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neroient les rois. Aussi les révolutionnaires annoncentils hautement cette prétention, qu'ils étendent même aux rapports de la nature et de la religion, en voulant que le père rende compte à son enfant, et en appelant le Créateur à rendre compte à la créature.

Toutes ces réflexions, en vous faisant connoître la nature du gouvernement substitué en Angleterre à la royauté, vous mettront à même de l'apprécier. En continuant ces réflexions, vous apercevrez facilement qu'un tel gouvernement est destructif de tout sentiment généreux, soit de la part des gouverneurs, soit de la part des gouvernés : vous apercevrez facilement qu'un gouvernement qui ne marche qu'avec le secours des passions personnelles ne peut faire naître, dans le cœur des citoyens, ces qualités morales qui consolident les nations vous apercevrez enfin qu'un tel gouvernement, au lieu de resserrer l'union politique, ne peut devenir qu'une source éternelle d'agitations et de discordes.

Aussi le gouvernement anglais n'eût-il pu se soutenir, s'il ne s'étoit rencontré des circonstances particulières, qui d'abord l'appuyèrent à sa naissance, et qui ensuite lui donnèrent une apparence d'éclat et de prospérité.

La première circonstance qui ait favorisé l'établissement du gouvernement anglais, c'est la foiblesse de la reine Anne, sous le règne de laquelle ce gouvernement fut véritablement institué. Cette femme, bien éloignée de connoitre les grands évènemens qui l'environnoient, laissa faire des ministres à talens, qui séparèrent habilement l'autorité du trône, en paroissant désirer l'élévation de ce trône. Peu assurée d'ailleurs dans la possession d'une

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couronne usurpée, la reine se contenta de porter le titre de souveraine, sans s'inquiéter de posséder le pouvoir. De leur côté, les ministres profitèrent adroitement de la position embarrassée où se trouvoit la reine; et, s'appuyant sur les doctrines qui avoient amené la révolution de 1688, ils flattèrent la nation, en détruisant toutes les limites qu'une sage Providence avoit établies dans la carrière de l'ambition, et en appelant tous les individus à l'exercice du pouvoir royal.

Mais les talens des ministres eussent encore échoué, si dans le même temps la fortune n'eût appelé la nation anglaise à la possession des richesses mobilières de presque tout l'univers. Depuis près d'un siècle, des hommes entreprenans avoient aperçu dans la position physique de l'Angleterre la possibilité d'y établir l'empire des mers. Pour préparer cet empire, ces hommes avoient fait craindre le pavillon anglais aux extrémités de l'univers; de premiers succès en avoient amené de plus considérables, et déjà les Anglais se regardoient comme les maîtres de tous les pays où pouvoient aborder leurs vaisseaux. Cette suprématie par la marine fit affluer en Angleterre des richesses considérables, qui se répandirent dans toute la nation. La nation éblouie ne vit que ses richesses, et attribua sa prospérité à l'établissement du gouvernement ministériel. Ces richesses augmentant tous les jours par la hardiesse et l'audace des navigateurs, on oublia tout-à-fait la nécessité des qualités morales qui font les bons peuples, et l'on ne s'occupa plus que de célébrer un gouvernement sous lequel se rencontroit tant de prospérité pécuniaire.

Le gouvernement anglais fit plus: profitant de cette passion pour l'argent, qu'avoient fait naître les succès

de la marine, il lia la fortune des gens les plus riches de l'Angleterre à son existence; cette dépendance lui servit beaucoup, parce que sa chute eût entraîné la ruine d'une foule de particuliers. La nation, ainsi agitée par la triste passion de l'avarice, oublia la royauté, et ne pensa plus qu'à ses richesses et au gouvernement sous lequel elle les voyoit sans cesse augmenter.

Sans cette prospérité toujours croissante, le gouvernement anglais ne se seroit pas soutenu : ses élémens sont trop vicieux. N'ayant pour appui que des passions personnelles, ces passions personnelles lui ont prêté secours, tant qu'elles ont trouvé de quoi se satisfaire; mais, au moindre revers de prospérité, le gouvernement anglais périra.

Ce gouvernement connoit bien cette vérité; et, pour éloigner sa chute, voyant dans les révolutions étrangères un nouveau moyen pour lui d'acquérir des richesses, il sème et propage le poison révolutionnaire dans tout l'univers. C'est de Londres que partent ces étincelles électriques qui finiront par embraser le monde : et toutes les vertus généreuses, toutes les qualités sociales seront bientôt anéanties sur la terre, pour acquérir de nouvelles richesses au gouvernement anglais.

Cette prospérité constante, développée sous le gouvernement anglais, a donné le change sur sa nature : en voyant la nation devenir riche, on a tiré la conséquence que le gouvernement étoit bon, comme nous concluons tous les jours qu'un homme parvenu au pouvoir est un homme vertueux. Cette idée rentre dans celles du jour, qui ne placent le bien social que dans la richesse; cependant un gouvernement peut amener des richesses dans une nation, et n'être pas pour cela un bon gouvernement.

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Le gouvernement du directoire commença à attirer en France les richesses de l'Europe; ce n'en étoit pas moins un hideux gouvernement, composé de régicides, et conduit par les principes les plus criminels. Le gouvernement de Bonaparte enrichit la France bien plus rapidement que ne fit le gouvernement ministériel en Angleterre ; cependant le gouvernement de Bonaparte n'en est pas moins décrié aujourd'hui. Ce n'est donc pas aux richesses qu'il faut s'attacher pour juger de la bonté d'un gouvernement.

Un gouvernement est bon, quand il inspire aux gouvernés des sentimens généreux, et qu'il fait naître dans tous les cœurs des qualités sociales ; il est mauvais, quand il échauffe les passions personnelles, et qu'il jette partout des semences de haine et de discorde. C'est du côté moral qu'il faut envisager les gouvernemens. L'homme n'est pas une machine à dorer, c'est un être spirituel à gouverner: or, que font les lingots d'or à la nature spirituelle de l'homme?

Quand le gouvernement anglais aura amené toutes les richesses de l'univers en Angleterre, qu'est-ce que cela fera à l'union politique? Hélas! les peuples les plus pauvres ne sont-ils pas souvent les plus heureux? Et qui ne préfère mille fois Rome du temps des Fabius et des Cincinnatus, à Rome dans ces jours de prospérité et de grandeur, où elle possédoit les richesses du monde?

Malheur aux peuples qui ne connoissent que les écus pour se soutenir! que feront-ils dans l'adversité? les écus s'épuisent; mais les qualités de l'ame sont inépuisables. Chez une nation généreuse, tout peut s'écrouler autour d'elle; elle reste debout sur les ruines de l'uni

vers : chez une nation avare, tout finit avec la richesse; quand il n'y a plus d'argent, il n'y a plus de nation.

Revenons à l'objet de nos entretiens. Je devois, dans cette lettre, vous parler du retour des Bourbons en France, et voilà cependant que je ne vous en ai pas dit un mot; la manie du jour m'a emporté; je me suis laissé entraîner, comme la multitude, à la fureur des raisonnemens. Il est temps de rentrer dans le cercle devons parcourir.

que nous

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