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la raison publique, et la puissance d'un particulier au dessus de celle de l'autorité qui gouverne!

Quel inconvénient d'ailleurs peut-il exister pour l'ordre public, de ce qu'un citoyen soit assujéti à consulter, pour la publication de ses opinions, les gouverneurs de la nation? Ces derniers, par leur position, ne sont-ils pas à même de connoître le bien ou le mal qui peut résulter de la publication? et peut-on même supposer, dans ce qu'ils prononceront, un intérêt autre que celui de l'ordre social? Si un particulier venoit à publier une découverte aussi funeste que celle du feu grégeois, qui ne regretteroit que cette publication n'eût pas été arrêtée par le gouvernement? Quel citoyen aussi, à moins que d'être Satan en personne, peut trouver mauvais que le gouvernement juge de la nécessité de publier ses opinions? Il n'y a que le délire de l'orgueil qui puisse aveugler un homme, au point de croire à sa raison plus qu'à celle de l'autorité : c'est là le vrai principe de la désobéissance; et la liberté de la presse, en favorisant un tel principe, deviendra toujours une puissance destructive de tout ordre public.

La liberté de la presse est en elle-même un amas d'inconséquences et de contradictions. Dans toute société, les actions du citoyen sont réglées et surveillées par le gouvernement. Cette surveillance s'étend jusque sur les plus petites choses; elle embrasse tout ce qui est utile et nécessaire, le logement, le vêtement, la nourriture, etc. Faudroit-il donc excepter de cette surveillance le moral de l'homme, et abandonner au hasard la direction des intelligences? Un terrain devient-il dangereux à parcourir? un sage gouvernement en interdit l'entrée. Et cependant il faut ouvrir sans précaution le champ de

l'erreur; il faudroit concéder à tous les hommes indistinctement, aux foibles comme aux forts, aux aveugles comme aux clairvoyans, le droit de parcourir sans aide et sans appui la dangereuse carrière des sophismes et du raisonnement; et l'autorité publique, si vigilante pour l'existence physique, resteroit indifférente à tout ce qui regarde la vie morale! Quel déplorable aveuglement!

Tous les jours nous applaudissons à la prudence des gouvernemens qui prennent des mesures pour repousser les influences pernicieuses de l'air, et assurer la salubrité de l'atmosphère. Ah! les tristes prédications de l'athéisme et du crime, qui attaquent l'existence morale de l'homme jusque dans le fond de la conscience, sont bien autrement dangereuses pour l'ordre public! Ces opinions prétendues libérales, qui conduisent à la désobéissance et à l'insurrection, infectent bien autrement l'air moral de la société ! Et cependant il faudroit laisser circuler ces opinions en toute liberté; il faudroit laisser corrompre et empoisonner l'atmosphère intellectuelle; et ce seroit sagesse qu'une telle inertie! Cette inconséquence tient toujours au système matériel des novateurs : ils ne voient dans l'homme qu'un animal à loger, à vêtir, à nourrir, et méconnoissent son existence spirituelle et morale, sans savoir que ce n'est cependant que par des moralités que l'état social peut exister.

Les prôneurs de la liberté de la presse n'envisagent point cette liberté sous le rapport social; ils ne voient que le genre humain, et parlent sans cesse des progrès généraux de la raison. Mais, quand il s'agit de constituer une société, il ne s'agit pas de fonder la raison. Constituer une société, est un fait positif fonder la raison

humaine est une idée chimérique et un jeu de l'imagination. Constituer une société, c'est établir par les voies qui tiennent à la spiritualité de l'homme un lien moral qui agisse sur tous les associés, et leur donne à tous la même impulsion. Or, quelle force d'union sortira jamais de la liberté de la presse? Comment la liberté de la presse donnera-t-elle une même impulsion à une foule d'individus qu'elle appelle au contraire au droit de s'égarer mutuellement, et de se communiquer sans réserve toutes les divagations de leurs esprits?

Une autre remarque sur la liberté de la presse, c'est l'espèce de perfidie que renferme le système en luimême. Dans ce système, ce n'est qu'après la publication, que les tribunaux doivent décider s'il y a culpabilité ; ainsi le droit accordé de publier ses opinions peut devenir un crime, suivant qu'il apparoìtra aux juges appelés pour examiner la publication. Une pareille concession n'est-elle pas un véritable piége tendu aux écrivains? et qu'est-ce que le droit de publier ses opinions, pour être repris ensuite quand on a fait cette publication? Il y a là le vice le plus affligeant dans une législation, le défaut de fixité dans la loi.

