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ses membres. Dans le dernier cas, on dit bien aussi que le coupable a outragé la société tout entière; mais c'est là une fiction, au lieu que dans le crime d'État c'est une réalité.

Maintenant, lorsqu'il s'agit d'un crime d'État, l'autorité judiciaire n'intervient pas d'abord, et ne met pas le cachet de l'accusation; c'est la partie lésée, c'est le peuple qui, par ses représentans, accuse directement. Cependant le peuple ne peut être à la fois accusateur et juge, et ce seroit mettre la victime sous le couteau du sacrificateur que de traduire les criminels d'État devant les jurés ordinaires. Dans ce cas c'est avec sagesse que l'on a établi une sorte de jugement particulier, et c'est avec raison qu'on a appelé ce jugement le jugement des pairs. L'accusé étant ordinairement placé au-dessus dù peuple, c'est par des hommes qui lui sont égaux en rang et en dignité qu'il est jugé, les juges sont donc vraiment ses pairs; mais dans les crimes privés, un accusé déjà frappé par la justice, n'a de pairs que ceux qui sont accusés comme lui, et c'est une ineptie politique que d'as

similer des cas aussi dissemblables.

On insiste en faveur de l'institution des jurés, et l'on cite les anciennes républiques : répondons.

Il y a dans nos sociétés modernes un nouveau rouage appliqué à la justice criminelle, que les publicistes n'ont pas assez remarqué, et cette inattention les a égarés. Les anciens ne connoissoient pas la formalité préliminaire de l'accusation. Chez eux l'accusation étoit de droit privé, et n'étoit pas fonction publique ; chacun avoit le droit d'accuser pour toutes sortes de crimes, et tout citoyen pouvoit être arbitrairement traduit devant la justice criminelle, sans aucune formalité préalable. Chez

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nous il n'en est pas ainsi : d'abord l'accusation est interdite aux individus ; l'autorité judiciaire seule peut accuser. Ensuite, le droit d'accuser, confié à une magistrature élevée, ne s'exerce pas arbitrairement les lois établissent des formes, prescrivent des règles, demandent plusieurs degrés de juridiction, et c'est après une instruction faite avec sagesse et prudence, qu'enfin l'accusation est autorisée; alors un ministère, dévoué spécialement à la défense du corps politique, demande contre l'accusé la punition du crime. Dans ce noble ministère, il n'y a rien de dangereux pour l'accusé; l'accusation ne tient d'aucun de ces sentimens haineux qui déshonorent toujours les accusations privées; l'homme du ministère public ne soutient pas sa propre cause, il soutient la cause de la chambre d'accusation; il n'a point de passion personnelle; et, loin de cela, il défend l'accusé comme la société. Grande et belle institution qui évite le scandale des vengeances, qui fait disparoître des procès criminels les passions haineuses, et qui réunit la sévérité nécessaire à l'ordre social, avec les égards dus à la foiblesse humaine!

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Les anciens, qui n'avoient pas d'idée de cette institution, et qui permettoient l'accusation de plano à tout particulier, ont pu, dans l'administration de la justice, adopter des institutions semblables à celle des jurés ; mais nous qui avons une première magistrature qui juge d'abord l'accusation, nous qui avons un ministère public qui, dans les développemens de l'accusation, demeure étranger aux passions personnelles, nous he sommes pas réduits, comme eux, à la nécessité de mettre toute la population en mouvement pour la punition d'un crime.

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-Sans entrer dans les détails de l'institution des jurés, détails qui vous feroient sentir de plus en plus les dangers et les vices de cette institution, je vous en ferai seulement remarquer un bien grave, dans la nomination de ces juges passagers.

