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grès de la raison dans un siècle où l'on imprime de pareilles extravagances! Une opinion publique qui prononce! un peuple qui juge! L'opinion publique élevée en tribunal! le peuple devenu un être! Quel fatras! quel chaos d'idées! Déjà je vous ai éclairé sur ce qu'il falloit penser de ce qu'on appelle opinion publique et souveraineté du peuple; sans revenir sur ce sujet, je vais vous prouver ici le ridicule de ce jugement de l'opinion publique.

D'abord, l'opinion publique est élevée ici en une véritable puissance, sous le prétexte qu'elle est l'opinion du plus grand nombre; ce prétexte est un mensonge. L'opinion publique devant se former par les écrits, il est évident qu'il n'y a que ceux qui savent lire qui puissent participer à la former; or, voilà déjà les trois quarts et demi de la nation exclus, par le fait, de la formation de l'opinion publique; ensuite de ce demi-quart qui sait lire, il faut exclure les personnes à qui leurs habitudes sociales ne permettent pas de s'occuper de systèmes; il faut exclure ceux à qui la nature a refusé l'aptitude à comprendre des abstractions; il faut exclure les hommes emportés par des passions violentes; il faut exclure les hommes adonnés à des arts particuliers qui absorbent toutes leurs facultés intellectuelles, etc. Après ces exclusions, que restera-t-il pour former l'opinion publique? peut-être quelques milliers de personnes habituées à faire des phrases et à combiner des mots, mais étrangères à toutes les connoissances politiques; et c'est le cri de deux ou trois mille littérateurs, ignorans dans l'art des gouvernemens, que l'on présente sérieusement comme l'opinion publique! C'est pour adopter les rêveries d'une poignée d'écrivains, souvent mercenaires, qu'il

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faut se séparer de la Providence, détruire l'ouvrage des siècles, renier nos aïeux, abandonner leur noble héritage, et n'être plus Français !..... N'être plus Français !..... Ah! mon fils, à cette idée mon cœur se soulève, et mes yeux se couvrent de larmes. N'être plus Français! se séparer de ce beau corps politique qui a répandu sur la terre tant de sentimens généreux! N'être plus de cette nation qui a créé l'honneur!..... l'honneur! la seule passion permise aux grandes ames! N'être plus Français! s'isoler du passé, se priver de l'avenir pour se jeter seul dans l'immensité des temps, et y vivre un jour dans l'amour de soi-même! Tristes et malheureux novateurs! vous flétrissez l'ame, vous dégradez le genre humain ; mais vous n'êtes pas l'opinion publique.

L'opinion d'un millier d'hommes ne sauroit donc être l'opinion publique. Mais ensuite comment recueillir cette opinion, et quel sera le président qui proclamera le vœu de l'opinion publique? Depuis qu'il est question de cette nouvelle autorité, chacun l'invoque pour lui, et prétend en être l'organe : qui prononcera sur cette rivalité? Suivant l'un, l'opinion publique veut le gouvernement ministériel; suivant l'autre, l'opinion publique veut l'autorité royale dans toute son étendue : écoutez à droite, l'opinion publique proclame que sans une religion uniforme il n'y a pas de société possible; écoutez à gauche, l'opinion publique veut que, pour faire une bonne société, chacun ait le droit d'avoir une religion à soi, et même de n'en pas avoir du tout. Dans ce conflit, que croire, que faire? il me semble ici voir une foire publique, où des charlatans crient de tous côtés : Venez à moi, c'est mon baume qui est le meilleur: dans ce l'homme sage s'arrête un moment, rit, et passe son

cas,

chemin. Mon cher fils, aux cris de l'opinion publique, imitez l'homme sage; arrêtez-vous un instant, riez et continuez votre route. La main qui vous a tracé cette route n'a pas attendu la naissance de l'opinion publique : c'est lorsqu'il créa le monde que Dieu traça la voie de l'homme, en l'appelant à la vie spirituelle; et, pour vous diriger dans cette voie, la doctrine de l'Evangile sera toujours un jalon plus sûr que l'opinion publique.

RÉPONSE A L'OBJECTION Tirée de l'Angleterre.

