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cer le passé. En vain, dans leur rage, ils ont ouvert les tombeaux, et se sont rués sur des cadavres : ils ont dispersé une vaine poussière; les faits de l'ame sont immortels comme elle, et le pouvoir destructeur des révolutionnaires s'est trouvé arrêté à la porte du monde moral.

Pourquoi la Charte n'a-t-elle pas relevé cette noblesse, dont la révolution avoit fait périr les membres, sans ébranler l'institution? Qu'est-ce que cette idée de dépouiller un citoyen élevé de tout ce qui faisoit son élévation, et de lui donner ensuite le titre qui désignoit cette élévation? Supprimer ce qui fait le duché, et maintenir le titre de duc, n'est-ce pas exposer celui qui porte ce titre au mépris et à la dérision? Eh! que fera ce duc à qui l'on a rendu son titre? Privé de tout moyen de subsister, il lui faudra donc intriguer, solliciter, et s'adjoindre à cette foule affamée qui obstrue les antichambres et les corridors; il faudra donc qu'il se livre aux fonctions les plus communes de la société ; il faudra qu'il végète dans un comptoir ou dans un bureau, et l'on verra des marquis commis à cheval, et des barons débitans de tabac.

28 DE LA NOBLESSE NOUVELLE.

« La noblesse nouvelle conserve ses titres. » Ce paragraphe de l'article 71 fait naître des réflexions bien tristes. Quelle est l'origine de cette nouvelle noblesse, par quels faits les porteurs de ces titres conservés les ont-ils mérités? Hélas! il faut le dire, c'est dans la fureur avec laquelle ils ont détruit l'ancienne noblesse, que beaucoup des nouveaux nobles ont puisé leurs titres. Une grande partie de ces nouveaux nobles sont

d'anciens partisans de l'égalité; ce sont des soutiens de la terreur, ce sont des coryphées de la révolution. Com+ ment, en retournant à la royauté et au principe de la lé gitimité, a-t-il pu se faire qu'on ait conservé le titre de nobles aux assassins des rois et aux destructeurs de la société ? Comment est-il arrivé qu'on ait décerné la noblesse pour couronne à la révolution, et qu'on ait revêtu le crime, de titres qui n'appartiennent qu'à la vertu?›

Après l'origine de la nouvelle noblesse, je vous ferai remarquér la distinction faite constitutionnellement entre cette noblesse et l'ancienne. Quel étrange moyen pour diriger les citoyens, que de mettre des différences dans ce qui tient à l'honneur! La noblesse est comme la vertu, elle est une': si l'on pouvoit dire l'ancienne noblesse et da nouvelle noblesse, il faudroit donc aussi dire l'ancienne vertu et la nouvelle vertu; ces idées sont aussi fausses qu'obscures, il n'y a pas deux noblesses dans un État.or

Lorsqu'un homme élève sa famille à la noblesse, il n'acquiert pas une nouvelle noblesse, il s'adjoint à la noblesse existante; il marque sa génération du sceau de l'honneur,; il prend rang dans les familles destinées à consolider et à illustrer la société par leurs privilèges et leurs souvenirs, mais il ne forme pas une nouvelle noblesse. S'il en étoit ainsi, il faudroit donc dire qu'il y a en France autant de noblesses que de nobles, car tous les nobles ne sont pas parvenus à la noblesse le même jour.

Lorsque Catinat, sous Louis XIV, acquéroit la noblesse par ses grandes vertus militaires, lorsque Pichegru, sous la convention, acquéroit la noblesse, en refusant d'exécuter les décrets de ses maîtres contre les émigrés; lorsque d'illustres généraux, qui vivent encore, acquéroient la noblesse en conservant dans les camps

l'honneur chassé de l'intérieur par des brigands raisonneurs, tous ces héros ne formoient pas une nouvelle noblesse : ils augmentoient le nombre des familles nobles qui honorent la France, ils se rattachoient à cette masse de gloire qui appartient à notre patrie; mais ils ne formoient pas une noblesse différente de celle qui existoit déjà.

