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veau; c'étoit celui de tous les gouverneurs des Provinces des Pays-Bas. Les peuples qui avoient pris les armes contre leur fouverain, crurent devoir leur liberté à Guillaume de Naffau prince d'Orange (a). Pénétrés de reconnoiffance, les Etats de Hollande, de Zélande & d'Utrecht le confirmerent (b) dans la charge] de Stadthouder. La Gueldres étoit gouvernée par Jean de Naffau fon frere; un fils de celui-ci commandoit en Frife & en Groningue, & ils lui déféroient l'un & l'autre dans toutes les affaires; ce qui n'étoit pas au pouvoir des Efpagnols dans l'Over-Iffel, reconnoiffoit auffi fon autorité; ainfi les fept provinces étoient réellement unies fous fa direction, mais il voulut encore refferrer l'union de ces provinces par un traité folemnel.

Cette confédération des Hollandois a toujours été appellée l'union dʊtrecht, parce que fes loix font contenues dans un traité figné dans cette ville (c) par les députés de Gueldres, de Zutphen (aujourd'hui l'un des trois quartiers de la province de Gueldres) de Hollande, de Zélande, d'Utrecht, d'Over-Iffel, de Frife, de Groningue, & des Omelandes (qui font à préfent partie de la province de Groningue.) C'eft ce traité auquel le prince d'Orange adhéra peu de temps après (d), qui a été la bafe du premier établiffement de cette république, fur les ruines de la domination efpagnole. Quelques villes de Flandres & de Brabant fe joignirent à la confédération, mais elles ne perfifterent pas toutes dans cette union. Voici la fubftance des principaux articles de ce traité.

Ces fept provinces s'uniffent entr'elles à condition : 1°. Qu'elles demeureront unies, comme fi elles ne faifoient toutes ensemble qu'une feule province, en forte qu'elles ne puiffent jamais être féparées par teftament, donation, échange, vente, traité, ni accord. 2°. Chaque province, & même chaque ville, fe réserve la pleine & entiere poffeffion & jouiffance de fes droits privileges, ftatuts & coutume, du jugement defquels, auffi-bien que des différends qui naîtront entre quelques-unes de ces provinces, les autres provinces ne fe mêleront que pour tâcher de les porter à un accommodement par des voies amiables. 3°. Elles s'obligent à s'affifter les unes les autres, de corps & de biens, contre toutes les forces qui en voudroient attaquer quelqu'une, fous quelque prétexte que ce puiffe être. 4o. Elles conviennent que les places frontieres feront rétablies, moitié aux dépens des provinces dans lefquelles elles font fituées; & moitié aux dépens de la généralité; & que les nouvelles fortifications que la généralité voudra ajouter, feront faites à fes dépens. 5°. Que les impofitions qui fe leverent fe

(a) Guillaume-le-Taciturne, fondateur de la république, qui fut alfaffiné,

(b) En 1576.

(c) Le 23 de janvier 1579.

(d) Au mois de mai 1580.

ront données à ferme, de trois mois en trois mois, au plus offrant & dernier enchériffeur; & que le revenu du domaine du roi d'Efpagne, qui en étoit auparavant le fouverain, fera employé à la défenfe commune des alliés. 6°. Que l'on ne fera ni la paix ni la guerre que du confentement unanime de toutes les provinces; que toutes les délibérations concernant la paix ou la guerre feront réglées à la pluralité des voix; & que les différends qui pourront naître à ce fujet entre les alliés, feront foumis par provifion aux ftadthouders des Provinces-Unies. 7°. Que les princes, les feigneurs, les Etats & les villes du voifinage pourront être reçus dans l'union, du confentement unanime des mênies provinces. 8°. Que la Hollande & la Zélande, deux des Provinces- Unies, difpoferont de la religion, ainsi qu'elles jugeront à propos pour le bien de leurs provinces ; & que les autres fe pourront régler fur le projet qui avoit été fait par l'archiduc Mathias, ou de telle autre maniere qu'elles trouveront bon, pour le bien & l'avantage de leurs provinces particulieres, pourvu que la liberté de la religion foit confervée à chacun, & que perfonne ne puiffe être recherché ou inquiété à ce fujet. 9°. Qu'en cas de difcuffion entre les provinces, fi le différend ne regarde qu'une feule province en particulier, les autres le régleront, & que fi elles y font toutes intéreffées, il fera décidé par les ftadthouders, que dans l'un & dans l'autre cas, la fentence fera prononcée dans un mois, & qu'elle fera exécutée nonobftant oppofition, appel, ou révision. 10°. Que les Etats feront convoqués de la maniere dont ils l'étoient auparavant. 11°. Que l'article de la monnoie fera réglé dans la fuite, ainfi que les provinces le jugeront à propos. 12°. Que l'interprétation des articles de l'union dépendra des Etats; & en cas qu'ils n'en puiffent pas convenir entr'eux, des ftadthouders, 13°. Que les habitans des ProvincesUnies s'obligent tous de courir fus aux perfonnes qui feront quelque chofe de contraire à ces articles, & de les contraindre par emprifonnement, nonobftant tous privileges, libertés & exemptions.