Contre ce que je viens de vous dire sur la liberté de la presse, il vous sera fait une objection que je ne dois pas laisser sans réponse : c'est l'objection tirée de l'Angleterre, où, vous dira-t-on, existe la liberté de la presse. Cette réponse me donnera en même temps l'occasion d'éclairer votre esprit sur ce qu'il faut penser du gouvernement anglais, gouvernement si souvent cité comme un modèle à suivre dans toutes les institutions sociales.

Voici d'abord ma réponse à l'objection : c'est un abus d'esprit bien étrange que de conclure de l'existence d'une chose à sa bonté. La liberté de la presse peut exister en Angleterre, et cependant la liberté de la presse peut n'en être pas moins une institution fort dangereuse. De ce que les Turcs vivent avec la peste, on n'en a jamais conclu que la peste fût un avantage. Ce n'est donc pas à l'existence d'une chose qu'il faut s'attacher, mais bien aux avantages et aux inconvéniens que cette chose peut amener avec elle. Or, à cet égard, je crois vous avoir démontré, autant que les facultés humaines le permettent, que rien n'est moins social que la liberté de la

presse.

Elle existe cependant en Angleterre, vous dira-t-on :" oui, la liberté de la presse existe en Angleterre; mais, en Angleterre comme en France, la liberté de la presse est un grand obstacle à la tranquillité publique; en Angleterre comme en France, la liberté de la presse sert à altérer le dogme de l'obéissance; elle sert à fomenter les passions haineuses; elle sert à allumer ces incendies moraux, contre lesquels toute la force du gouvernement a tant de peine à se prémunir : en Angleterre comme en France, enfin, la liberté de la presse est un moyen d'anarchie et de désordre. Que conclure donc du fait que la liberté de la presse existe en Angleterre ?

Lorsqu'en examinant une institution, nous remarquons que cette institution est vicieuse, qu'elle porte en elle-même des germes de mort, et que cependant cette institution existe quelque part, il ne faut pas conclure du fait de son existence à son utilité; il faut conclure seulement que le gouvernement qui l'a adoptée marche malgré les vices de l'institution, ou que quelque cause que nous ne connoissons pas en paralyse les défauts. Un homme n'a qu'une jambe, et cependant, à l'aide de --quelque machine, il marche tout comme celui qui a ses deux jambes; il ne faut pas conclure de là que ce soit un avantage de n'avoir qu'une jambe. L'homme qui n'a qu'une jambe marche malgré ce défaut; mais il ne marche pas par ce défaut : il en est de même de l'Angleterre, elle marche malgré les inconvéniens de la liberté de la presse; mais elle ne marche pas par la liberté de la presse; et l'adoption qu'elle a faite d'une institution si bizarre, prouve peut-être l'adresse de ses gouverneurs, mais elle n'établira jamais la bonté de l'institution en elle

même.

Au reste, dans l'objection à laquelle je réponds, vous pourrez remarquer la méthode continuelle des novateurs, qui jugent toujours les choses en abstractions, et ne s'attachent jamais aux réalités. Au physique comme au moral, les sociétés répandues sur la terre sont toutes différentes entre elles. Les Anglais, comme tous les autres peuples, ont leur caractère national particulier, caractère formé par les antécédens, et nécessairement en rapport avec ces antécédens. L'histoire nous fait connoitre ces antécédens; et, malgré l'enthousiasme des novateurs, il est triste d'apercevoir les causes qui ont formé le caractère national des Anglais.

Les Français ont aussi leur caractère particulier, et, ce caractère est tout-à-fait différent de celui des Anglais. Cette différence de caractère est le résultat nécessaire des faits qui appartiennent à l'histoire des deux nations. L'histoire anglaise ne présente qu'une série d'actions atroces et barbares, et une continuité d'insurrections et de révoltes; au contraire, en lisant l'histoire de France, vous parcourez des siècles d'obéissance, de fidélité et d'honneur deux nations, formées d'élémens si différens, ne pouvoient donc se ressembler entre elles.

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Maintenant pourquoi vouloir que deux nations dont l'existence est si différente adoptent cependant la même institution? pourquoi vouloir qu'une nation douce, aimante, généreuse, se revêtisse des institutions d'une nation sombre, indocile et farouche? Il y a là absence de jugement et aveuglement d'esprit causé par la manie des systèmes. La liberté de la presse est peut-être convenable à un peuple qui s'est toujours fait un jeu de changer, et de déposer ses princes, ou de les tenir en état d'interdiction perpétuelle; mais jamais cette institution

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