La distinction faite par l'article 71 deviendra une cause éternelle de divisions et de troubles. En effet, s'il falloit choisir entre l'ancienne et la nouvelle noblesse, en faveur de laquelle se feroit le choix? Seroit-ce en faveur de ceux qui ont détruit la société par leurs usurpations et leurs forfaits, ou seroit-ce en faveur de ceux qui l'ont consolidée par leurs vertus et leurs grandes actions? Faudroit-il préférer les nouveaux nobles qui ont contribué à assassiner le roi, et qui ont proscrit la famille royale, aux anciens nobles, dont les ancêtres ont prodigué leur sang et leur fortune pour défendre l'un et l'autre ? Seroient-ce enfin les anciens nobles de la monarchie, ou les nouveaux nobles de la révolution, qu'il faudroita honorer davantage? Les germes de division qu'une telle distinction va jeter dans la société sont visibles à tous les yeux: l'ancienne noblesse regardera la nouvelle avec mépris ; la nouvelle verra l'ancienne avec envie, et de là mille sentimens haineux qui éterniseront le trouble et l'agitation dans l'État. 6 B q

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3o DE LA NOBLESSE A VENIR.CO

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«Le roi fait des nobles à volonté. » Si l'on eût dit que la noblesse pouvoit s'acquérir par des actions dont le roi scul est juge, cela seroit raisonnable et social; dans tout

ce qui tient à l'honneur, le roi est magistrat suprême; il est le premier gentilhomme de son royaume, et c'est au chef de la noblesse à juger de ce qui la concerne : ainsi le citoyen acquiert la noblesse, et le roi la confère. Mais dire que le roi fait des nobles à volonté, est une locution impropre et peu convenable. Non, le roi ne fait pas des nobles à volonté; car le roi, tout-puissant qu'il est, ne peut rien faire contre la nature des choses, et par con→ séquent ne peut ennoblir ce qui n'est pas noble en soimême. Sans doute le roi peut laisser tomber un manteau ducal sur les épaules d'un courtisan; il n'a pas fait un noble pour cela. Caligula fit dresser des autels à son cheval; il n'avoit pas fait un dieu. La noblesse est une distinction morale qui peut s'acquérir, mais qui ne se donne pas à volonté; c'est un titre d'honneur que chacun peut obtenir; mais, pour l'obtenir, il faut l'avoir mérité autrement que par la volonté d'autrui.

ARTICLE LXXII.

La Légion-d'Honneur est maintenue; le roi déterminera les règlemens intérieurs et la décoration.

Les rédacteurs de cet article ont voulu dire tout autre chose que ce que sa rédaction laisse entendre: maintenir la Légion-d'Honneur, c'est maintenir l'institution créée par Bonaparte pour récompenser les actions honorables; mais ce n'est pas maintenir la décoration de la Légion à tous ceux qui la possèdent, et cependant c'est là l'interprétation que l'on a donnée à l'article 72. De cet article, on n'a pas seulement conclu que l'institution de la Légion-d'Honneur continueroit d'exister en France; on en a conclu aussi que tous ceux qui avoient

obtenu la décoration, jusqu'au moment de la promulgation de la Charte, continueroient de la porter, quel que fût leur titre de possession. Évidemment, ce n'est pas là ce que dit l'article 72 cet article parle de la chose, et non des personnes ; il conserve une institution, mais il ne confère pas de droits particuliers, et non-seulement il n'en confère pas, mais il ne pouvoit pas en conférer.

En effet, l'art. 72 renferme une volonté législative; or, une loi ne peut porter que sur des généralités : une loi peut fonder uné institution, mais elle ne peut en faire l'application aux individus. L'acte par lequel le roi confère une décoration est un acte d'administration, et bien certainement la Charte ne renferme pas de volontés administratives. Il n'y a pas de doute cependant que l'intention des rédacteurs de la Charte n'ait été de conserver la décoration de la Légion-d'Honneur, à tous ceux qui en étoient revêtus au moment du retour du roi; mais vous remarquerez, d'un côté, que cette conservation ne résulte pas du texte de la rédaction de l'art. 72, et, d'un autre côté, que ce n'est pas dans la Charte que cette conservation devoit se rencontrer, parce que la Charte ne renferme et ne peut renfermer que des volontés législatives.

Au surplus, je ne craindrai pas de vous dire, qu'autant il me paroit sage d'avoir conservé l'institution de la Légion-d'Honneur, qui avoit honoré la nation française, autant il me paroît malentendu et peu convenable d'en avoir conservé la décoration à tous ceux qui l'avoient obtenue. Quel étoit le titre de beaucoup d'entre eux?... Bonaparte, lorsqu'il aspiroit au trône, l'avoit offerte à tous les républicains qui vouloient déserter la répu

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