutes, eft la plus confidérable (a); & la ville d'Amfterdam qui en eft la capitale, & dont les revenus font plus forts que ceux de quelques rois, jouit, entre les villes de fa province, de la même confidération que cette province a parmi les fix autres. Elle vient ǎ bout d'obtenir pour fes habitans prefque toutes les grandes charges de la généralité. C'eft cette ville qui donne le mouvement aux affaires ; & comme elle fouffre le plus par l'interruption du commerce, auffi elle incline plus à la paix qu'aucune autre.

La banque d'Amfterdam (b) eft dépofitaire de tout l'argent qui fervoit auparavant au payement des lettres de change & des achats de marchan→ difes. Les payemens ne peuvent fe faire qu'en banque, lorfque la fommet eft au-deffùs de 300 florins. A toute heure, l'on peut avoir de l'argent

(a) De seize régimens de cavalerie, & de cinquante-fix régimens d'infanterie que les Provinces-Unies avoient en 1738, la province de Hollande feule entretenoit dix régimens de cavalerie & vingt-fix régimens d'infanterie, outre quatre régimens de dragons. Temple remarque que de cent mille livres que les provinces ont à payer,

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(b) Etablie le 31 de janvier 1609, du confentement des Etats de la province,

comptant pour l'argent en banque, & de l'argent en banque pour l'argent comptant. Par un enchantement qui trompe tous les calculs, & dont le fecret déconcerte les plus curieux, la banque d'Amfterdam a confervé tout fon crédit dans les circonftances les plus critiques.

A la faveur du grand nombre de fes rivieres, la république peut inonder la plupart de fes provinces, & les garantir de l'approche de l'ennemi. Il eft d'ailleurs fort difficile aux efcadres ennemies d'entrer dans fes ports. Elle n'en a pas un feul qui ne foit dangereux, fi l'on excepte ceux de Hellevoetfluys & de Fleffingue.

Outre le territoire de chacune des fept Provinces-Unies, la république a acquis des pays qu'elle gouverne, fans les avoir attachés à aucune province particuliere. On les appelle les pays de la généralité, parce qu'ils dépendent immédiatement des Etats-généraux, & qu'ils font foumis au corps de l'Etat. On comprend fous cette dénomination le Brabant Hollandois, le pays d'Outre-Meuse ou le Limbourg Hollandois, la Flandre Hollandoife, partie du haut Quartier de Gueldres, le bailliage de Montfort, la ville & le territoire de Maftricht, dont l'évêque de Liege eft cofeigneur avec la république.

Les Hollandois & les Anglois fe font fait des Pays-Bas Autrichiens une barriere contre la France, par les traités d'Utrecht, de Radftat, & de Bade. La fouveraineté de ces pays appartient à la reine de Hongrie qui a des garnifons dans quelques places, comme les Hollandois en ont dans d'autres. Cette princeffe doit entretenir trois cinquiemes des troupes jugées néceffaires pour la confervation de ces pays, & les Provinces-Unies fournir les deux autres cinquiemes. Les places où les Hollandois tiennent garnison, font Namur, Tournai, Menin, Furnes, Warneton & Ypres. Les gouverneurs, les commandeurs & l'état major de ces fix places font choifis par les Provinces-Unies; mais ils font ferment de fidélité à la reine de Hongrie, & promettent de lui en conferver la fouveraineté. Il y a même dans ces pays-là deux places, Dendermonde & la Knoque, dont les garnisons doivent être mi-parties d'Autrichiens & de Hollandois, font ferment de fidélité aux Provinces-Unies, & promettent de ne rien faire, ni permettre contre leur fervice. Pour l'entretien des garnifons Hollandoifes dans les places de la barriere, la reine de Hongrie doit payer annuellement à la république roo,000 écus, tant pour les munitions que pour l'entretien des fortifications, & cette fomme eft prife fur les revenus du pays. Mais en trois campagnes (a), le roi très-chrétien foumit à fa domination toutes ces places; dans une quatrieme (b), toute la Flandre Hollandoife & Berg-opzoom, & en commençant la cinquieme (c), Maftricht. Ce monarque,

(a) 1744, 1745 & 1746.

(b) En 1747.

(c) En 1748.

qui fit démanteler plufieurs des places de la barriere, rendit, par la paix d'Aix-la-Chapelle (a), toutes celles qu'il avoit conquifes, tant fur les Hollandois que fur les Autrichiens. Alors Londres, Vienne & La Haye parurent s'occuper du foin de donner une autre forme à cette barriere affoiblie (b).

Les Hollandois ont étendu leur commerce dans toutes les parties du monde. La fameufe compagnie des Indes orientales, fondée dans fon origine fur un fonds de fix millions cinq cents mille florins, partagée en actions de trois mille florins, eft la caufe la plus fenfible & le principal foutien de la puiffance des Hollandois. C'eft comme une république fouveraine formée dans le fein de celle des Provinces-Unies. Elle a une autorité abfolue aux Indes, elle y nomme tous les officiers; elle y fait la guerre & la paix; elle envoye & reçoit des ambaffadeurs; elle fonde des colonies, & bâtit des villes & des forts, par-tout où elle le juge néceffaire pour fa confervation ou pour fon agrandiffement; mais fa fouveraineté aux Indes eft fubordonnée à celle des Etats-généraux, fous la protection defquels elle fubfifte. Elle lui paye des trois ou quatre millions, autant de fois qu'ils renouvellent fon privilege; elle eft foumise aux droits d'entrée & de fortie des amirautés de Hollande; elle contribue, dans les befoins preffans, au foulagement des Etats, par des dons gratuits, & elle eft obligée, de trois ans en trois ans, de faire approuver fes comptes par les Etats-géné raux. Cette célébre compagnie négocie tout le long de cette grande & riche côte qui s'étend depuis Baffora, ville marchande fituée fur le confluent de l'Euphrate & du Tigre, dans le golfe Perfique, jufqu'aux extrémités du Japon. Elle eft en commerce avec plufieurs rois de l'Orient, fes vaffaux ou les tributaires, avec lefquels elle a fait des traités de monopole. Les Hollandois font un commerce d'autant plus commode & plus avantageux en Afie, que les épiceries qu'ils y poffedent, leur tiennent lieu pour leurs achats, des tréfors de l'Amérique que les François & les Anglois font obligés d'y porter. Le principal des établiffemens de cette compagnie Hollandoife eft à Batavia (c), fitué dans l'ifle de la Grande-Java, où l'homme de la compagnie, fous le nom de gouverneur général, a une cour de prince. Elle a dans ce pays-là un bon nombre de places (d), & les Chinois font un grand commerce à Batavia; elle foudoye aux Indes envi

(4) Traité du 18 d'octobre 1748.

(b) L'auteur de cet article écrivoit avant la mort de la reine de Hongrie. Aujourd'hui l'empereur Jofeph prend avec les Hollandois de nouveaux arrangemens qui vont anéantir cette barriere.

(c) Cette ville tire fon nom du mot latin, dont les anciens appelloient le pays, que nous connoiffons aujourd'hui fous le nom de Province de Hollande.

(d) Les domaines de cette compagnie, dans l'isle de Java & fes dépendances, furent affermés pour 1745, à 361,260 écus.

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