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VINGT-CINQUIÈME LETTRE.

CHAPITRE VII DE LA CHARTE.

DES DROITS GARANTIS PAR L'ETAT.

L'INTITULÉ de ce chapitre laisse naitre des réflexions tristes. Qu'est-ce que l'État qui garantit des droits? qu'est-ce qu'une abstraction donnée en garantie? pourquoi le nom du roi ne se rencontre-t-il pas, lorsqu'il s'agit d'un bienfait ?

Les Bourbons, dépositaires de l'autorité souveraine, rentroient en France; le roi, chef de la famille royale, et exerçant la souveraineté, vouloit assurer des droits aux Français, et marquer ces droits du sceau de son autorité; ce n'étoit pas alors la garantie de l'État qu'il falloit donner, c'étoit la garantie de l'autorité royale : le roi ne devoit pas parler au nom d'une abstraction, mais en son nom. Il falloit dire hautement : Droits garantis par le roi, et non pas: Droits garantis par l'État. L'État, qui n'est qu'un mot, ne garantit rien et ne peut rien garantir; mais le roi, qui est une personne réelle, peut garantir quelque chose. Le roi, garantissant des droits, donne pour cautionnement sa religion, son élévation morale, l'honneur de sa race, le sien; l'État qui garantit des droits est une idée chimérique et un abus de langage.

Une autre observation que je dois vous faire,c'est que le roi ne parle que dans un endroit de la Charte, et c'est

. dans le préambule qui ne contient rien d'impératif quant aux articles qui sont des commandemens, ils ont l'air de provenir d'une autre volonté que la sienne tous ces ar→ ticles sont placés à la troisième personné, de sorte que l'on ne se doute pas que c'est le roi qui parle. Cependant, la Charte étant une déclaration de la volonté royale, le roi y doit toujours parler à la première personne. Il fal+ loit dire dans la Charte: Nous établissons, nous con servons, et non pas: Il est établi, il est consérvér til falloit dire, par exemple: Nous abolissons la conscrip tion, et non pas: La conscription est abolie. tisu vonna

Lorsqu'on lit dans le deuxième chapitre ces maxi mes générales : La personne du roi est inviolable,ste roi est le chef suprême de l'État,«. le roi propose da loi, il est difficile de ne pas croire qu'il y ait là une au torité autre que celle du roi, qui fixe les droits de la royauté, et qui donne l'existence aux propositions énoncées : c'est cette illusion que les rédacteurs de la Charte ont eu tort d'entretenir. Pour le peuple, la Charte est un être mystérieux qui a réglé les droits du roi, comme il a réglé les droits des autres citoyens ; c'est un créateur qui a constitué la société française, comme un architecte auroit construit un bâtiment. Ce n'est pas même le peur ple, proprement dit, qui a adopté ces illusions; ce sont encore les publicistes les plus instruits, ce sont encore les députés de la meilleure foi; ce sont les citoyens les plus fidèles; et toute la France parle de la Charte comme d'une puissance réelle et positive, qui a établi l'organi+ sation nouvelle du corps: social, et qui doit le conserver dans son existence politique:

Ne vous laissez pas prendre à ces idées trompeuses < la Charte n'est pas un être qui puisse créer, constituer,

ou établir quelque chose. Le mot Charte désigne l'acte dans lequel sont renfermées les volontés du roi, mais il

n'a par lui-même aucun pouvoir. La Charte est une ordonnance royale, comme les autres ordonnances de nos rois; c'est une ordonnance de Louis XVIII, comme l'ordonnance de 1667 est une ordonnance de Louis XIV; jamais on n'a placé au rang des êtres réels une ordonnance royale, pour en faire une puissance séparée du roi. Quand nous disons: «L'ordonnance de 1667 veut telle >> chose, »> nous n'entendons pas dire que cette ordonnance soit un être qui commande : nous savons que l'on doit obéissance à une ordonnance royale, parce qu'elle contient la déclaration de la volonté souveraine, mais nous ne faisons pas de cette ordonnance une puissance occulte qui prend sa force dans le mot qui la désigne, et qui commande parce qu'elle s'appelle ordonnance : le mot ordonnance a toujours signifié l'acte qui renferme la volonté royale, et n'a jamais été pris pour la volonté même. La Charte étant une ordonnance royale, tout ce qu'elle renferme d'impératif est obligatoire, parce que c'est la volonté du roi, lequel par la grâce de Dieu est le souverain légitime de la France; mais la Charte n'est point un être ni une puissance à laquelle on doive obéissance parce qu'elle s'appelle Charte,