Comme il eft des degrés dans la foumiffion des peuples, il y en a auffi dans les mouvemens populaires. Les habitans des Pays-Bas ne pafferent pas fur le champ de l'état de fujétion à un état d'indépendance abfolue. Ils protefterent toujours dans le cours de neuf ans, ainfi que les Suiffes l'avoient fait pendant quelque temps, qu'ils feroient toujours foumis à la maison d'Autriche, & qu'ils n'en vouloient qu'à fes cruels miniftres. En conféquence de la pacification de Gand, de l'union d'Utrecht, & des réfolutions prifes par leurs Etats, ces provinces firent la guerre long-temps à Philippe II, en difant qu'elles le reconnoiffoient pour leur prince légiti me (a). Elles élifoient en fon nom des gouverneurs & des officiers, &

(a) Ab ordinibus Belgarum, Philippo, ob violatas leges, Imperium abrogatum eft; lataque in illum fententia, cum quo, fi verum fatemur, novem jam per annos bellatum erat. Sed nunc primum defierunt nomen ejus & infignia ufurpari, mutataque verba folemnis jurisjurandi, us qui princeps hactenus erat, hoftis vocaretur, Grotius, annal, liv, III.

les peuples prêtoient ferment entre leurs mains, comme s'ils euffent été élus par le roi d'Espagne. Dans toutes les villes qui s'étoient unies à la confédération, on prioit Dieu pour la profpérité de ce prince, immédiatement avant que de demander au ciel la victoire contre fes troupes. Les tribunaux faifoient en fon nom le procès à fes fujets fideles, & l'on frappoit à fon coin l'argent deftiné à payer les armées qui agiffoient contre lui (a). Enfin les magiftrats lui prêtoient ferment de fidélité, & ne pouvoient lui obéir, fans être punis comme traîtres. Mais les Etats-Généraux ayant affermi leur puiffance, à la faveur de la diverfion que firent aux forces de Philippe II, les guerres civiles excitées & entretenues en France par ce prince, le déclarerent (b) déchu de fon droit de fouveraineté fur leurs provinces, en publiant une déclaration qui fuppofe qu'ils étoient demeurés jufques-là fous fa domination.

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L'union d'Utrecht fut renouvellée (c). Les provinces convinrent de faire en forte que les articles de leur confédération, qui avoient reçu quelqu'atteinte dans les défordres de la guerre, fuffent exécutés dans tous les points, & que les droits qui pourroient s'y rencontrer fuffent éclaircis, & les différends ajuftés. Tous les membres de l'Etat avoient également concouru à fecouer le joug des Efpagnols; & pour les exciter à continuer leurs travaux il parut raisonnable de donner à tous une portion de cette liberté qu'on vouloit acquérir par l'union; celle-ci ne fut que la confirmation de la précédente, fi l'on en excepte l'article de la religion qui fut totalement changé. Le traité de la confédération avoit réglé ce point, de maniere qu'à la réserve des provinces de Hollande & de Zélande où la religion proteftante étoit devenue la dominante, la catholique devoit être enfeignée & profeffée dans toutes les provinces; mais en confirmant l'union, les fept provinces convinrent qu'à l'avenir la feule religion proteftante feroit préchée & enfeignée par-tout, & que la religion catholique ne feroit plus foufferte nulle part. Les peuples des Provinces-Unies traitoient d'oppreffion & de tyrannie le refus que la cour de Madrid leur faifoit de l'exercice public de leur religion; ils prirent les armes pour l'obtenir, & devenus les plus forts, ils le refuferent aux catholiques. Ceux-ci avoient contribué de leurs biens & de leur fang à la liberté publique, & ils n'en jouirent point. Ils aiderent à fecouer le joug de l'inquifition qui leur étoit auffi odieuse qu'aux proteftans, & les proteftans la rétablirent en quelque forte contr'eux. Un anglican qui a fait des remarques fur l'Etat des ProvincesUnies, nous dit que ce fut parce que les Etats étoient perfuadés que la re

(a) » Ordonnons & commandons en outre, que dorénavant on ne battra aucune mon» noie efdites provinces, avec les nom, titres & armes du roi d'Espagne, » Déclaration des Etats-généraux du 6 juillet 1581.

(b) Le 21 de juillet 1581.

(c) En 1583.

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ligion catholique fait de plus mauvais fujets que les autres, en ce qu'elle reconnoît une puissance fupérieure à celle du pays (a). La religion catholique eft néanmoins tolerée aujourd'hui en Hollande; toutes les fectes le font auffi; les juifs & les mahométans y jouiffent même de la protection de l'Etat; mais les catholiques ne peuvent ni parvenir aux charges, ni paroître dans des fociétés de commerce; leurs chapelles qui n'ont point de cloches, font moins des chapelles que des chambres renfermées dans les maifons de leurs prêtres, & toutes proceffions hors de cette enceinte leur font interdites; ils n'ont point de culte public, tandis que les juifs même ont des fynagogues, des écoles particulieres, & des fépultures affectées aux gens de leur religion. La polygamie, que la loi judaïque ne défend pas, eft interdite aux juifs en Hollande; mais à la réferve de quelques petites limitations les juifs obfervent publiquement dans les Provinces-Unies tout le cérémonial du lévitique, autant qu'on peut le pratiquer hors de Jerufalem.