Pour faire marcher le mécanisme des jurés, il faut deux autorités différentes, l'autorité administrative et l'autorité judiciaire : l'autorité administrative choisit les jurés, l'autorité judiciaire les dirige. De ces deux autorités, l'une a bien plus d'importance que l'autre ; l'autorité qui appelle les jurés et les choisit à son gré, l'emporte nécessairement sur l'autorité qui est chargée de les éclairer, quand ils sont réunis. En cet état, s'agit-il d'une affaire qui tienne en la moindre chose à l'esprit de parti? par son droit de choisir les jurés, l'administration devient la maîtresse du jugement; avec la connoissance qu'elle a des personnes, elle n'indique que celles qui sont animées des sentimens qui lui conviennent; et les jurés une fois choisis, c'est en vain que l'autorité judiciaire veut les diriger avec cet esprit d'équité et d'impartialité qui est de son essence; l'affaire a été jugée par la composition des jurés, et toute la sagesse de l'autorité judiciaire vient échouer contre les manœuvres de l'administration. Ainsi la justice cesse d'être une véri– table protection pour la chose publique, et la société se trouve abandonnée à l'influence de toutes les passions personnelles (1).

(1) En 1826, la puissance législative a voulu remédier à cet inconvénient, en faisant tirer les jurés au sort par les présidens de cours royales; de sorte que c'est aujourd'hui le hasard qui décide, en France, de la répression des crimes et de la justice criminelle! de sorte que c'est au hasard que la liberté et la vie des citoyens sont abandonnées!

ARTICLE LXVI.

La peine de la confiscation est abolie, et ne pourra être rétablie.

A mes yeux, la confiscation, peine purement pécuniaire, est plus juste et plus sage que les peines corpo relles; elle n'est pas contraire au précepte divin sur l'homicide; et elle rentre davantage dans les droits que l'ordre social donne aux gouvernemens. Elle a été connue dans toutes les sociétés civilisées; de tout temps, les criminels ont eu pour principal but l'augmentation des richesses; de tout temps aussi, on a cru devoir les punir par la perte des richesses. Dans les anciennes républi ques, les biens confisqués entroient dans le domaine public; ils étoient consacrés au culte des dieux, ou ser voient aux besoins de la société.

- Lorsque l'empire romain eut embrassé la presque totalité du monde connu, la confiscation profita aux empereurs; mais alors parut un abus terrible. D'un côté, le droit d'accuser avoit continué d'appartenir à tous les citoyens, et, d'un autre côté, l'usage s'introduisit d'abandonner les biens confisqués aux accusateurs. Ces deux combinaisons réunies jetèrent un désordre effroyable dans l'empire. La richesse et la puissance devinrent des crimes, et l'on ne lit pas aujourd'hui, sans gémir, l'histoire de ces condamnations si multipliées, qui n'avoient d'autre but que d'enrichir de méprisables délateurs.

Après l'inondation des hommes du Nord, on vit naitre en France les justices seigneuriales : ces institutions, qui n'étoient d'abord que de simples tribunaux de police, ayant embrassé les biens, les seigneurs, devenus

juges criminels, eurent le droit de confiscation. En cet état, la confiscation présenta des inconvéniens graves, parce que, le seigneur rendant la justice lui-même, il pouvoit se laisser aller au désir de multiplier des droits, qui tournoient à son profit.

Bientôt l'autorité royale prit une attitude majestueuse : le roi ayant été reconnu comme la source de tout pouvoir judiciaire, il s'éleva des tribunaux réguliers. Dans ces tribunaux, constitués suivant les besoins de la société, la confiscation continua d'être une peine; mais les juges n'en profitant pas, l'inconvénient des justices seigneuriales disparut, et l'on n'eut plus à redouter de voir les passions personnelles s'en emparer pour en faire l'objet de spéculations particulières. Des tribunaux, désintéressés quant à l'application de la peine, présentoient à la société la plus haute garantie possible.

Tel étoit l'état des choses en 1789. A cette époque, les révolutionnaires qui convoitoient les grandes propriétés du royaume, résolurent d'employer à leur profit la confiscation. Afin de paroître animés d'une grande philanthropie, ils commencèrent par en proscrire le principé ; mais bientôt, après avoir détruit le droit de confiscation, au préjudice de la royauté, ils le rétablirent à leur profit de la manière la plus absolue; ils donnèrent ensuite le nom de crime aux qualités sociales qui se remarquoient davantage chez les grands propriétaires de France, et appliquèrent la confiscation à ces crimes; c'est ainsi que, suivant leurs expressions mêmes, l'instrument du supplice servit à battre monnoie en France.

En 1814, au retour du roi, il fut question de la confiscation. Les rédacteurs de la Charte proposèrent et firent adopter l'abolition de la peine de la confiscation;

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