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principe constitutionnel est un raisonnement tiré par voie de conséquence sur les mots insérés dans la constitution. Or, attaquer un raisonnement par un autre raisonnement, ne sauroit jamais être un délit ; il n'y a pas de culpabilité dans ce qui ne tient qu'à l'art de raisonner. Sans doute, je puis être un mauvais raisonneur; je puis mal argumenter sur la constitution; je puis entendre les mots dont elle s'est servie, dans un sens différent de celui où beaucoup de personnes l'entendront; mais je ne suis pas criminel pour cela.

Ici, mon cher fils, je dois renouveler mes avertissemens sur une confusion qui vous égarera sans cesse, si vous ne savez pas l'éclaircir. Cette confusion est celle, que l'on fait tous les jours entre les pensées et les faits, entre les actions et les raisonnemens. A cet égard, tenez bien pour maxime fixe, et sans exception, que les faits et les actions peuvent devenir coupables; mais que les pensées et les raisonnemens ne peuvent jamais l'être (du moins aux yeux des hommes). Lorsque j'attaque un principe qui n'est qu'un raisonnement, par un raisonnement opposé, j'use d'une faculté qui m'est commune avec tous les êtres pensans; je n'entre pas dans le domaine de la loi. Dans ce domaine, sans doute, raisonner c'est désobéir, et la loi punit justement la désobéissance qui est un fait; mais raisonner sur des abstractions ne peut jamais être un crime. Lorsque j'envisage la Charte comme une œuvre de l'intelligence humaine, je puis raisonner et examiner ses perfections ou ses défauts; lorsque je suis appelé à remplir un devoir qu'e prescrit, je dois obéir sans raisonner, parce qu'alors je suis dans le domaine de la loi : voilà les principes : le soldat marche à la mort, sans raisonner sur l'ordre de son

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général; le publiciste raisonne sur les meilleures lois à faire, en obéissant à celles qui sont faites : tous deux font leur devoir.

Cette confusion entre les pensées et les actions a puisé une grande force dans la nouvelle doctrine qui a fait attribuer à l'homme la puissance de créer des sociétés, et a multiplié par là ces sentimens haineux et vindicatifs qui troublent tant notre état social. Comme cette puissance ne s'exerce que par des raisonnemens, il s'est trouvé que les créateurs, contrariés par des raisonnemens opposés aux leurs, s'exaspérèrent d'abord contre ces contrariétés; ensuite, ne pouvant rien contre des raisonnemens, ils s'attaquèrent aux personnes qui avoient fait ces raisonnemens, et les rendirent coupables de tout ce qu'avoit éprouvé leur amour-propre combattu.

Suivez les plus horribles proscriptions de la révolution, et vous verrez qu'elles ont pris naissance dans ce pouvoir créateur que chaque Français s'est attribué sur les différentes institutions sociales. La dernière création de ce genre est le système dit représentatif. Les partisans de ce régime regardant les publicistes qui raisonnent contre leur système, comme des profanateurs criminels, trouvent tout simple de persécuter les raisonneurs, au lieu de répondre aux raisonnemens.

Voilà où mènent les égaremens de l'amour-propre, réunis à la confusion des pensées et des faits: alors paroissent tous les crimes arbitraires créés par la tyrannie, pour punir les pensées. Néron, devenu musicien, fait égorger les auditeurs rebelles à la mélodie de son chant; le philosophe, devenu puissant, persécute et proscrit celui qui ne pense pas comme lui; aux crimes de lèsemajesté, aux crimes de lèse-nation, succèdent les crimes

de lèse-principe, de lèse-charte, de lése-philosophie; et les citoyens sont déclarés coupables, non plus par ce qu'ils ont fait, mais par ce qu'ils ont pensé.

En résumé, après tant d'inconséquences sur la nouvelle institution appelée la liberté de la presse, on croit rêver en voyant des philosophes, qui se disent sages par excellence, proclamer cette liberté, comme un rouage indispensable à toute société. Il me semble voir des médecins prêcher l'intempérance et la débauche, comme un moyen infaillible de conserver la santé.

Mais, disent les novateurs, la liberté de la presse répandra l'instruction; par là, la raison humaine se perfectionnera c'est du choc des opinions que sort la lumière ; et les raisonnemens les meilleurs l'emporteront à la longue. Déjà vous venez de voir comment l'amourpropre des prétendus réformateurs du genre humain ne leur a pas permis de souffrir le choc des opinions, et comment la liberté de tout publier est devenue la faculté de tout punir. Mais il faut ici vous découvrir les erreurs fondamentales du système de la liberté de la presse.