Dans le domaine légal, tout doit être fixe; tout devoir social doit être proclamé hautement et à l'avance; un citoyen non averti ne peut jamais être coupable : en règle générale, c'est cet avertissement qui fait la moralité des actions. Que faut-il donc dire d'une législation qui non-seulement ne vous avertit pas, mais qui, au contraire, vous appelle au crime, en vous donnant le droit de le commettre, pour le punir ensuite? Puisque la Charte m'a laissé maître de publier mes opinions, puisqu'elle s'en est rapportée à moi sur cette publica

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tion, puisqu'elle m'a rendu seul arbitre de la nécessité de cette publication; comment me punir d'un acte qui a été abandonné à ma conscience et à ma discrétion?

Il y a plus encore : celui qui parcourt le domaine intellectuel, emporté souvent par le feu de la composition, n'aperçoit pas une foule d'inconvéniens qui sortiront pour l'état social du système qui l'a séduit ; il se laisse entrainer par son imagination, et croit avoir éclairé l'univers quand il n'a fait qu'un rêve : mais, quelle que soit sa composition en elle-même, son enthousiasme est louable, ses intentions sont bonnes; il eût même volontiers soumis ses théories à la prudence d'une autorité examinatrice. Cependant il peut être déclaré coupable, si la majorité d'un tribunal juge dangereuse la publication la loi l'a autorisé à faire; et il peut être couque pable, non à cause du fait de la publication, puisque ce fait est permis; mais à cause de la pensée, qui n'est point un fait.

A tant d'inconséquences et de contradictions se joignent encore, comme nous l'avons vu, tous les inconvéniens de l'arbitraire en lui-même. Puisque, dans le système de la liberté de la presse, la publication est autorisée, c'est donc la pensée seule qui sera jugée. Mais comment juger la pensée? comment juger un homme qui n'a rien fait, ou, ce qui est la même chose, qui n'a fait que de mauvais raisonnemens?

RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS.

Il ne faut pas, vous dira-t-on, écrire contre les principes constitutionnels, ni attaquer les raisonnemens de la Charte. Eh! d'abord qu'est-ce qu'un principe en général? qu'est-ce ensuite qu'un principe constitutionnel?

Un principe écrit n'est qu'un résultat de mots, combinés par l'imagination, et ne produit rien de réel dans l'univers un principe écrit est comme un tableau peint; l'un est fait avec des mots, l'autre avec des couleurs; mais, dans l'un comme dans l'autre, ni les mots, ni les couleurs, n'ont engendré des réalités. D'après cela, je vous avoue que je ne puis comprendre ce que ce que c'est qu'une poursuite judiciaire dirigée contre un homme qui a tiré ce qu'on appelle un principe, d'une combinaison de mots : quel que soit ce principe, l'écrivain en le po sant n'a rien fait; il est dans la position du peintre, l'un a écrit sur du papier, l'autre a peint sur une toile; mais ni l'un ni l'autre ne peuvent jamais être coupables pour des jeux de l'imagination.

Vous apercevez ici, mon cher fils, cette erreur générale, dont je vous ai parlé si souvent, sur la nature du langage et la puissance des mots; vous voyez toujours cette illusion qui nous fait croire que nous combinons les choses, en combinant leurs représentations, et qu'avec des paroles nous pouvons créer des sociétés. Ce n'est pas que le principe émis par l'écrivain, comme le tableau fait par le peintre, ne puisse devenir l'instrument d'un délit par la publication qui en seroit dangereuse; mais alors il faudroit que cette publication eût été interdite à l'avance, ou soumise à des formalités méconnues; ce qui constitueroit un fait, et rentreroit dans le domaine légal. Mais il sera toujours absurde de punir un écrivain ou un peintre, à l'occasion d'une production de leur art, que la loi les invite à rendre publique.

Qu'est-ce ensuite qu'un principe constitutionnel? et qu'est-ce qu'attaquer un principe constitutionnel? Un

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