Page images
PDF
EPUB

Au contraire, la doctrine philosophique est de douter de l'existence d'une Providence éternelle, et d'enlever à Dieu la puissance de créer, pour la donner à l'homme. Les idées de spiritualité, l'annonce d'un royaume éternel, y sont présentées comme des hypothèses, et toutes les jouissances que nous sommes appelés à connoitre sont renfermées dans la satisfaction des appétits physiques et des passions personnelles. A la place des devoirs envers la Divinité, des droits sont donnés à la créature contre le créateur; l'idée du devoir même est inconnue, et la raison individuelle est le seul régulateur du bien et du mal; l'obéissance, enfin, ne devient une obligation que quand elle est ratifiée par le raisonnement ; et les citoyens, pour faire cette ratification, ne doivent consulter que l'intérêt du moment, sans reconnoître d'antécédens, et sans s'embarrasser de l'avenir. Une doctrine aussi personnelle, ayant été substituée dans les têtes françaises à la doctrine évangélique, a dû produire tous les désordres moraux que nous avons vus ; et cette doctrine anti-sociale ayant contribué par ses progrès à faire déserter d'autant plus la doctrine évangélique, il est visible que l'avenir de la France sera bientôt l'absence de tout rapport social.

Sur cette triste prédiction, ne vous laissez pas éblouir par ce qu'on appellera les progrès de la civilisation. Puisque ces progrès sont étrangers à l'ordre moral, que feront-ils à la société qui n'existe que par les rapports moraux? Je ne doute pas qu'à l'avenir en France, les terres ne soient mieux cultivées, les maisons mieux bâties, et tous les ouvrages de l'industrie mieux perfectionnés ; mais, comme je vous l'ai dit bien des fois, toutes ces choses ne suppléeront pas à l'absence du bien moral: les ruines

de la société pourront bien être dorées, mais ce seront toujours des ruines. Voyez l'homme dont la conscience est poursuivie par le remords; en vain il habite de superbes palais, en vain il est couvert d'habits magnifiques, en vain les sciences et les arts lui prodiguent leurs chefs-d'œuvre; rien ne remédie au mal interne dont il est atteint, le calme est perdu pour lui, et toutes les richesses de l'univers ne peuvent rien pour son état moral. Et timor et minæ scandunt eodem quò Dominus, etc. De même, une société dominée par une doctrine matérielle et personnelle languit et marche à la dissolution, au milieu même de l'industrie et des beauxarts nourrie de poison, elle tombe bientôt empoi

sonnée.

Je vous ai présenté, mon cher fils, les réflexions qui précèdent, sur la nature de l'état social, pour éloigner de votre cœur ces mouvemens tumultueux qui rendent la vie si malheureuse; en connoissant la cause de l'égarement public, vous n'imputerez pas à l'homme des maux dont il n'est que l'instrument passif; lorsqu'ensuite, examinant les évènemens dont il me reste à vous parler, nous envisagerons les doctrines bien plutôt que les faits, vous plaindrez les erreurs, mais vous ne blâmerez pas les personnes; et, tout en remarquant le mal et le désordre qui règne dans la société actuelle, vous ne serez pas agité de ces tristes sentimens qui portent à la haine et à la vengeance.

DE LA FACULTÉ DE PENSER.

Je dois aussi vous faire quelques observations sur une ncuvelle sorte de persécution, que vous allez voir renaitre au retour du roi, relativement à la faculté de pen

ser. A une époque où l'on a donné les droits de la divinité à la raison individuelle, vous allez voir confondre les actions avec les raisonnemens, et créer une nouvelle espèce de crime, résultant seulement de la pensée ; de sorte qu'on ne demandera plus d'un citoyen ce qu'il fait, mais ce qu'il pense. Je vais éclairer votre esprit sur cette étrange confusion.

