Page images
PDF
EPUB

éducation; aujourd'hui que j'ai le bonheur de vous voir affermi dans les idées de devoir, je vais reprendre nos entretiens; et, vous traitant en homme fait, continuer l'examen des causes et des effets de la révolution française. Auparavant je ferai quelques réflexions générales qui pourront nous être utiles dans nos recherches.

Les hommes qui ont amené la destruction de l'état social en France, ne savoient pas ce qu'ils faisoient; et la parole de l'Évangile est bien applicable ici : Purdonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Ne croyez pas en effet que les catastrophes sociales soient les ouvrages de l'homme. Dans le mal comme dans le bien, l'homme ne crée rien : simple créature, il marche toujours d'après les principes de sa création, et, quand il nous paroit le plus extraordinaire, il est encore dans la ligne de la Providence. Lors donc que vous rencontrez dans l'histoire quelques-uns de ces bouleversemens qui vous semblent si contraires à la marche des choses, sachez que ces évènemens ne sont extraordinaires que relativement à vous; relativement à l'univers, ils sont les produits de causes aussi simples que toutes celles que vous jugez telles; mais le fracas qui frappe vos yeux vous étonne, parce que vous n'en connoissez pas l'origine; c'est votre ignorance seule qui fait l'effroi.

La destruction de la société française, et tout ce qu'on appelle la révolution, est le plus épouvantable phénomène qui soit parvenu à la connoissance des hommes. On demeure accablé sous le nombre des massacres physiques et des calamités morales qui ont frappé l'espèce humaine, à cette époque de sang et de douleur; en voyant tant de forfaits, l'intelligence est bouleversée, et l'on croit que les lois de la Providence sont suspendues. Ce

pendant cette révolution n'est qu'un évènement qui étoit dans l'ordre des choses, tout comme l'état de tranquillité qui l'a précédée. Les développemens de cette révolution étoient des faits devenus nécessaires, et l'on devoit voir naître tous les crimes qui la composent, comme on doit récolter des épis dans un champ où l'on a semé du blé.

Les causes de la révolution sont des causes ordinaires; sans doute, il n'est pas permis à l'homme de les créer, mais il peut les découvrir et les connoître : voici la principale.

DE LA PRINCIPALE CAUSE DE LA RÉVOLUTION.

D'abord, il faut bien fixer dans votre esprit que tout est moral dans l'existence des sociétés. Le nombre des individus, leurs occupations, leurs manières d'être nourris, logés ou vêtus, rien de tout cela n'est essentiel à l'idée qu'il vous faut prendre de l'état social. Les docteurs du jour vous parlent d'agriculture, de finances, de commerce, d'impôts, etc.; ce sont là des modifications de l'état social, mais ce n'en est pas l'essence. L'essence de l'état social, c'est le lien qui réunit les hommes en un seul corps par des rapports moraux. L'état social en luimême est indépendant des modifications industrielles que peut amener la réunion des individus; il n'existe réellement que par l'union des intelligences. Lorsque nous parlons de l'homme moral, sa forme, sa taille, sa couleur, n'entrent pas dans notre examen de même, lorsqu'on envisage l'union morale des sociétés, on ne s'attache pas aux formes matérielles qui ne sont relatives qu'à l'existence physique; ces formes, qui peuvent va

rier à l'infini, suivant les climats et les températures, sont étrangères à la cause qui fait qu'il y a société.

Si la manière de vivre des individus qui appartiennent à une société n'est pas l'essence de cette société, la forme du gouvernement ne l'est pas davantage. Les publicistes modernes font encore ici une étrange confusion, quand ils veulent faire dépendre le sort moral des sociétés, de la composition des autorités qui gouvernent. La base de tout état social étant l'obéissance, il importe peu quelles sont les dignités des personnes à qui on doit obéir : que ce soit un roi, un ministère ou un directoire, quand tous les citoyens obéissent, il y a société bien ordonnée; quand au contraire les citoyens raisonnent au lieu d'obéir, il n'y a plus de lien moral, et l'état social disparoît : alors, quels que soient les droits et l'antiquité de la famille royale, quels que soient les talens du ministère ou du directoire, rien ne peut faire marcher un corps qui n'a pas le sentiment de la vie.