L'erreur populaire sur la nature de la Charte est entretenue par sa rédaction même le roi n'y parle jamais en son nom et tous les articles sont rédigés à la troisième personne, Ainsi, dans le chapitre que nous examinons, le roi pe dit pas : Nous garantissons la dette publique : nous maintenons la Légion-d'Honneur. On'y lit : La dette publique est garantie. La Légion d'Honneur est maintenue. Eh! qui donc garantit,

qui donc maintient? Est-ce que ce n'est pas le roi? Non, sans doute, vous répond-on de tous côtés, ce n'est pas le roi qui garantit la dette publique, ce n'est pas le roi qui maintient la Légion-d'Honneur, c'est la Charte. Alors disparoissent les bienfaits émanés de la volonté royale, pour être attribués à l'être de raison appelé Charte, et cet être devient ensuite l'appui de toutes les extravagances politiques de ceux qui veulent dominer.

Ce qui fortifie encore la même illusion, c'est que dans la Charte, on a placé tous les articles au présent et non au futur : non-seulement on n'a pas voulu que le roi commandât, mais encore on n'a pas voulu qu'il prit le ton du commandement; et l'on a fortifié par là cette idée d'un pouvoir créateur existant ailleurs que dans la volonté royale. On lit dans la Charte : Les Français sont égaux, les Français contribuent, les Français sont tous admissibles. Ce n'est pas là le langage d'un roi qui rend une ordonnance : il semble qu'il y ait ici quelque divinité qui crée des principes; ou, pour mieux dire, c'est là le langage d'un philosophe qui raisonne sur des abstractions. Si le roi eût parlé au futur, s'il eût pris e ton du commandement, s'il eût dit : Les Français seront égaux, les Français contribueront, les Français seront admissibles; les droits accordés auroient paru provenir de la volonté royale : en parlant ainsi, le roi établissoit quelque chose de nouveau, il fondoit pour l'avenir ce qui n'étoit pas dans le passé; il y avoit là un véritable bienfait. Au contraire, en se servant du présent, les rédacteurs de la Charte ont enlevé au roi le mérite de ses bienfaits, et, tout en se servant de son autorité, ils ont entretenu l'idée d'une Charte, érigée en pouvoir créateur et placée au dessus de lui.

A

Cette manière de parler au présent et non au futur a détruit, en général, dans l'esprit des Français le grand principe de la non rétroactivité des lois. La Charte, en parlant au présent, laisse entendre que les choses dont elle parle sont des choses de droit et ont existé de tous temps: alors les hommes qui ne se trouvent pas croire à ces révélations sont tout de suite convertis en ennemis du genre humain, par la seule apparition d'une Charte. Ils n'ont rien fait, et l'on ne peut être coupable sans action; mais leur vie morale ne se trouvant pas en rapport avec des principes dont l'existence est supposée les avoir précédés, ils sont coupables pour le passé; leur culpabilité sort de l'éducation qu'ils ont reçue; ils n'ont pas violé la Charte depuis son apparition, mais ils ont agi avant la Charte suivant des principes proscrits par la Charte. En réalité, la Charte par son langage a jeté une culpabilité universelle sur l'ancienne société française, et toutes les générations passées sont devenues coupables de n'avoir pas connu les sentimens constitutionnels révelés par la Charte. C'est cette culpabilité rétroactive qui a amené tant de victimes sous le couteau révolutionnaire; et c'est elle qui encore aujourd'hui entraîne tant de persécutions contre les Français restés fidèles à leur patrie et à leur roi.

Il falloit que le roi prît le ton du commandement, qu'il concédât en son propre nom et pour l'avenir, non pas une Charte constitutionnelle, mais des libertés déterminées. Ainsi il eût fait à la fois acte d'autorité et acte de bienfaisance : et on n'eût pas oublié la première, en discutant sur les fruits de la seconde..

On vous dira que mes observations sentent le contre-révolutionnaire, et que laisser au roi le droit de ré

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