Une des bases de la doctrine du jour, est de nier la puissance de Dieu, et de lui substituer la puissance de l'homme. Par suite de ce dogme, les nouveaux philosophes ne reconnoissent pas dans la Providence le pouvoir de produire des antécédens qu'on doive respecter, et donnent ainsi à la faculté raisonnante de chaque individu, la puissance de créer tout à coup des institutions et des sociétés. En vertu de cette puissance, les révolutionnaires ont attaqué, par le raisonnement, toutes les institutions qui existoient en France; et bientôt, quittant la plume pour prendre la hache, ils ont détruit ce qu'ils avoient jugé imparfait. L'homme qui respectoit la Providence crut devoir d'abord repousser les attaques du raisonnement par le raisonnement, et opposer argumentations à argumentations; il fut honni et vilipendé; puis, quand la destruction eut suivi les attaques du raisonnement, il fut traité de rebelle et de criminel. Ces qualifications, renouvelées aujourd'hui plus vivement que jamais, pourroient vous effrayer dans votre conduite sociale, et je dois vous rassurer, en dirigeant vos idées avec bonne foi, comme je l'ai toujours fait.

Vous remarquerez d'abord que, dans cette nouvelle criminalité, imposée arbitrairement à la masse des Français, le citoyen seroit devenu criminel, sans avoir rien

fait; ce sont les novateurs seuls qui ont agi, en détruisant les institutions sociales; l'homme fidèle à la foi de ses pères est resté immobile: comment donc seroit-il devenu criminel? On ne devient pas coupable, sans rien faire ; et il ne peut dépendre de qui que ce soit d'étendre à volonté le domaine du crime sur ceux dont l'existence lui déplaît.

En thèse générale, la culpabilité ne peut résulter que d'un fait, et la pensée n'est point un fait ; même lorsque je rends mes pensées publiques, la publication de ces pensées ne peut encore être appelée un fait. Faire connoitre, soit verbalement, soit par écrit, les opérations qui se passent dans votre intelligence, ce n'est point agir, c'est toujours penser. Dans les temps de la censure, les philosophes qui, par leurs écrits, ont amené le triomphe des doctrines funestes qui nous dirigent aujourd'hui, n'étoient pas coupables à cause de leurs pensées, ils étoient coupables à cause de la violation des lois sur la censure. Règle générale, il n'y a de culpabilité que quand il y a loi violée; et publier sa pensée n'est pas violer une loi.

Ensuite, avec la maxime du jour qui rejette toute censure préalable, et qui permet de publier toutes ses opinions, il n'y a pas de culpabilité possible relativement à la pensée. Puisque la loi elle-même m'appelle à publier tout ce que je pense, je ne puis jamais être coupable d'user d'une permission qui m'est légalement donnée. Mes pensées même pourroient être contraires aux maximes du gouvernement, je ne suis pas coupable pour cela, parce que les maximes d'un gouvernement sont du domaine de l'intelligence, et non du domaine légal.

Si un gouvernement vouloit établir comme point de

culpabilité la publication de certaines pensées, il faudroit qu'il précisât ces pensées d'une manière claire et positive (ce qui est impossible) et qu'il en défendit nominativement la publication, ou que, comme dans l'ancien régime, il soumit à la censure l'ouvrage à publier; dans ces cas, l'écrivain qui auroit violé la loi prohibitive des pensées, ou qui auroit négligé de se soumettre à la censure, auroit commis un fait, et pourroit être puni. Mais permettre de tout publier, et vous attaquer ensuite comme coupable d'avoir usé d'une permission qui vous a été donnée authentiquement, c'est une inconséquence qu'on ne peut expliquer que par l'état de délire où la doctrine révolutionnaire a jeté tous les esprits.

Cette inconséquence a fait commettre aux chambres qui règlent le sort de la France, une faute bien grave, et que l'on ne peut comprendre de la part de personnes animées d'aussi bonnes intentions. Cette faute a été de donner aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire sur les intelligences, et de les rendre maîtres de flétrir les hommes à cause de leurs pensées. C'est une chose vraiment inconcevable que la facilité avec laquelle cet arbitraire a été établi, surtout au milieu de systèmes appelés de liberté; en voyant d'un côté l'étendue, de l'autre le vague de cette attribution, on croiroit que c'est seulement pour s'en débarrasser que les législateurs ont renvoyé la difficulté aux juges : examinons cette attribution.

DU DROIT DES TRIBUNAUX SUR LA Pensée.

L'attribution donnée aux tribunaux de France sur la conscience des écrivains est une violation des principes constitutifs de l'ordre judiciaire. Les tribunaux ne

« PreviousContinue »