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mier caractère d'une conception sociale doit être la franchise: on peut, avec les combinaisons d'une politique astucieuse, obtenir quelques succès éphémères, mais il n'y a que la vérité pour enchaîner les générations. Voyez la révolution; ses directeurs marchent de faussetés en faussetés : en vain ils croient atteindre le but, pas un n'arrive. Le talent, le mérite, les services réels même, rien ne les met à l'abri de la chute; hommes et choses, tout est renversé : c'est que la vérité n'est pas là.

La révolution est une œuvre de ténèbres, elle n'a pu éclairer les hommes; la révolution est une œuvre de crimes, elle ne peut servir l'humanité; la révolution est une œuvre de mensonges, elle ne peut se soutenir; elle périra donc. Mais qui dira combien de calamités elle amènera encore sur la terre!.............. Mon fils, adorez la Providence, faites toujours votre devoir, et ne redoutez rien de ces calamités : elles ne troubleront pas plus la paix de votre ame, que les orages qui désolent la terre. Les révolutions sont comme les tempêtes, elles atteignent l'homme physique, elles ne peuvent rien sur l'homme moral.

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VINGT-SEPTIÈME LETTRE.

SUR LE 20 MARS 1815.

LE 31 mars 1814, l'empire de Bonaparte est renversé; la famille des Bourbons, oubliée depuis vingttrois ans, est rappelée, et un mois après, Louis XVIII est salué roi de France dans sa capitale, aux acclamations d'un peuple immense, et avec les félicitations de toutes les autorités du royaume. Moins d'une année s'est écoulé, et les choses ont changé de face au 20 mars 1815, Bonaparte est rentré en France, et a pris possession de la capitale à la tête d'une armée nombreuse; Louis XVIII a quitté son palais, pour chercher un asile chez l'étranger, et le sceptre impérial est relevé, aux mêmes acclamations du peuple, et avec les mêmes félicitations de toutes les autorités. Quelle est la cause d'un tel évènement?

Cet évènement est simple; il porte sur un fait unique : Bonaparte est rappelé, Louis XVIII est abandonné ; en un moment l'autorité change de mains; Louis XVIII cesse d'être roi, et Bonaparte redevient empereur. Les conséquences du fait sont aussi simples que le fait luimême : en vingt-quatre heures de temps, les devoirs du citoyen ont changés; ce qui étoit illégitime le 19 mars, est légitime le 20; le serment de fidélité au roi est remplacé par le serment de fidélité à l'empereur; du jour au lendemain, le crime est devenu vertu, et la vertu est devenue crime. Comment le peuple français a-t-il

pu éprouver une telle métamorphose en vingt-quatre heures?

Sans doute les causes d'une mutation aussi rapide sont nombreuses; je vous en signalerai trois principales: la première est la conservation par le roi du statu quo administratif et judiciaire de l'empire; la seconde est la continuation des journaux, tels qu'ils existent depuis la révolution; et la troisième est le traité de Fontainebleau, du 15 avril 1814.

PREMIÈRE CAUSE DE L'ÉVÉNEMENT DU 20 MARS:

CONSERVATION DU STATU QUO ADMINISTRATIF ET JUDICIAIRE DE L'EMPIRE.

Dans tout gouvernement, il faut distinguer les principes et les hommes les principes sont les causes de l'autorité, les hommes en sont les instrumens. Pour qu'il y ait gouvernement, il faut que des principes fixes constituent une autorité; pour qu'ensuite le gouvernement marche, il faut que les hommes qui exercent l'autorité soient nourris de ces principes: si les hommes ne sont pas en rapport avec les principes, le gouvernement doit périr.

Recherchons quel étoit le principe du gouvernement, à l'époque du retour de Louis XVIII. Bonaparte, arrivé au pouvoir en 1799, avoit trouvé la France dans une ~ confusion complète; plus de religion, plus de morale, plus d'autorité; toutes les passions féroces étoient déchainées, les hommes étoient altérés du sang des hommes; quelques-uns d'entre eux étoient agités de toutes les fureurs de l'enfer. En cet état, Bonaparte avoit conçu le projet d'établir des règles et de fonder un gouverne

ment : cette idée étoit grande et noble, et honorera toujours celui qui l'a conçue, quelles que soient d'ailleurs les fautes qu'il ait commises dans l'exécution. Pour réaliser cette idée, comme il n'y avoit plus rien en France, ni religion, ni lois, ni principes, il falloit que la volonté de l'homme suppléât à tout : Bonaparte fut donc obligé d'imposer ses volontés comme règle d'obéissance, et d'établir un gouvernement despotique.

On a fait un reproche à Bonaparte de cet établissement; on n'a pas fait attention que non-seulement Bonaparte ne pouvoit pas faire autrement, mais même qu'il n'y avoit pas d'autre moyen de salut pour la France.

<< Le gouvernement monarchique, dit Montesquieu, >> est celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes >> et établies, au lieu que, dans le gouvernement des» potique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout » par sa volonté et par ses caprices. » En 1799, Bonaparte ne pouvoit donner à la France un gouvernement monarchique; pour cela, il auroit fallu que Bonaparte eût pu rattacher son pouvoir à des lois fixes et établies; il n'y en avoit plus. D'un autre côté, Bonaparte n'étoit pas le monarque légitime : le hasard, et non la légitimité, l'appeloit à sauver la France; il n'agissoit pas par devoir, il n'agissoit que par occasion, comme l'homme qui, se promenant sur le bord d'une rivière agitée, et voyant quelqu'un qui se noie, se jette à l'eau et le sauve. Bonaparte n'avoit aucun droit au pouvoir, dans le sens donné jusqu'à ce jour au mot droit; ou, si l'on veut parler de droit, il faut dire, avec le poëte français, que le droit de Bonaparte étoit

<< Celui qu'un esprit vaste et ferme en ses desseins,
>> A sur l'esprit grossier des vulgaires humains ; »

J

mais, avec un tel droit, on fait de grandes choses, et non des choses légitimes. Ainsi les faits, les principes, tout s'opposoit, en 1799, à l'établissement d'un gouvernement monarchique : il n'y avoit que le gouvernement despotique qui pût être établi.

En Y réfléchissant, vous verrez, dans cet établissement, un nouveau motif d'adorer la Providence. Puisque, pour surmonter l'anarchie, il falloit un gouvernement despotique, les Bourbons ne pouvoient remplir une telle mission : n'existant que par les lois, enchaînés par le principe sacré de la légitimité, leur retour étoit incompatible avec l'arbitraire du despotisme; ils ne pouvoient, comme le despote, donner leurs volontés pour règles; il falloit donc, avant leur retour, un agent intermédiaire Bonaparte fut cet agent, et c'est avec raison qu'il s'appeloit lui-même l'envoyé de la Providence pour châtier les nations. Pour ce châtiment, il falloit un homme dégagé du joug des lois, sans frein dans ses passions, et n'ayant d'autres règles que sa volonté et son génie; les Bourbons ne pouvoient exercer ce terrible ministère; la Providence les a réservés pour des fonctions plus douces : il falloit donc qu'un autre vint opérer le passage nécessaire du gouvernement despotique.

Bonaparte, ainsi entraîné au gouvernement despotique par la force des choses, avoit organisé l'administration, en France, d'après les principes du despotisme. Il falloit une autorité vigoureuse pour surmonter les obstacles de l'anarchie; Bonaparte avoit établi cette autorité en sa personne, et avoit placé son levier administratif dans la capitale. Là aboutissoient tous les fils, de là partoient tous les moteurs ; de là partoit sa volonté,

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