Les campagnes de Flandre furent humectées du fang Hollandois & du fang Espagnol; mais les troubles ayant obligé des milliers de perfonnes de fortir des dix provinces qui étoient reftées à l'Espagne, les fept Provinces Unies devinrent extrêmement peuplées. L'Eclufe, Bruges, Gand, Anvers (6) perdirent leurs principaux négocians & leurs meilleurs ouvriers; Roterdam, Delft, Leyde, Harlem, Amsterdam, s'agrandirent & s'enrichirent des pertes de ces autres villes.

Les Provinces-Unies avoient fait d'abord avec les Espagnols, une treve de huit mois qui fut prolongée diverfes fois. Ils en conclurent enfin une de douze ans fous la garantie de la France & de l'Angleterre, qui fufpendit pour quelque temps les accès d'une fureur réciproque. La reconnoiffance que fit le roi d'Espagne de l'indépendance des Provinces-Unies; la fufpenfion de tous actes d'hoftilité pendant le temps de la treve; la jouif fance, pendant le même temps, des poffeffions de l'un & de l'autre parti; la défense de faire de part & d'autre de nouvelles fortifications, & le rétabliffement du commerce entre toutes les parties du monde, fur le même pied qu'avant les troubles; voilà quels furent les principaux articles d'une treve qui renferme le contraire dans le même objet; la treve fuppofe que la querelle n'eft pas terminée, mais feulement fufpendue. Or en quoi cont fiftoit cette querelle, à favoir fi les Etats étoient des fujets révoltés, ou s'ils avoient légitimement fecoué le joug de l'Espagne. La treve fuppofée, la querelle demeuroit entiere; & les Etats ne devoient pas être considérés comme libres & fouverains. La fouveraineté fuppofée, il n'y avoit plus de

(a) Temple, pag. 200.

(6) Ainfi fut accomplie la prophétie politique de Jufte-Lipfe: Et tu Antuerpia, ocelle urbium, aliquando non eris. Il y a foixante-dix mille communians.

querelle, & la guerre ne devoit pas recommencer. Mais à quoi ne contraint point la néceffité!

Tel eft le premier traité par lequel la république de Hollande, l'Etat le plus moderne de tous ceux de l'Europe, a été reconnue par fon ancien maître, pour une république indépendante.

Dès que la treve fut finie (a), l'Espagne fit revivre ses prétentions fur les fept provinces; on reprit les armes, & l'on fit encore la guerre avec le même acharnement pendant trente ans.

On conclut enfin la paix; & par le traité d'Ofnabrug (b), les ProvincesUnies, toujours conftamment protégées par la France, alors ennemie de P'Espagne, parvinrent à fe faire reconnoître par le roi catholique pour une république fouveraine; & par toute l'Europe, pour une république couronnée. Le nouvel Etat a, depuis ce temps-là, fait mille traités avec toutes les puiffances de l'Europe, & avec l'Efpagne elle-même.

Le gouvernement de cette république fembloit avoir changé de face, par la mort de Guillaume II, prince d'Orange (c). Une affemblée nombreufe de députés des fept provinces extraordinairement convoquée (d), à la réquifition de la province de Hollande, régla la nouvelle forme de gouvernement, & perfectionna ce qui n'avoit pu l'être, ni lorfque l'union d'Utrecht fut faite, ni lorsqu'elle fut renouvellée. Il est arrivé depuis deux grands changemens par l'élévation des ftadthouders (e), dont la charge avoit été abolie. Celui d'aujourd'hui a plus de puiffance que n'en eurent jamais fes prédéceffeurs; & c'eft ce que j'expliquerai dans un article que je lui deftine.

Les Hollandois font affez généralement francs. Leur bonne foi alloit même autrefois un peu trop loin (f); mais cette nation éclairée par de fâcheufes expériences, eft devenue prudente, & peu s'en faut qu'elle n'ait paffé de l'excès de la confiance à l'excès du foupçon.

Ils ont un extérieur férieux & froid, fuite de leur caractere qui eft réfervé. Ils n'ont pas cette fierté d'ame qui conftitue le caractere d'un républicain Anglois; mais nourris dans une égalité de concitoyens, ils s'émeuvent facilement, à la moindre lueur d'entreprise contre leur liberté ou contre leur religion, contre l'intérêt général de leur république, ou contre l'intérêt particulier de leur commerce qui en eft l'ame.

Dans les affaires ils font plus prudens qu'adroits, plus vrais que lians,

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(f) Batavi fimplices, incauti, inertes, fegnes, ac ftolidi, vulgari difterio appellantur. Hist. Thuan, lib. LX, ann. 1575.

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