Une première erreur est de donner à l'espèce hu maine la puissance de s'éclairer par elle-même, et de lui supposer une perfectibilité infinie. Une perfectibilité infinie dans un être créé! quelle chimère! L'espèce humaine a beau vieillir, sa nature ne changera point :· les premiers hommes qui ont habité la terre, ceux qui l'habitent aujourd'hui, ceux qui l'habiteront jusqu'à la fin, tous sont égaux dans l'ordre moral; ce qui distingue l'espèce humaine, c'est la spiritualité; ce qui l'ennoblit, c'est la vie à venir à laquelle elle est appelée. Or, que signifie ici l'idée de perfectibilité?

C'est la raison humaine, dit-on, qui se perfectionnera! chimère ! Il n'y a pas de raison humaine; la raison humaine est une abstraction, et non un être susceptible de perfectionnement. Il y a, dans l'univers, des hommes doués de facultés spirituelles, qui tous peuvent être amenés à l'état social, par la direction de ces facultés; mais il n'y a pas de raison humaine.

Que sont d'ailleurs ces prétendus progrès de la raison humaine? Ces progrès ne sont que sur le papier, mais ils sont bien loin d'être dans les choses. De ce que de grands philosophes ont noirci beaucoup de papier, par la voie de l'imprimerie, il n'en résulte rien pour la perfection des hommes; l'erreur est de croire que la marche des choses se règle par les écrits, et de voir les progrès de la société dans la presse d'un imprimeur. S'il en étoit ainsi, les sociétés les mieux réglées seroient celles où il y a le plus de livres, et ce seroit par le nombre des bibliothèques qu'il faudroit mesurer la puissance des États!

Encore une fois, ce sont les faits qui fixent l'ordre social, et non les tableaux peints sur le papier. Quand une centaine de philosophes écriront bien, et que la multitude agira mal, la société n'en tombera pas moins en décadence. Voyez les écrits de la révolution : on n'y

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parle que d'humanité; les faits vous montrent la mort partout. Voyez les écrits de nos jours dans tous, c'est justice, probité, morale; arrivez aux faits, vous ne rencontrez que corruption, bassesse et iniquité. Les écrits ne font donc pas les choses, et l'idée de progrès par la multiplication des représentations écrites n'est qu'une illusion.

Enfin, un vice radical, et qui va vous donner la clef

de tous les désordres sociaux amenés par la liberté de la presse, c'est celui-ci : la liberté de la presse est l'ouverture de débats continuels sur les matières politiques, morales ou religieuses. Or, dans tout débat, il faut un tribunal pour prononcer, et une autorité pour faire respecter la décision. Ouvrir des débats, pour les laisser indécis, n'a jamais été un moyen de gouvernement; et l'on ne connoît pas de peuple qui n'ait établi des institutions pour prononcer sur les contestations qui pourroient s'élever dans son sein. Les tribuns de Rome avoient la liberté de proposer toutes sortes de systèmes; mais les Romains ayant droit de suffrage terminoient ces débats, et consacroient ou rejetoient l'opinion des tribuns. Dans les débats ouverts par la liberté de la presse, quel sera le tribunal qui prononcera? Dans cette foule d'opinions publiées, qui déterminera l'opinion à laquelle il faudra s'arrêter? Je vois ici un procès, et point de juges; je vois des contendans appelés au combat, et point d'autorité pour prononcer : c'est une arène qui ne se fermera jamais. Dans ces débats sans fin, tous les dogmes de l'obéissance seront attaqués, tous les liens civils seront rompus, toutes les institutions sociales seront ébranlées, et l'effet de tant d'opinions publiées pour le bonheur de la société sera d'en amener insensiblement le malheur et la destruction.

Mais, me dira-t-on, c'est l'opinion publique qui prononce dans le système de la liberté de la presse, et en cela consiste la beauté du système. Le peuple, infaillible dans ses jugemens, et éclairé par les écrits, choisit dans les rêveries des philosophes celle qui est la meilleure ; et c'est ainsi que du choc des opinions sort la lumière. Quelles puérilités! Et comment ose-t-on parler des pro

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