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de vivre, le gouvernement vivroit aussi, puisque le gouvernement est tout entier dans sa volonté.

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Comment, à Fontainebleau, a-t-on pu traiter avec Bonaparte qui n'étoit plus rien? On n'a jamais fait de traité politique avec un individu dans ces sortes de traités, c'est de l'intérêt de l'État qu'il s'agit; Bonaparte renversé ne pouvoit stipuler cet intérêt, puisqu'il n'étoit plus rien dans l'État ; il ne pouvoit stipuler que son intérêt personnel : les puissances de l'Europe ont donc traité avec un individu.

D'un autre côté, puisqu'on entroit dans le domaine de la politique, on devoit savoir que là les traités ne font loi qu'autant qu'on reste le plus fort: la Prusse, la Bavière, et tous les états d'Allemagne, lors de la déroute de Moscou, n'avoient pas hésité un instant à rompre les traités que leur avoit imposés Bonaparte, dans le cours de ses victoires. Qui pouvoit donc croire que Bonaparte seroit lié par le traité de Fontainebleau, et qu'il ne le romproit pas, aussitôt qu'il le pourroit? C'étoit se jouer de la nation que de lui présenter ce traité comme une sûreté politique; et, s'il y eut quelque chose de ridicule en Europe, après le 20 mars 1815, ce fut de voir les grandes déclamations du gouvernement anglais, qui accabloit Bonaparte des injures les plus grossières, et le traitoit d'ennemi du genre humain, parce qu'il reprenoit les rênes d'un empire, qu'un moment on lui avoit arrachées par la force.

Une circonstance inexplicable dans ce traité est la reconnoissance du titre d'empereur dans la personne de Bonaparte. Louis XVIII monte sur le trône, et cependant Bonaparte reste empereur! La France alloit donc avoir deux maitres! Auquel des deux les Français devoient

ils obéir? Étoit-ce à l'empereur, qu'ils avoient vu porter la gloire du nom français dans toutes les capitales de l'Europe? Étoit-ce à Louis XVIII, dont le nom et les vertus étoient oubliés depuis vingt-cinq ans? Je sais qu'on trompoit Bonaparte, qui, à son tour, trompoit les autres; je sais qu'en laissant à Bonaparte le nom d'empereur, on vouloit lui enlever la chose; mais c'est ici une preuve nouvelle du danger des voies tortueuses et perfides. Quels effets devoient sortir d'une convention dans laquelle les parties s'étoient mutuellement trompées? La nation française, tout en retrouvant son roi, voyoit proclamer dans un acte solennel que Bonaparte restoit empereur, et étoit reconnu tel par les puissances étrangères : d'après cette proclamation, la nation ne pouvoit croire qu'elle étoit tout-à-fait dégagée d'une obéissance, à laquelle elle étoit accoutumée depuis quinze ans. De son côté Bonaparte, sachant bien que la force détruit ce que la force a fait, s'étoit réservé par ce traité tous ses droits, en se faisant conserver le titre d'empereur; par cette réserve, il laissoit à recommencer le grand procès de la légitimité : certainement un traité, dans lequel Bonaparte étoit reconnu empereur, ne pouvoit être regardé comme l'extinction de l'empire. Aussi tout ce qu'on peut dire du traité de Fontainebleau, c'est que ce traité est la preuve complète de la peur qui poursuivoit les puissances étrangères au milieu même de leurs succès, mais non la preuve de leur prudence et de leur franchise.

C'est au machiavélisme du gouvernement anglais, que l'on doit cette étrange reconnoissance du titre d'empereur dans la personne de Bonaparte. Ce gouvernement, fondé sur l'usurpation, et nourri de tous les faux prin

cipes qui bouleversent en ce moment l'univers, ne connoit pas de marche franche, et ne vit que de détours et de perfidies. Par l'application continuelle qu'il est obligé de faire de sa politique tortueuse, il obtient de grands avantages dans les relations diplomatiques; enorgueilli de sa prospérité pécuniaire, il fait accroire à l'Europe que l'honneur et la bonne foi ne sont plus que des vertus dangereuses, et que c'est à la raison humaine à régler la marche de la Providence.

En 1814, les puissances ont été séduites, et, dans leurs traités, elles ont en effet abandonné la franchise et la bonne foi, comme des préjugés usés et hors de saison : elles n'ont pas vu, qu'en adoptant les nouvelles armes du gouvernement anglais, elles se plaçoient dans une position non-seulement dangereuse en elle-même, mais encore dangereuse par l'infériorité relative où elles alloient se trouver, vis-à-vis un gouvernement habitué depuis long-temps à ces armes.

Pourquoi faut-il qu'en 1814 il ne se soit pas rencontré, parmi les personnes qui avoient de l'influence en Europe, un homme franc et droit, qui, ne séparant pas de Dieu la cause du genre humain, ait rappelé l'univers aveuglé aux vertus généreuses qui seules peuvent soutenir et consolider les nations! «Assez de désordres et de >> crimes, auroit-il pu dire, ont signalé le règne de la rai » son humaine. Depuis que l'homme a voulu être Dieu, >> et mettre sa politique à la place des lois éternelles de la » Providence, le monde a été inondé d'un déluge de ca>> lamités : dans les individus, plus de contentement in» térieur, plus de jouissances émanées de la spiritualité; >> dans les corps politiques, plus d'ordre, plus d'harmo» nie, plus de liens sociaux; l'amour-propre, l'orgueil,

» et toutes les passions haineuses qui en sont la suite, » ont convertiles hommes en autant d'ennemis acharnés, >> qui brûlent du désir de se persécuter et de se détruire. >> Ce n'est pas là le vœu du Créateur, Dieu n'a pas mis >> les hommes sur la terre pour être semblables aux » tigres et aux loups; ce n'est qu'en nous séparant de » lui, que nous sommes tombés dans cet état de délire. » Sortons de cette honteuse dégradation, retournons à » Dieu, le seul auteur du vrai, du beau et du bon. De>> puis que nous avons voulu régler le monde par nos >> combinaisons matérielles, qu'avons-nous produit? Où >> nous croyions voir le bien, nous avons trouvé le mal; » où notre imagination nous montroit la perfection, » nous avons rencontré le désordre : partout où le doigt » de Dieu a manqué, l'univers s'est ébranlé. Rendons » l'ordre social à son éternel souverain; sujets soumis de >> la Providence, dirigeons toutes nos actions sur son >> exemple et d'après ses plans. Plus de perfidie, plus de » détours, plus de ces jeux politiques, qui ne changent >> rien à la nature des choses, et qui ne trompent que >> ceux qui les emploient. Rentróns dans les voies droi>> tes; servons à la fois Dieu et l'honneur; et, revenus à » à l'idée du devoir, n'employons jamais, pour gouver» ner les hommes, que les moyens que peuvent avouer >> la franchise et la vérité. »

Denis-le-Tyran faisoit enfermer dans les carrières les citoyens qui ne partageoient pas ses opinions, ou qui critiquoient ses ouvrages, car Denis faisoit des vers. Il y avoit, parmi les prisonniers, un poëte célèbre : le tyran le fit amener devant lui, et lui promit la liberté, s'il vouloit faire l'éloge de ses poésies. Le prisonnier demanda d'abord à connoître les vers qu'il devoit célébrer; on lui

en fit lecture. Cette lecture terminée, il dit simplement : « Reconduisez-moi aux carrières. » C'eût été un beau trait dans l'histoire, que celui de Louis XVIII, disant aux puissances de l'Europe qui lui proposoient, en 1814, d'accepter la doctrine et l'héritage de la révolution : « Reconduisez-moi à Hartwel. »

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