Puisque tout est moral dans la formation des sociétés, c'est donc dans l'ordre moral qu'il faut chercher les causes de la formation et de la destruction des sociétés. Encore une réflexion, et vous allez connoître la principale cause de la révolution.

L'ordre social, je vous l'ai déjà dit, n'est pas le résultat des combinaisons de l'homme. L'homme, qui est purement passif dans son existence, ne peut rien créer de lui-même; dans le développement des sociétés, il n'est qu'un instrument; il est à l'ordre social ce que le ciseau est à la statue; c'est le génie du sculpteur qui a donné au bloc de marbre les traits de la beauté, et qui a trouvé une Galathée dans les flancs d'un rocher informe. Quel est donc le génie qui, d'une masse d'hommes gros

siers et sauvages, a fait la statue sociale? Quel génie a donné à cet assemblage d'individus les traits et la régularité d'un corps politique? Ce génie, c'est la doctrine enseignée aux citoyens qui appartiennent à la société. Les doctrines, c'est-à-dire, les préceptes moraux qui par l'éducation frappent notre faculté intelligente, sont les véritables puissances de l'ordre social; ce sont elles qui font les nations, et l'état de toute société est l'expression fidèle de la doctrine qui y est enseignée.

C'est par les effets que produisent les doctrines, que nous pouvons qualifier ces doctrines de bonnes ou de mauvaises. Lorsqu'une doctrine amène une société à un état d'ordre et de tranquillité, où les sentimens du cœur se développent avec calme, et apportent à l'homme tout le bonheur dont il est susceptible, cette doctrine est sociale, et mérite le nom de bonne doctrine. Lorsqu'au contraire il résulte d'une doctrine adoptée dans une société, que le trouble et l'agitation se répandent partout; lorsque les citoyens, par l'irritation continuelle de l'amour-propre, et l'éveil de toutes les passions personnelles, sont conduits à tous les sentimens haineux qui rendent la vie insupportable, cette doctrine est anti-sociale, et on la qualifie de mauvaise doctrine.

Maintenant, si les doctrines seules forment les sociétés, et si l'état moral d'un corps politique est la conséquence forcée de la doctrine dont le corps est nourri, il est facile de voir que le renversement de la société française, ou la révolution, n'a pour cause que le changement de doctrine. C'est en effet la doctrine dite philosophique, substituée à la doctrine de l'Évangile, qui seule a causé toutes les destructions que nous avons vues, et l'on peut dire avec vérité que c'est la philosophic qui,

par

les cent mille bras du peuple, a couvert la France de ruines sociales.

Pour vous rendre ce fait sensible, comparez la doctrine de l'Évangile avec celle que les philosophes sont parvenus à lui substituer, et vous verrez bientôt que toutes les horreurs de la révolution, passées, présentes et futures, sont des effets aussi nécessaires de la doctrine du jour, que les ténèbres de la nuit sont les effets nécessaires de l'absence du soleil.

La doctrine qui régnoit sur la France avant la révolution, enseignoit à tous les citoyens l'existence d'un Dieu éternel, infini, créateur du ciel et de la terre, et seule cause de tous les évènemens de l'univers. De ce dogme naissoient les plus sublimes sentimens de l'ame, dont les principaux étoient la crainte de Dieu et l'amour du prochain. A ces bases de la vie morale, le Rédempteur du genre humain avoit ajouté l'annonce du royaume des cieux et de la vie éternelle. Les hommes, appelés ainsi à l'existence spirituelle, apprenoient à ne connoitre de jouissances sur la terre que celles qui les conduisoient à cette existence par là toutes les passions personnelles étoient amorties; par là toutes les inspirations nécessaires à l'existence sociale, dont la première est l'obéissance, étoient converties en devoirs, et devenoient des sujets continuels de plaisir et de satisfaction intérieure. Une telle doctrine, inculquée dans l'esprit de tous ceux qui composoient la société française, devoit nécessairement entretenir l'ordre et l'harmonie de cette société; et, quels que fussent les classemens des citoyens et les formes du gouvernement, la tranquillité générale et le bonheur des individus devoient en découler comme d'une source intarissable,

« PreviousContinue »